

Le président français effectue une visite d’Etat à Pékin au cours de laquelle il est rejoint par Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne.
Contrairement à celle-ci qui, préalablement, a exprimé toute sa vigilance quant à une tentation chinoise de soutenir le potentiel de guerre de Moscou en Ukraine, il s’est fait très pondéré sur ce problème géopolitique majeur dont on peut subodorer qu’il ne sera pas le point le plus dense de l’ordre du jour. Peu réaliste, le paradigme serait d’attirer la diplomatie chinoise dans une sorte de médiation de paix plus ou moins neutre. Idéalement, de pousser Pékin à prendre langue avec Kiev pour entendre l’autre version du conflit. Un espoir sans doute assez vain.
D’abord, parce que, aux yeux des Chinois, la France n’est plus une puissance politiquement dominante au sein de l’UE, Union dont l’influence a progressivement décru dans le monde à la mesure de l’affirmation du »Sud global », de l’expansion du modèle politique et économique chinois mais aussi de la »reprise en main de l’Occident » par les Etats Unis. Ils connaissent trop bien la timidité politique des Européens à leur égard mais ne leur expriment aucune reconnaissance particulière de ne pas s’être alignés sur la posture conflictuelle qu’entretiennent Washington et Pékin. De plus, leurs exportations vers l’Europe ne représente que 15 % de leur commerce extérieur. La capacité de persuasion d’un dirigeant européen est à la mesure de cette taille modeste : Xi Jinping s’y montrera encore plus insensible que Poutine ne l’a été dans la poursuite de son plan guerrier.
Une visite d’Etat escortée par soixante hommes d’affaires représentant le fleuron du CAC 40 ou des PMI très performantes n’incite pas, de toute façon, à une confrontation de points de vue sur la Russie et l’Ukraine. Chacun connait l’inflexibilité des choix chinois comme la crainte des milieux d’affaires de voir leurs investissements et débouchés commerciaux ruinés par des sanctions, en raison de livraisons d’armes à la Russie. On avance donc sur des œufs. Pékin cherche toujours à enfoncer un coin entre Washington et ses alliés européens. L’élargissement de l’OTAN lui est une réminiscence de ce »vieux monde » dominé par l’Occident et qu’elle veut remplacer par le sien. Elle reproche à la France de ne plus être celle du général de Gaulle, »alliée mais non-alignée ».
Dans un monde qui n’est plus bipolaire mais éclaté ( »polycentré ») ce rappel du passé n’est plus justifié. Les Chinois ont surement bien noté les propos du président français invitant à ne pas humilier Moscou et ses appels à ouvrir des négociations (dès que Kiev en approuvera le principe, il est vrai). Sa préférence pour une »politiques d’équilibres » à leurs yeux penche plutôt du bon côté, même elle reste assujettie au leadership américain dans l’OTAN (livraisons d’armements, notamment).
Concernant la question de Taiwan, dans laquelle couve un prochain potentiel guerre majeure et peut-être éminente, la partie française voulait éviter d’avoir à traiter la chose trop au fond. Posture un peu naïve compte tenu de l’instance chinoise à faire réitérer sans cesse l’adhésion de tous ses partenaires au principe de l’unicité de la Chine. Au-delà, Pékin tente de faire reconnaitre son droit à intervenir. Le contexte entre les deux rives du détroit est affecté par une visite en Californie de la présidente Tsai Ying-wen, rencontre à la clé avec Kevin MacCarthy, le président de la Chambre des représentants américaine. Comme par le passé, Pékin réagit par des manoeuvres militaires dans le détroit, ce qui rend l’échange avec le président français sur ce point encore plus périlleux. Décemment, pourrait-il ne rien dire en défense des 24 millions de Taiwanais, pour défendre leur démocratie et pour mettre en garde contre une invasion chinoise ?
Bref, ils n’ont pas grand chose à craindre d’un hôte aux principes tempérés et aux attentes économiques élevées. Restera, au retour en France, à orchestrer pro domo les »avancées de la paix » issues de cette visite très fructueuse.
Je me suis longtemps méfié du syndrome de Godwin qui voudrait que face à l’horreur politique et humanitaire, on effectue presqu’automatiquement un parallèle avec Hitler et son troisième Reich. Je ne suis plus aussi sûr, depuis un an, que cette outrance ou ce réflexe d’indifférentiation soit aussi abusif que ça. La voie morbide suivie par Vladimir serait-elle un peu copiée sur le »Mein Kampf » d’Hitler que ça ne me troublerait pas plus que ça.
On peut dire que des deux côtés les agressions et les objectifs d’invasion / annexion ont été nourris de longue date et entraient dans le cadre d’une vengeance contre les démocraties occidentales (suite à la défaite de 1918 ou à l’implosion de l’URSS, au bénéfice de l’Occident). Ces plans n’ont pas été totalement cachés mais n’ont pas été clairement perçus de l’Occident, lequel n’a, dans les deux cas, pas vraiment cru à ses projets d’empire et aux énormes discriminations politiques ou raciales qu’ils impliquaient. La tromperie a précédé l’attaque. Pour Adolf, le monde slave était composé de sous-hommes, la Pologne devait être démembrée; pour Vladimir, l’Ukraine n’existait simplement pas. On a continué à vouloir raisonner Poutine malgré tout comme on pensait calmer Hitler par des approches illusoires du type de Munich.
