1.H – Brève de Janvier – Mars 2021

* 31 mars – Quelle guerre est humainement juste ? La définition du terrorisme est au bon vouloir de chacun. Les Nations Unies ni le droit international n’en donnent une traduction précise. Pas plus que nihilisme, jihadisme, anarcho-syndicalisme, etc.. Le jour venu, ce sont les individus qui sont jugés pour leurs crimes, sans obsession pour leurs idéologies ou autres pathologies. Aucun doute sur le fait que le combat mené par Barkhane contre tous ces ‘’ismes’’ affreux est légitime et qu’il cherche à préserver l’Afrique (et la France) d’une mortelle contagion. Mais l’état des lieux sahélien est sombre : face à l’expansion jihadiste, tout repose sur l’action armée. Aucune attention n’est portée aux droits des populations civiles. L’incurie des dirigeants locaux, l’absurde passivité de l’Union Africaine, le manque d’explication des enjeux , l’absence de culture citoyenne et – enfin et surtout – les effets délétères d’une présence militaire qui s’éternise et devient psychologiquement oppressante : tout conduit à créer un Afghanistan sahélien. Qu’une erreur tragique survienne et c’est la légitimité de l’action des soldats étrangers qui s’effondre.


Que s’est-il donc passé à Bounty, au Mali, le 3 janvier, pour qu’on soupçonne les militaires français d’avoir bombardé les participants à un mariage ? La MINUSMA, à travers sa Division des droits de l’homme et de la protection, a déployé une mission spéciale d’établissement des faits, avec l’appui de la police scientifique des Nations Unies, en vue de faire la lumière sur ce drame. Le ministère français de la Défense n’en commente pas les conclusions : il les rejette en bloc. Tous terroristes, les invités, ou tous civils et innocents ? Et si ‘’tous’’ n’était pas la réponse adéquate et que les deux affirmations se recoupaient ? Un effort mental est alors nécessaire pour concevoir que la même personne puisse être un civil innocent le jour et un sinistre terroriste la nuit, ou encore qu’un civil non-violent puisse placer sa confiance dans un terroriste fraternel, défenseur de son identité. Et pourtant …


La mission onusienne a travaillé méthodiquement. Elle confirme la tenue d’une célébration de mariage, qui a rassemblé, sur le lieu de la frappe aérienne, une centaine de civils, parmi lesquels se trouvaient cinq personnes armées, membres présumés de la Katiba Serma. Elle a procédé à une fouille du site d’enfouissement des dépouilles des victimes de la frappe. Au moins 22 personnes, dont trois combattants de la Katiba Serma, sont décédées. Aucun élément matériel n’attesterait la présence d’armes, ce qui aurait fait du village une base opérationnelle. Mais il est vrai que quelques armes légères peuvent circuler de façon individuelle. Ce décompte précis est difficilement contestable. Il met en jeu la responsabilité des planificateurs français, en termes de droit de la guerre et de protection des populations civiles. C’est cette incrimination juridique qui horripile le ministère de la Défense et suscite la langue de béton de Mme Parly. Pourtant, les Nations Unies ne remettent pas en cause la légitimité politique des opérations françaises au Sahel. Elle recommande logiquement une enquête indépendante, crédible et transparente, portant notamment sur la préparation des frappes, les critères d’identification de la nature militaire des objectifs (on peut imaginer que la Défense y procédera en interne) mais aussi, sur les possibles violations du droit international humanitaire (là, ça coince…) et sur les responsabilités des personnels de Barkhane (bronca assurée du côté des militaires français !).

Il est pourtant temps de réintroduire de la prospective et de l’introspection politique, sans doute même un peu de transparence, dans la conduite de ce conflit régional. Les interventions armées françaises – récentes comme du siècle précédent ont trop souvent vu les politiques se décharger sur les militaires de leurs responsabilités stratégiques… à fortiori lorsqu’aucune issue n’était en vue.

* 30 mars – L’Afrique sur le point de bascule. Un raid-surprise de combattants jihadistes a été lancé dans le nord du Mozambique, contre la ville de Palma (75.000 habitants), nœud logistique en zone d’extraction gazière, proche de la frontière tanzanienne. Le signal de l’attaque a été l’arrivée d’un bateau chargé d’épicerie, dont l’attaque a immédiatement suivi l’accostage dans ce petit port. Des scènes de pillage et de meurtre aveugles s’en sont suivies. Le groupe djihadiste Al-Sunnah Wa Jamo (ASWJ) ou « Al-Shebab » (les Jeunes), affilié à Daech et fort d’une centaine de combattants, hante la zone depuis 2017. Il revendique cette opération et affirme contrôler la ville. Celle-ci – ce n’est pas un hasard – n’est éloignée que d’une dizaine de kilomètres du mégaprojet gazier de 60 milliards de dollars piloté par Total. Censé devenir opérationnel en 2024, le projet mené en consortium avec l’italien ENI et l’américain Exxon Mobil est à l’arrêt depuis plusieurs mois. Le calendrier ne sera pas tenu et l’ambition de doper l’économie mozambicaine pour en faire une puissance gazière s’en trouve contrariée. L’assaut a visé aussi les casernes et les administrations du gouvernement mozambicain.


Maputo (à 2300 km au Sud de Palma) évoque un bilan de plusieurs dizaines de morts dont, au moins, un ressortissant sud- africain et un sujet britannique, des sous-traitants de Total. Il y aurait entre 6 000 et 10 000 personnes réfugiées ou cherchant un abri à l’intérieur du chantier de construction du complexe gazier. La firme française indique fournir une aide humanitaire et logistique à ces populations civiles. Après le transfert de 1.400 travailleurs et civils à Pemba, port situé à quelque 200 km au sud, pirogues et voiliers traditionnels chargés de réfugiés continuent à affluer. Les agences de l’ONU présentes sur place s’efforcent de coordonner l’organisation du retour vers des zones sécurisées de milliers de civils réfugiés dans les forêts ou sur les plages environnantes. Ces victimes s’ajoutent aux 670 000 personnes ayant dû fuir les attaques au cours des dernières années. Car ce drame a des racines plus anciennes : la province du Cabo Delgado, à majorité musulmane, est l’une des plus pauvres du Pays. Le chômage généralisé des jeunes y favorise le recrutement des djihadistes, de même que les enlèvements d’enfants-soldats dans les villages. Ce jihad ‘’à bas bruit’’ n’avait pas été décelé, le cône Sud de l’Afrique étant supposé plus ou moins immune de la gangrène terroriste. Le réveil est très dur : du Nord au Sud, les gouvernants et les programmes d’aide au développement se montrent dépassés face à l’évolution de populations laissées à elles-mêmes et à leur misère, offertes aux pires prédateurs. Le Continent noir est-il en voie de basculer – avec les conséquences qu’on imagine – de Tamanrasset au Cap de Bonne Espérance ?

* 29 mars – Batifoler, le cœur léger. Pendant que 400 Français meurent chaque jour sous intubation, un enjeu plus jouissif accapare certains esprits : la liberté de circuler à sa guise et de profiter des beaux paysages, des arts et des distractions, de la villégiature auprès de populations étrangères accueillantes. Dans le droit fil du déconfinement des Israéliens et de l’insistance du gouvernement grec, l’Europe consacre aujourd’hui ses délibérations au « certificat vert », très loin des sentiments d’angoisse des soignants face à cette troisième vague, renforcée par les variants. Elle se montre peu attentive à la gravité de l’heure : avril sera un chemin de souffrance comme le vieux continent n’en a pas connu depuis l’arrivée de la pandémie.


Mais l’Européen veut saisir ‘’l’après’’, la perspective d’une jouissance revenue. Cela n’est pas illégitime mais imprudent. Il évacue le présent, qui le sature et le rend dépressif. Le nombre devient inquiétant des citoyens qui fuient l’information sanitaire, s’enterrent la tête dans le sable et en viennent parfois à négliger les précautions de base. Les mêmes estiment à tort que le vaccin permettra de tomber les masques et de circuler à leur guise , ce, même au milieu de populations non-immunisées. Pensent-ils à la situation des pays du Sud abandonnées à la pandémie ? Non. La question demeure : qui est vacciné et va être autorisé à profiter de belles vacances d’été, insouciantes, ici, là ou n’importe où ?

La Commission européenne va diffuser des ‘’certificats verts’’ pour ouvrir l’accès à ce privilège d’insouciance, au sein de l’Union. Ce sésame, qui donnera sans doute lieu à une avalanche de faux, de falsifications et de complaisances,  »attestera » que son porteur est immunisé, mais nullement qu’il n’est pas contagieux. Cette approche non-sanitaire de la question va donner lieu à des discussions serrées entre les Vingt-Sept. Ainsi, le ‘‘mieux vacciné’’ des Etats d’Europe s’emploie à dissuader les sujets de sa Majesté de voyager, même immunisés, hors du Royaume. Son souci explicite est que ceux-ci pourraient contracter l’un des variants – recensés ou à naître – qui rend les vaccins inopérants.

L’industrie du tourisme n’en a évidemment cure et préfère exposer à des risques les ‘’coureurs de jouissance’’. Car le problème ne se limite pas à une certaine indécence, dans la forme, à l’égard des mourants, des familles éprouvées, des personnes à la peine pour recevoir le vaccin et des populations vulnérables des pays de destination. Un tel desserrement sélectif des contraintes enfreindrait les principes d’égalité citoyenne devant la Loi. Il conduirait à contourner l’autorité médicale comme l’avis des élus locaux, pour la bonne raison qu’il ne contemplerait que le marché et la nécessité de combler les pertes de l’industrie. A ce propos, est-on bien sûr qu’en Europe, l’on vaccine les centaines de milliers de sans papiers déboutés de l’asile ou abandonnés au marché noir, dans tous les cas sortis des radars de la protection sociale ?Doit on continuer à faire circuler e boucle au sein de l’espace Schengen ceux qui relèvent du sinistre et irrationnel dispositif dit de Dublin ? ‘’Circuler’’, une notion bien policière mais pas un conseil prophylactique. Circulez, il n’y a rien à voir !

* 27 mars – Introspection salutaire. « La France est demeurée aveugle aux préparatifs du génocide du génocide rwandais’’. Une commission d’ historiens, nommée par le président Macron il y a deux ans, a remis son rapport, qui place ce constat en exergue. Les experts ont étudié les dossiers détenus par l’Etat sur l’opération Turquoise et sur les comportements sur le terrain. Conclusion : ‘’ La France porte des responsabilités lourdes et accablantes » dans le génocide de 1994. Cependant, les experts n’ont trouvé aucune preuve de complicité directe. Ces historiens, dirigés par Vincent Duclert, ne sont pas des spécialistes du Rwanda. Ce choix avait été pris pour garantir leur neutralité. Leur groupe comprend des spécialistes de l’Holocauste, des massacres d’Arméniens pendant la Première Guerre mondiale et du droit pénal international.

Il n ‘est pas clair si certains des faits qu’ils ont exhumés dans leur rapport donneront lieu à des poursuites judiciaires. Outre le président Mitterrand – dont la mémoire s’en trouve entachée – plusieurs personnalités politiques et des militaires présents au Rwanda comme à Paris paraissent avoir engagé leur responsabilité, à différents degrés, de façon répréhensible.
Certains responsables français opéraient en pleine mégalomanie, obsédés par l’idée que la France reste à tout prix le ‘’n° un’’ en Afrique, une forme récurrente de l’idéologie colonialiste. Leur intérêt pour les Rwandais eux-mêmes et pour le développement humain de cette population était négligeable. Leur frustration face à l’anglophilie des Tutsis frisait le crétinisme. La manifestation de la vérité sur le Rwanda n’est pas encore complète et les conclusions ne sont pas encore tirées. De façon évidente, la France-Afrique est allé trop loin. Les dossiers révèlent un basculement funeste d’une partie de la France dans un déni de la démocratie, de la morale et du droit. Il faut à présent  »vider les consciences » et repartir sur des bases saines.

* 26 mars – Piqués au vif. Le comportement tortueux de la firme AstraZeneca en matière d’exportation du vaccin anti-Covid fait monter le ton entre le Royaume-Uni et l’UE. Au point de déclencher une mini guerre commerciale. La Commission et les Etats membres de l’Union européenne accusent l’entreprise anglo-suédoise de ralentir délibérément la livraison des doses qu’ils ont commandées. Un quart des quantités réservées seulement a effectivement été fourni, tandis qu’une partie de sa production (30 millions) au sein des trois établissements qu’elle possède sur le continent reste stockée en cachette. En revanche pas une dose produite dans ses établissements britanniques n’a été dirigée, en sens inverse, vers l’Europe. Ce ne sont là que des indices de tripatouillage, mais ils parlent déjà d’un égoïsme carabiné. D’où une suspicion tacite que le gouvernement de sa Majesté – partie à la stratégie vaccinale de l’Union et servi par celle-ci – encouragerait – voire, aurait conçu – une manœuvre de détournement à son profit. Dès lors se posent les questions du respect de la transparence et du devoir d’équité, qui amènent l’UE à renforcer son contrôle sur les exportations de vaccins.

Boris Johnson n’a pas une forte réputation de rectitude, comparé, par exemple, à Angela Merkel. Sa stratégie électoraliste consistant à faire oublier l’erreur magistrale du Brexit par un succès – très réel – sur la vaccination conduit à le croire très capable de coups bas. D’un autre côté, le fait que plus du tiers de la population britannique ait été vacciné reste en soi un accomplissement positif, dont il faut se féliciter. Doit-on alors laisser le torchon brûler et enfourcher le destrier idiot du ‘’nationalisme vaccinal’’, ce réflexe populiste que Charles Michel, le président du Conseil européen condamnait, le 19 mars, comme indigne de l’Europe. Il avait raison.

Engager la polémique avec Johnson serait rejouer la bataille perdant-perdant du Brexit. Il a été confortablement élu et sa moralité n’est pas une exception dans le monde politique. Il faudra donc faire avec lui et poursuivre de façon déterminée les négociations sur les nombreux chapitres non-résolus du partenariat post-Brexit. Ceci implique une certaine retenue dans une relation qui doit se poursuivre, dense et dépassionnée. En revanche, AstraZeneca ne doit pas établir un précédent de dissimulation et de discrimination, dans une situation d’urgence sanitaire solidaire. C’est à la Commission européenne d’enquêter et de réclamer, le cas échéant, des indemnisations à cette firme. Que sa mauvaise réputation éloigne le public européen de ses produits n’est pas très grave, au moment où des sérums concurrents vont affluer  sur le marché européen. Une seconde injection effectuée avec Spoutnik V pourrait d’ailleurs fournir une alternative fonctionnelle. En pleine confusion, nos médias répercutent les très sévères jugements du gouvernement chinois, de l’OMS et de certaines ONG, comme quoi les Européens égoïstes ont sur-commandé des vaccins et en accaparent deux à trois fois les besoins de leur population, pour embrayer, en rubrique suivante, sur le grave déficit de vaccins à l’origine des retards de leurs campagnes d’immunisation. L’un ou l’autre ? Cette pandémie nous fait tous muter en bourriques.

* 25 mars – Payer la dette libyenne ? « Nous avons une dette envers la Libye, très claire : une décennie de désordre. » Gouverner c’est aussi reconnaître ses torts devant l’Histoire. Dans le postulat de la continuité d’Etat, les erreurs tragiques ont généralement été commises par des prédécesseurs, mais il faut les assumer. Peut-être, un jour, Nicolas Sarkozy reconnaîtra-t-il qu’en 2011, sous l’aiguillon de Bernard-Henri Lévy et contre l’avis de son ministre des Affaires étrangères (Alain Juppé), il a enfreint le mandat que lui avait accordé les Nations Unies pour une opération seulement humanitaire sur Benghazi… et qu’il en a profité pour renverser le régime Kadhafi, même sans doute pour liquider son chef. Enfin, qu’en jouant au foudre de guerre, il a mis par ricochet le feu au Sahel… où les armées françaises se retrouvent embourbées face à la contagion jihadiste. C’est une cascade de désastres que la politique française a déclenché en Afrique. Et nous sommes loin de nous en sortir.

,Le 23 mars, Emmanuel Macron a sobrement fait, devant les nouveaux dirigeants libyens, l’aveu d’une erreur stratégique majeure provocatrice d’un chaos régional. La France en est responsable, aux côtés de ses alliés britannique et américain, moins directement impliqués, cependant. En son temps, Barack Obama a confessé que l’intervention en Libye, à l’appel de Nicolas Sarkozy, était sa plus grande erreur. Pour le moment de lucidité et d’honnêteté que vit à son tour E. Macron : chapeau !


L’exercice mal maîtrisé de la démocratie pousse, comme la dictature, à la guerre, un crève-cœur ! Dans le Sahel, les dirigeants apprécieront. Ils subissent les effets portés d’une intervention irréfléchie et sans doute un peu électoraliste. La chute de Kadhafi en a privé plus d’un de la manne financière de Tripoli. Elle a aussi dispersé ses combattants en armes dans toute la région et déclenché une arrivée en masse de jihadistes du Moyen-Orient. Avec eux s’est implantée la haine de l’Occident, fruit de l’importation d’un intégrisme destructeur.


La Libye, outre ses richesses pétrolières, est un pays-clé pour le contrôle de la Méditerranée et des flux de migrants, ce, d’ailleurs, de façon très discutable quant au choix des partenaires et des méthodes. Paris souhaite y reprendre pied, conscient qu’une stabilisation de ce pays en ruines aiderait à endiguer la dérive générale du Sahel. La première étape d’un plan ‘’réparateur’’ sera la réouverture de l’ambassade à Tripoli. Fermée en 2014, elle avait été depuis lors déportée sur Tunis. Elle retrouvera bientôt sa place, pour -espérons-le – mieux éclairer l’action du gouvernement français. « Ce n’est pas simplement un soutien de mots ou de façade, c’est un soutien complet qui sera celui de la France », a promis le chef de l’Etat. L’évènement accompagne une avancée politique : la mise en place de nouvelles autorités. Après une décennie de luttes intestines, la Libye entame enfin une transition politique avec la constitution d’un gouvernement intérimaire multi-partisan, Tripoli et Benghazi. Celui-ci a obtenu, le 10 mars, la confiance de son Parlement et le mandat pour organiser des élections générales, le 24 décembre. Mais la Libye avec laquelle Paris renoue n’a plus grand-chose à voir avec l’empire africain de Kadhafi. Le monde entier y est à la manœuvre et ce, jusque dans le sens militaire du terme, dans les cas de la Russie et de la Turquie, qui s’en sont fait un fief. Le passé de la France va être sans cesse réexhumé et soumis à vengeances.

*24 mars – UE – Chine : regards obliques. Avis de tempête sur les relations entre Pékin et l’Union Européenne ? Coup sur coup les ambassadeurs chinois en France, en Belgique, en Allemagne et au Danemark ont été convoqués. Le Quai d’Orsay a dénoncé pour sa part les « propos inacceptables » de l’ambassadeur de Chine, Lu Shaye, à l’encontre de parlementaires et d’un chercheur français ( »petite frappe, hyène courante »). Convoqué, le représentant de la Chine a omis de se déplacer, évoquant des « problèmes d’agenda ». Il a été enjoint – publiquement – de respecter la règle diplomatique en la matière.

« Après la multiplication des propos inacceptables tenus publiquement par l’ambassade de Chine ces derniers jours, y compris sous la forme d’insultes et de menaces à l’encontre de parlementaires et d’un chercheur français, nous rappelons les règles élémentaires consacrées par la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques qui s’attachent au fonctionnement d’une ambassade étrangère, notamment s’agissant de sa communication publique ». « L’ambassade est invitée à s’y conformer strictement ». « Ni la France, ni l’Europe ne sont des paillassons’’. De tels rappels à l’ordre et aux bons usages – largement répercutés par les médias – constituent en soi une réprimande sévère. L’ambassadeur LU, un des ‘’loups guerriers’’ de Xi Jinping, s’était déjà fait épingler pour sa sortie, en avril 2020, sur le personnel médical français censé ‘’avoir déserté les EHPAD et laissé mourir leurs pensionnaires’’. Curieux registre diplomatique, qui renoue avec la propagande des années 1960 ! LU reprendra l’attache du Quai mais, selon l’Ambassade, ce sera pour dénoncer les sanctions imposées par l’UE et les  »questions liées à Taïwan ». A pique envoyée sur le devoir de courtoisie, contre-pique pour culpabiliser l’adversaire. Le Quai estime que l’ambassadeur se déchaîne ‘’pour plaire à ses autorités’’, plutôt que par souci de la relation bilatérale.

La crise diplomatique entre Pékin et l’Union européenne se cristallise désormais sur les sanctions de représailles (interdiction de visa) contre 10 personnalités européennes – dont l’eurodéputé français Raphael Glucksman. Ils sont coupables d’avoir dénoncé les violations massives des droits humains dont est victime la communauté Ouïghoure du Turkestan oriental (Xinjiang). Cette dénonciation, dans le sillage de prises de position américaines très fermes, a conduit Bruxelles à sanctionner symboliquement (le symbole est une arme politique) quatre dirigeants responsables de la répression au Xinjiang.

Les droits humains sont un devoir de justice. Mais celui-ci implique un regard constant et identique sur les régions et les pays où ils sont transgressés, ceci, toujours sur la base des droits et libertés fondamentaux (Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948) ou/et du droit international humanitaire. Tout en approuvant l’UE sur le fond, on peut s’interroger sur l’opportunisme du choix du moment. En supposant que D. Trump serait parvenu à se maintenir à la Maison Blanche, son jugement sur la question Ouïghoure aurait été identique. Mais alors l’Europe ne l‘aurait pas relayé. La solidarité transatlantique reprend force – tant mieux – et l’on peut comprendre que cela dérange certains dirigeants, à Pékin, géopolitique oblige.

* 23 mars – Bibi barbotte.  »Occupez-vous de la vie des Juifs, pour tout ce qui est extérieur, ne pensez pas, laissez-moi cogner nos ennemis ». Ce pourrait être la devise de Benjamin Netanyahu, alors que quelque 6,5 millions d’Israéliens sont appelés aux urnes pour des quatrièmes élections législatives en deux ans. Toutes les formules de coalition gouvernementale ont été essayées et usées prématurément par celui qui domine la vie politique et militaire de l’Etat hébreux depuis deux décennies. L’opposition est en miettes. Au pouvoir sans discontinuer depuis 2009, il fait face cette fois-ci à un nouvel adversaire peu dangereux, en la personne de Yaïr Lapid, un ancien ministre des Finances à la tête du parti centriste Yesh Atid. Il n’a qu’un rôle de ‘’faire-valoir’’. Le Likoud conservateur gagnera de toute façon en voix, mais sans obtenir une majorité à lui seul. On peut se demander quelle nouvelle formule baroque de gouvernement multipartite Bibi va sortir de son chapeau. Une hypothétique alliance alternative, sans lui, est assez improbable en tout cas. L’intense campagne de vaccination de la moitié de la population constitue son viatique électoral. elle lui sert de pare-feu, pour faire oublier sa piteuse situation judiciaire personnelle, celle du premier chef de gouvernement aux affaires dans l’histoire d’Israël à être inculpé (pour corruption et favoritisme), dans l’exercice de ses fonctions. En soi, une anomalie et un scandale.