On me dira que Moscou ne s’est pas rendu coupable de la Shoah. C’est vrai, mais la différence ne tient qu’au ciblage des populations civiles qui ont été et sont massacrées. La Russie cible les quartiers résidentiels et les habitations à l’aveuglette quand l’Allemagne nazie débusquait ses victimes. Les deux ont déporté, exécuté, torturé sans limite. Vladimir a mille fois mérité son inculpation par la CPI (qu’il ne reconnait pas) pour crimes contre l’humanité. Il a de plus transformé la vie de ses concitoyens en un enfer totalitaire et sacrifié sans scrupule la »chair à canon ». Gageons que lui aussi échappera à son Nuremberg. En effet, on ne voit pas en Russie de plan B pour la paix et encore moins une perspective de défaite militaire complète. Enseignées dans les écoles, la haine des Occidentaux et la dénonciation des »menaces systémique » qu’ils feraient peser sur la Russie promettent d’ancrer dans la durée la volonté de poursuivre les hostilités.
Resterons-nous simplement protagonistes ou deviendrons-nous cobelligérants ? Chez nous, au moins deux générations vont devoir porter ce fardeau. Le syndrome de Godwin n’est pas si faux.
Un pays agresseur qui rappelle, en guise de vœux de fin d’année, ses plans d’annexion de quatre régions qu’il occupe militairement peut-il être cru quand sa propagande éhontée crie »pousse, on arrête un moment » ? Surtout quand il souhaite dans la foulée rendre la vie invivable aux populations qu’il bombarde. Personne n’a cru à la trêve de 36 heures dans la bataille fixée sur le front hivernal. Elle n’a pas eu lieu et les échanges d’artillerie n’ont pas cessé.
La phrase de la semaine revient à Joe Biden : »Poutine manque d’air ». L’inconfort de sa position de dictateur mis en échec transpirait lorsqu’il a décrété une pause de prière pour le Noël orthodoxe. Cela n’a pas dû impressionner les loups du Kremlin qu’on imagine rôder autour de l’autocrate fourvoyé dans l’impasse. Les Russes du peuple crèvent surtout de peur d’être mobilisés en force sur ce maudit front. Les Ukrainiens, eux, ont pour la plupart fêté la nativité le 25 décembre, selon le calendrier grégorien et n’avaient plus grand chose à attendre du patriarcat de Moscou. Ils ont le leur, indépendant. Bref, Poutine n’a trouvé pour marquer son autorité qu’un insignifiant coup de baguette dans l’eau. Ce gadget de propagande ne pouvait faire retomber du côté de l’Agressé la »culpabilité » qu’il assumerait à poursuivre ses opérations de défense : l’hypocrisie n’est jamais le fait de celui qui poursuit une cause juste. En Occident, il n’y a eu quasiment aucun commentaire pour se féliciter de cette première »trêve » déclarée depuis le début de la guerre en Ukraine. Ou alors pour relever le sentiment d’une propagande russe un peu aux abois, à court d’imagination. La forteresse se lézarde.
Le 2 janvier, Moscou avait piteusement reconnu avoir subi 63 pertes de soldats à Makiïvka, à l’Est de la ville séparatiste Donetsk. Puis 88, ouvrant la perspective d’un nombre de morts bien supérieur encore parmi ses conscrits. Dans la guerre psychologique en cours, se forge l’image d’une Russie figée, blessée. Reconnaître l’incurie de son armée n’est pas glorieux pas plus que de clamer une revanche prise à Kramatorsk que nul n’a constatée. On pourra même préférer se fier à l’estimation énorme que fait Kiev de ce magistral coup au but : peut-être 800 victimes localisées tout simplement par leurs téléphones mobiles avec lesquels elles adressaient vœux et nouvelles à leurs familles. Le choc émotionnel est fort l »’opération militaire spéciale » tourne bien au massacre.
C’est un haut fait militaire vu du côté ukrainien et il faut se réjouir que les militaires de Kiev, équipés par de puissants moyens d’artillerie occidentaux, parviennent à exploiter les failles organisationnelles et humaines de l’armée russe. Ces soldats russes mal formés et mal commandés, cantonnés de façon regroupée près de leur matériel, étaient de la chair à canon désignée à l’adversaire. Dans ce contexte, on peut retenir le bilan des américains qui parlent de 100 000 victimes russes tués depuis février et qui en comptabilisent autant coté ukrainien. Reste enfin, le nombre de civils morts : ils seraient plus de 6700, d’après l’ONU. L’invasion est abjecte mais, au stade actuel, le dispositif russe de massification de forces s’avère primitif. Cette armée n’est pas aussi invincible qu’on l’avait cru. L’Ukraine parvient à nous faire espérer qu’elle pourra la désorganiser suffisamment pour retourner en sa faveur la prochaine offensive terrestre du printemps. Mais il faut qu’elle agisse vite pour éviter une mobilisation générale en Russie.
Il faut surtout espérer que la troupe russe et les familles des soldats se rebelleront contre les conditions misérables dans lesquelles l’opération militaire spéciale a été engagée. Ses chefs ne se déplacent jamais sur le front et ses officiers sont fréquemment les boucs émissaires de leur haute hiérarchie. Poutine contrôle durement un appareil d’Etat mais n’inspire plus aucun élan patriotique, seulement de la peur. Souhaitons que le trône du tsar vacille enfin pour que les centaines de morts de Makiïvka aient péri pour quelque chose qui soit à la hauteur de leur tragédie !
Guangong (un cousin se Mars), le dieu oriental de la guerre est de retour, avec sa face écarlate et ses yeux exorbités. Il nous avait amené les guerres des Balkans au sein de l’ex-Yougoslavie (dont la Bosnie), aux franges de l’Arménie et de l’Asie centrale ex-soviétique, dans les années 1990 : nous n’avons pas tiqué. Il a fait souffler le vent du terrorisme jihadiste sur l’Europe, dans la décennie suivante. Cela nous a alors a poussé à intervenir brutalement – même si ce fut sans succès – en Afghanistan, en Iraq, au Sahel : nous étions courroucés. Il s’est fait manipulateur de la démocratie et il a brouillé notre jugement en exploitant les réseaux sociaux à l’occasion des grands scrutins déterminant le cours des démocraties, notamment, à propos du Brexit et de l’alternance populiste de D. Trump aux Etats-Unis. Il a ensuite pris le visage fuyant et hypocrite de la guerre dite hybride, lors de la renaissance de la guerre froide autour des émancipations ukrainienne et biélorusse. Dans notre quotidien, la vie sur internet et la sécurité de nos infrastructure se sont teintés de risques perçus comme inhérents au ‘’système’’ : nous sommes devenus pessimistes et méfiants, mais nous nous sommes cru encore en paix. Les dernières illusions sont tombées avec la seconde guerre d’annexion de l’Ukraine : la ‘’question russe’’ réintroduisait une guerre froide, en fait déjà tiède.
Moscou nous coupe le gaz, nous menace d’un holocauste nucléaire, nous crie à la face que nous sommes les ennemis détestés qu’elle voudrait abattre. Au diable le déni de l’agression, nous revoilà tout proches de la guerre de Grand Papa. Un anti-missile est tombé sur la Pologne et l’article IV (consultations de crise) de la Charte atlantique a été invoqué. Le ‘’Mein Kampf’’ d’Adolphe renaît sous la forme de ‘’l’opération spéciale’’ (très spéciale, en effet) du sieur Vladimir. L’Histoire est repartie dans les années 1940 : elle boucle la boucle et ne se stabilisera pas, comme l’imaginait le prophète américain Francis Fukuyama (‘’la Fin de l’Histoire et le dernier homme’’). Il faut se réarmer, moralement et militairement pour la ‘’haute intensité’’. Qui l’aurait cru lorsque le mur de Berlin est tombé, il y a 33 ans ? Pas moi (ni l’Ours).
Aux frontières de l’Union européenne, les gens meurent sous les bombes et les missiles, victimes d’une tentative folle d’annihiler ce qu’on ne peut pas arracher par la force. Les champs de bataille sont des champs de torture. Les enfants sont enlevés par centaines de milliers pour être russifiés. Des ‘’camps de filtrage’’ sont dressés dans les profondeurs du territoire russe. De l’autre côté, Moscou envoie au casse-pipe ses soldats ethniquement non-russes : Tchétchènes, Ingouches, Bouriates, etc., profitant de l’occasion pour ménager son vivier primordial de Russes ethniques (24 soldats morts seulement à Moscou, sur peut-être 100.000 tombés au combat). Cette offensive russe est bien d’essence coloniale, portant la marque d’un empire continental cleptomane, devenu toxique et tueur. Le groupe privé Wagner et ses guerriers sans âme s’émancipent et deviennent un Etat dans l’Etat, jugeant avec mépris l’armée étatique.
De la paix froide, on passe à une sorte de guerre totale, pondérée par la seule dissuasion nucléaire et aussi, un peu, par le comportement resté humain des Ukrainiens. Ils incarnent la résistance à la barbarie pure, l’arrière citoyen soutenant l’avant militaire : on les admire et on doit les soutenir, ne serait-ce qu’en tant que leurs alliés également placés sous la menace poutinienne. Les peuples qui veulent se libérer finissent par l’emporter. Mais au prix de quels méandres arriverons-nous, un jour, à négocier une paix qui soit juste, légale et durable, une vraie paix ?
Clausewitz estimait que la guerre est un caméléon. Ses voies, buts et moyens varient au gré des circonstances. C’est un tourbillon incontrôlable qui n’a, grâce à la propagande, que l’apparence d’une certaine cohérence. Il emporte les décideurs vers des stratégies qu’ils n’avaient pas initialement décidées. Les défis à la raison, même celle qui sert de mauvaises causes, conduisent à une forme de chaos universel. Telle est bien la dimension globale des conséquences de cette guerre, qui entrave la vie au Nord et compromet le développement au Sud. L’humanité envers soi-même comme envers les siens se perd en route : on le sent mais on ne veut pas se l’avouer, car la marche arrière est impossible… et la marche avant, suicidaire. C’est là que se trouve aujourd’hui l’inflexible Vladimir Poutine, assurément plus très loin de sa faillite finale.
Un autre problème est que pour les Azerbaïdjanais, Turcs, Rwandais, Erythréens – et même jusqu’à l’immense Chine – le ton est donné d’un retour de l’annexionnisme guerrier, de l’enterrement du droit. L’Europe devra réécrire sa vision stratégique du monde en termes bien plus tranchants. Le G 20 s’exprime, grâce à elle, contre la guerre en Ukraine. Taïwan ne sera pas annexée demain. Mais le nouveau ‘’désordre mondial’’ appelle contre lui un retour général aux valeurs – actualisées – qui avaient fondé la Charte de San Francisco de l’ONU.
Une entreprise titanesque, s’il en est !