Lassés par ces élections en rafale, les Israéliens veulent avant tout la stabilité politique et éviter un cinquième scrutin législatif, dans les mois qui viennent. On les comprend. Mais, hormis une minorité infime de ‘’partisans de la Paix’’, ils ont cessé de s’intéresser aux enjeux que le monde extérieur attache à la politique d’Israël, en particulier à la question de l’avenir des Palestiniens (qui n’en n’ont plus guère, pour l’heure). Néanmoins, les manifestations se succèdent contre l’impétrant. Elles ont réuni 50.000 citoyens, hier. S’il gagne encore, à 71 ans et malgré son usure, Netanyahou composera sans eux sa coalition hétéroclite – avec l’extrême droite – sans avoir à se soucier de l’opinion publique : elle est ‘’débranchée’’. C’est aussi un peu le cas d’Israël, par rapport à la nouvelle administration américaine. Certes, il n’est pas question d’abandonner un allié traditionnel, mais les dirigeants américains n’ont plus envie de se faire sans cesse manipuler comme l’administration Trump a bien voulu l’être. A l’époque du milliardaire narcissique, sa base évangélique et réactionnaire s’est peu à peu substituée, comme lobby d’Israël, à la communauté juive américaine, qui penche plutôt du côté démocrate. Il devient donc plus difficile pour Jerusalem de s’appuyer ouvertement sur les adversaires Républicains radicaux de Joe Biden. Tel est pris qui croyait prendre.

* 22 mars – Facture du passé pour l’Afghanistan. Alors que l’administration Biden est en plein réexamen de l’accord conclu avec les Talibans à Doha, en 2020, par l’équipe de Donald Trump, le secrétaire américain à la Défense, Lloyd Austin, se rend de façon inopinée à Kaboul. Il va rencontrer le président Ashraf Ghani et le nouveau chef d’état-major de l’armée, le général Yassin Zia, tout juste nommé ministre de la Défense par intérim. Washington veut se donner de la marge en se limitant, pour l’heure, à indiquer que toutes les options restent sur la table concernant un retrait des forces américaines Sous médiation qatarie, des négociations de paix historiques avaient été engagées à Doha, le 12 septembre dernier, entre le gouvernement afghan et le mouvement taliban, avec le soutien des États-Unis, officiellement pour mettre fin à 42 ans de conflit armé et échanger des prisonniers. En fait, l’objectif est de limiter les risques d’un désengagement américain, une opération créant un état de grande vulnérabilité pour les troupes partantes.

Prévu pour le premier mai, aux termes de l’accord précité, un tel retrait, .sur fond d’effondrement de l’armée afghane face aux Talibans, est jugé « difficile » – en fait très problématique – par l’administration démocrate. Tenir le délai reviendrait à ‘’lâcher’’ le fragile et artificiel gouvernement de Kaboul. Ce serait donc signer une défaite assez comparable à l’infamante chute de Saïgon en 1975. Jouer les prolongations ouvrirait un boulevard à des attaques talibanes contre l’arrière-garde américaine, avec la perspective d’un retrait dans la violence, impliquant des pertes humaines. Rester impliquerait de se donner les moyens d’un nouveau ‘’surge’’ (envoi de renforts massifs censés retourner rapidement la situation militaire), ce qui paraît irréalisable et serait de toute façon inacceptable par l’opinion américaine.

Les Talibans campent en posture de riposte et mettent en garde les Etats Unis contre les conséquences d’un non-respect du calendrier. Souhail Shaheen, un membre de leur équipe de pourparlers, annonce explicitement une reprise de leur offensive, en tel cas.

L’Afghanistan est en guerre depuis 2001, lorsqu’une coalition militaire internationale dirigée par Washington a renversé le régime des Talibans, au motif de son association, à l’époque, avec Al-Qaïda. Le groupe jihadiste avait revendiqué les attentats du 11 septembre à New-York et à Washington. Comme tout cela paraît aujourd’hui, loin, mal pensé et effroyablement géré, avec le recul de l’Histoire ! Les vrais responsables du 11 septembre se sont rapidement repliés sur le Pakistan et l’Arabie saoudite, avant d’essemer le monde musulman. La seconde invasion de l’Irak, en 2003, a achevé de fondre l’Afghanistan au sein d’un vaste monde islamique en pleine incandescence, à une nuance près : l’intervention sans fin de l’OTAN dans ce petit pays teigneux a pris, au fil du temps, l’aspect d’une occupation par les Croisés. L’Alliance atlantique s’est fourvoyée hors de son champ d’intervention pour complaire à l’impulsivité émotive des Américains, au lendemain des terribles attentats. Depuis, l’Amérique a retrouvé un cerveau, un certain bon sens. Mais l’énorme gâchis commis par les prédécesseurs de Biden sera bien difficile à réparer. Bonne chance  au missionnaire de Washington !

* 20 mars – Grand satyre. Il aurait pu choisir le 8 mars, journée mondiale des droits de la Femme, pour ce faire. C’eut été encore plus explicite ! Recep Tayyip Erdogan vient de retirer avec fracas son pays de la Convention d’Istanbul contre la violence faite aux femmes. Un décret présidentiel du 19 mars renie cet instrument, adopté en 2011 sur le territoire de la Turquie. Il requière des gouvernements l’adoption d’une législation sanctionnant les violences domestiques, y compris le viol conjugal et les mutilations génitales infligées aux femmes. Un droit de torture par le genre masculin s’en trouve rétabli, soit un bond saisissant dans l’obscurantisme barbare !


Les conservateurs accusaient cet instrument juridique de ‘’nuire à l’unité familiale’’ (curieuse conception), d’encourager le divorce et d’imposer une tolérance de la communauté LGBT. A leurs yeux, ce sont autant de dérives sataniques. Depuis un an, ce lobby ténébreux engageait Erdogan à trancher le cou au Traité. C’est désormais fait et quelque quarante millions de femmes turques voient leur vie plonger soudainement dans l’insécurité. Les femmes sont descendues dans les rues d’Istanbul et d’autres villes, pour conjurer le président turc de ne pas commettre cette trahison. Elles en appellent même à la croyance qui pourrait – qui sait ? – ‘’ressusciter’’ leurs droits’’. Apparemment, les électrices ne comptent pas aux yeux du Dictateur. Le Parlement, non plus, qui avait pris la décision de ratifier cette convention et ne devrait pas se voir priver du droit constitutionnel de délibérer sur ce retrait. ‘’La Constitution et la réglementation intérieure de la Turquie seront la garantie des droits des femmes », a assuré fièrement Zehra Zumrut Selcuk, ministre de la Famille, du Travail et des Services sociaux’’. On sait à quel point le Sultan se montre soucieux du droit, interne comme externe. La résistance va s’organiser, d’autant plus que le noyau réactionnaire sur lequel s’appuie Erdogan (depuis que sa famille a été prise en flagrant délit de corruption et qu’il a changé d’alliances pour museler la Justice) est nettement plus âgé que les forces vives du Pays auxquelles il s’en prend.

* 19 mars – Biden vs Xi : tout se dire ? Coup sur coup, une giclée envoyée à la face de V. Poutine, le ‘’tueur’’, puis une explication des gravures peu aimable avec les locataires de la Cité interdite. Joe Biden entend se faire respecter et il commence fort. Le retour de l’Amérique se fait avec fracas. C’est le prix que le président américain attache au rétablissement de la crédibilité de son pays, le fameux ‘’leadership’’. Conçus comme un sondage de la température des relations entre ‘’adversaires systémiques’’, sur la base du rapport de forces, des entretiens bilatéraux se déroulent à Anchorage. Ils confrontent le secrétaire d’État Antony Blinken et son collègue conseiller pour la Sécurité nationale, Jake Sullivan aux deux principaux architectes de la diplomatie chinoise. D’emblée, ils ont été marqués par une tonalité ‘’franche’’, selon la graduation synonyme d’absence totale d’aménité et d’entente entre les parties.


D’abord bien marquer les désaccords et confirmer la largeur du fossé. « Nous allons discuter de nos profondes inquiétudes au sujet des actes de la Chine s’agissant du Xinjiang, (le sort des Ouïgours), de Hong Kong, de Taïwan, des cyberattaques contre les États-Unis et de la coercition économique contre nos alliés … Chacun de ces actes menace l’ordre fondé sur des règles qui garantit la stabilité mondiale », a martelé A. Blinken. Dénonçant la ‘’mentalité de guerre froide’’, Yang Jiechi a riposté fidèlement à so bréviaire : « La Chine est fermement opposée aux ingérences américaines dans les affaires intérieures de la Chine… et nous prendrons des mesures fermes en réponse’’.


Le climat de nouvelle Guerre froide s’est épaissi au fil des décennies. Il s’était figé en bras de fer commercial et technologique assez brouillon, sous la présidence de Donald Trump. Mais, pour son successeur, la raideur américaine se veut désormais mobilisatrice de la communauté internationale. Washington entend sortir du ‘’duel de cow-boy à la sortie du saloon pour briser son isolement et retrouver une approche plus collective, plus multilatérale, en sa qualité de ‘’chef de file’’ (des nations libres), bien entendu. Biden fait fond sur la notion des défis globaux à relever. On s’achemine donc à nouveau vers une compétition – peut-être, une confrontation – entre blocs idéologiques où le choix imposé d’un camp pourrait inhiber toute initiative tierce en vue d’un apaisement. La France, en particulier, a horreur du caporalisme (choisissez votre camp et obéissez !) et elle se méfie de l’idéologisation du bien, du mal et du devoir d’agir. Aux Etats-Unis, la traduction en termes de valeurs morales et sociétales des objectifs de politique extérieure fait, au contraire, l’unanimité de l’opinion.

L’histoire ne repasse pas les plats, on le sait. La salve initiale tirée sur la Chine n’exclut pas des arrangements plus pragmatiques par la suite. Washington ne souhaite pas casser le mécanisme du Conseil de Sécurité ni bloquer la résolution des crises régionales. Mais Paris ferait bien de calibrer soigneusement son rôle (et celui de l’Europe) dans la partie de catch qui s’engage entre les deux Goliath.

*18 mars – Plus dur que Raspoutine ! Un tueur, Poutine ? Oui, et il devra payer un jour le prix de ses actes. Voilà un constat factuel, incontestable, qui n’a rien d’un dérapage ni d’une provocation. La cohorte des personnes assassinées sur ordre du Kremlin est là pour en attester devant nos yeux. Les  »convenances diplomatiques » sont à jeter au feu, dès que la Vérité et la Justice » l’exigent. Autant que Bachar lui-même, bien plus que les généraux birmans et même que les geôliers chinois, le Maître du Kremlin règne depuis l’an 2000 par l’assassinat. Il s’est hissé au pouvoir en attisant une seconde guerre – dévastatrice – contre les Tchétchènes. Cette agression délibérée et calculatrice contre une partie de son propre peuple fait penser à un génocide semi-collectif (les Slaves non-Tchétchènes qui ont tenté de défendre le droit ou rendu compte, en tant que journalistes, ont été froidement liquidés avec les autres). Poutine poursuit ses opposants pour les exécuter – y compris par la voie chimique – jusque sur le territoire européen. Il fait abattre un ancien premier ministre devant son palais et joue au jeu de massacre avec les derniers médias indépendants. Intervenant militairement en Syrie, il utilise les coordonnées géographiques déposées à l’ONU – celles des hôpitaux et des infrastructures civiles – pour faire massivement tomber la mort sur la population depuis le ciel… Et la liste des incriminations pénales ne s’arrête pas là.

Alors, la question de George Stephanopoulos, journaliste vedette de la chaîne américaine ABC, était toute en fausse candeur… et la réponse du président des Etats-Unis affiche l’honnêteté d’être claire : « Oui », a-t-il acquiescé. Peut-on imaginer plus grande incitation au meurtre que s’il, par prudence, il avait dit ‘’Non’’ ?
Coup au but ! Moscou prend la mouche et annonce le rappel pour consultations de son ambassadeur aux Etats-Unis Anatoli Antonov. Cela veut dire que la diplomatie du Kremlin est ‘’tombée sur un os’’ et qu’elle en est déstabilisée (et pas seulement vexée). La sérénité affichée de Washington, l’amène, au contraire, à ne pas réciproquer : avantage d’image. Pout transformer l’essai, il faudra maintenir la sévérité du regard américain tout promouvant une relation de travail qui corresponde aux responsabilités et aux intérêts – ceux qui sont légitimes – des deux capitales. Répondant à Moscou, Washington a ainsi affiché une coopération sans réserve quant à la prolongation de l’accord START sur les forces nucléaires intercontinentales. Mais, parallèlement, le gouvernement américain a annoncé qu’il étendait ses restrictions d’exportation de produits sensibles vers la Russie en réponse à l’utilisation d' »armes chimiques « contre les opposants. Il faut deux jambes pour marcher.


Le travail de recadrage du partenariat devra prendre soin de ne pas faire basculer la Russie dans l’étreinte de la Chine, si puissante qu’elle pourrait l’assujettir à Xi Jinping. Nous vivons un épisode passionnant dans l’évolution de l’équilibre mondial : géopolitique, pandémie et valeurs peuvent tout changer, tandis que la suprématie des marchés balbutie.

* 17 mars – Boum, quand votre cœur fait ‘’Boum !’’ (Trenet). Je crains avoir déjà trop parlé des ventes d’armes françaises aux régimes belligérants du sunnisme. Au moins, côté chiite, on est à peu près sûr que rien n’est vendu. Les Russes s’en chargent. Mais j’avance ce constat un peu à l’aveuglette puisque, fidèle à l’Ancien régime, la France n’autorise aucune supervision des ventes d’armes par son Parlement et couvre ses transactions ténébreuses par le secret Défense (en revanche, équiper des alliés et des démocraties ne me pose aucun problème). S’agissant d’une composante de politique extérieure qui engage la responsabilité de la Nation toute entière et sur le long terme, cette singulière exception française en Occident implique que pour les beaux yeux d’un prince du Golfe ou un autre, mon pays peut se rendre coupable de complicité de crime de guerre (le cas du Yémen et auparavant du Rwanda), sans l’avoir su, ni voulu, et que mes compatriotes peuvent être confrontés à des incriminations ignominieuses, voire à la justice internationale, sans aucune possibilité de recours.


Mon député est M.Jacques Maire, le fils du regretté Edmond, secrétaire général de la CFDT, une personnalité qui était populaire auprès des Français. Jacques, aussi, sait montrer du courage. En novembre, avec sa collègue-députée Michèle Tabarot, il a soumis une motion parlementaire proposant d’instituer une délégation parlementaire permanente aux exportations d’armement, sur le modèle de la délégation parlementaire au renseignement. Avec une (petite) poignée d’autres parlementaires, M. Maire avait obtenu, en préalable, qu’une mission d’information puisse s’enquérir auprès du Gouvernement de la politique française en la matière, sans empiéter bien sûr sur la prérogative décisionnelle de l’Exécutif. A présent, le rapport annuel de deux pages concédé au Législatif en dit moins sur le sujet que les principaux médias généralistes.


En France, les ventes d’armes- légitimes comme sulfureuses – sont le fait du Prince élyséen, au terme d’un processus interministériel tarabiscoté, conduit par les services de Matignon, le Secrétariat général à la Défense et à la Sécurité Nationale (SGDSN) en étant le coordinateur suprême. L’outil dédié en est la Commission Interministérielle pour l’Étude des Exportations de Matériels de Guerre (CIEEMG), laquelle prépare les propositions de décision de façon cloisonnée. On peut avoir rédigé l’avis qui lui est soumis et, ensuite, ne jamais savoir quelle décision a été prise. Il arrive aussi que tous les services concernés convergent sur un avis partagé mais que le Prince tranche pour l’exact contraire, sans avoir à l’expliquer. En principe, Paris est tenu par le Traité multilatéral sur le Commerce des Armes et par la position européenne adoptée en 2008. La France est partie à ces deux instruments juridiques. Les principaux critères de conformité concernent le respect des obligations des engagements internationaux, celui des droits humains dans le pays de destination finale et celui du droit humanitaire international. Le délit absolu est de livrer des armes utilisables contre les populations civiles. Justifier qu’on respecte cela ? Ce n’est pas un sujet aux yeux du Ministère de la Défense. Préposée aux slogans creux et à la langue de bois, Mme Parly, la ministre, affirme sans fard : ‘’Nous continuerons de mener cette politique dans le respect le plus strict des exigences, en pleine conformité avec nos valeurs et nos engagements internationaux. Nous ne ferons aucune concession sur ce cadre rigoureux, pas plus que sur l’exigence de transparence vis-à-vis des Français.’’ Heureusement qu’elle parle au futur, parce que , en ce qui concerne le passé et le présent, c’est ‘’circulez, il n’y a rien à voir’’. Au vu des faits constatés un peu partout au Moyen-Orient et en Afrique, on a un mal fou à croire à ce scrupuleux respect des lois si bien proclamé. A écouter les industriels du secteur, c’est plus simple : leurs chiffres d’affaires et leurs profits signifient autant d’emplois pour les ouvriers français, alors les tergiversations morales… Cette forme d’explication est autrement plus convaincante. De fait, le secret entourant les armes destinées à des royaumes-voyous est essentiellement une affaire de rente interne.

Quant à mon député qui se démène courageusement sans être aucunement un adversaire du Gouvernement (il appartient même au parti majoritaire), il lui reste ses larmes pour pleurer et sans doute un peu de rage face au mépris qu’on lui oppose. Depuis novembre, il n‘a pas reçu un mot de réponse à son initiative. Sur la question qu’il pose, il a été ‘’politiquement excommunié’’.

* 16 mars – Mauvaise conscience syrienne. Dix ans de guerre, près de 400 000 morts, des dizaines de milliers de disparus, douze millions de déplacés, des centaines de milliers de civils torturés, les hôpitaux et infrastructures bombardés, le pays pour moitié au moins sous la botte de milices barbares et d’armées étrangères – la russe, ses mercenaires Wagner et ses supplétifs iraniens, la turque, les jihadistes de toute la région – tout cela ne donne qu’une idée approximative de l’atrocité de la tragédie syrienne. L’huile a été amplement versée sur ce brasier par des acteurs extérieurs. Au départ, il s’agissait d’un rebond pacifique des printemps arabes, avec lequel l’Occident a sympathisé. Une quinzaine d’enfants de Deraa avaient osé griffonner sur les murs de leur école ‘’Docteur (Assad) dégage’’, déclenchant contre eux une cruauté barbare de la part de l’Autorité.


La répression provoquera une révolution qui s’armera quelque mois plus tard (avec l’aide de l’Occident) mais sera écrasée dans le sang. Les milices islamistes rempliront le vide. Sur son tas de ruines et de cendres, Bachar reste bien vissé au pouvoir, néanmoins sous la haute protection de Moscou et de Téhéran dont il dépend. Les Kurdes ont été lâchés par les Etats-Unis et par la France mais s’accrochent à leur réduit du Nord-Est. Plus à l’Ouest, Erdogan repeuple les territoires qu’il leur a arrachés avec des Arabes ‘’turquisés’’. A partir de 2013, le conflit a acquis une dimension universelle avec le viol de la prohibition frappant les armes chimiques, qui constitue la loi absolue des états. Tout a basculé en 2015, quand l’administration Obama a renoncé, non sans quelque raison, à défendre ses ‘’lignes rouges’’ face aux attaques chimiques des guerriers de Bachar contre Alep et d’autres bastions rebelles. La France n’a pas insisté pour lancer, seule, ce qui ne pouvait que tourner à un embrasement général.
L’embrasement a eu lieu autrement : la Russie de Poutine s’est précipitée militairement dans le vide laissé par l’Occident et avec comme ‘’piétaille’’ au sol, ses mercenaires, les Pasdarans iraniens et diverses milices chiites, elle a rasé depuis le ciel toute trace de vie échappant à la férule de Bachar. Le pays s’est vidé.


Les drames de Hongkong, de Biélorussie et maintenant de Birmanie, l’affaire Navalny, le chaos africain et la résurgence du jihadisme ont fini par nous insensibiliser au drame syrien. La pandémie nous a repliés dans nos coquilles : trop de cruauté, trop de cynisme, trop de souffrance ! Cela nous sature et nous contraint à lâcher prise. Après tout, nous sommes des êtres humains, pas des géopoliticiens blindés et sans âme.
Le droit ne sauve pas les vies, mais il permet, bien après la bataille, de régler les comptes de la Justice. La CPI et bien d’autres juridictions accumulent les preuves et instruisent des mises en accusation contre Bachar et d’autres acteurs. En Russie, trois ONG (dont le renommé groupe ‘Memorial’) ont déposé plainte contre les tueurs de l’organisation Wagner, sur la base de films prouvant que ceux-ci se sont rendus coupables de tortures et d’exécutions atroces. Nous devons nous en remettre aux juges, quand bien même ceux-ci ne seront entendus qu’au lendemain du conflit. Nous n’avons presque rien fait pour faire taire les armes, alors, au moins et sans grand risque, apaisons nos consciences, de cette façon !

* 15 mars – Stress nucléaire. Mururoa et Fangataufa ne sont pas des souvenirs heureux pour la Polynésie française. Aériens puis souterrains, les tirs d’essais nucléaires – essentiels pour développer la dissuasion – ont toujours pris localement la forme d’un diktat militaire couvert par le secret d’Etat. La population y a été exposée, sans information suffisante et dans la hantise qu’on lui mente, ce qui ne pouvait que lui faire ressentir la dureté de sa condition de ‘’paramètre marginal’’, voire, d’un point de vue politique, ‘’colonial’’. Evoquant l’essai ‘’Centaure’’ de 1974 – très puissant et auquel la santé des habitants a été particulièrement exposée – le leader indépendantiste Oscar Temaru et d’autres élus appellent les Polynésiens à manifester contre « les 193 crimes (autant d’essais) commis par l’État français, entre 1966 et 1996. Ce sera le 17 juillet, probablement dans l’indifférence de la métropole, mais, localement, un traumatisme comme celui-ci restera dans les esprits, plus que le Covid, évidemment.