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Le Pérou est entré dans une grande pagaille, pas très facile à suivre. Une semaine après le coup de force raté et la destitution, par son Congrès, de Pedro Castillo, président de gauche élu en 2021, la Cour suprême a ordonné le 7 décembre la détention provisoire du Chef de l’Etat pour sept jours. On parle maintenant d’une détention de 18 mois. L’homme avait été menacé de destitution par un Congrès de gauche qui l’exècre et l’accuse de corruption. Pour s’en sortir, il a commis un acte anticonstitutionnel en prononçant la dissolution de ce parlement adverse. Mais le Congrès est resté debout et, pour le coup, l’a destitué et fait arrêter. Castillo se réclame du soutien du peuple et rejette en bloc les accusations de rébellion et conspiration. Le Pérou, désormais dirigé par l’ex-vice présidente, Dina Boluarte, est cassé en deux blocs hostiles.
Entretemps, des milliers de Péruviens manifestent dans le pays, réclamant la dissolution du Congrès et de nouvelles élections immédiates. Les manifestations ont provoqué la fermeture des aéroports et la circulation des personnes et des biens est devenue problématique. Le gouvernement a finalement officialisé le 14 décembre la déclaration de l’état d’urgence dans tout le Pérou, ceci pour trente jours.
Cette réplique n’a pas les effets dissuasifs escomptés sur les milliers de manifestants qui exigent la libération du président déchu, la dissolution du Congrès et l’organisation d’élections générales anticipées. Il est vrai que face à l’Armée, le mouvement tend à s’essouffler au fil des manifestations. Concrètement, le droit de réunion est suspendu, ainsi que la liberté de circulation et l’inviolabilité des domiciles. Le gouvernement évalue maintenant la possibilité d’instaurer également un couvre-feu. En matière d’Etat de droit, ce n’est pas mieux que la mauvaise initiative de Carillo.
Les forces armées, alliées à la police, exercent une répression brutale faisant des morts et d’autres explosions de colère populaire. Le ministre de la Défense, Luis Alberto Otárola Peñaranda annonce une réponse ‘’ferme et autoritaire’’ à la paralysie du pays. Apparemment, la démocratie ne tient plus qu’à un fil. L’un des objectifs est de lever les dizaines de blocages routiers. Des passagers et des camions de marchandises sont en rade sur les routes, depuis parfois plusieurs jours.
Cette démonstration de force contraste avec l’attitude hésitante de la présidente Boluarte, qui cède autant qu’il lui est possible aux pressions de la rue et appelle au dialogue ‘’pour mettre tout le monde d’accord’’. Après avoir brièvement caressé l’espoir de se maintenir au pouvoir jusqu’en juillet 2026, elle propose donc d’avancer les élections à décembre 2023 et non plus avril 2024, comme précédemment annoncé. Mais le projet de loi doit encore être approuvé par le Congrès. Il n’est pas sûr que cela soit suffisant pour calmer les opposants. Mais peut-être ce le serait pour faire sortir les prétoriens de leurs casernes, tant la classe politique paraît perdre le contrôle. L’Armée est mise au pied du mur : elle pourrait franchir le Rubicond si les désordres continuaient.
Ces évènements illustrent la vitalité un peu brouillonne des idéaux démocratiques en Amérique latine et, comme partout, l’évidente méfiance des populations face aux manœuvres partisanes de la classe politique. Ils nous font mesurer aussi à quel point, branchés sur le conflit en Ukraine et les bouleversements de la géostratégie, nous perdons de vue des pans entiers de l’hémisphère Sud où se jouent tout aussi bien l’avenir des ‘’petites’’ nations.
Soit, la Russie n’a plus besoin de l’arme nucléaire pour soumettre l’Ukraine, soit Poutine et son fidèle second, Dmitri Mevdevev se sont (em)brouillés dans de pathétiques dissonances de discours. L’ex-président russe et actuel numéro 2 du Conseil de sécurité a proféré de nouvelles menaces anti-occidentales, le 10 décembre, juste après que son chef se soit appliqué à calmer le jeu. Ledit chef, lui, fait étonnamment profile bas : il va quêter des renforts chez son comparse (obligé) de Biélorussie, passe, tel un fantôme, dans l’état-major de »l’opération spéciale » ( »auriez-vous des idées pour repartir de l’avant ? ») et décore au Kremlin quelques héros du peuple très anonymes. De visite sur le front : point.
‘’Notre ennemi ne s’est pas retranché uniquement dans le gouvernement de Kiev. Il est aussi en Europe, en Amérique du Nord, au Japon, en Australie, en Nouvelle-Zélande et dans d’autres endroits ayant prêté allégeance aux nazis de notre temps’’, estime Dmitri Medvedev. ‘’Voilà pourquoi nous intensifions la production des moyens de destruction les plus puissants, y compris ceux basés sur de nouveaux principes’’, a-t-il poursuivi dans un message sur son compte Telegram. Il n’a pas détaillé ces nouveaux principes, mais faisait, semble-t-il, notamment référence aux nouvelles générations d’armes hypersoniques que Moscou se targue de développer activement ces dernières années. Medvedev n’est qu’un opportuniste qui se place en vue d’on ne sait quelle échéance interne. Ses mots ne pèsent guère.