Une enquête publiée par Disclose, hier, évalue la radioactivité subie par certains Polynésiens « deux à dix fois supérieure » aux estimations diffusées par le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) concernant les six essais nucléaires les plus contaminants. Alors, mensonge d’Etat, les données moins alarmistes diffusées jusqu’à présent ?… ou embrouille politicienne sur le seuil de sévérité de l’irradiation ? On ne va pas trancher ce débat sans argument scientifique fiable, mais l’angoisse des 110.000 compatriotes ultramarins concernés par ces faits anciens et à nouveau exposés à leur cauchemar, est bien réelle et demande des réponses.  »Je ne pouvais pas imaginer qu’un président de la République pouvait nous mentir et nous tromper », a réagi Gaston Flosse, président de la Polynésie française à l’époque, réputé proche de Jacques Chirac. La frénésie avec laquelle, la France a repris ses essais en 1995, contre la volonté quasi-unanime de la communauté internationale – pour accomplir l’étape ultime ouvrant la voie à la conception par simulation des armes stratégiques futures – donne une idée de la priorité stratégique de l’époque, ‘’quoi qu’il en coûte’’. aux populations exposées. La France est restée en selle en tant que puissance nucléaire, actrice de l’équilibre global. C’est un fait. Mais les Polynésiens sont en droit d’exiger du CEA et de la communauté de Défense des réponses précises, techniques et réellement fiables et vérifiables sur le sujet. » La France éprouve souvent un peu de malaise à faire face à son passé.

* 13 mars – Back to the universal jungle. ‘’America is back’’. Célébré de toutes part, le retour au monde des Etats Unis, sous le gouvernement de Joe Biden est, certes, réjouissant, mais l’état du monde ne suit pas les hauts et les bas de la politique américaine. Le monde se replie sur ces égoïsmes nationaux et, depuis l’attentat de Manhattan, le multilatéralisme décline. Le retour de la plus grande puissance dans les instruments du droit international ne constitue donc pas une assurance que le droit va désormais primer sur le désordre général des relations entre Etats. Réintégration de l’accord de Paris sur le climat et d’organisations internationales, telle l’OMS, tentatives de relance de l’accord nucléaire à six avec l’Iran, prolongation de l’accord de 1987 sur les arsenaux nucléaires russe et américains, recours à des forums régionaux, tels l’OTAN ou le Quad, pour stabiliser les points chauds du globe, tout cela est bel et bon mais ne va pas pour autant enrayer l’inexorable déclin du multilatéralisme et encore moins assurer la paix et le développement universels. Et pas même suffire à surmonter collectivement le Covid ou le dérèglement du climat. On doit malheureusement se rallier au constat dressé sur le sujet par la revue Questions internationales dans un récent dossier.


Les grands traités universalistes signés depuis le début du 21ème siècle, tels la COP21 sur le climat (2015), le traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) de 2017, le pacte mondial pour les migrations (Marrakech, 2018), ont été élaborés sur des principes très louables. Pourtant leur proportion de ‘’wishful thinking’’ (méthode Coué) qu’ils recèlent s’accroît sans cesse aux dépens de leur opérabilité-même. Les objectifs nobles et les recommandations de bon sens n’ont plus beaucoup d’influence, quand les parties signataires sont ‘’invitées’’ et non plus ‘’obligées’’ de s’engager dans l’action concrète. Le multilatéralisme s’est adapté à sa propre érosion. Il se fait désormais léger et superficiel. Il vise plus à rebooster le moral des honnêtes gens épris de paix et de justice qu’à édicter des normes de portée générale. La raison en est bien sûr qu’il faut taire l’épidémie de défiance et de chauvinisme dénaturant les Etats, cause première de l’impotence de ce que certains veulent encore désigner comme ‘’la communauté internationale’’. Washington – comme Paris – ont bien conscience de cette réappropriation du monde par les nationalismes, qu’ils soient isolationnistes, identitaires ou hégémoniques et, d’ailleurs, les capitales occidentales n’en sont pas elles-mêmes exemptes. La machinerie onusienne et son secrétaire général subissent, à leur cor défendant, leur dépossession et en plus, ils en sont rendus coupables par les opinions populistes. Le Covid-19, qui confronte l’humanité entière, au même moment et à la même menace, exigerait une réponse globale. Mais la pandémie n’a pas eu le pouvoir de remettre à flot le multilatéralisme. Aucun conflit n’a été  »gelé » par la crise sanitaire. Pas plus que l’invocation de la Déclaration universelle des droits de l’homme, l’un des piliers absolus de l’ONU, ne parvient à faire sanctionne les pratiques les plus inhumaines et les plus condamnables des Etats, petits ou grands. Depuis quatre décennies, les égoïsmes des ‘’Grands’’ comme ceux des ‘’Moyens’’ bloquent toute révision de la Charte des Nations-Unies et privent de légitimité le Conseil de sécurité dans son rôle de régulateur de la Paix. La règle égalitaire de cette institution – un siège une voix – comme le rôle de tuteur du monde accaparé par les Cinq puissances permanentes détentrices du véto ont créé tant d’impasses, de frustrations et de petites vengeances que les mécanismes de résolution des crises ne fonctionnent plus. L’universalisme garde une triste chance : celle de se réaliser dans la Loi de la jungle.

* 12 mars – Flash-back sur Brasilia. En Europe, on pense pouvoir comprendre le Brésil, cet enfant du soleil sud-américain et des aventuriers portugais. Avant sa chute ignominieuse et largement téléguidée (à la fois), sur une triste et banale affaire de corruption – la société pétrolière Petrobrazil et ses affiliés du BTP ayant largement ‘’servi’’ la classe politique – Luiz Inacio Lula da Silva y était particulièrement populaire, à la fois pour ses origines prolétaires authentiques et pour ses programmes sociaux, qui changeaient la face et la vie du Brésil pauvre, ultra-majoritaire. Mais le leader historique de la gauche brésilienne a été condamné pour corruption à plusieurs reprises et à des peines jusqu’à 12 années de détention, sous l’étendard de la campagne Lava Jato. Il a dû passer cinq cent quatre-vingts jours en prison, entre avril 2018 et novembre 2019. La droite exécutive et parlementaire a poussé son avantage en forçant, en 2016, la destitution de sa dauphine et successeur, Dilma Rousseff, sur un chef d’accusation ténébreux de mauvaise tenue de statistiques. Elle règne depuis sans partage sur les institutions et les destinées du pays, c’est-à-dire en déni des besoins des pauvres, de leur sécurité, de la santé publique et de l’écosystème. Un désastre que traduisent toutes les statistiques, en particulier celles du Covid (près de 300.00 morts). Le visage derrière ces maux est celui du ‘’meilleur’’ disciple de D. Trump, le très cynique Jair Bolsonaro. Or, tout peut changer dans les 18 mois …


Le 8 mars, un juge du Tribunal Suprême Fédéral a, en effet, annulé quatre condamnations de l’ex-président de gauche, portant sur de présumés pots-de-vin immobiliers. Les irrégularités qui avaient altéré ces jugements conduisent à la levée de toutes les condamnations, le tribunal de Curitiba (sud), n’ayant pas été compétent, à l’époque où il a jugé ces affaires. En même temps que la liberté, Lula recouvre donc ses droits politiques, sans être totalement blanchi sur le fond. La décision prise par le juge Fachin pourrait encore être soumise à réexamen si le procureur général de la République, Augusto Aras (nommé par Jair Bolsonaro) l’exigeait. Lula pourra-t-il prendre part à l’élection présidentielle de l’automne 2022 ? La gauche mise sur lui et rêve de sa victoire contre Bolsonaro. A 75 ans, l’ancien métallo, syndicaliste puis président (2003-2011), est prêt à rebondir en politique. Selon les sondages, 50 % des Brésiliens seraient prêts à voter pour Lula en 2022, contre 38 % pour l’incombant.


Certains commentateurs locaux estiment que la remise en scelle de Lula ne procède pas de motifs purement juridiques, mais d’un mouvement de fond politique et de l’opinion. En termes plus clairs, le catalyseur en serait l’épreuve de force que traverse aujourd’hui le Pouvoir judiciaire face à l’Exécutif. Le Tribunal suprême a initié plusieurs poursuites contre des proches du président Bolsonaro. Ce dernier contrattaque durement et s’efforce de museler la Justice. En mai 2020, il aurait même décidé de faire investir le Tribunal suprême par la troupe, pour destituer les juges. Il s’est ravisé au bord du gouffre. Il ne s’est pas moins dévoilé comme un ennemi des institutions démocratiques. La Justice brésilienne n’est peut-être pas uniquement préoccupée de droit. Mais si c’est pour protéger la démocratie (je ne finis pas ma phrase)…

* 11 mars – Match Potus – Confucius. Si Donald Trump se montrait surtout agressif et protectionniste à l’égard de la Chine, jouant avec délectation sur le registre des taxes commerciales, son successeur ne s’annonce guère plus indulgent. Depuis l’époque Clinton, Pékin est perçu comme un rival stratégique menaçant, par la classe politique américaine, Démocrates et Républicains confondus. Une méfiance ‘’systémique’’ a guidé les administrations précédentes. Nulle surprise que le dossier ‘’Chine’’ soit la priorité déclarée de la politique étrangère actuelle . Joe Biden a clairement marqué qu’il optait pour l’endiguement (‘’containment’’, en anglais), un mode combinant le bras de fer avec une dose de partenariat raisonné, afin d’éviter l’emballement vers un affrontement frontal dont personne ne veut. L’Amérique ne peut pas faire non plus abstraction de l’imbrication de son économie et des ses finances avec son adversaire principal. La Chine non plus.

Néanmoins, le président démocrate entend bâtir un rapport de force qui lui soit plus favorable, face aux ambitions hégémoniques de la Chine. L’idée est de multiplier les alliances avec les contrepoids disponibles. En prémices au premier dialogue direct sino-américain, prévu la semaine prochaine en Alaska, il mobilise le ‘’Quad’’, un forum de puissances de la zone indo-pacifique (États-Unis, Australie, Inde et Japon) toutes également inquiètes des ambitions stratégiques chinoises. Parallèlement, les Secrétaires d’état et de la défense se rendront en Corée du Sud et au Japon, pour s’entretenir du même sujet. Créé en 2007, le Quad avait très peu fonctionné sous les prédécesseurs de Biden, mais devrait devenir une composante de la politique d’endiguement. Loin d’être innocent, cet outil présente une capacité – limitée mais préoccupante – à accentuer la division de l’Asie en blocs concurrents. Ces concertations à quatre préparent une échéance : celle du premier contact officiel entre les États-Unis et la Chine, à en Alaska, réunissant Anthony Blinken (Secrétaire d’Etat) et Jake Sulliban (Conseiller à la Sécurité nationale), pour les Etats Unis et, côté chinois, Wang Yi (ministre des Affaires étrangères) et Yang Jiechi (son prédécesseur et mentor au sein du Bureau politique), les deux plus hauts responsables des relations internationales du PCC. Cette rencontre ne remettra pas en cause le maintien d’un fil de dialogue entre les deux capitales. En revanche, elle permettra aux deux parties de mieux cerner ce qui ressort de la part – insoluble – de rivalité (le leadership stratégique, les droits humains…) et ce qui peut rééquilibrer la relation dans le sens de progrès (la priorité climatique, la santé, les complémentarités économiques…). La précédente guerre froide américano-soviétique avait accouché d’un âge de raison : la détente. Elle fut temporaire mais constructive. Joe Biden ni Xi Jinping (qui se sont rencontrés quand le premier était vice-président) ne l’ont sûrement pas oublié.

* 10 mars – Résilience africaine. Premier scrutin en principe immune du syndrome de guerre civile depuis 2010, des élections législatives se sont tenues le 6 mars en Côte d’Ivoire, selon la règle majoritaire à tour unique. Initialement prévues en octobre 2020 mais reportées de quelques mois du fait de la pandémie de covid, elles vont renouveler les 255 sièges de l’Assemblée nationale. Pour la première fois depuis les troubles civils d’il y a dix ans, les principaux partis politiques du Pays étaient en lice, à l’exception de Générations et peuples solidaires (GPS) de Guillaume Soro ainsi que d’une dizaine de partis mineurs. Mais, le Front populaire ivoirien (FPI) de l’ancien président Laurent Gbagbo avait signé son retour, après dix années d’absence. 800 candidats se sont présentés par ailleurs sans étiquette, en tant qu’indépendants. La campagne s’est plutôt bien déroulée, sur fond d’appels à la réconciliation et d’un espoir de retour à un climat politique, sinon apaisé, moins conflictuel.

Depuis le référendum constitutionnel de 2016 instaurant une Troisième République et la mise en place du bicamérisme de précédentes législatives avaient été convoquées, en décembre de la même année, dans un climat de tension extrême (87 morts et 500 blessés). Boycottées par les principaux partis d’opposition, elles avaient été emportées par le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) du président Alassane Ouattara, avec une majorité absolue de 167 sièges sur 255. Candidat à un troisième mandat, après la mort subite de son dauphin, Amadou Gon Coulibaly, Ouattara, malgré son image traditionnelle d’ ‘’Homme du Nord’’, peu crédité électoralement dans le sud du Pays, a gagné la présidentielle d’octobre 2020 face, encore, au boycott de son opposition. Cette fois-ci, le RHDP présidentiel, tout en cherchant à conserver sa prédominance parlementaire, cherche voudrait susciter un dépassement des haines et une cicatrisation des plaies du passé. Cela consoliderait sa légitimité. Est-ce réussi ?

En Afrique, les adversaires électoraux revendiquent presque toujours la victoire, sans attendre la publication des résultats (parfois eux-mêmes sujets à caution). Le scénario s’est donc produit en Côte d’Ivoire. Finalement, selon la Commission électorale indépendante, le RHDP au pouvoir aurait confirmé sa majorité législative au terme d’un décompte publié (un point positif), tout en perdant la majorité des deux-tiers et donc son contrôle absolu des institutions. Son score s’établirait à 137 sièges sur 254, contre 91 aux partis d’opposition et seulement une petite vingtaine pour les indépendants. Le parti de Gbagbo et ses divers satellites obtiennent 81 sièges. Globalement les résultats sont crédibles et l’absence de violence leur confère de la légitimité. On peut donc parler d’un processus institutionnel et civil en cours de stabilisation. Il faut s’en féliciter. Mais, alors que le Sénégal s’enflamme et que les voisins de la Côte d’Ivoire sont devenus des cibles pour la nébuleuse jihadiste – qui vise un débouché sur l’Atlantique – Abidjan n’a plus beaucoup de temps devant elle pour rétablir un minimum de cohésion et de résilience politique face au péril porteur de la bannière noire.

* 09 mars – Mutual assured (digital) destruction. L’ère de la guerre hybride où nous entrons (une multiplicité d’opérations de nuisance et d’incapacitation non-signées) ouvre un large boulevard aux agressions numériques. Comme le jeu de la dissuasion nucléaire, les micro-attaques coordonnées prennent en otage des institutions et ceux qui les dirigent, mais aussi très largement, les infrastructures et les services publics indispensables à la population. Pour être diffuses et mystérieuses, ces attaques n’en sont pas moins léthales et exigent, comme l’équilibre de la terreur nucléaire (MAD, en anglais), une stratégie de riposte et de dissuasion.
Des hackers chinois, sans doute paraétatiques, auraient mis hors d’usage, chaque jour au cours des derniers mois, des milliers d’ordinateurs appartenant à divers types d’organisations américaines, dont des écoles, des PME, des administrations locales, des cabinets d’avocats, des associations, etc. et même des commissariats. Au moins 30 000 victimes, au total. Ils exploiteraient dans ce but, des failles techniques de la messagerie Outlook. L’an dernier, ce sont des trolls Russes qui ont mis sur écoute des services de l’Administration fédérale. Dans un second temps, la messagerie américaine avait été attaquée un peu partout dans le monde par des effectifs humains de la taille d’une vaste armée. A quoi cela sert-il d’éparpiller les attaques ponctuelles à l’aveuglette plutôt que de se concentrer sur les cibles les plus ‘’juteuses’’ à espionner ? Simplement à maximiser la sensation de menace, à créer un climat d’appréhension inhibant le fonctionnement du pays et sapant la confiance dans ses capacités. Le timing ne doit rien au hasard : il s’agit d’affaiblir et de décrédibiliser la gouvernance de Joe Biden et de son administration. En janvier déjà, le ‘’cracking’’ du logiciel américain Solarwinds, largement utilisé par le secteur étatique, avait permis à des hackers, russes, d’espionner des ministères américains pendant plusieurs semaines.

Cette campagne hostile ne cherche à convaincre personne des mérites de V. Poutine ou de Xi Jingping, mais simplement à semer la confusion, accessoirement, à pratiquer de futurs chantages. C’est ensuite aux politiques d’Etat des adversaires de Washington de tester alors la détermination des gouvernements occidentaux, dès lors qu’ils pourront s’engager dans des tractations discrètes avec un adversaire fatigué, un peu comme le serait, face au toréador, un taureau de l’arène transpercé de banderilles. Moscou se doute que Joe Biden sera ‘’plus dur à cuire’’, dans le partenariat bilatéral, que ne l’était Donald Trump. Pékin, de son côté, n’anticipe aucune baisse dans la tension ‘’systémique’’ avec Washington. Vengeance par anticipation ou travail de sape, les cyberattaques sont un acte de guerre ‘’soft’’ très pervers.

La Maison Blanche programme dans l’urgence une réunion des agences gouvernementales pour mettre au point des parades et des traitements. Dans l’immédiat, les dégâts opérés obligent les administrateurs de réseaux numérique à identifier les victimes et à tenter de nettoyer toutes les traces, un peu comme on décontamine une population contaminée par l’atome. C’est fastidieux et très chronophage. Dès que possible, il faudra s’atteler au risque systémique de la cyber-guerre, tant celle-ci exploite l’extrême vulnérabilité à un petit nombre de logiciels de la très forte dépendance des entreprises et de services publics. Il est probable que pour créer une forme de dissuasion par ‘’Mutually Assured Digital destruction’’ (MAD), l’appareil de défense américain en viendra à développer une capacité offensive égale ou supérieure à celles auxquelles il est confronté. Cette forme de prolifération n’épargnera pas l’Europe.

* 08 mars – Le pape et le sabre. Courageux, voire téméraire, le Pape François a couru les risques élevés d’un déplacement en Irak. Il l’a fait, envers et contre tout, au nom d’un ‘’devoir de présence’’. La pandémie galopante, les attaques qui se sont succédé ces dernières semaines, les multiples menaces contre les communautés chrétiennes, rien de tout cela ne l’a fait changer d’avis. Il était déterminé à témoigner en personne de son soutien aux chrétiens et à tous les Irakiens victimes de la violence, du terrorisme et du fanatisme.

Depuis 1990, et l’invasion du Koweït par les armées de Saddam Hussein, jusqu’à la prise de Mossoul en juin 2014, l’Irak a constitué l’épicentre d’un séisme humain, où se mêlent guerre civile, islamisme et terrorisme. Le pays a subi 1400 attentats l’an passé. Les répercussions de toute cette violence ont enflammé le Moyen-Orient et ébranlé le monde.
En fait, François ne cache pas être venu, d’abord, pour réclamer la protection des communautés chrétiennes, chaldéennes, assyriennes ou syriaques, martyrisées, comme le sont aussi les Yézidites, sous le joug abominable de Daech. Leur nombre a périclité, passant, en vingt ans, de 1,5 million de membres à moins de 400 000, au gré des massacres et des exodes. Ce noble but du Souverain Pontife relève, de toute évidence, de son sacerdoce. Il a associé aussi à sa sollicitude la composante chiite majoritaire du Pays, essentiellement celles des institutions de pouvoir, qui sont plutôt oppressives. Il est probable que les sunnites, écartés de la vie publique depuis la chute de Saddam, et, surtout, la jeunesse irakienne, qui depuis deux ans s’insurge contre l’inanité des vieux clans théologiques dictatoriaux, se sont sentis ignorés voire écartés de sa bienveillance. Le Vatican est un Etat et, en tant que tel, il n’est pas prémuni contre les syndromes du réalisme politique et de la courtoisie protocolaire.


‘’Que se taisent les armes !’’, a lancé le pape François, dans un appel poignant à la paix, en présence du grand ayatollah d’Ali Sistani, l’autorité religieuse suprême pour de nombreux chiites d’Irak et du monde. ‘’Assez de violences, d’extrémismes, d’intolérances’’, a-il-ajouté. ‘’Assez aussi, de ‘’corruption’’. Ce sont des mots qui rappellent ceux de E. Macron au Liban… dont on a vu le peu d’effet. François a sans doute des ressources d’empathie supérieures à beaucoup d’autres hommes d’Etat et il a aussi le mérite de s’adresser à la branche minoritaire de l’Islam, celle que les vendeurs d’armes occidentaux rayeraient bien de la carte avec leurs bombes, pour quelques €uros de profit. Mais, même avec les yeux de la foi, les nobles formules ne génèrent pas de miracle, dans ce Moyen-Orient plongé dans des psychoses barbares. C’est peut-être nous, Européens et Américains, qui devrions nous inspirer un peu des propos de François.

* 05 mars – Big Brother mange Hongkong. Moins d’un an après avoir imposé à Hong Kong sa loi sur la sécurité nationale, Pékin poursuit la destruction du statut de la Zone administrative  »spéciale », tel que garanti par l’accord de 1994 avec le Royaume Uni, ratifié par les Nations Unies et plébiscité par les manifestations monstres de la population. Les chambres législatives du Régime (Assemblée Nationale Populaire et Conférence Consultative Politique) tiennent leur grand-messe annuelle, l’occasion idoine pour s’attaquer au système électoral  »privilégié » de l’ancienne colonie. Cette charte de gouvernement était le dernier vestige restant de l’engagement solennel de la faire cheminer vers la démocratie (suffrage universel) contenu dans l’accord de 1994 avec Londres et amorcé avec la dévolution de souveraineté à la Chine, en 1997. Malgré sa spécificité, son aura internationale et le haut niveau d’éducation de ces citoyens (ou plutôt à cause de leur conscience politique affirmée), Hongkong en sera frustrée. Cette mise à mort de l’autonomie s’effectue par abrogation de la Charte de gouvernement et le transfert du pouvoir exécutif à des « patriotes », serviteurs inconditionnels du Parti-Etat pékinois. Opportunistes ou stipendiés, ils n’agiront que sur les ordres de Xi Jinping. Hongkong a changé de maître mais elle revient à son statut de colonie d’antan, sous un joug beaucoup plus durable, proche et inhumain. Dans la Chine actuelle, aussi bien des campagnes sous-développées comme celles des Ouïgours du Turkestan oriental (cf. brève de mercredi) que des foyers religieux (Tibet) ou une métropole de service ultrasophistiquée sont bons pour une forme ‘’moderne’’ de l’esclavagisme. Un petit blog à deux sous peut le dire facilement mais les responsables des pays démocratiques craindraient trop de s’exposer à un déluge de rétorsions économiques et diplomatiques en validant ouvertement ce lamentable état de fait.