L’avant-veille, son ‘’patron’’ avait sérieusement relativisé la perspective d’une expansion à la dimension nucléaire de la confrontation à l’Occident et même renoncé à une première, voire une seconde frappe tactique pour la défense de ce qu’il considère comme le territoire sacré de ‘’Mère Russie’’. Il ne parlait plus des ‘’nazis de notre temps’’ ( ?) mais de disponibilité à signer un accord. Certes, pas aux conditions du plan de paix ukrainien mais l’emploi du mot vaut d’être noté : »Au final il faudra trouver un accord. J’ai déjà dit à plusieurs reprises que nous sommes prêts à ces arrangements, nous sommes ouverts, mais cela nous oblige à réfléchir pour savoir à qui nous avons affaire », a déclaré le président russe, en marge d’un sommet régional au Kirghizstan. Alors, qui croire, que croire ? Poutine se sent-il empêtré, est-il tenté de »limiter la casse », de faire marche arrière ? Voit-il seulement clair dans ce qui est supposé être sa stratégie ? Détruire l’Ukraine, faire fuir la jeunesse russe menacée de conscription, envoyer au massacre les soldats issus des minorités, déporter en masse des enfants pour les russifier? Et après ? Rien de tout ça ne concourt à réaliser de façon stable son plan mégalomaniaque : d’où ce coup de mou. C’en est au point qu’il n’ose plus parler à son peuple: les traditionnelles adresse de fin d’année à la Nation et conférence de presse ont été rayées de l’agenda, un fait rarissime, significatif d’un malaise personnel.
Sa santé n’est, dit-on, pas très bonne. Peut être, reprendra-t-il, au printemps, du poil de la bête. Mais on dirait que la certitude de vaincre s’effiloche au royaume du Kremlin…
« L’humanité est devenue une arme d’extinction massive à cause de notre appétit sans limite pour une croissance économique incontrôlée et inégale ». »Elle traite la nature comme on utilise des toilettes ». Le secrétaire général de l’ONU, fort de son pouvoir d’invocation, n’y a pas été par quatre chemins. Le temps presse : jusqu’à un million d’espèces sont menacées d’extinction, un tiers des terres sont gravement dégradées et les sols fertiles disparaissent, tandis que la pollution et le changement climatique accélèrent la dégradation des océans. Le coût pour les écosystèmes est estimé à 3 000 milliards de dollars par an d’ici 2030. Mazette !
Du 7 décembre au 19 décembre, la conférence de l’ONU sur la biodiversité rassemblant à Montréal les ministres de l’Environnement de quelque 190 Etats, a tenté de parvenir à l’adoption d’un cadre mondial décennal pour sauvegarder la nature et ses ressources essentielles à l’humanité. Présidée par la Chine mais déplacée au Canada du fait de la politique zéro Covid, elle portait en elle, comme les COP sur le climat, un défi colossal : conclure en deux semaines un accord de la « dernière chance » pour sauver les espèces et les milieux naturels d’une destruction irréversible.
Par rapport à sa »sœur » climatique, la COP »biodiversité » reste un parent pauvre et abrite encore des visions divergentes. Il y a une conception de retour des écosystèmes à leur état primaire et une autre, majoritaire, centrée sur l’usage raisonnable des ressources naturelles. S’y ajoute la concentration (ou non) de l’attention sur quelques espèces »totémiques » généralement de grande taille (l’ours blanc …) et sur des régions ciblées comme plus favorables à l’équilibre de la flore et à la faune, à l’origine de tensions politiques. Enfin, l’absence de scenarios scientifiques assis sur le consensus de la science et celui du monde politique (peu présent dans le débat) crée un hiatus considérable par rapport à l’actualité forte de la question climatique.
Il s’agissait de concrétiser une vingtaine d’objectifs, dont le principal visait à protéger 30 % des terres et des mers en réserves naturelles. À ce jour, 17 % des terres et 8 % des mers sont protégées. 75 % des écosystèmes mondiaux sont altérés par l’activité humaine et la prospérité du monde est en jeu : plus de la moitié du PIB mondial dépend de la nature et de ses services. Etaient également visées la restauration des milieux naturels, la réduction d’usage des pesticides, la lutte contre les espèces invasives, ou l’établissement d’une pêche et d’une agriculture durables. Les négociations ont patiné depuis trois ans. Les financements Nord-Sud ont constitué, comme toujours, le principal sujet contentieux. La coalition du Sud a réclamé au moins 100 milliards de dollars par an pour préserver la biodiversité – autant que pour le climat – et 700 milliards de dollars par an d’ici 2030 ! Est-ce bien réaliste ? La question de la biopiraterie a constitué également une source de blocages : les pays riches étaient appelés à partager enfin les dividendes de la vente de cosmétiques ou médicaments dérivés des ressources naturelles prélevées sur le Sud. Cette revendication se comprend.
La présidence chinoise a finalement soumis au consensus un document au contenu généralement qualifié de »faible ». En substance, on y retrouve l’objectif emblématique de 30% des terres et des mers protégées d’ici à 2030. Cet objectif porté par une coalition de 116 pays, dont les Européens. Mais le niveau de protection n’est guère exigeant (notamment par rapport aux pratiques de surpêche). Le texte inclut aussi la promesse de restaurer 30% des écosystèmes dégradés d’ici à 2030. Il donne des garanties pour les peuples autochtones, gardiens de 80 % de la biodiversité subsistante sur Terre. Mais beaucoup de formulations diluent des objectifs clés comme la réduction des pesticides ou le changement de modèle agricole. Côté financement 20 milliards par an sont promis aux pays en développement d’ici à 2025, puis 30 milliards par an d’ici à 2030. C’est plus qu’actuellement, mais c’est très loin des 100 milliards annuels réclamés par les pays du Sud. Les divergences autour d’une volonté des Etats du Sud de dupliquer le Fonds pour l’Environnement Mondial (FEM) par une dotation »moins rigide » dévolue à la biodiversité ont abouti à un compromis : une branche »biodiversité » spécifique sera établie au sein du FEM.