* 04 mars – Aide-toi, le ciel t’aidera ! On ne peut pas encore dire que la France va accoucher d’un nouveau mode d’aide au développement en Afrique, mais la question est à l’ordre du jour de l’Assemblée Nationale. Les choses bougent. Le besoin de redorer son image sur le Continent noir, la recherche de parades face à l’influence montante de la Chine, le retour à des pratiques financières plus saines et moins ‘’saupoudrées’’ mais aussi la recherche d’un effet d’annonce un peu opportuniste y concourent. En 1970, Paris s’était engagé à suivre la directive des Nations Unies d’y consacrer 0,7 % de son PIB. Depuis un demi-siècle, son aide publique au développement n’a cessé de contredire la parole donnée, tombant à la moitié à peine de ce seuil…
Un sursaut ? L’Assemblée nationale vient de voter un projet de loi dit de “programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales’’. Il vise à porter l’APD à 0,55 % du PIB national en 2022 et même, selon une clause peu contraignante, ‘’si possible à 0,7%, à l’horizon de 2025’’. L’effet ‘’com’’ est assuré, même si ceux qui auront à exécuter ces promesses ne seront pas nécessairement ceux qui les ont faites. Ainsi va le court-termisme dans les démocraties. Dans tous les cas, la performance n’aurait rien d’exceptionnel, alors que l’investissement des pays scandinaves ou du Luxembourg dans le développement humain à travers le monde est déjà deux fois plus élevé. Paris se montre assez généreux sur les remises de dettes, plus faciles à gérer mais moins ciblées sur les populations. Néanmoins, selon les exercices, la proportion de prêts parmi ses dons reste élevée, fluctuant autour de 50%. Peut-on alors se présenter en pourfendeur du modèle chinois, bien plus dispensateur de ressources financières, mais qui conduit aussi les Etats africains au surendettement ? En tout cas, J-Y Le Drian en fait son Cheval de Troie.


Hors aide budgétaire, la part consacrée par l’Agence Française de Développement (AFD) se monte à 10,9 milliards d’euros, en 2019 et 12,8 milliards en 2020. Elle croîtra encore un peu cette année. Une attention particulière est apportée au recentrage des crédits : géographiquement, on les concentrera sur les pays d’Afrique subsaharienne et Haïti. Fonctionnellement, sur la lutte contre la pauvreté, la santé, le climat, l’éducation et l’égalité femmes/hommes. Expertise France (EF), l’agence de coopération technique co-dirigée par le Quai d’Orsay et Bercy et dont 60 % de l’activité se concentre en Afrique, intégrera l’AFD (sa banque de développement) pour mieux coordonner finances et projets. Créée en 2014, EF se définit ainsi : ‘’En tant qu’agence française de coopération technique internationale, Expertise France s’engage dans la mise en œuvre des objectifs de développement durable (ODD) et de l’Accord de Paris. Complémentaire de l’apport de ressources financières pour le développement, la coopération technique est au cœur de la réponse que la France apporte face aux défis environnementaux, sanitaires, sociaux, économiques et sécuritaires auxquels les Etats sont confrontés’’. Tiens, toujours bien visible, cette priorité sécuritaire ! On sait qu’elle est en fait dictée par des intérêts français et européens, ce qui ne la disqualifie nullement mais n’avance guère les Africains.

Plus souciant, aucune analyse n’apparait des causes fondamentales de l’exode des Africains. Le sous-développement y a sans doute sa part, mais elle est limitée. Car ce sont les ‘’relativement plus riches’’ parmi les humbles qui s’en vont. Plus ces toutes petites classes moyennes se développeront, plus elle ressentiront l’abandon, l’incurie et l’injustice chez leurs gouvernants et l’anarchie sociale. Plus le phénomène s’accentuera alors. Ces départs en masse de malheureux – non pas le franchissement par eux des frontières européennes -constituent la racine du problème, que l’outil de Coopération ne sait pas voir ni traiter.

* 03 mars – Les Ouïgours en proie à l’ordre colonial. Depuis 2017, une campagne de long terme est conduite par les autorités chinoises contre la minorité ouïgoure du Xinjiang (Turkestan chinois). Les rafles se multiplient pour les regrouper dans des camps d’internement. A partir de documents administratifs chinois, une étude du chercheur allemand, Adrian Zenz, examine les déplacements forcés imposés aux jeunes ruraux turcophones. Il met en lumière un plan colossal de construction de camps d’internement, servant, entre autres, à l’utilisation massive de cette main d’œuvre captive pour la cueillette du coton. Le Xinjiang en fournit 20% de la production mondiale. Plusieurs formes de contraintes, proches de l’esclavage, sont recensées :
-Considérés aptes à rejoindre la ‘’vie normale’,’ les éléments ‘’déradicalisés’’, (‘’diplômés’’, en terminologie officielle) ne sont pas libérés mais affectés sous régime disciplinaire, dans les usines voisines ou dans les fermes d’Etat pour être exploités à la récolte du coton.

-Par ailleurs, nombre de jeunes chômeurs (‘’main-d’œuvre surnuméraire’’) du Sud de la Région sont recrutés et formés en vue de leur placement direct dans les usines, au Nord . Une fois ‘’diplômés’’, les jeunes auront été enrégimentés : ils ne reviendront plus dans leur famille. Selon la recette, la ‘’rééducation’’ commence par séparer les enfants de leurs familles pour les acculturer complètement.

-Les éléments ‘’suspects’’, dont on n’a pu rectifier la pensée, sont repérés par la surveillance vidéo et des algorithmes d’interprétation des comportements. Ils restent en détention et risquent la torture.

Pour A. Zenz, ces transferts massifs ne visent pas, au premier chef, à traiter la pauvreté du Sud-Xinjiang, mais d’abord à réduire la densité et la cohésion des Ouïgours dans leur berceau historique, puis à canaliser un néo-prolétariat discipliné dans les entreprises d’Etat. Ces traitements répondent à la définition du travail forcé adoptée par l’Organisation internationale du Travail (OIT). De 1,6 à 1,8 million de jeunes Ouïgours ruraux seraient visés par cette ‘’ingénierie démographique’’.

-Dès 2017, Zenz avait également signalé la campagne de réduction forcée de la natalité ouïgoure – stérilisations et avortements forcés, obligation de port du stérilet – conduisant certains juristes à dénoncer une forme de crime contre l’humanité. Ce régime combiné de travail forcé et de dénatalisation aboutit, en effet, aux yeux du chercheur, à une opération de destruction, en tant que telle, de l’ethnie ouïghoure.


Les déviances de la politique chinoise des minorités évoquent étrangement celles de l’anthropologie coloniale dans les empires du siècle dernier. Mépris socio-racial, exploitation économique forcée de la main d’œuvre dans les entreprises des dominants, assimilation des enfants par déracinement géographique, obsession de répression politique et culturelle des éléments ‘’pensants’’, la Chine au Xinjiang évoque les pires recettes de la France coloniale comme d’autres puissances impériales. Depuis 1949, la Chine, par contraste avec l’Occident, n’a rien appris, car la politique n’y laisse aucun interstice à la conscience éthique. L’introspection est interdite, réprimée et quasi-inexistante. Les Mandchous, qui ont dominé l’Empire, du 17ème au 20ème siècle, ont optiquement disparu, totalement assimilés aux Hans. Aucune trace de leur langue n’a subsisté. Les Tibétains résistent en s’accrochant à leur religion. Leur région n’a pas d’usine où les entasser, mais ils n’en ont pas moins perdu tout contrôle de leur économie et de la vie dans les villes, dominées par les colons. Les Mongols, ethnie écartelée entre Chine et Mongolie, ont renoncé à leur unité. Leur culture survit difficilement. La révolte des Ouïgours a poussé quelques-uns d’entre eux vers le jihad. De quoi inquiéter à Pékin. Mais, en voulant les réduire par la force, Pékin s’aliène le monde turc et s’expose à la colère de l’Umma. Une décolonisation n’est pas concevable sans éveil démocratique.

* 02 mars – Bientôt, la bombe théocratique ? Une nouvelle série de provocations et de représailles s’ouvre entre Téhéran et ses adversaires après plusieurs mois de relative retenue iranienne. Le 1er mars, le premier ministre israélien, B. Netanyahou, a accusé Téhéran de l’attaque d’un cargo israélien, dans le golfe d’Oman, et a laissé présager d’une réplique prochaine. Ce n’est pas vraiment une surprise que Jérusalem se mette en travers des tentatives de Washington – jusqu’ici infructueuses – pour renouer le fil de la négociation nucléaire avec la République des Mollahs. Mais les mollahs sont les premiers à faire monter les enchères en testant rudement les nerfs de l’administration Biden. Téhéran refuse ainsi l’invitation européenne – qu’elle avait pourtant suscitée – à rencontrer les six signataires de l’accord de 2015, incluant les États-Unis. En signe de sa mauvaise humeur, l’Iran bloque certaines visites d’inspecteurs de l’Agence Internationale de l’Energie atomique, tout en tolérant certains contrôles à distance, par caméras. Dans le nord de l’Irak, des tirs de missiles ont été effectués contre une base américaine, suivis, en représailles, d’un bombardement de positions iraniennes en Syrie. C’était le premier acte de guerre de l’administration Biden. L’Iran est averti.


Pour J. Biden, la tâche s’annonce ardue. Ses méritoires invites au dialogue, comme ses fermes pressions, ne vont pas remettre en selle l’accord de Vienne comme par enchantement. Il va lui falloir poursuivre jusqu’au bout la partie au bord du gouffre. Les préliminaires d’une négociation ont achoppé sur l’ordre du jour. La levée totale des sanctions unilatérales américaines constitue le préalable imposé par Téhéran, ce qui reviendrait pour l’Occident, la Chine et la Russie, à concéder d’emblée tout à l’Iran, sans garantie en retour. L’idée occidentale d’élargir les pourparlers aux moyens balistiques et aux relais de miliciens armés de la République Islamique dans la région crispe assurément le Guide et ses Pasdarans (gardiens de la révolution), de même qu’elle heurte sans doute le nationalisme de beaucoup d’Iraniens, néanmoins désireux d’un retour de la Paix. La frange la plus dogmatique de la théocratie iranienne tient à exhiber son intransigeance, à l’approche d’élections qu’elle entend remporter contre la nébuleuse supposée ‘’pragmatique’’, à vrai dire difficile à cerner, en fait, contre le peuple. De là à supposer que les tirs de roquettes des Houthis yéménites sur l’Arabie saoudite et les actes de piraterie en mer des Pasdarans soient inspirés par la dictature chiite, il n’y a qu’un pas. Si l’Iran devenait une démocratie, la méfiance se dissiperait rapidement. Les classes moyennes de ce pays ne demandent qu’à frayer avec l’Europe et les Etats Unis, dans le respect de la dignité de chacun. On pourrait même spéculer que la progression de ce pays vers le seuil nucléaire – une mauvaise nouvelle, en termes de prolifération – serait en partie compensée par son insertion ‘’raisonnable’’ dans l’équilibre de la terreur. Voyez ce qui est arrivé à l’Inde, à la fin des années 1990.

* 01 mars – Printemps maudit des peuples. Il y a quelques jours, une brève interrogeait : comment se dit ‘’Tiananmen’’ en Birman ? » En fait, cela se dit ‘’Tiananmen’’, mais au pluriel (sans ‘’s’’, néanmoins). On en est arrivé à une tuerie au quotidien, dans les villes comme dans les zones de minorités, en Birmanie. La troupe des narco-généraux a choisi les grands moyens pour se débarrasser de la résistance populaire. Déjà, en 1988, mais cette fois, le soulèvement appelle à chasser les putschistes et à rétablir une ‘’démocratie à la birmane’’ avec Aung San Su-Kyi à sa tête. Nous vibrons de sympathie et d’émotion. Mais que faire ? Depuis deux ans, les Algériens veulent rompre avec un régime vaguement cousin de la junte birmane (opium en moins). Le Hirak tourne en rond et n’a pas de prise sur les tenants du pouvoir. Que dire du Liban, où la dénonciation du communautarisme politique, des clans de profiteurs corrompus, de l’effondrement des services publiques, de la monnaie et de l’économie, etc. butte durablement sur le Hezbollah armé, le refus de toute réforme, les rentes personnelles. Le président français s’y est cassé les dents. Allons donc voir à Hongkong où 46 militants non-violents sont inculpés de ‘’subversion’’ au nom d’une loi de sécurité nationale qui n’a d’autre justification que la dictature et l’arbitraire du ‘’Parti’’, un Parti-Etat totalement étranger à l’histoire et à la culture locale, qui écrase des citoyens non-électeurs et viole toutes les garanties du Droit. Comment se dit ‘‘Tiananmen’’ en cantonais ? Il y a aussi A. Navalny, éloigné dans une de ces colonies pénitencières atroces, qui incarne la continuité d’avec le Goulag soviétique. Tout le monde a peur de V. Poutine. Le réveil lent et timide de la conscience citoyenne russe est observé, mais pas accompagné. D’ailleurs, depuis août, la courageuse ‘’révolution des femmes’’, en Biélorussie, frappe à toutes le portes de l’Occident en quête de soutiens contre ‘’l’ogre’’ Loukachenko. Elle reçoit des tonnes de sympathie, mais le Covid est passé par là. Il tue plus que les fusils de la soldatesque, que les tortures, l’enfermement, la Sibérie, etc.

On ne parle plus d’’’après la pandémie’’, on subit, on se terre dans le court terme immédiat. Pour nos santés, la remise en selle des économies, la confrontation au dérèglement du climat, aucun plan, aucun schéma ne nous sortira de là un jour, si nous délaissons les fondamentaux planétaires de la justice, de la démocratie et des droits humains. Ils sont l’amont de la Paix et le prérequis de toute politique durable et efficace. Tiens ? L’Ours se ferait un peu prédicateur…

* 28 février – Majesté, votre fils, cet assassin… Le coup de fil de Joe Biden au roi d’Arabie Saoudite a quelque chose de réconfortant. Nul ne doutait un seul instant que Mohammed Ben Salmane avait bien commandité la mise à mort horrible du journaliste (proche de la famille régnante) Khashoggi, dans les locaux du consulat d’Arabie à Istamboul. Mais publier le rapport très explicite de la CIA, qui ne laisse aucun doute là-dessus, en l’accompagnant d’un aimable boniment au père, voilà qui a de la classe… et du fond ! Washington avait déjà, dans les jours précédents, ‘’coupé le robinet’’ des armements utilisés dans le conflit yéménite, autre caprice sanglant du fougueux MBS, cette réincarnation en pire du jeune Abdallah des aventures de Tintin (il débarque à Moulinsart et se met immédiatement à torturer l’impavide maître d’hôtel, Nestor, en mentant effrontément). Le wahhâbisme et les féodaux qui font subir leur délire à la planète n’ont plus la cote à l’international, même si, pour limiter la crise bilatérale, le secrétaire d’Etat, A. Blinken, concède mollement qu’un partenariat arabo-américain se maintient en mode mineur. Le pétrole n’en est quasiment plus la dominante et le renseignement, même s’il était prolixe, serait d’une fiabilité douteuse. Les bases militaires sont d’utilisation moins libérale que celles de Bahreïn et du Qatar. Reste la précaution consistant à ne pas (trop) déstabiliser la dynastie antipathique des Saoud, pour ne pas provoquer une révolution de type ‘’république Islamique’’, à Riyad, en version sunnite. Biden a agi très fort, mais il ne peut se permettre d’aller jusqu’à sonner le branle-bas au profit des nombreux ennemis musulmans de ce régime, à commencer par l’Iran, qui ne rêve que d’abattre les gardiens de La Mecque. Le Moyen Orient est déjà assez incandescent tel que. Les droits humains peuvent y gagner si la ‘’khashoggisation’’ (inventer un terme stigmatisant coûtant moins cher que d’envoyer la troupe) des régimes voyous s’établit, crise après crise, comme une norme. Les Etats-Unis ont franchit un pas dans la bonne direction, mais ils ne sont malheureusement pas près de passer la main à la Cour Pénale Internationale, qu’ils ne reconnaissent pas (ni les états du Moyen-Orient, d’ailleurs). Ce serait peut-être à l’Europe d’assurer la suite, bien qu’elle ait manifestement la tête ailleurs.

* 26 février – Du juridique dans le gaz. L’accord de Paris sur le climat serait-il hors-la-loi ? Depuis décembre 1994, la question se pose, celle du droit à discriminer les énergies fossiles et les entreprises énergétiques qui investissent dans les émissions de CO 2. Le privilège de ‘’faire son beurre’’ tout en augmentant le dérèglement climatique avait été sanctifié, gravé dans le marbre vingt ans avant l’impératif urgent de faire le contraire, tel que consacré par la COP 21. Instaurer des politiques climatiques et limiter l’augmentation planétaire de la température à deux ou trois degrés avant la fin du siècle revient à contrevenir au droit. L’instrument juridique tordu qui donne le pas au profit des investisseurs dans l’énergie (propre ou sale) sur l’urgence ressentie par l’humanité s’intitule ‘’ Traité sur la charte de l’énergie’’. Il est entré en vigueur en 1998, a été ratifié par 53 Etats et garantit aux géants des énergies fossiles que les fonds qu’ils y consacrent seront bétonnés dans la durée. Celle-ci est d’au moins vingt ans après sa dénonciation, pour les Etats qui – comme l’Italie en 2006 – sortiraient du Traité. Tout différend est soumis, à cet effet, à une cour d’arbitrage d’arbitrage privée. Aux termes de cette procédure  »de marché », toute firme s’estimant lésée pourra se faire accorder par l’Etat qu’elle incrimine, des dédommagements considérables (en milliards d’€uros), quel que soit ses dommages à l’environnement et à la santé publique. Rien de mieux pour dissuader les gouvernements d’instaurer des politiques climatiques volontaristes. L’Allemagne et les Pays Bas, qui ont tenté un réajustement de leur mix énergétique, s’y sont cassé les dents. Une entreprise française, Vermillon, dénonce la – peu hardie – stratégie française en Conseil d’Etat et tente d’opérer un blocage. On marche sur les mains !

Ce Traité méconnu est un pur produit de l’idéologie américaine de dérégulation des années Clinton et Bush, époque où la liberté absolue des marchés valait panacée pour assurer l’optimum économique et corollairement, l’intervention étatique dans l’économie constituait le mal absolu. Pressions ou effet de mode, l’Europe a malheureusement adopté ce mode de raisonnement aux effets désastreux. La France a très discrètement ratifié le traité, sous la cohabitation Balladur. Le TCE peut inhiber efficacement la lutte contre le réchauffement climatique en la rendant contestable, plus coûteuse, et judiciairement risquée. Ses mécanismes exposent à des dédommagements conséquents les gouvernements qui tenteraient d’interdire des projets de forage ou d’extraction minière en revenant sur des contrats signés. Au sein de l’Union européenne, le TCE ‘’blinde’’ près de 350 milliards d’€uros d’investissements (le double du budget annuel de l’UE) dans les infrastructures fossiles. Ce, pour une part majeure, au Royaume Uni et en Suisse. Les trois quarts concernent le gaz, le pétrole et l’industrie du pipeline. En théorie, les énergies renouvelables bénéficient de la même protection mais dans la pratique aucun recours n’a été fait les concernant. Comment les signataires de l’Accord de Paris ont-ils pu oser crier victoire, sachant tout cela ?

* 25 février – Piqure de rappel au devoir de solidarité. Après avoir tant décrié l’égoïsme des pays riches face à la pandémie, il faut se réjouir : la coopération internationale refait surface dans la lutte contre le Covid-19. Le sommet du G7, le 19 février, dit vouloir faire de 2021 un  »tournant pour le multilatéralisme », et dépasser le nationalisme vaccinal de ces derniers mois. America’s coming back ! Les Etats Unis vont contribuer, à hauteur de 4,3 milliards de dollars à l’accélérateur ACT, un mécanisme de financement qui fait partie du dispositif Covax, mis en place par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Dans le même mouvement, l’administration Biden réintègre l’OMS. Un pas important est donc franchi, ouvrant un accès solidaire = effectif = pour les populations du Sud à l’immunisation collective. Deux milliards de doses y seront affectés cette année, sur une échelle planétaire. Des premiers lots sont livrés ce jour-même au Ghana, demain, à la Côte d’Ivoire, etc


Le G 7 affirme aussi son engagement sur le programme Covax et sur la distribution équitable du vaccin. Les ‘’surachats’’ de doses vaccinales par les pays capables d’y procéder s’expliquent largement par le pari qui a été fait, très en amont, sur la mise au point des vaccins, leur production, leur commercialisation. Combien de ces tentatives déboucheraient réellement, combien finiraient en impasse, quelle proportion des commandes faites au ‘’Big Pharma’’ pourrait être honorée ? Les commandes ont été opérées à l’aveuglette en intégrant une forte marge de précaution. Les laboratoires s’étant révélés bien plus performants qu’on s’y attendait, le monde industriel se retrouve – pas à présent, mais à terme d’une année ou deux – détenteur d’un milliard de doses en excès de ses besoins. Pour les Nations Unies, Antonio Guterres, s’inquiète que, seuls, dix pays aient pu administrer 75 % de tous les vaccins anti-Covid, alors que plus de 130 n’avaient reçu aucune dose. Il a raison, mais il ne faudrait pas résumer ce décalage inquiétant au seul facteur financier. La mauvaise qualité des chaines logistiques (souvent incompatibles avec la conservation des produits), le manque d’infrastructures médicales, de personnels et de transports, enfin l’organisation déficiente des services publics – largement inexistants en Afrique – comme le désintérêt, parfois, du politique pour les populations restent autant de pierres d’achoppement. Ceci crée des tensions à l’heure où, sur ce continent, le nombre de contaminations a bondi de 40 % par rapport au mois précédent. Par décence, n’évoquons pas trop l’expansion galopante des zones de guerre au Sahel, en Afrique centrale, depuis peu, en Afrique de l’Ouest et la montée concomitante du flux des déplacés et réfugiés. Il serait miraculeux que, dans de telles conditions, l’Afrique entière soit un jour vaccinée.

La question de l’extinction de la pandémie rejoint en fait celle du développement humain, de la paix et de la gouvernance. Le Nord comme le Sud doivent s’y atteler, car ce n’est pas une affaire de tout ou rien mais de petits progrès constants qui changeront la donne pour l’Humanité interdépendante (avec un H majuscule) et pour la planète.