Va-t-on parler d’un accord aussi historique que celui de Paris de 2015 pour le climat parce que, simplement il y a eu consensus ? Certes, non : l’accord de Kunming – Montréal ne sera pas contraignant mais simplement »entrainant », mais on lui donnera néanmoins des effets en Europe. On a finalement réussi à dépasser les tactiques dilatoires délibérées génératrices de scénarios décevants, comme celui de Copenhague en 2009, où la COP climat s’était conclue sur un échec retentissant. On retiendra de Montréal le sentiment d’une paix souhaitée – non pas retrouvée – avec la nature. On peut également se dire que tant que les Etats nationaux se réuniront autour de problèmes aussi globaux, en format multilatéral, l’ égoïsme humain global restera bien moindre que la somme combinée leur réticences respectives. Des progrès un peu boiteux ont été accomplis. Un chemin tortueux reste ouvert.
En temps de guerre, le prix Nobel de la Paix constitue une arme morale. Ne quittons pas l’année sans considérer le beau cadeau d’anniversaire fait à Vladimir Poutine, le 10 décembre : l’opposant bélarusse Alès Bialiatski, l’ONG russe Memorial et le Centre ukrainien pour les libertés civiles se sont vu remettre le prix Nobel de la paix à Oslo. Des choix très politiques pour booster la volonté de résistance à la dictature poutinienne. Issus des trois principaux États protagonistes du conflit, tous trois ont été honorés pour leur engagement en faveur des droits humains, de la démocratie et de la coexistence pacifique face à la monté des populismes autoritaires.
‘’Les récipiendaires représentent la société civile dans leurs pays, le droit de critiquer le pouvoir, les droits des citoyens, la lutte contre les crimes de guerre, les abus de pouvoir’’, a justifié l’académie Nobel. De fait, les trois lauréats incarnent la paix et démocratie, ces biens de plus en plus contestés.
– Alès Bialiatski est l’un des initiateurs du mouvement pour la démocratie qui a émergé au Bélarus au milieu des années 1980. Il est essentiel que cette nation brimée qui a produit il y a deux ans une admirable ‘’révolution de femmes’’ (les épouses des militants emprisonnés) ne tombe pas dans l’oubli. Ce défenseur des droits est connu pour son travail à la tête du Centre Viasna, l’organisation de défense des droits de l’Homme en Biélorussie. Vice-président de la Fédération internationale pour les droits humains, il est emprisonné depuis le 14 juillet 2021 dans l’attente d’un procès où il est passible de douze ans de prison pour ‘’contrebande’’ d’espèces au profit de l’opposition. Sa situation illustre le ‘’crime’’ que constitue tout contact suivi avec le monde extérieur. En son absence, c’est son épouse Natalia Pintchouk qui a reçu la récompense. Celle-ci a répété quelques-uns des mots de son mari, notamment ceux dans lesquels il appelle à se dresser contre l’internationale des dictatures : ‘’actuellement, des milliers de personnes sont derrière les barreaux en Biélorussie pour des raisons politiques et ils sont tous mes frères et mes sœurs. Rien n’arrêtera la soif des gens pour la liberté’’.
– L’ONG russe Memorial documente les crimes commis par le pouvoir soviétique puis russe. A quelques jours de l’invasion de l’Ukraine, le pouvoir poutinien a dissous cette association, qui fait figure d’opposition interne parce qu’elle brise l’omerta sur l’Histoire. Depuis, ses membres poursuivent leur travail en exil dans différents pays du monde. Le président de Memorial, Ian Ratchinski, a dénoncé les ‘’ambitions impériales’’, héritées de l’URSS. Pour lui, la Russie de Vladimir Poutine a détourné le sens historique de la lutte antifasciste au profit de ses propres fantasmes politiques. Désormais, ‘’résister à la Russie équivaut à du fascisme’’, comme le martèle la propagande russe au quotidien.
– Le Centre ukrainien pour les libertés civiles (CLC), créé en 2007, est basé à Kiev. La mission du CLC est de promouvoir les valeurs des droits de l’homme et de la démocratie en Ukraine et dans la région de l’OSCE. Sa dirigeante, Oleksandra Matviïtchouk, a de nouveau appelé à la création d’un tribunal international pour ’’ juger Poutine, Loukachenko et d’autres criminels de guerre’’.
En cette année de guerre et de violente injustice, dans le sillage de l’invasion russe en Ukraine, le signal fort lancé par l’académie Nobel nous rappelle que la résistance commence et débouchera sans doute depuis l’intérieur des dictatures. En 2021, le comité Nobel avait récompensé les journalistes Maria Ressa et Dmitri Mouratov ‘’pour leurs efforts visant à défendre la liberté d’expression, qui est une condition essentielle de la démocratie’’.
L’action pour une Paix dans la Justice de tels personnages assez extraordinaires doit guider nos pas.
Deux conférences se sont tenues à Paris, le 13 décembre concernant la situation de l’Ukraine.
La première, intitulée ’’Solidaires du peuple ukrainien’’, a réuni les soutiens internationaux de l’Ukraine en présence du premier ministre, Denys Chmyhal, et de l’épouse du président Zelensky. Elle visait à répondre concrètement et à très court terme aux besoins urgents de Kiev dans l’objectif de franchir le cap difficile de l’hiver. Cette conférence sur l’aide internationale d’urgence s’est déroulée le matin au Quai d’Orsay pour tenter de rétablir des infrastructures essentielles (énergie, eau, alimentation, santé et transports). Après les conférences de Lugano, Varsovie et Berlin ces derniers mois, cette aide s’adapte à la nouvelle stratégie russe, qui cible depuis octobre les infrastructures ukrainiennes avec de très intenses bombardements. Les représentants de 48 pays et de 24 organisations internationales ont promis à l’Ukraine plus d’un milliard d’€uros, dont 415 millions seront affectés au secteur de l’énergie.