* 24 février – Dix ans en Libye, sans alibi. La tentative manquée de printemps libyen a aujourd’hui dix ans. La France avait cru ou feint de s’y investir en se portant au secours de la population de Benghazi, assiégée par les tueurs de Mouammar Kadhafi. Le sauvetage a été éphémère mais, en violation du mandat qu’elle s’était fait donner par les Nations Unies, les avions français ont guidé les milices hostiles au dictateur jusqu’à celui-ci, caché dans une conduite en béton. Le régime s’est effondré avec son chef et une anarchie sanglante s’est installée en Libye. L’intervention de l’Otan, voulue par Paris et par Londres, a multiplié les frappes sans assurer parallèlement un processus de reconstruction politique. Une décennie plus tard le pays se débat toujours dans une guerre civile de type féodal, qui semble interminable. Divisée d’est en ouest, la Libye possède deux parlements, deux armées et deux banques centrales rivaux et quelque 3000 milices armées qui pratiquent le pillage des ressources pétrolières et font régner leur loi de bandits. De l’anarchie civile initiale, on est passé à un conflit par proxies, attisé par des puissances régionales assujettissant l’une ou l’autre des parties libyennes à leur hubris stratégique. Pas de quoi pavoiser.

La France, par ses choix contradictoires (soutenir militairement les deux camps belligérants) et opportunistes a, elle aussi, contribué à la « décennie noire » qu’ont vécu les Libyens. Elle se dégage tardivement d’un bourbier d’interférences dans les luttes de clans, après s’être durement accrochée à la Turquie… et à l’Italie. Pour oublier ses errements, Paris s’en tient à une grille de lecture simplissime : l’islamisme, c’est le jihadisme et celui-ci, où qu’il soit sur le globe, ne poursuit que le but unique de commettre des attentats dans le ‘’nombril du monde’’ français. La même approximation règne d’ailleurs sur l’effort stratégique entrepris au Sahel, qui vise à protéger la France, pas vraiment les Africains. Les victimes de la crise syrienne ont payé cher le prix de ces errements libyens, sous la forme d’un blocage de tout règlement, à New-York : la Russie comme la Chine, échaudées par la crise précédente, ont trouvé motif ou prétexte à récuser des initiatives occidentales, soupçonnées d’objectifs ‘’cachés’’. Le coût de ces intrigues a été porté par une seconde population, plus proche encore de la France, qui a été, par le passé, la puissance mandataire de son pays.


Saura-t-on jamais si Kadhafi a été exécuté de façon extra-judiciaire pour des contributions en cash très embarrassantes à la campagne présidentielle française de 2007 ? L’anarchie et la guerre ont effacé bien des pistes d’enquête. Au terme de deux guerres civiles, en 2011 et 2014, puis de la défaite de Khalifa Haftar, en 2020, après 14 mois de combat, la Libye vit une précaire accalmie des combats, mais sans rétablissement de la paix, de la justice ni de l’économie. L’ONU y a laissé une part de sa crédibilité. Toute à son insouciance et à sa pratique autocratique de la politique extérieure, la France, ne s’introspectera pas.

* 23 février – Le mal vivre des Algériens. Des centaines de milliers de manifestants envahissent les rues d’Alger, pour marquer le second anniversaire du Hirak, ce mouvement populaire de rejet de l’Algérie des vieux généraux et des anciens combattants cramoisis. Depuis 2019, la population active et les jeunes n’ont cessé d’exprimer leur rejet de leur classe dirigeante, corrompue et inerte. A la contestation du régime zombie de feu-Abdelaziz  Bouteflika a succédé, après l’effacement du président-momie, la dénonciation de la corruption et l’inertie mortelle d’un système tout juste bon à boucher l’avenir aux générations montantes. La pandémie de Covid-19 a porté un coup d’arrêt au mouvement, les militants ayant dû suspendre leurs manifestations du vendredi. Les problèmes comme la frustration qu’ils génèrent à travers tout le pays sont restés là, en dépit d’élections présidentielles en forme de hold-up. La mobilisation reprend alors, sous un nouveau président, de retour d’un traitement médical en Allemagne, ce qui évoque étrangement son prédécesseur. Les revendications n’ont pas changé : « Nous sommes venus pour réclamer votre départ », scandent les protestataires. Mais l’accès à une alternative de régime leur est bien fermé par une constitution taillée pour l’autocratie. Sur la chaussée, les acteurs sont hétéroclites, divisés et politiquement peu formés.

Face à eux, l’establishment militaro-notable garde encore des ressources importantes pour manœuvrer. Le président  Abdelmadjid Tebboune paraît vouloir calmer le jeu, du moins dans un premier temps. Il vient de décréter une amnistie pour une soixantaine de détenus d’opinion dont l’opposant Rachid Nekkaz et le journaliste Khaled Drareni, condamné à deux ans de prison en septembre pour avoir seulement couvert dans ses articles la vie du mouvement populaire. Il a parallèlement dissous l’Assemblée populaire nationale, dont le mandat aurait du se prolonger jusqu’en 2022. Sa décision ouvrira donc la voie à des législatives anticipées avant six mois. Il a également procédé à un remaniement gouvernemental sans portée majeure, puisque l’impopulaire premier ministre, Abdelaziz Djerad, reste à son poste malgré sa gestion calamiteuse de la crise sanitaire et son bilan économique plus que maussade. Ainsi, la monnaie se dévalue, l’inflation galope, la croissance sera négative cette année et des opposants croupissent encore dans les prisons. La méfiance va persister tant qu’aucune perspective ne se dégage entre l’obsession de l’ordre statique des généraux et l’amorce de concessions sur les fondamentaux du système. Souhaitons un peu de chance à la jeunesse algérienne !

* 22 février – Partie au bord du gouffre. Le jeu de poker reprend, après l’arrivée au pouvoir de Joe Biden, qui s’est dit prêt à revenir dans l’accord initial de 2015. Les Etats-Unis et l’Iran se renvoient la balle sur la question de savoir qui doit faire le premier pas et comment. Mais les règles divergent selon les joueurs. Du côté américain, la démarche, connue des électeurs par avance, est assez claire. La bonne volonté ne se concrétisera que si elle est partagée. Washington fait quelques ouvertures : recours aux bons offices des Européens, mise entre parenthèse des toutes dernières mesures prises contre Téhéran, volonté de retour à l’accord nucléaire de 2015. Mais la nouvelle administration ne peut subir le risque, face à son opinion, de se faire manipuler. Vu de Téhéran, qui n’est bridé par aucune contrainte démocratique, on calcule selon les intérêts des clans de pouvoir (l’élection d’un, président en juin, la mainmise des Pasdarans sur l’outil sécuritaire). L’objectif reste stratégique : hisser la théocratie jusqu’au seuil nucléaire. Il ne s’agit pas d’exhiber la bombe, ‘’à la nord-coréenne’’, encore moins d’y recourir par surprise. Le Guide vise à sanctuariser sa diplomatie (telle, la France des années 1960), à exercer une dissuasion contre Israël (possibilité d’une frappe de rétorsion, même décalée dans le temps) et finalement, à battre de vitesse tout proliférateur adverse se manifestant dans la région (l’Arabie saoudite, en particulier). La prolifération n’est plus celle des années 1990. Elle se développe sur la base d’équilibres régionaux qui échappent aux superpuissances. L’identitarisme religieux (sunnites contre chiites) y a creusé son sillon.


L’Iran a fixé au 21 février l’échéance de son ultimatum pour une levée inconditionnelle des sanctions imposées par l’administration Trump, en 2018. A défaut, Téhéran menaçait de fermer l’accès de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) à ses installations militaires clandestines et suspectes. La venue in extremis du directeur général de l’Agence de Vienne, Rafael Grossi, a permis de mettre en place un ‘’compromis technique’’, certes boiteux et provisoire, mais ménageant une surveillance réduite et, surtout, un sursis de trois mois à la négociation diplomatique. Les inspecteurs de l’Agence sur place ne seraient pas expulsés sous le coup d’une loi taillée pour ce but et des contrôles inopinés resteraient même possibles, sauf future rupture, toujours à craindre. C’est donc un premier pas pour sortir de l’impasse et concrétiser la perspective d’un retour des Etats-Unis dans l’accord de Vienne de juillet 2015. Mais peut-on parier sur le régime des mollahs, honni comme il l’est des forces vives iraniennes et accroché à un prosélytisme digne des croisades ?

* 20 février – Aid, not Trade. A partir du 1er mars, le bureau de directeur général au siège de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), à Genève, sera occupé par la Nigériane Ngozi Okonjo-Iweala. Sa nomination a été actée le 15 février et elle entre dans l’histoire en tant que première femme et première Africaine à diriger l’OMC. Forte d’un CV impressionnant en matière de leadership, l’ex-directrice générale de la Banque mondiale a fait carrière durant 25 ans dans cette institution. Auparavant, elle avait été ministre des Finances puis ministre des Affaires étrangères du Nigeria. Elle incarne à la fois l’émergence de femmes dans les plus hautes strates politiques et multilatérales et l’insertion de l’Afrique dans la mondialisation, dans la version libérale de celle-ci, s’entend.

 A la suite de la démission fin août du Brésilien Roberto Azevêdo, huit personnalités avaient postulé. Au final, Ngozi Okonjo Iweala l’a emporté sur la ministre sud-coréenne du commerce, mais, en octobre 2020, le processus de désignation a été bloqué par l’administration Trump, fermement décidée à enterrer l’OMC une bonne fois pour toutes. Avec Joe Biden, l’obstacle a été levé.

En Afrique, les attentes sont bien sûr nombreuses vis-à-vis de la nouvelle ‘’patronne’’ du commerce et des contentieux qu’il génère. L’enjeu principal est la montée en puissance le Continent noir  dans la chaine de valeur mondiale, en symbiose avec la mise en œuvre (laborieuse) de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf).Mme Okonjo a déjà prononcé quelques paroles fortes contre le nationalisme vaccinal et pour une solidarité de tous face au Covid. Cependant, alors que la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine s’installe au premier plan des priorités pour les grands acteurs du commerce, la directrice générale et l’OMC vont devoir se battre  pour ne pas être neutralisés par le ‘’combat des chefs’’.

En panne depuis 2001 (échec du cycle de Doha), il a fallut attendre la Conférence de Bali en 2013 pour voir l’OMC accoucher d’un « paquet de Bali » – premier accord multilatéral depuis la création de l’OMC en 1995 –  dont le contenu, très pauvre, traduit bien la survie difficile et l’influence faiblissante de l’Organisation. Dans les années suivantes, l’Inde a bloqué les débats en refusant toute régulation sur les subventions agricoles. Quelques mesures de solidarité avec le Sud ont été adoptées à Nairobi, en 2015, mais aucun dossier autre que des contentieux interminables, n’est discuté à Genève entre les grands acteurs. Ceux-ci traitent ailleurs les voies du commerce. La mondialisation se décline désormais sous la forme d’accords régionaux de  »bloc », comme celui que la Chine a porté, fin-2020,entre l’Asie et l’Océanie. Ils reflètent le rapport de forces (contrairement à l’OMC ou chaque Etat détient l’égalité juridique avec les autres) et font totalement abstraction des clauses de solidarité ou du mécanisme de la ‘Nation la plus favorisée’’, sur lesquels repose la gouvernance  de l’Organisation. Qui peut dire si ces forteresses continentales du commerce se fondront un jour – très lointain – en un marché mondial unique ? Privée de relais multilatéraux, la nouvelle directrice générale n’aura guère d’autre option que celle visant à consolider, si c’est encore possible, un bloc limité de bonnes volontés autour d’un monde émergent marginalisé par les grands, dans les échanges globaux.

* 18 février – Le Coq et l’Aigle dans un sous-marin. Le président Macron a-t-il fait un pas dans l’édification d’une défense européenne en appelant les partenaires européens à un ‘’dialogue stratégique’’ autour de la dissuasion nucléaire française ? Ce thème tient de l’Arlésienne et du monstre du Loch Ness. Depuis l’origine, la force de dissuasion française constitue une source d’embarras qui déstabilise le confort ‘’atlantique’’ des voisins de la France. Des offres assez similaires avaient été avancées, depuis 2006, par les trois prédécesseurs du locataire de l’Elysée. A chaque fois, derrière l’écoute courtoise, une méfiance générale a enterré le sujet, la France étant soupçonnée de vouloir se valoriser aux dépens du ‘’parapluie’’ américain et de l’OTAN, sans volonté aucune de jouer collectif. Il ne faut donc pas s’attendre à une réponse claire, nette et unanime à l’invite lancée à la ronde à la présence d’observateurs aux ‘’exercices’’ des forces françaises de dissuasion. D’ailleurs, ceux-ci ne concerneront pas la mise en œuvre réelle des forces – notamment de la composante sous-marine (la composante terrestre ayant été démantelée depuis des lustres et celle, aéroportée, ne devant pas être renouvelée à obsolescence -. Resterait la pédagogie, laquelle constitue un artifice politique. L’initiative n’en recoupe pas moins des enjeux majeurs, dans un contexte stratégique où le Royaume-Uni, l’autre puissance nucléaire de l’Europe occidentale, a opté pour le grand large et où l’environnement géopolitique de l’Europe se dégrade rapidement, au Sud comme à l’Est. Le continuum de crises et de menaces imbriquées qui l’encercle est, pratiquement, sans issue politique. Ainsi a été dénoncé, en août, le traité russo-américain de 1987 sur les armes nucléaires à portée intermédiaire (de 500 à 5 500 kilomètres), qui constituait une assurance irremplaçable, pour les Européens. Ceux-ci redeviennent des cibles autorisées pour la Russie. Comment sortir de là ?


Pas de partage des codes nucléaires (le décideur unique reste le prérequis de toute crédibilité), mais une analyse plus collégiale des intérêts vitaux de la France en lien avec ceux de l’Europe. Se pose alors la question, pour les partenaires, de l’accès-même à l’information stratégique, alors qu’en interne, les commissions spécialisées du Parlement, les dirigeants de partis et la diplomatie n’ont droit qu’à des versions expurgées et simplettes des stratégies en cours face aux enjeux perçus. Partagerait-t-on, vraiment ? Sans doute, non. Intervient ensuite la priorité accordée – ou non – au bouclier américain. Contrairement au français, il est de taille à couvrir le vaste espace stratégique de l’Alliance … mais il n’est crédible que si le président américain y est déterminé de façon absolue et constante, ce qui paraît rétrécir ses marges de priorité stratégiques et étendre trop loin son ‘’devoir d’intervention’’. Les calamiteuses années Trump ont montré que rien n’était acquis une fois pour toutes, en la matière. Ceci a fortement ébranlé le confort sécuritaire des Européens. Et rendu plus audible l’hypothèse d’un plan complémentaire made in France ? C’est dans ce créneau peu rassurant que joue l’offre française.


De leur côté, les bombardiers allemands ont déjà la capacité de s’armer de bombes nucléaires américaines, stockées sur place, sans évidemment pouvoir en commander l’amorçage. Berlin, qui, avec Paris, détient la carte-maîtresse pour toute avancée collective, est partagé et donc précautionneux. La gauche allemande et les Verts refusent de confier le sort de leurs concitoyens à un monarque, serait-il français. Du côté de la CDU, le vice-président du groupe au Bundestag, défie E. Macron d’ouvrir en grand la coopération militaire nucléaire, en faisant sortir la force de dissuasion du giron national, pour la placer entre les mains de l’UE … ou de l’Otan. L’Europe serait amenée, dans cette situation, à reprendre le siège de la France au Conseil de Sécurité. J’entends 67 millions de Français pousser des cris d’orfraie.

* 17 février – Panne Covid. Dans leur combat contre le virus, les démocraties d’Europe pratiquent un chemin de crête entre la quarantaine stricte et le ‘’vivre avec ‘’. L’empirisme se niche dans l’urgence et le secret d’Etat et on alterne, en fonction de la propagation du virus et de la capacité disponible des hôpitaux, des mesures de restriction graduées puis des concessions à la frustration sociale. En l’absence d’un véritable débat, parlementaire ou populaire, la parole et les options prophylactiques appartiennent à un conseil scientifique un peu anonyme et enfermé dans son savoir théorique. Les décisions restent en fait hypercentralisées et d’application nationale uniforme. En France, c’est le Conseil de défense qui les dicte, sous l’autorité décisive du président de la République. Le public n’a pas à en connaître la genèse ni les motifs exacts. Comment, au niveau du citoyen qui observe les multiples dysfonctionnements du ‘’système’’, se fier à une perspective durable, à une ligne d’action stable et compréhensible, à une échéance libératoire ? Il se contentera de prier ou de grogner pour que soit évitée la répétition des erreurs passées.

Certains spécialistes plaident pour un alignement de l’Europe sur la stratégie « Zéro Covid », qui vise à éradiquer totalement la circulation du coronavirus dans une zone de contagion donnée (délimitée), grâce à des mesures draconiennes dès que des cas apparaissent. En bref : purger complètement le réservoir de germes, très en amont (grâce aux tests) et contrôler les foyers d’infection sans aucune concession libérale aux populations isolées et traitées. Parallèlement, la vie normale peut alors se poursuivre dans les zones où le virus ne circule pas. Faible nombre de décès, quasi-continuité de la vie économique, reprise ensuite de la vie sociale et des activités scolaires, de loisir et sportives, désengorgement des infrastructures sanitaires, tels sont les avantages significatifs que ces pays en ont tirés. Cette approche a fait ses preuves en Asie et en Océanie, dans des pays tels la Chine, Taiwan, la Nouvelle Zélande, l’Australie, etc., mais est-elle applicable en Europe ?

L’option « Zéro Covid » paraît nettement préférable à la « ‘stratégie de mitigation’’ des pays occidentaux, qui organise, entre deux vagues d’épidémie, un ‘’vivre avec’’ le virus plutôt inquiétant. En Europe », la mobilité n‘est pas plus grande, ni la densité de population plus forte qu’à Taiwan, Singapour ou qu’en Chine populaire. Et, avec la fermeture actuelle des frontières, la ‘’contamination par l’extérieur’’ ne joue plus. L’organisation territoriale en sous-divisions (de la municipalité à la région) permettrait une application bien plus ciblée des mesures évitant de généraliser la détresse du corps social. Alors, pourquoi ? Cherchons peut-être les explications dans les vieux réflexes westphaliens ou jacobins qu’ont les détenteurs du pouvoir, dans l’effacement forcé des corps intermédiaires, dans la peur de la bureaucratie de perdre le contrôle ou de devoir rendre compte devant la justice. Considérons aussi le mille-feuilles figé de nos institutions, notamment dans la santé, la paresse des médias, qui ne pensent plus et n’aide plus à penser, la sacro-sainte méfiance qui préside partout aux affaires publiques. L’état d’urgence et ses multiples avatars inutiles ont effrité nos libertés mais aussi notre volonté de réagir. Une panne de vision générale nous paralyse et nous accable. Pas joyeux !

* 16 février – Centurions et intersociabilités. La réunion du G5 à Ndjamena a décidé un ajustement du dispositif militaire français et de nouvelles priorités pour la force conjointe. Pensant avoir affaibli l’Etat islamique, Barkhane va focaliser son action sur les groupes affiliés à Al-Qaida. Le sommet de deux jours, associant plusieurs partenaires internationaux, modifie le cap après celui de Pau, axé sur un renforcement militaire dans la zone dite des trois frontières (Mali, Niger et Burkina) et à l’envoi de 600 soldats français supplémentaires, les faisant passer de 4 500 à 5 100. La France et ses alliés africains se cantonnaient alors à une conception purement tactique et militaire du combat contre le jihadisme. Comme l’ont montré diverses déclarations françaises, à commencer par celles du chef d’Etat-major, le général Lecointre, l’objectif assigné à Serval en 2013 était de répondre, sans plan stratégique particulier, à un appel à l’aide de Bamako. Paris s’est mobilisé, pour confirmer son rang en Afrique. Ce n’est plus le but que poursuit l’opération Barkhane, systématiquement présentée à l’opinion française comme l’endiguement militaire d’une menace terroriste tournée contre l’hexagone. Cette ambiguïté mortelle aura permis d’escamoter les carences de Paris (agir pour son propre compte dans un scénario hypothétique, qui accorde peu d’attention aux Africains ) et de ses alliés africains (ne pas prendre à bras le corps les immenses faiblesses de leur gouvernance et leur incapacité à garder les populations dans leur propre giron).

Chacun sait que l’issue du conflit résultera des succès ou des échecs du développement humain dans la région, avec une grande part revenant à la compétition psychologique et culturelle entre jihadistes et gouvernements pour rallier les esprits. Mais comment y parvenir ? Parler de renforts ajoutés ou retranchés à l’effectif de Barkhane, espérer que les forces du G5 deviendront opérationnelles, se féliciter de l’arrivée de soldats européens des opérations spéciales Takuba, savoir confirmé par la nouvelle administration américaine le soutien américain logistique et de renseignement … tout cela serait très encourageant si le ‘’militaire’’ contribuait à consolider les gains humains. Or, un an après Pau et son « sursaut militaire » on doit lancer, à N’Djamena, le « sursaut diplomatique, politique et du développement », dixit Jean-Yves Le Drian, dans un aimable exercice de girouette aux vents du moment. C’est dire qu’on ajuste, sans cesse, en l’absence de tout plan directeur ou d’une vue d’ensemble et, à fortiori, de scénario de sortie. Après plus de huit ans d’engagement armé, Daech et Al Qaida progressent toujours plus, dans le Sahel, puis en Afrique centrale et dans la sous-région occidentale. Là où, seul, le Jihad fait la loi et l’emploi, les populations cèdent, région après région, à un opportunisme religieux primaire et surtout à la révolte des esprits qu‘alimente, sur le terrain, une situation ancienne d’abandon par les Etats.

Chair à canon, petits trafiquants oisifs ou villageois massacrés, les civils sont les principales victimes de ce conflit civil, téléguidé de loin. Le seuil des deux millions de déplacés a été franchi. Les soldats français initialement accueillis en sauveurs, sont perçus, avec le temps, comme des occupants. Comment reverser la vapeur ? Les gouvernements Africains penchent pour un dialogue politique avec l’ennemi, sur le modèle des ouvertures américaines en direction des Talibans afghans. Paris se braque, n’ayant pas trop confiance dans leur capacité à mener une telle opération sans imploser ou se soumettre. A Ndjamena on annonce relancer les efforts de développement … là même où on ne peut plus accéder et on ne détient pas de moyens d’action. Il faut donc que les militaires étrangers, si peu ombreux, absorbent le choc, en attendant mieux. Quitte à réduire un peu la voilure pour ménager l’opinion.
Combien d’opérations d’endiguement, du type de Barkhane, ont connu un réel succès au cours des dernières décennies ? Aucune. La tentation est forte de persévérer dans une entreprise infructueuse, ne serait-ce que pour justifier le temps, l’argent et l’autorité qu’on y a consacrés, en suivant une stratégie mal ficelée. Réveillons-nous !