Sur le plus long terme, la seconde, la ‘’conférence franco-ukrainienne pour la résilience et la reconstruction », a rassemblé près de cinq cents entreprises françaises pour répondre aux besoins critiques de l’Ukraine, contribuer à la reconstruction du pays, et investir, à l’horizon du retour de la Paix, dans le potentiel de l’économie ukrainienne. Les perspectives d’investissement ne seront pas suivies d’effet à moyen terme. La reconstruction d’un pays dévasté n’est en effet concevable que dans le cadre d’accords de paix stables et durables. Lors de la seconde guerre mondiale, la perspective en avait été abordée dès la rencontre du 9 au 12 août 1941, au large de Terre Neuve, au plus fort de la bataille contre le 3ème Reich. Roosevelt et Churchill avaient écrit une ‘’Charte atlantique’’ en huit points préfigurant un retour de la Paix au sein de ‘’Nations Unies’’. Il n’est jamais trop tôt pour s’atteler au point le plus dur d’une guerre : le plan long et parsemé de pièges pour en sortir. Devrait-on, au passage, ignorer les stigmates auto-infligés et les craintes existentielles de la Russie ?
Seuls, les protagonistes occidentaux peuvent en accomplir l’effort et cerner progressivement les contours d’un nouvel ordre européen, lorsque la Russie parviendra elle-même à un constat d’impasse et d’affaiblissement rédhibitoire. Réfléchir, comme le fait Emmanuel Macron, à une architecture de sécurité continentale qui rendra sa (nécessaire) défaite plus supportable et garantira les (seuls) aspects légitimes de sa sécurité ne relève pas de la science-fiction ni de la sensiblerie mais d’un réalisme sage, qui voit loin.
La défaite russe provoquera un complet réaménagement du système despotique de pouvoir du Kremlin. Il faut miser sur la fin du »poutinisme ». Qui sait, elle pourrait même rapprocher (un peu) le système politique russe de nos principes démocratiques. Ceci impliquerait un degré de contrition et une nouvelle volonté de coexistence pacifique de la part de Moscou. Mais, il y a des ‘’mais’’ incontournables pour ne pas faire germer le besoin de revanche et l’esprit de haine : ne pas occuper le sol russe ni surexposer l’OTAN en vainqueur et éviter d’humilier cette nation qui se conçoit en grande puissance, lui accorder une marge raisonnable de sécurité souveraine ; enfin, recréer les bases d’une coopération conforme aux principes de la Charte des Nations Unies (le droit dont on ne doit priver aucun Etat légitimement constitué). C’est un peu les limites pointées par Aristide Briand à l’égard du fardeau excessif imposé à l’Allemagne de Guillaume II par le Traité de Versailles du 28 juin 1919.
Abuser des fruits d’une victoire censée à nouveau marquer ‘’la fin de l’Histoire’’ (référence à la chute de l’URSS en 1991) détruirait sûrement la Paix. Le plus délicat restera l’instauration d’une justice réparatrice. Il faudra que la Russie y contribue sa part, même s’il est bien évident que le gros des ressources destinées à l’Ukraine – peut-être des milliers de milliards de dollars – proviendra du système multilatéral, lui-même alimenté par l’Occident. Plutôt un plan Marshall et une offre de réconciliation, une fois la Justice passée, que les fourches léonines d’un Traité de Versailles avec ses clauses impossibles et ses lendemains guerriers. Mais, s’il est bon de penser à une paix durable, il faut se garder d’en parler trop et trop tôt pour ne pas choquer inutilement ceux qui souffrent, aujourd’hui, sous les drones et les missiles de l’agresseur russe.
Le temps court avant le temps long…
Le scandale éclate en pleine Coupe du monde de football. Des sacs de billets de banque ont été découverts au domicile de l’Eurodéputée socialiste grecque et vice-présidente, Eva Kaili, et de trois complices exerçant également des fonctions au sein du Parlement européen. Celle-ci a été incarcérée. Les soupçons pointent vers le Qatar qui serait à l’origine de cette corruption. La députée insoumise, Manon Aubry, a détaillé sur twitter la façon dont elle avait vécu en direct « l’ingérence du Qatar », lorsque Eva Kaili déployait son énergie à bloquer les résolutions condamnant la politique de l’émirat envers les travailleurs émigrés. Lors du vote, l’eurodéputée grecque avait reçu le soutien de la droite et de l’extrême droite -mais pas des socialistes français -, signe que les réseaux de corruption transcendent les appartenances politiques.
Pour le Parlement européen, le défi est violent. On le savait depuis longtemps perméable aux lobbies financiers et économiques, ce qui est en soi déjà grave. Le voilà désormais soumis à des incursions étrangères. Celle du Qatar et ses dollars, donc, mais aussi celle de la Russie, souvent également par le biais financier, comme cela est le cas avec le RN français. Des réseaux mafieux de quelques correspondants y sont à l’œuvre, entravant parfois l’expression majoritaire des députés. Ils entachent la crédibilité du Parlement. L’invasion de l’Ukraine a levé toute inhibition à manœuvrer l’équilibre géopolitique du monde. Des pays non démocratiques – Russie, Chine ou Iran, dont le Qatar est proche – démontrent chaque jour à quel point ils considèrent les démocraties occidentales comme un ennemi ou comme une chose malléable à merci, au gré de leurs intérêts les plus chauvins. Leurs ingérences sont inadmissibles. Comme l’a dit la présidente Roberta Metsola : il s’agit d’attaques contre le pouvoir législatif : il faut impérativement organiser sa défense.