*15 février – Un juge politique ? Il y a le procès des urnes. C’est déjà fait. Les procès au civil. Contre Donald Trump, il va y en avoir une avalanche. Et puis les règlements de compte politiques. Même amplement justifiés sur le fond, ces derniers créent un malaise, car ils n’ont pas de légitimité évidente et se coupent de la scène populaire pour manœuvrer dans un entre soi de comparses et rivaux. Cinquante-sept élus du Sénat américain se sont prononcés en faveur de la culpabilité de l’ancien président, mais il en aurait fallu soixante-sept pour le condamner. Chou blanc donc et impression de flou et d’inaccompli. Les promoteurs du réquisitoire, menés par le député Jamie Raskin, n’en sortent pas vainqueurs. Il serait souhaitable que la justice ordinaire ait encore son mot à dire. Il pèsera plus lourd. Le magna se moque bien de la tache qui flétrit son honneur. Elle n’existe qu’au nom d’un ‘’Système’’ qu’il pourfend avec une ardeur qui lui vaut un certain succès populiste. Il n’en sera pas réellement gêné, puisqu’il échappe à la sanction de ne plus pouvoir se représenter. D’ailleurs, il s’est aussitôt engagé, de façon sibylline, à bientôt partager avec ses fidèles ‘’beaucoup de choses …. de (son) incroyable aventure pour la grandeur de l’Amérique’’. Kushner ou Ivanka, bientôt en piste ?

Joe Biden était peu convaincu que la priorité absolue allait à sermonner son prédécesseur pour ses multiples méfaits (et sa personnalité toxique). Il s’est contenté d’un bilan moral, avec hauteur : ‘’Même si le vote final n’a pas abouti à une condamnation, le fond de l’accusation n’est pas contesté…. Ce triste chapitre de notre histoire nous rappelle que la démocratie est fragile. Qu’elle doit toujours être défendue. Que nous devons toujours rester vigilants ». C’est la seule leçon raisonnable qu’on puisse tirer pour le moment, au niveau de l’Exécutif. Et elle n’en est pas moins de portée universelle.

* 13 février – Meuh ! En 2021, les pays Vache qui rit ouvrent les bras au Buffle de métal, selon  le roulement du zodiac bouddhique. N’en faisons pas tout un fromage. Que cette Lune toute nouvelle apporte à tous l’énergie et la force agricole qui revigore les esprits !

Associé à la Terre, au conservatisme, à l’agriculture, au travail, à la rigueur, à la patience, le buffle est persévérant… mais pas fulgurant. Sa couleur dominante est le blanc. Réputé sage, protecteur, endurant, sûr de lui et patient, il serait aussi, selon la tradition, têtu, peu réactif, mutique et parfois jalouxQuant au Métal, il est synonyme d’intégrité et de justesse.

L’année 2020 avait enclenché un nouveau cycle et reseter l’ensemble de nos systèmes. 2021 doit alors être une année de (re)construction, qui pousse à construire à l’instinct vers de l’inconnu. Elle nous met dans une posture de patience et induit une notion de lenteur dans le quotidien. Tout va progresser à petits pas, quitte à se tromper. et à devoir ajuster. Depuis l’an dernier, on sait déjà où on ne veut plus aller. L’important est de définir dans quelle direction on va (lentement) cheminer. Le Métal va permettre d’ajuster : il découpe les limites. En termes géopolitiques : ne pas viser trop loin, savoir quel nouveau modèle et quel équilibre explorer, tenir compte des pesanteurs de l’Histoire et des sociétés humaines, renoncer aux ruptures ou évolutions brutales comme aux percées conceptuelles trop soudaines. Surtout, bien se reconnecter à des peuples avec qui l’on partage les mêmes valeurs, le respect du vivant, la foi en l’Humain. 祝你牛年快乐 (Bonne Année du Buffle !)

*12 février – L’internationale des ennemis du peuple. Le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU tient une session extraordinaire sur la Birmanie. La position de Pékin et de Moscou, supports habituels de l’armée birmane aux Nations unies, sera observée de près. L’engagement rétabli des Etats Unis pour les droits et la démocratie va conférer une résonnance nouvelle à ces travaux. Ils revêtent en effet une dimension de test géopolitique Est-Ouest. Pour le monde émergent, bien que les turpitudes des militaires birmans restent une source d’embarras, l’appartenance de Naypyidaw à l’ASEAN, un groupe régional respectable, paraît à beaucoup une garantie suffisante.


Les militaires putschistes de Birmanie ont ‘’levé la punition’’ de quelque 23 000 détenus, à l’occasion du Nouvel An lunaire. Il est très peu probable que cette amnistie coutumière, destinée à délester les prisons surpeuplées une fois par an, concerne également Aung San Suu Kyi, la cheffe du gouvernement et ses collaborateurs renversés par eux, ni les élus locaux de la Ligue Nationale pour la Démocratie. La peur s’installe dans la population, alors que la police tire désormais sur des manifestants. Bien qu’en nombre moins important depuis l’interdiction de rassemblement, l’état d’urgence et le couvre-feu, les Birmans descendent dans la rue. Ils exigent la libération des détenus politiques, la fin de la dictature et l’abolition de la Constitution de 2008, taillée sur mesure pour l’armée. Les fonctionnaires entament une forme de résistance passive qui irrite au plus haut point le général Min Aung Hlain, patron de la junte.


En Biélorussie, le dictateur fanfaronne devant un parterre de 2700 fidèles en uniforme vert. Le scénario est à peine différent : les élections ont été, là aussi, confisquées et le peuple est sorti, de la même façon, protester contre la dictature. « Tout dépendra de notre unité avec la Russie. Nous pourrons assurer la stabilité de nos (deux) pays seulement si nous sommes unis », déclame Alexandre Loukachenko. La « blitzkrieg »’ de l’Occident a échoué à renverser la situation  »en utilisant la Biélorussie comme un tremplin d’attaque contre Moscou ». De fait, les démocraties ont tergiversé et se sont contentées de bonnes paroles. A Moscou, le régime fustige les défenseurs d’Alexeï Navalny taxés d’être manipulés par l’Occident. A Pékin, la fureur gronde contre les Etats Unis et leurs alliés, qui osent poser à l’ONU la question de l’enfermement des Ouigours du Xinjiang. A Djeddah, la haine sourd silencieusement contre l’initiative américaine de  »ressortir » en plein jour l’assassinat odieux du journaliste Khashoggi. « Soixante-seize pays dans le monde respectent – pas trop mal – l’état de droit. Cela en fait près de 130 qui n’en ont cure et veulent seulement que chacun reste ‘’maître chez soi’’. Bonne chance aux travaux du Conseil des droits de l’Homme !

* 11 février – Bitcoin. Comment Kim Jong-Un, qui règne sur une  »économie-hermite », dramatiquement dénuée de cash, parvient-il à financer ses missiles et ses ogives ? Ce sont, avec le ginseng, les seuls produits exportables par la Corée du Nord. On se souvient que l’appareil militaire démesuré de ce pays et sa diplomatie ont longtemps été sous perfusion des revenus de trafics internationaux. Le cash était colporté par des valises diplomatiques, par ailleurs pleines à craquer d’alcools et de tabac de contrebande. Depuis, la dictature s’est modernisée. Donc, point de surprise à voir Pyongyang adhéer avec passion au Bitcoin, au point d’avoir dérobé 300 millions de dollars de cette cryptomonnaie au cours des derniers mois. Les blockchains censées rendre les transactions infalsifiables ont bel et bien été contournées par les trolls de Kim.

Alerte ! Car le Royaume-casemate s’exprime aussi via des attaques informatiques sans aucune modération. Entre autres exploits, Pyongyang est soupçonné d’avoir dérobé, en 2016, 81 millions de dollars à la Banque centrale du Bangladesh (BCB) et, en 2017, 60 millions de dollars à la banque taïwanaise, Far Eastern International. La liste est bien plus longue. Plus efficace que la contrebande et les produits frelatés, ce type d’agressions permet de financer les programmes nucléaires et balistiques interdits. L’ONU vient de publier sur la question un rapport édifiant. Sur la carte mondiale du crime organisé, qui avoisine 20 % du PIB global (on n’en saura jamais le montant caché exact), la ‘’République démocratique populaire’’ pèse de tout son poids. Elle constitue un exemple inquiétant de symbiose des criminalités : terreur et assassinat comme mode de gouvernance, chantage à la guerre nucléaire comme diplomatie, exportation de technologies interdites comme activité marchande, trafics commerciaux en tous genre, cyber-terrorisme, pour le plaisir et pour l’argent … enfin, recours massif au bitcoin (volé), la monnaie sans maître ni loi, créée par une mafia pour être utilisée par les mafias et par quelques gogos.

L’homme le plus riche du monde n’est certes pas criminel et on aurait du mal à le penser naïf. Pourtant, le fondateur et patron de Tesla annonce avoir investi 1,5 milliard de dollars dans le Bitcoin. Lui ne le vole pas. Il ouvre du même coup à  sa clientèle la possibilité de payer, au moins en partie, avec la ténébreuse cryptomonnaie. Du coup, le Bitcoin cartonne à 37 000 euros et il progresse de 1 100 % en un an, remplissant les poches de Kim Jong-Un, des Totorino et autres Escobar de la planète et, bien sûr, celles d’Elon Musk lui-même. Bravo, merci et encore ! Grâce au génial concepteur, les maîtres-chanteurs, ravisseurs, tueurs à gage et autres coupeurs de jarrets de la planète -sans oublier les super-dictateurs -vont rouler quasi-gratuitement en Tesla roadster à 215.000 € (une belle caisse).

* 10 février – Marchés indiens. Le mouvement de révolte des paysans indiens contre la libéralisation des marchés agricoles se propage comme une trainée de poudre. Des meetings géants se tiennent dans tout le Nord de l’Inde, sous l’effet de l’angoisse des agriculteurs. Ceux-ci sont persuadés que la réforme va concentrer la distribution aux mains de cartels privés, uniquement préoccupés à dégager des marges de profit aux dépens de la rétribution des producteurs. A leurs yeux, ce chamboulement prépare une seconde étape : le remembrement des terres et l’expropriations des petits exploitants peu performants. Ces derniers représentent 75 % de la population du Pays, travaillant pour l’immense majorité dans des conditions précaires. La fixation de prix publics minima constitue donc, pour eux, un filet de protection essentiel contre la pauvreté.


Les forces de l’ordre indiennes peinent à déloger les paysans qui, depuis deux mois assiègent New Delhi, en exigeant le retrait de trois textes de loi privatisant les marchés agricoles. Le gouvernement de Narendra Modi a rompu les discussions avec les représentants des agriculteurs et opté pour une solution musclée, au lendemain des violences survenues dans la capitale indienne. Les troubles qui ont endeuillé, le 26 janvier, le Republic Day, jour de la fête nationale, ont fait un mort et quatre cents blessés. Le Fort Rouge de New Delhi, un symbole de l’indépendance du pays, a été investi par la foule en colère, une situation comparable au raid des gilets jaunes français contre l’Arc de triomphe, à Paris. Les ‘’meneurs’’ et les personnalités de l’opposition qui les ont soutenus politiquement font l’objet de poursuites policières ou judiciaires. Trente-sept dirigeants syndicaux sont ainsi visés pour ‘’tentative de meurtre’’, ‘’émeute’’ ou ‘’conspiration criminelle’’. La police dénonce ‘’un plan préconçu et bien coordonné’’ pour rompre un accord initial sur le déroulement et le parcours de la manifestation. En Uttar Pradesh, les forces de l’ordre, dirigées par un moine nationaliste extrémiste, coupent l’eau et l’électricité aux campements dressés près des barrages routiers sans parvenir à disperser les foules qui s’y agglutinent. Avec la persistance des blocages, des contre-manifestations anti-paysannes apparaissent.
Devant la montée des tensions civiles, deux syndicats paysans se sont retirés des barrages routiers, mais l’union syndicale, qui en compte une quarantaine, poursuit le siège de la capitale. Narendra Modi détient l’insigne privilège de diriger, depuis 2014, la ‘’plus grande démocratie du monde’’ (au plan démographique s’entend : 1,3 milliard d’âmes). Mais il a bâti sa carrière politique, dès 2001, dans l’Etat du Gujarat, puis à la tête du Parti du Peuple Indien – BJP -, identitaire hindouiste et nationaliste, en prêchant l’exclusion des Musulmans et des castes basses. Beaucoup en Inde le voient comme un avatar local de Donald Trump, envers qui il ne cache d’ailleurs pas ses affinités personnelles. Ce n‘est bien sûr pas une justification acceptable pour traiter ses compatriotes comme si la bourse et les marchés – peut-être aussi le ‘’consensus de Washington’’ – allaient, comme par magie, libérer l’Inde de ses archaïsmes humains et sociaux. Aujourd’hui, la démocratie indienne branle dans le manche, alors qu’elle mérite mieux. Mauvaise nouvelle.

* 09 février – Tiananmen se traduit comment en birman ? Malgré l’interdiction de rassemblement, le couvre-feu et la loi martiale -imposée dans une partie du pays-, rien n‘y fait : le mouvement de contestation populaire ne faiblit pas contre le putsch militaire en Birmanie. Il s’étend à travers tout le pays et précipite sur la voie publique des centaines de milliers de mécontents, indignés par l’arrestation de leur héroïne nationale. Pauvres Birmans ! C’est la troisième génération de ce peuple composite à réclamer ses libertés fondamentales, après les mouvements démocratiques de 1988 (un  »Tiananmen » post-électoral, avant le Tiananmen chinois) et 2007 (la ‘’révolution de safran » menée par les moines et violemment réprimée par l’armée).


.A chaque fois, la puissante narco-mafia galonnée met fin brutalement à leurs espoirs. Cette fois-ci, les généraux empruntent à D. Trump le prétexte de fraudes ‘’fantômes’’. Les dictateurs militaires se succèdent à Rangoun ou à Naypyidaw, la nouvelle capitale conçue dans leur esprit, mais c’est toujours le même genre de têtes de béton qui bâillonne les libertés et garde la main sur les deux économies : la légale et l’autre, jamais loin des armes et de l’opium. Leur hermétisme au peuple et à l’humanisme fait depuis la décennie 1960 le malheur des 56 millions de Birmans actuels. La cohabitation brutalement rompue avec Aung San Su Kyi n’était qu’un pis-aller économiquement, utile pour attirer l’investissement étranger et pour les soulager un peu du carcan de la réprobation internationale. L’ascension de Su Kyi était mal vécue par une grande partie de l’état-major. Outre cette personnalité-phare, parvenue à la tête de l’Exécutif, plus de 150 personnes – élus, responsables locaux, intellectuels – croupissent en détention. Depuis 2015, la persécution et l’expulsion du Pays des populations Rohingyas leur faisait calculer que l’étoile de la dame de Rangoun avait suffisamment pali pour qu’elle reste malléable et soumise à leur influence. Las ! La National League for Democracy a gagné haut la main les élections générales de novembre et la junte a pris peur.

Il faut soutenir les Birmans – comme les Biélorusses, les Algériens, les Libanais, les Russes soutenant Navalny, etc. sans se faire trop d’illusion sur le rapport de force implacable Armée-Population, qui permet aux militaires de régner par la terreur. Assez souvent, le hasard se met du côté des courageux.

* 08 février – Cabale mondiale. Le monde que nous voyons ne serait qu’une vaste conspiration universelle, opérée par les illuminés. Une étude du « New York Times » établit que presque la moitié des consommateurs d’information penche, par déduction instinctive, vers l’explication de l’actualité par le complot. Plus s’accroît le flottement des individus face à notre monde si imprévisible et hyper-complexe, plus s’impose l’idée d’une main diabolique et cachée, opérant en coulisse. Dénoncer cette main qui n’est pas de Dieu permet de se rassurer un peu et de simplifier l’équation jusqu’à un seuil de compréhension enfantin et universel. C’est aussi réconcilier son malaise personnel (le ‘vécu’’, le ‘’perçu’’) avec les dysfonctionnements et les injustices qui nous sont jetés aux yeux, sur la scène globale. Faute de mieux, l’explication par la cabale valorise l’opinion de celui qui l’émet et lui gagne des adeptes, là où la réalité décortiquée causerait plutôt migraine intellectuelle et désocialisation. Le ‘’cinquième pouvoir’’, celui des réseaux sociaux et des blogs – tel celui de l’Ours – invite ensuite à tourner en boucle de concert avec des ‘’compères de pensée’’ tout à son image.


Selon une enquête conduite auprès de 26 000 personnes dans 25 pays,78 % des Nigerians, 55 % des Espagnols, 45 % des Italiens et 37 % des Américains accréditent l’existence d’un  »groupe de personnes contrôlant secrètement les événements et dirigeant ensemble le monde ». Il n‘y a donc pas que QAnon, Trump et ses Evangéliques, nos gilets jaunes, tous les prophètes autoproclamés à trompeter l’alerte à tout propos : l’épidémie complotiste est bien à l’œuvre partout sur cette terre, sauf en Corée du Nord (où s’exprimer serait bien trop dangereux). Il ne faut pas en sourire car on parle d’une maladie millénaire. Pourrait -on mettre des médiévalistes sur la question ? Ce serait pour tester les effets de l’exorcisme, des procès en sorcellerie, du vaudou, de la magie noire ou de l’incrimination de Satan, et – pourquoi pas – d’une bonne vieille inquisition à l’ancienne. Cela rétablirait-il la balance de nos humeurs ? Bien sûr que non et je vous demande instamment de ne pas lire les trois phrases précédentes, totalement complotistes, qui ne sont pas de moi mais qui sont là quand même. Elles mériteraient une sévère réécriture critique.

Pas besoin on plus de rappeler que le nazisme était une théorie complotiste revancharde, poussée à des paroxysmes d’inhumanité effarants. La ritournelle pernicieuse du ‘’complot juif’’, entonnée, des siècles durant par la mouvance féodalo-populiste, a préparé le terrain à l’immense gâchis du 20 ème siècle. Le mythe trotskiste de la révolution universelle a, lui aussi, fait rêver des milliards de gogos, avant que sa violence n’apparaisse comme une tare. Au tour du jihadisme de prendre aujourd’hui le relais du suprémacisme blanc colonial et de l’anarchisme nihiliste (qui assassinait volontiers les présidents au tournant des 19 ème et 20 ème siècles), etc. Il doit y avoir dans la haine que le complotiste exhale, comme une constante de la nature humaine. Beaucoup de colère exprimée, un fond de peur caché mais tenace, le besoin de se raccrocher à une vision simplette et rêvée du monde, la dynamique du groupe qui interdit de rechercher toute vérité ailleurs que dans les sentences du Chef… Avec l’empilement actuel de crises un peu apocalyptiques, l’enfermement solitaire des personnes, l’abrutissement des réseaux sociaux, l’angoisse de l’avenir, comment éviter que le cocktail mortifère se recompose encore et toujours, plus acide, plus détonnant ?
(* article sponsorisé par l’Association universelle des praticiens de la psychiatrie clinique S.A)

* 6 février – Le droit a la dent dure. Coïncidence : plusieurs faits d’actualité viennent rappeler que, même en période de pandémie, les traités peuvent exercer leurs effets de façon inattendue. La principale ‘’surprise’’ tient à la décision, sans préavis, des procureurs de la Cour Pénale Internationale (CPI) de La Haye. Les territoires que les Nations Unies qualifient d’ ‘’occupés’’ par Israël tombent sous le juridiction de la Cour. Donc, les crimes de guerre ou crimes contre l’humanité qui y sont commis peuvent être instruits et jugés par celle-ci. On se doutait bien, à la Haye, que ceci ferait enrager M. Netanyahou. Peu de doute cependant sur le fait que les Etats-Unis – qui comme l’Etat Hébreu refusent la compétence de la CPI – feraient barrage à cette décision. Il n’empêche qu’à l’occasion de sa présence en Europe ou en Australie, etc., un Israélien (ou un Palestinien) suspecté pour des faits commis en Cisjordanie, à Gaza ou Jérusalem-Est pourrait être retenu pour enquête. D’ailleurs la seule infamie d’une suspicion de crime de masse peut être dévastatrice au plan politique, sans même avoir à déférer devant le juge. La CPI confirme qu’elle est bien un formidable instrument au service d’un comportement civilisé des puissants du monde. C’est aussi un mécanisme de sauvegarde des valeurs les plus sacrées du droit. Une question, toutefois : ‘’pourquoi ne pas étendre le mécanisme à tous les territoires occupés reconnus comme tels : le Donbass et la Crimée, l’Abkhazie géorgienne, Chypre-Nord, la zone kurde de Syrie, les enclaves du Ladakh, les îlots de Mer de Chine du Sud, etc.


L’immunité diplomatique est souvent perçue comme un gadget désuet du monde ancien. Elle vaut surtout comme règle de réciprocité, qui contraint à un minimum de relation pacifique les Etats intéressés à participer au ‘‘grand jeu’’ géopolitique, mais en même temps tentés d’éliminer leurs concurrents de l’échiquier. Reste alors la négociation entre protagonistes protégés par un statut égal. Téhéran invoque cette immunité au bénéfice d’un de ses conseillers d’ambassade à Vienne, poseur de bombes, qui préparait en 2008 un attentat, à Villepinte, contre un rassemblement d’opposition iranien (avec de nombreux invités non-iraniens). Avec sa bande, il a été jugé et condamné par un tribunal d’Anvers. L’immunité comme argument d’impunité constitue un déni violent du droit, une tentative de légitimation juridique du terrorisme particulièrement malhonnête. On en avait fait l’expérience à Paris lorsqu’un diplomate irakien avait froidement assassiné un policier français pour se réclamer immédiatement d’un privilège d’impunité. L’impunité est une notion d’anarchie ou de gangstérisme pur et dur. La CPI devrait le rappeler régulièrement. Elle le fait sans doute. Selon la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques de 1961, qui régit ce statut, la responsabilité individuelle d’un diplomate commence à un niveau très bas : propos sur la voie publique, respect de son bail de locatif, conformité à la réglementation sociale et sanitaire, obéissance au code de la route (dont le stationnement). C’est la norme, en tout cas, lorsqu’il s’agit du représentant d’un Etat décent et civilisé. Tous ne répondent pas à cette définition, bien que tous entretiennent des diplomates à l’étranger. Endosser le métier ne rend aucunement solidaire d’autres étrangers qui le portent en mafieux et se comportent mal, au contraire !

Quant aux trois diplomates européens basés à Moscou, soudainement expulsés par le gouvernement Poutine, leur intérêt pour le sort du pauvre Alexeï Navalny – parfaitement conforme à leur mission – n’est pas la cause directe de leurs déboires. Comme tous représentants de démocraties dans une autocratie sans état de droit, ils savaient bien que lorsque le climat politique russe tournerait à l’aigre, on s’en prendrait à eux. Ils y étaient préparés et, dans une certaine mesure, l’acceptaient à l’avance. Ils servent en fait de marqueur météo : le pouvoir russe voulait faire savoir que son humeur tournait à l’orage (le syndrome de l’Ours grognon). Il vaut mieux ça qu’un lancer de missile balistique, après tout.

* 5 février – ‘’L’Affaire du siècle ». Le qualificatif paraît pompeux, mais il s’agit d’un pas symbolique qui pourrait faire bouger les données du problème. Le tribunal administratif de Paris vient d’incriminer l’État français d’inaction climatique. Ce sont des décennies de double langage et de négligence qui ont été jugées et cette condamnation morale comporte au moins deux dimensions : une critique systémique sur l’incapacité des institutions politiques à tenir leurs engagements et aussi une valeur de précédent à l’international. Ce n’est pas un cas unique de ‘’judiciarisation de l’urgence climatique’’, mais les ONG saluent cette victoire pour le moins inattendue « dans un pays de hiérarchie verticale comme la France. Le tribunal accorde un délai de deux mois au Gouvernement pour qu’il accorde ses actes à ses propres décisions politiques. Hormis ce devoir de suivi opérationnel, il ne pourra pas dicter ses propres exigences, du fait de la séparation des pouvoirs.


Ce jugement n’en est pas moins révolutionnaire. D’abord, il rompt avec une forme de respect complaisant de la justice administrative à l’égard du ‘’Dieu-Etat’’. Il adopte un type de délibéré qui évoquerait plutôt la justice (indépendante) du Siège. Il vient sanctionner tout ce que n’a pas été fait, notamment sous Emmanuel Macron. Surtout, il place l’Etat et la société civile, représentée par cinq ONG, sur un strict plan d’égalité. Enfin, il laisse entrevoir une possible extension d’une telle démarche judiciaire à d’autres domaines de la gouvernance : les libertés, les droits sociaux opposables, la sécurité, l’asile, etc. tous domaines où les actes et leurs résultats ne se conforment pas toujours à la parole publique. Le double langage est une forme de médiocrité très pratiquée en politique, où la ‘’com’’ est trop généralement perçue comme dispensant des actes, l’effet de court terme visé comme plus ‘’payant’’ électoralement que la mobilisation de moyens et la détermination, dans la durée. Ainsi, parmi 165 Etats étudiés, le Financial Times place cette année la France dans la catégorie ‘’démocraties déficientes’’, une dégradation forte sur un an, qui repousse la Patrie des Lumières dans se sombres ténèbres fort loin de la Norvège (° 1). Le pire est que les citoyens s’accoutument et se soumettent à la ligne de fracture entre le boniment et l’action concrète, sans trop s’offusquer de cette forme de duplicité, voire de tromperie, dans le (dys)fonctionnement de la démocratie. Tout cela serait ‘’dans l’ordre des choses’’, suppose-t-on. Car la question touche aussi à la psychologie citoyenne : un gouvernement qui promettrait peu mais tiendrait parole aurait-il sa chance, dans une élection, face à des concurrents mythomanes, qui savent enjôler les imaginations ? Il y a une décennie, la réponse aurait été non. Aujourd’hui : plutôt oui, c’est à craindre.


Le gouvernement a jusqu’au 19 février pour lui fournir les preuves de la réalité de son action contre le réchauffement climatique. Un second ‘’round’’ se jouera en appel, lors de la prochaine audition du Conseil d’État, laquelle conditionnera le jugement définitif du tribunal administratif de Paris. Le Conseil d’État dira alors s’il valide les réponses apportées par le gouvernement ou si, au contraire, il ordonne à celui-ci de revoir la mise en œuvre de ses politiques bâclées ou oubliées. Les associations ont eu l’intelligence de fixer à un €uro symbolique la réparation du préjudice. Comme prix fixé à la sincérité de la lutte climatique et à la démocratie, ce simple €uro pourrait changer la face du Pays et au-delà.


* 04 janvier – L’Europe à la matraque. Quand les frontières se ferment, singulièrement celles de l’Europe, est-il encore besoin d’y poster une police anti-immigration ? Depuis sa création, en 2004, l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes – Frontex – n’a cessé de durcir son action, sans justification légale pour ce faire. Forte d’un effectif tendant vers 10 000 hommes et d’un budget pluriannuel de 5,6 milliards, Frontex a progressivement cessé d’apporter secours aux groupes humains en danger, sur terre comme sur mer, et elle se consacre surtout à refouler les nouveaux arrivants, en tous cas plus qu’à organiser leur accueil et à les canaliser vers des procédures d’asile ou de séjour. Cette implication dans la pratique du ‘’pushback’’, en violation de la convention de Genève sur les réfugiés de 1951, est tout simplement dénuée d’un minimum décent de comportement humaniste. Les faits émergent peu à peu comme un scandale communautaire, les refoulements illégaux entachant l’image des institutions européennes au point de créer un malaise. De plusieurs enquêtes, diligentées par l’Office de lutte antifraude de l’Union et par la Commission, ressort la mise en cause d’un mode de fonctionnement assez chaotique incarné par son directeur, Fabrice Leggeri. L’Agence s’en voit contrainte à arrêter ses opérations en Hongrie, pour sa collusion avec la police hongroise. Ses agents contrevenaient au droit européen en commettant des ‘’bavures euro-policières’’, en quelque sorte.

La Cour de justice de l’Union européenne a d’ailleurs condamné Budapest sous ce chef d’accusation, le17 décembre 2020, pour 50 000 refoulements opérés vers la Serbie, depuis 2016. La Commissaire aux affaires intérieures, Ylva Johansson, s’attelle, en conséquence, à un projet de réforme incluant la nomination de trois sous-directeurs et la création d’un système de surveillance des droits humains. Aux Nations Unies, l’UNHCR a évoqué, le 28 janvier, ‘’un droit d’asile menacé en Europe’’, sur la base des nombreux rapports lui parvenant, établissant des violences aux frontières de l’Union. Outre la Hongrie, la Grèce, la Croatie, l’Italie ou la Slovénie sont également mises en cause pour s’être livrées à des opérations de ‘’pushback’’ sur des milliers de personnes. Au-delà du cas posé par Frontex, on attend encore la définition d’un pacte migratoire européen comportant la refonte des règles de l’asile et l’instauration d’une solidarité respectée entre Etats-membres. La négociation bloque, malgré l’utilisation d’un simulateur censé aider chaque Etat à déterminer le niveau qui lui serait raisonnablement imputable dans la répartition du flux des réfugiés. Le fait est que le facteur de blocage est principalement d’ordre idéologique, identitaire et souverainiste, notamment dans l’Est européen. Que peuvent gagner ces pays, à long terme, à s’enferrer dans un déni du monde tel qu’il est ?

* 03 février. Le marché persan. L’arrivée de Joe Biden aux affaires modifie la donne de la prolifération au Moyen-Orient. Va-t-on sortir de la partie folle au bord du gouffre jouée par la précédente administration face à l’Iran ? Le risque de guerre n’est pas encore dissipé, mais comme  une envie de dialogue se manifeste après quatre ans. Washington attend un signal de Téhéran,  – c’est bien le moins – qui manifesterait au moins une intention de retour aux disciplines nucléaires de l’accord à six, signé en juillet 2015 et dénoncé par D. Trump trois ans plus tard. Cette approche prudente se justifie par la dureté offensive des ayatollahs sur le sujet, autant que par l’ampleur des transgressions accumulées par l’industrie nucléaire iranienne depuis 2018. De plus, faute de droits civiques, le public iranien s’accroche à un credo nationaliste basique : l’Iran est entouré de voisins en guerre et en bute à l’hostilité de l’Amérique, d’Israël et du monde arabe. Accéder à l’arme nucléaire, dans de telles conditions, apparait comme de la légitime défense. La Corée du Nord y est d’ailleurs, parvenue.

Après une phase initiale de contact sur le thème ‘’après vous… vous, d’abord’’, Téhéran entrouvre la porte à une approche synchronisée avec les Etats-Unis visant à rétablir l’accord de 2015. Son ministre des affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, avance l’idée que l’Union européenne pourrait ‘’chorégraphier’’ les pas à amorcer de part et d’autre pour parvenir à ce but. Cet appel du pied à une médiation européenne est à la fois une opportunité immense pour l’UE de se remettre en selle dans la région et une responsabilité écrasante, compte tenu de la hauteur des enjeux (paix ou guerre nucléaire risquant de dégénérer sur une très grande échelle) et de l’état actuel, plutôt frileux et étriqué de la diplomatie des 27 dans les contextes Covid et post-Brexit. Un échec possible de cette médiation serait accablant pour l’Europe. Mais, il est vrai qu’elle se trouve à mi-distance des acteurs principaux du conflit, que ceux-ci jouent plus gros qu’elle et que son devoir est tout simplement là.

*02 février – Vodka dans le gaz. En chantier sous la mer Baltique, le gazoduc Nord Stream 2 reliera sur 1200 km la Russie à l’Allemagne. L’ouvrage, d’un coût de 12 milliards d’euros, est en phase finale de réalisation. Gazprom en a financé la moitié, complétée par cinq entreprises européennes, dont Engie. Selon les plans, Nord Stream 2 devrait entrer en service en 2022, échéance à laquelle il doublera les capacités de Nord Stream 1, déjà en opération. Ses 55 milliards de mètres cubes de débit pèseront lourd dans l’avenir énergétique de l’Europe. Autant dire qu’à l’heure où beaucoup s’interrogent sur la pertinence d’investissements géants dans l’énergie fossile, il constitue, pour Moscou, un levier majeur pour consolider son emprise énergétique sur le Nord de l’Europe occidentale.


Par rapport à cet état des lieux gênant, comment situer les réactions qu’ont provoquées l’empoisonnement au Novitchok de l’opposant russe Alexeï Navalny, son arrestation au retour dans son pays, la répression aveugle à laquelle se trouvent confrontés, dans plus de cent villes russes, des dizaines de milliers de manifestants courageux et pacifiques, protestant sous le mot d’ordre légitime de l’anticorruption ? Doit-on renoncer à ce coûteux projet déjà réalisé à 90 % et perdre l’investissement qu’on y a mis ? Devrait-on, d’ailleurs, s’abonner éternellement au gaz naturel russe, voire au gaz tout court quelle que soit sa source ? Doit-on inverser le levier de contrainte et mettre en difficulté l’industrie = et la politique = de la Russie ? Devrait-on alors politiser les fourniture de matières premières, au risque de déclencher une guerre de blocus et toute une série de représailles ? Un abandon de ce projet aurait en effet de graves conséquences pour Moscou, dont l’économie dépend fortement de ses exportations de gaz.

Les questions se précipitent au sein de l’Union européenne, mettant en jeu des intérêts de natures différentes.
Car la pression monte et plusieurs Etats-membres demandent désormais l’abandon du projet, surtout ceux d’Europe de l’est, qui redoutent cette emprise russe sur la Baltique… et sur Berlin. Bien avant l’affaire Navalny, les États-Unis et une partie des Européens se méfiaient déjà d’une dépendance croissante vis-à-vis du gaz russe. Le Parlement européen a ainsi voté l’arrêt du chantier, sans détenir de pouvoir de décision en la matière. L’Allemagne se trouve au cœur des transactions privées pour la réalisation de Nord Stream 2, car il y va de son approvisionnement stratégique, à un niveau qui crée réellement une dépendance. Elle aurait les pires difficultés à se dégager de ses obligations contractuelles et à se tourner vers d’autres sources. Par la voie de sa diplomatie, Paris l’y incite néanmoins, créant les conditions d’une controverse au sein de l’UE. Il n‘aurait sans doute pas fallu laisser Engie s’aventurer dans ce guêpier mais investir plutôt dans le développement d’énergies nouvelles. On aurait pu aussi anticiper le vieillissement agressif et rigide du régime Poutine. Si l’insouciance et les bénéfices (et aussi l’influence personnelle d’un ex-chancelier allemand) ont acté ces mauvais choix stratégiques, il est temps pour l’Europe de trouver un message commun adapté aux peines endurées par les Russes – mais aussi par les Biélorusses – en évitant l’affrontement imbécile autant que ‘’la paix pour le gaz’’. De nouveaux accords de Helsinki ?

* 01 février – Méchante jungle exotique. Le monde sans foi ni loi du Covid ne cesse de nous abreuver d’évènements tordus. En Birmanie, la nuit a vu s’abattre un black out des télécoms sur Rangoun et Naypyidaw (la nouvelle capitale, isolée de tout) : les forces armées, championnes du monde de la dictature militaire sur quatre décennies, (re)saisissaient le pouvoir, pouvoir qu’en fait elles n’avaient jamais totalement abandonné aux civils. Leur putsch est devenu clair, lorsqu’a été arrêtée Aung San Suu Kyi, la cheffe de facto du gouvernement birman. Celle-ci retourne brutalement à sa triste et historique condition initiale, celle de grande résistante passive de la Nation. Selon la direction de son parti, la Ligue nationale pour la démocratie (LND), la prix Nobel 1991 de la Paix exhorte la population à ne pas accepter le coup d’État. Mais que faire face aux détenteurs de la force ? L’enlèvement et la mise en détention du gouverneur de Rangoun, de leaders d’opinion, d’artistes et de nombreux responsables politiques de zones de minorités ethniques accrédite l’identité de l’ennemi des généraux : les citoyens qui pensent et qui créent.

Dans la foulée, le commandant en chef de l’armée de terre a décrété l’état d’urgence, pour une durée d’un an, afin de ‘’préserver la stabilité de l’État’’. A l’échéance, se tiendraient , dit-il, de nouvelles élections générales ‘’ libres et équitables’’. Le général Min Aung Hlaing s’énervait depuis quelque temps, menaçant même de ‘’révoquer’’ la constitution du pays. C’est tout dire. En fait, les militaires ont perdu les législatives de novembre, remportées très largement par le parti d’Aung San Suu Kyi. Ils accusent, à rebours, la commission électorale d’avoir laissé passer des irrégularités. ‘’Nous mettrons en place une véritable démocratie multipartite’’, proclame un communiqué des prétoriens sur leurs pages Facebook. Venant de la narco-mafia qu’est Tatmadaw (la junte birmane), uniquement apte à confisquer la démocratie et légèrement fascisante, qui plus est – les Rohingyas expulsés au Bangladesh ne le démentiront pas – ce programme apparait comme un monument de tartuferie. L’allusion au corona virus comme facteur justificatif est bien conforme à l‘opportunisme des autocraties. Mais pour le malheur de la junte, dénoncer la dictature en Birmanie ne pose pas autant de problèmes de conscience aux Etats occidentaux que de mettre sur le sellette, par exemple, les dirigeants de la Chine (le meilleur soutien de la jute birmane, par ailleurs). Beaucoup remercieront le général Min de leur offrir une bonne conscience sur un plateau d’argent.

* 30 janvier – Sables mouvants libyens. La nouvelle administration démocrate de Joe Biden demande à la Turquie et à la Russie de retirer leurs forces de Libye : militaires comme mercenaires ‘’ recrutés, financés, déployés et soutenus » par ces pays. Il s’agit de sauvegarder l’accord de cessez-le-feu conclu entre belligérants, le 23 octobre. Aux termes de ce texte, les troupes étrangères et mercenaires devaient avoir quitté la Libye sous trois mois. Or, l’échéance du 23 janvier, est passée sans aucune amorce de désengagement et les mercenaires occupent toujours la Libye. Aux Nations Unies, l’ambassadeur américain par intérim, Richard Mills, a enjoint ces deux puissances régionales ainsi que les Emirats Arabes Unis, de respecter la souveraineté libyenne et de cesser immédiatement toute intervention armée. Il sera intéressant d’observer, en particulier, comment réagira le dictateur turc, Erdogan à ce rappel à la loi. L’Egypte n’était pas loin non plus d’intervenir du côté de Khalifa Haftar. Comme l’Europe, les Etats Unis vont encaisser des coups à s’engager sur ce dossier piégé. Vont-ils faire montre d’autorité, là où le vieux monde s’est empêtré ?


La mise en garde américaine est claire et elle dissipe le flou qui entourait la politique américaine sur la Libye. Celle-ci était généralement perçue comme traduisant la volonté de désengagement de Washington de la région. D. Trump s’était égaré, un temps, à soutenir le seigneur de la guerre de Benghazi, aux dépens du Gouvernement d’union nationale (GNA) de Fayez El-Sarraj, il est vrai légèrement islamiste. Puis, le plan américain était devenu indécryptable, inexistant. En décembre, les Nations unies estimaient à 20.000 environ le nombre de mercenaires et militaires étrangers déployés sur le territoire libyen, au sein de dix bases d’opération majeures.
K. Haftar est soutenu par les Emirats Arabes Unis, l’Egypte et la Russie (dont le groupe ‘’privé’’ Wagner), alors que le GNA est appuyé militairement par la Turquie et des rebelles syriens transférés de Syrie. Haftar a été longtemps l’interlocuteur préféré de la France, mais ce fait s’est totalement effacé des esprits, tout comme l’origine de la guerre de 2011, livrée à Kadhafi, sans mandat pour se faire. Passons. Après en avoir quelque peu malmené la symétrie, Paris demande désormais un strict respect de l’embargo onusien sur les armes imposé aux belligérants depuis 2011. Ankara déploie des drones en vertu d’un accord militaire signé avec le GNA, que le Parlement turc a prolongé le 22 décembre pour 18 mois. Cet embargo continue d’être violé au quotidien, avec des vols d’avions-cargos au profit des deux camps. Mais, malgré tout, le cessez-le-feu tient encore, d’après l’émissaire par intérim de l’ONU, Stéphanie Williams. Sous son égide, des pourparlers entre parties libyennes devraient reprendre à Genève, dans les prochains jours. Les frères ennemis envisageraient de tenir des élections le 24 décembre, avec l’aide de l’Organisation mondiale. Il est grand temps de laisser les Libyens ouvrir une porte de sortie de cette guerre civile fortement  »internationalisée ».

* 29 janvier – Le monde dans une seringue. Les Nations Unies, avec le programme Covax, l’Europe des 27 aussi, n’ont produit que des velléités de solidarité sanitaire. Mais, fi du multilatéralisme, l’heure est à marquer des points en poussant des intérêts égoïstes. L’avenir de la population, de l’économie, des élections : ces enjeux positionnent les nations en concurrentes, face au virus. Alors que la menace est globale et indivisible, la difficulté à percevoir un salut commun ravive les réflexes de chacun pour soi. La course aux vaccins illustre tristement ce cloisonnement du monde. Au jeu de la mise sur le marché et de la production de masse, les États-Unis (vaccins Pfizer et Moderna), le Royaume-Uni (vaccin AstraZeneca), la Chine (vaccins Sinopharm et Sinovac) et la Russie (vaccin Spoutnik-V) sont gagnants. Après avoir calculé large, lors de son appel à fournisseurs, l’Union européenne vit douloureusement sa pénurie de vaccins, liée aux aléas de la production… ou de la distribution. Tous les producteurs approchés ont fait défaut, partiellement ou totalement. De plus, la transparence et la philanthropie ne sont pas les qualités premières des laboratoires pharmaceutiques. l’UE cherche alors des fautifs : on esquive la vérité, on règle publiquement des comptes pour parer à tout soupçon. La propagation plus rapide des variants du Covid, dont les mutations vont forcément se multiplier, accroît le stress chez les décideurs et l’angoisse chez les gens.

Pour ce qui est de vacciner les populations, Israël détient le pompon, avec un tiers déjà immunisé. Au Royaume-Uni, Boris Johnson mise sur la disponibilité des doses pour démontrer que, grâce au Brexit, le Royaume-Uni protège mieux la population que ses homologues continentaux. Ces derniers ont usé la patience et la résignation des populations et cherchent des repoussoirs dans les erreurs des voisins. Leur rapidité à délivrer le vaccin dictera largement leurs chances de réélection , au risque de négliger les libertés et les autres formes de détresse humaine. Comment agir alors ‘’par-delà les frontières’’ ? Au contraire, on se claquemure à l’intérieur de celles-ci.

La géopolitique vaccinale a redessiné les blocs que l’on croyait disparus. Les Etats occidentaux ont acheté 90 % des doses des deux vaccins américains et sont fermés au reste du monde. Cela crée une rancune bien compréhensible dans les pays du Sud. Dans l’autre camp et face à ce repli égoïste, la Russie et, plus encore, la Chine gagnent en termes de sphère d’influence et de parts de marché, en proposant des solutions adaptées au monde émergent.  »Un parfum de Guerre froide’’, dira-t-on. Mobilisons vite la médecine de la Paix !

* 28 janvier – Etat comptable, sans état d’âme. Afin de « réexaminer » la décision prise sous la présidence Trump, l‘administration Biden suspend certaines ventes de munitions de précision à l’Arabie saoudite et celles de chasseurs F-35 aux Emirats arabes unis. Le département d’Etat américain précise qu’il s’agit de s’assurer que ces ventes d’armement répondent aux objectifs stratégiques du Gouvernement. Présentée comme une mesure de routine administrative, cette décision représente en fait un tournant politique spectaculaire. Ces contrats ‘’récompensaient’’, en effet, la reconnaissance par Abu Dhabi de l’Etat d’Israël et le rapprochement amorcé entre Riyad et Jérusalem.
Prôné de longue date par le Parti démocrate, le tournant n’en est pas moins spectaculaire dans sa signification stratégique. Les deux capitales du Golfe, jusqu’alors très étroitement alliées aux Etats-Unis (et à la France), se voient publiquement désavouées dans leur façon de mener l’expédition militaire au Yémen, face aux rebelles Houtis (chiites). La prolongation du conflit depuis plus de cinq ans, dans des conditions effroyables, entache la légitimité des soutiens occidentaux et mobilise les opinions publiques, indignées par ce scandale. A son arrivée aux affaires, le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, s’était prononcé pour « mettre fin » au soutien américain. Joe Biden s’engage donc dans un réexamen stratégique couvrant aussi les politiques étrangère et industrielle (quel revers cinglant pour le lobby militaro-industriel !). Recherche-t-il une levée de l’assujettissement des Etats Unis à une cause qui n’est pas la leur (l’hégémonie sunnite), ou une mise en garde à de ‘’bons clients’’ un peu trop associés, à divers niveaux, à la menace de l’islamisme prosélyte, ou encore un signal positif de basse intensité à destination de l’Iran, dans le but d’amorcer un dialogue ? On pourrait tout aussi bien y voir un sursaut de conscience face au drame humanitaire que vivent les Yéménites, à fortiori quand il résulte de la volonté de princes adeptes du gouvernement par l’assassinat.