Une règle ‘’sacro-sainte’’ voudrait que ‘’le sport ne doive pas être pollué par la politique’’ (apparemment, la réciproque n’intéresse pas). Ceci vaut pour les inimitiés et les rancœurs partagées entre les équipes nationales participantes, mais sûrement pas concernant l’intégrité des institutions et les instruments de souveraineté des peuples. Tout le gaz du Qatar ne fera pas oublier les mœurs corruptrices et la malfaisance comportementale de ce petit émirat arriviste. Il faudra que justice passe. Au minimum, pourrait on séparer le contentieux politique et moral qui nous oppose à lui d’avec le partenariat énergétique qui nous lie à lui. Ce dernier va contre le sens de l’histoire et contre nos intérêts à long terme. Il arrive néanmoins que le commerce ne fasse pas de ‘’politique’’. La raréfaction du gaz, la guerre hivernale en Ukraine imposent une dose de réalisme teinté de résignation.
De là à aller parader à Doha en assumant donc de côtoyer l’Emir… Pour une demi-finale, voire une finale électrisant la fierté nationale, ce serait pécher par inconséquence populiste et complaisante complicité. Que ceux qui incarnent la souveraineté nationale n’aillent pas s’exhiber à la fête, la tête vide ! ‘’Soutenir les Bleus’’ n’implique pas une proximité physique avec le corrupteur. C’est d’abord une question de morale élémentaire, bien plus qu’un principe d’écologie ou un souci (légitime) de droits humains. Et l’Europe ne mérite pas un second affront.
En temps de guerre, le prix Nobel de la Paix constitue une arme morale. Ne quittons pas l’année sans considérer le beau cadeau d’anniversaire fait à Vladimir Poutine, le 10 décembre : l’opposant bélarusse Alès Bialiatski, l’ONG russe Memorial et le Centre ukrainien pour les libertés civiles se sont vu remettre le prix Nobel de la paix à Oslo. Des choix très politiques pour booster la volonté de résistance à la dictature poutinienne. Issus des trois principaux États protagonistes du conflit, tous trois ont été honorés pour leur engagement en faveur des droits humains, de la démocratie et de la coexistence pacifique face à la monté des populismes autoritaires.
‘’Les récipiendaires représentent la société civile dans leurs pays, le droit de critiquer le pouvoir, les droits des citoyens, la lutte contre les crimes de guerre, contre les abus de pouvoir’’, a justifié l’académie Nobel. De fait, les trois lauréats incarnent la paix et démocratie, des biens qui nous sont contestés.
– Alès Bialiatski est l’un des initiateurs du mouvement pour la démocratie qui a émergé au Bélarus au milieu des années 1980. Il est important que cette nation brimée, qui a produit il y a deux ans une admirable ‘’révolution de femmes’’ (les épouses des militants emprisonnés), ne tombe pas dans l’oubli. Ce défenseur des droits est connu pour son travail à la tête du Centre Viasna, l’organisation de défense des droits de l’homme en Biélorussie. Vice-président de la Fédération internationale pour les droits humains, il est emprisonné depuis le 14 juillet 2021 dans l’attente d’un procès où il est passible de douze ans de prison pour ‘’contrebande’’ d’espèces au profit de l’opposition. Sa situation illustre le ‘’crime’’ que constitue tout contact maintenu avec le monde extérieur. En son absence, c’est son épouse Natalia Pintchouk qui a reçu la récompense. Celle-ci a répété quelques-uns des mots de son mari, notamment ceux dans lesquels il appelle à se dresser contre l’internationale des dictatures : ‘’actuellement, des milliers de personnes sont derrière les barreaux en Biélorussie pour des raisons politiques et ils sont tous mes frères et mes soeurs. Rien n’arrêtera la soif des gens pour la liberté’’.
– L’ONG russe Memorial documente les crimes commis par le pouvoir soviétique puis russe. Quelques jours avant l’invasion de l’Ukraine, le pouvoir poutinien a dissous cette association, qui fait figure d’opposition interne parce qu’elle brise l’omerta sur l’Histoire. Depuis, ses membres poursuivent leur travail en exil dans différents pays du monde. Le président de Memorial, Ian Ratchinski, a dénoncé les ‘’ambitions impériales’’, héritées de l’URSS. Pour lui, la Russie de Vladimir Poutine a détourné le sens historique de la lutte antifasciste au profit de ses propres intérêts politiques. Désormais, ‘’résister à la Russie équivaudrait à du fascisme’’, comme le martèle la propagande russe au quotidien.
– Le Centre ukrainien pour les libertés civiles (CLC), créé en 2007, est basé à Kiev. La mission du CLC est de promouvoir les valeurs des droits de l’homme et de la démocratie en Ukraine et dans la région de l’OSCE. Sa dirigeante, Oleksandra Matviïtchouk, a de nouveau appelé à la création d’un tribunal international pour ’’ juger Poutine, Loukachenko et d’autres criminels de guerre’’.
En cette année de guerre et d’injustice, dans le sillage de l’invasion russe en Ukraine, le signal fort lancé par l’académie Nobel nous rappelle que la résistance commence et débouchera sans doute depuis l’intérieur des dictatures. En 2021, le comité Nobel avait récompensé les journalistes Maria Ressa et Dmitri Mouratov ‘’pour leurs efforts visant à défendre la liberté d’expression, qui est une condition essentielle de la démocratie’’.
L’action pour une Paix dans la Justice de tels personnages assez extraordinaires doit guider nos pas.