Dans tous les cas, ce geste courageux fait ressortir la position rigide et opportuniste de la France qui, dans ce drame du Moyen Orient, ne cherche qu’à tirer des profits pour son industrie d’armement nationale, surtout lorsque l’Amérique se désengage. Ce volet mis à part, ses intérêts stratégiques sont strictement les mêmes que ceux mis en avant par la nouvelle administration de Washington. Dans la vieille monarchie républicaine, le seul fait de manifester une sensibilité sur un contrat export sulfureux vous range au nombre des ‘’séparatistes’’, fauteurs de désindustrialisation et de chômage de masse. Autant fermer le Quai d’Orsay.

* 27 janvier – Oui à l’équilibre stratégique ; non aux coups bas. Joe Biden n’a pas perdu de temps pour évoquer avec Vladimir Poutine les sujets qui fâchent. Dans le sillage de sa mise au point avec la Chine (cf. brève d’hier), il engage un dialogue avec Vladimir Poutine, mi-critique, mi-coopératif. Il s’agit de sortir de la ‘’non-stratégie’’ russe de son prédécesseur, faite d’ambiguïté langagière et de passivité, presque complaisante, dans l’action. Le nouveau président clarifie la donne : les sujets d’équilibre stratégique n’attendent pas, notamment ceux touchant aux armes nucléaires et à la prolifération. Au téléphone, les deux dirigeants ont ainsi fait état d’un « accord de principe » entre eux sur deux dossiers sensibles.

Ils convergent tout d’abord sur la volonté de renouveler pour cinq ans l’accord New Start (Strategic Arms Reduction Treaty) qui expirera le 5 février. Il s’agit d’une urgence absolue. Ce Traité de 2020 est le pilier de l’équilibre intercontinental. Il limite à 700 le nombre de lanceurs stratégiques déployés et à 1 550 celui des ogives nucléaires dont ils sont équipés. S’y ajoute un protocole d’inspection et de vérification. L’accord de principe conclu au téléphone donnera lieu sous peu à formalisation par la voie diplomatique. C’est une heureuse nouvelle pour le monde.

-Même volonté d’apaisement de la part de Joe Biden, relativement à l’accord international de 2015 sur le nucléaire iranien. Washington souhaite le réintégrer et fermer la parenthèse ouverte par Trump en 2018, mais en évitant de concéder unilatéralement. Poutine protège, du moins en apparence, l’intransigeance du régime des mollahs et invite son interlocuteur à lever ses sanctions, sans condition ni contrepartie (ce que le Congrès n‘accepterait pas). Faire preuve de souplesse mais pas de naïveté et garder la face : la Russie ne jouera pas les bons intermédiaires sans quelque forme de rétribution.

En matière de coopération diplomatique, secteur où la relation passée s’apparentait à un jeu de dupes, J. Biden tient à se montrer ferme. Concernant l’Ukraine, il réaffirme un ‘’ferme soutien à la souveraineté de Kiev, face à l’agression persistante de la Russie ». Il dénonce aussi l’empoisonnement puis l’arrestation d’Alexeï Navalny et, de même les cyberattaques – attribuées aux trolls russes – sur les institutions d’Etat de Washington Il évoque aussi certaines informations comme quoi la Russie aurait payé des « primes » à des Talibans pour tuer des soldats américains en Afghanistan. La maison Blanche se fend, au passage, d’une mention de la protection des intérêts de ses alliés contre les mauvais coups de la Russie. Décidemment, les tergiversations rageuses de l’époque Trump ne sont plus de saison. America seems to be back…

* 26 janvier – Passe d’armes sino-américaine. Trois minutes après la prestation de serment de Joe Biden, Pékin a imposé des sanctions contre 28 responsables de l’ex-administration Trump. La charrette inclut l’ancien Secrétaire d’Etat Mike Pompeo et décline tout le gotha des cadres Républicains ayant traité de la relation avec la Chine. Par ailleurs, ’’les entreprises et les institutions auxquelles [les coupables] sont associés seront interdites de relations commerciales avec la Chine’’. Punir d’anciens officiels ayant quitté leurs fonctions, ceci au motif qu’ils ont ‘’sérieusement violé la souveraineté de la Chine ces dernières années » revient à s’arroger un droit de censure à rebours, bien différent du droit à réagir, sur le coup, dont a légitimement usé l’Empire. Voilà un rajout non-sollicité au procès en destitution du milliardaire à la houppe orange, qui s’ouvrira le mois prochain. Les maîtres de la Cité interdite se placent virtuellement à égalité d’autorité avec le Congrès américain pour juger du passé. En décembre 2020, l’administration Trump avait, certes, interdit l’accès du territoire américain à quatorze responsables chinois impliqués dans la répression à Hongkong, mais le gouvernement chinois ne s’était pas particulièrement défoulé sur le coup. La vengeance est un plat qui se mange froid. Les nouveaux dirigeants démocrates ont évidemment déchiffré cette sentence impériale comme étant à eux destinée : une mise en garde condescendante relative à leur politique chinoise, qu’ils devront entourer de toutes les précautions nécessaires pour ne pas heurter la RPC. Pas d’état de grâce, ni de préjugé favorable au départ, donc. La nouvelle porte-parole du Conseil de sécurité nationale n’a pas manqué de réfuter fermement l’avertissement céleste, qualifié de ‘’non-productif et cynique’’.


Un autre  »défi chinois’’ attend Washington. C’est l’accord politique sino-européen sur les investissements, signé par la Commission européenne le 30 décembre 2020 et publié le 22 janvier. Il paraît à beaucoup ‘’léger’’, voire ‘’cosmétique’’, sur les droits humains, un sujet qui tient plus à cœur aux démocrates américains. Les informations sur la réduction en esclavage des Ouighours ont entretemps suscité le malaise. Bruxelles et les 27 gouvernements européens, qui ont donné la priorité à l’économie sans s’assurer de contreparties sur l’état de droit et la réciprocité des concessions, se retrouvent sur la défensive, face au Parlement de Strasbourg et à l’allié américain.
Il paraît à beaucoup de dirigeants occidentaux ‘’problématique’’ de toucher aux cordes sensibles de la Chine. La deuxième puissance économique mondiale (et future première) se positionne comme sauveteur de l’économie mondiale, dans cette terrible période de récession. Elle est, de fait, la seule qui soit encore fonctionnelle, un motif d’espoir et de respect. L’activisme chinois en matière de libre échange engrange succès après succès : quatorze pays de la région Asie-Pacifique ont signé à l’initiative de Pékin, un Partenariat régional économique global (RCEP), en novembre. Un mois plus tard c’était l’accord d’investissement avec l’UE. Les nouvelles routes de la soie prennent forme et l’OMC a été mise totalement hors-jeu. 2021 verra la vague s’amplifier, tandis que l’administration américaine restera empêtrée dans le Covid et l’apaisement des affrontements civils.  »Nous devons construire un socialisme qui est supérieur au capitalisme, et poser les bases d’un avenir où nous gagnerons la position dominante’’, tel est le maître-mot de Xi Jinping, un plan clairement hégémonique et pas si mégalomane que ça. Cette position de souverain de la communauté mondiale, visée à l’horizon de 2049 (centenaire de la Révolution) implique une nouvelle hiérarchie planétaire, marginalisant les Etats-Unis et leurs alliés européens, japonais, australiens, etc. Pourquoi donc offrir des concessions – dangereuses pour la stabilité interne chinoise -, à ceux dont on prépare le repli et l’effacement ? “

*25 janvier – Bunkerisation. Comme ses voisines, la France se referme, dans la crainte de la 3ème vague pandémique, celle qu’attisent les variants plus pathogènes du Covid. Ceci est sanitairement compréhensible, du moins sur la durée strictement nécessaire. Dans l’ambiance d’appréhension pour soi-même, il n’est donc pas étonnant que l’attention du public se détourne des questions migratoires. Au même moment, le nombre des personnes déplacées des conflits dans le monde tend vers 100 millions (et ne parlons pas des réfugiés climatiques !) et une pandémie de misère et de précarité s’ajoute à la confusion globale. Elle accroît la détresse des exilés parvenant en Europe ou déjà condamnés à y errer dans la clandestinité. Mais comment s’est soldée en France la première année de la pandémie, lorsque l’Europe n‘était pas encore hermétiquement close ? Cédons la parole à la Cimade, sur la base des statistiques de 2020 du Ministère de l’Intérieur français. Derrière le bilan officiel, l’ONG protectrice des populations déracinées constate la poursuite d’une politique migratoire restrictive et implicitement déshumanisée, dans le sens du o-respect des droits humains fondamentaux :
‘’Si les baisses spectaculaires(des migrations et demandes d’asile) s’expliquent en grande partie par la crise sanitaire, les atteintes aux droits des personnes étrangères sont quant à elles imputables à la poursuite d’une politique migratoire restrictive. Les exemples de violations manifestes des droits constatées par nos équipes en 2020 ne manquent pas :

Ainsi, le nombre de visas délivrés est passé de 3,5 millions à 712 000 (soit moins 79,7%), le nombre de premiers titres de séjour de 277 406 à 220 535 (soit une baisse de 20,5%) et le nombre de demandes d’asile enregistrées de 143 000 à 93 000 (soit une chute de 35%). Derrière ces chiffres, La Cimade a constaté la persistance, et parfois l’aggravation, des violations des droits fondamentaux des personnes étrangères en 2020, en métropole comme en Outre-mer.  Pour lever le voile sur la réelle situation vécue par les personnes migrantes et réfugiées en 2020, elle a publié, dans un communiqué de presse, ses observations, fruit de travaux d’accompagnement des personnes étrangères sur le terrain, de collecte d’informations et de plaidoyer réalisés par nos équipes.
• Aux frontières, les violations des droits se sont poursuivies tout au long de l’année. Les privations de liberté ont continué dans des conditions indignes. Et les autorités françaises ont aussi continué à refouler des personnes, notamment vers l’Italie, même lorsque ce pays était l’un des épicentres de la pandémie;
• La fermeture complète des préfectures puis leur réouverture partielle, associée à la difficulté pour obtenir un rendez-vous sur internet et à l’obligation de déposer des demandes de façon dématérialisée, a conduit à cette chute du nombre de titres de séjour délivrés. Malgré les très fortes mobilisations pour demander une large régularisation, le gouvernement est resté sourd à ces revendications; 
• En Outre-mer, en raison d’un dispositif d’accueil des personnes demandant l’asile totalement défaillant, des centaines de personnes vivent actuellement dans des campements;
• Les centres de rétention ont été maintenus ouverts et les personnes enfermées n’ont pas été libérées. Les conditions sanitaires n’y étaient pourtant pas assurées et plusieurs clusters y ont été décelés tout au long de l’année. 
Ces observations ont malheureusement toujours cours au moment où vous lisez ce message ».

-Le blog de l’Ours Géo ajoute : Prévoit-on de vacciner nos SDF dont plus d’un quart sont des étrangers à la rue, ne maîtrisant pas ou mal notre langue et coupés de tout environnement sanitaire ? En continuant à enfermer ces personnes dans des centres de rétention hygiéniquement malsains, veut on = sciemment = les exposer au Covid ? Conçus pour quelques jours de transit ces lieux dénués d’infrastructures de séjour sont devenus des clusters. On y croupit désormais misérablement faute de pouvoir expulser qui que ce soit où que ce soit. La France ne vaut elle pas mieux que ça ?

* 22 janvier – Selon qui vous précède je saurai qui vous sourit. Joe Biden entre en scène en président ‘’normal’’ et même ‘’réparateur’’. On lui fait donc bon accueil, à l’exception de ceux pour qui l’Amérique restera de toute façon l’ennemi nécessaire. Figure politique familière pour ses concitoyens, perçu comme prévisible et rassurant par le monde extérieur, il est aussi porteur d’un message moral sur le traumatisme vécu par son pays. ‘’Papy Joe’’ fait un peu penser à notre regretté Stéphane Hessel. Mais on ne discerne pas encore si ce personnage aimable incarnera une vision traditionnelle du pouvoir, modérée et pateline, ou un puissant renouveau politique. A l’échelle internationale, la prestation de serment de l’ancien vice-président et sénateur du Delaware suscite des réactions sans surprise. Si les alliés des États-Unis, tels que l’Union européenne ou le Canada, affichent un net soulagement teinté d’enthousiasme, les rivaux de la première puissance mondiale se montrent sentencieux voire ouvertement sceptiques.

Une vague d’optimisme se lève chez les alliés traditionnels des États-Unis, qui chantent un « nouveau départ » ou une ‘’aube nouvelle’’ (Commission européenne), pour lesquels ils s’affirment disponibles. Même Boris Johnson – il y a peu encore, tancé par J. Biden pour son approche dangereuse du Brexit – s’affiche soudain « impatient de travailler » avec lui, quoi que peut-être un peu moins que son voisin irlandais, désormais épaulé par un puissant allié. En style formel et distancé, le président français limite les amabilités à l’expression de ‘’meilleurs vœux de succès’’, le minimum poli – et un peu étrange – en la circonstance. Pour Charles Michel (Conseil Européen), il est « temps de revenir aux convictions, au bon sens et de moderniser la relation » et tout aussi bien de ‘’construire ensemble un nouveau pacte fondateur ». L’OTAN entonne une partition de même facture, en saluant l’ouverture d’un ‘’nouveau chapitre de l’Alliance atlantique ». Un vrai enjeu va pouvoir être traité par le Pacte occidental avec une fenêtre d’opportunité pour bâtir un partenariat stratégique égalitaire, tout en se conformant au mode d’action extérieur de chacun. Car ils resteront différents. Comme toujours, Angela Merkel trouve les mots sobres et justes pour l’exprimer. Justin Trudeau, souvent humilié par le passé, est aux anges de voir le Canada rétabli au rang des partenaires que Washington considèrera à nouveau. La satisfaction est, de même, maximale en Amérique latine, un continent particulièrement maltraité et discriminé par le président sortant aux lourds préjugés ethniques. D’où l’accueil enthousiaste du projet ambitieux de réforme de l’immigration, qui sera bientôt soumis au Congrès, prévoyant la régularisation par étapes des quelque 11 millions de sans-papiers. De même, le soulagement des Haïtiens ou Mezzo-Américains accueillis à titre humanitaire, dont le droit au séjour va être rétabli. Certaines puissances régionales sont logiquement satisfaites d’anticiper une réémergence du précieux contrepoids américain face à leurs principaux rivaux régionaux. C’est le cas de l’Inde, confrontée à la Chine, du Japon, inquiet de l’évolution incontrôlée de son voisin nord-coréen, sans doute des pays d’Asie du Sud-Est qui comptent sur Washington, sans s’en prévaloir ouvertement, pour contenir les ambitions stratégiques de Pékin.


D’autres acteurs, plus ou moins en froid avec l’Occident, portent d’emblée un regard dur sur le nouvel arrivant. La Russie ‘’attend un travail plus constructif’’ des Etats Unis en matière de contrôle des armements stratégiques (un sujet urgent), étant entendu qu’une amélioration des relations dépendra de la « volonté politique » du nouveau président. L’Iran, jubilant du départ piteux de D. Trump, déclare que « la balle est dans le camp » de Joe Biden en ne laissant rien percer quant à l’échange de concessions à laquelle l’invitent ses nouveaux interlocuteurs américains. Son ennemi juré, l’Arabie du prince Mohammed Ben Salmane (MBS) fait patte douce tout en souhaitant tout la malédiction possible à l’impétrant, qui a dit souhaiter lever le secret (du rapport de la CIA) sur les responsabilités au plus haut niveau dans l’assassinat à Istamboul du journaliste Khashoggi. Hypocrite à son habitude, le premier ministre israélien appelle à un ‘’renforcement’’ de son alliance militaire avec Washington, qui a pourtant culminé à un point jamais vu auparavant, tandis que son adversaire palestinien tente de raccrocher comme il peut l’Autorité de son pays à un dialogue avec Washington, ‘’au nom de la paix et la stabilité dans la région et dans le monde ». Sans doute, sans grande illusion.


Les premiers pas de la nouvelle administration américaine vont être intensément observés. Deux paramètres à avoir en tête : 1 – il n’est plus possible, même pour les Etats-Unis, d’agir à l’international sans prendre pleinement en compte la scène politique interne du pays. 2 – Les évolutions de la politique extérieure de l’administration entrante seront le fait des circonstances mais aussi le fruit des affinités et des alliances scellées dès les premiers jours. Ce blog aimerait que la France se constitue, sans arrière-pensée, un capital de sympathie à la Maison Blanche. Il s’avérera précieux dans l’avenir, en particulier pour assumer sereinement nos différences.

* 21 janvier – Feu d’artifice et marche au galop. Aucun temps mort. Joe Biden, tout juste investi, s’engage dans une course folle contre l’urgence. Pandémie, crise économique, injustices raciales et sociales, il s’attaque aux dégâts les plus criants et les plus rapidement réparables du gouvernement Trump, de même qu’à la crise économique et sanitaire. Une première rafale de 17 décrets accompagne son entrée à la Maison Blanche. Le 46 ème président se fixe comme cap de rétablir l’Amérique en elle-même et la place de son pays dans le monde, ‘’permettre au pays d’avancer’’, dit-il sobrement.
C’est d’abord, reprendre le contrôle sur la pandémie laquelle vient de dépasser le total cumulé de 400 000 morts et le seuil d’un million de nouveaux cas constatés par semaine. Le masque va devenir une obligation fédérale et un sujet de coopération entre les états. Des centres de tests et de vaccination vont s’ouvrir à travers le Pays.
Ensuite, maintenir l’économie la tête hors de l’eau : dix millions d’emplois ont été perdus. Avec la coopération du congrès, Biden lance un plan de 1 900 milliards de dollars pour sortir les Etats-Unis de leur plus grave récession depuis 1929. Comme en Europe, un plan d’investissements suivra pour relancer la croissance. En attendant, des soutiens d’urgence seront distribués aux catégories sociales les plus affectées : chèques aux familles, fonds pour rouvrir les écoles, liquidités pour les petites entreprises, aide alimentaire renforcée, etc.
Sur les projets de sa diplomatie, il offre un gage immédiat dont il sait la forte valeur symbolique : la réintégration des Etats Unis dans l’accord de Paris sur le climat. Le projet alaskan d’oléoduc Keystone et les forages dans le grand Nord seront eux, bloqués, au moins pour un temps. Un tournant décisif est pris. Sur le plan du droit des étrangers aussi, un des décrets lève l’interdiction d’entrée sur le territoire ciblant les nationaux de cinq Etats à majorité musulmane et les mineurs étrangers isolés obtiendront à nouveau les ressources pour vivre et travailler sur place.


Comment rompre de façon nette avec l’héritage de Donald Trump tout en ménageant le camp adverse (qu’il ne considère pas comme tel), ulcéré et porté aux pires excès ? L’équation tient du tour d’équilibrisme, mais qui douterait que ce président ‘’bon papa’’, sensible et empathique, possède à un haut point les qualités humaines requises ? Le chemin promet cependant d’être long et semé d’embuches. Par contraste avec l’administration népotique de D.Trump, de conception dogmatique plutôt qu’experte et figée dans la figure du riche mâle blanc, Joe Biden a forgé son cabinet à l’image de l’Amérique réelle, en posant deux principes cardinaux : compétence et diversité. Sans tomber dans l’angélisme béat, cette bonne entrée en matière lui apporte un capital de réussite appréciable sinon forcément suffisant. Tous nos vœux !

* 20 janvier – Détrumpisation. Aujourd’hui, on solde les comptes du calamiteux mandat de Donald Trump. Puis Joe Biden et Kamala Harris prêteront serment et seront investis sur un fond de décors qui ressemble à l’état de guerre civile plus qu’à une célébration festive. Le peuple américain ne participera d’ailleurs pas à ce semblant de réjouissances. Il suit l’évènement derrière ses écrans et balance entre un soulagement immédiat et une incertitude lancinante quant à un retour à la normale. Plus encore que d’éventuelles scènes de violence de la part des jusqu’au-boutistes du trumpisme, plus aussi que la présence en force à Washington de 25 000 militaires de la Garde Nationale, les blocs de béton, les barrières, les barbelés, le sentiment de crise imminente tient aux ravages actuels du Covid – lequel tue chaque jour 4000 patients américains – à l’effondrement de l’économie et de l’emploi, à la cassure durable en camps retranchés de la communauté des citoyens. L’ambiance est grave, la convalescence s’annonce longue. En de telles circonstances, la seconde tentative de destitution ‘’post-mandat’’ du sortant, toute fondée qu’elle soit en termes politiques, promet une bataille juridique épique et peut-être de nouveaux affrontements. On ignore encore si le Parti Républicain renouera avec le jeu démocratique ou implosera, sous la pression de ses éléments anti-démocratie, des réseaux du type QAnon et des milices d’extrême droite.

Par contraste, le jugement des autres démocraties sur les quatre années passées tient tout entier en un mot : ‘’calamité’’. La nouvelle administration n’est pas perçue comme étant à même de ‘’réparer le monde’’ avant d’avoir pu réparer son tissu national. On attend l’équipe de Joe Biden sur le rétablissement de l’indispensable proportion de multilatéralisme et de respect du droit international, mais on hésite à parier dessus. D’autant plus que, si le problème se nomme ‘’populisme’’, il existe de la même façon en Europe et que, Covid et crise économique aidant, la dynamique de repli sur soi s’impose désormais à tous. Seulement un tiers des Européens croient encore dans les vertus de l’intégration et juste une proportion de ceux-ci se fient à la protection conférée par le partenariat atlantique. L’époque d’Obama n‘est plus. Les tourments des Etats-Unis devraient nous servir à réévaluer le fonctionnement de nos propres institutions pour réinventer, à terme, l’alliance des démocraties.

* 19 janvier – Nouveau design et vieux fourneaux. La Commission européenne lance une initiative culturelle sur l’avenir de notre environnement. A l’image de ce que fut, dans l’Allemagne du début du 20ème siècle, la célèbre école de design et d’architecture du Bauhaus, un site et un prix vont être consacrés à un « Nouveau Bauhaus européen », alliant durabilité et style. Récompenser les talents émergents, stimuler la créativité, encourager les échanges entre artistes et concepteurs européens n’est pas aussi annexe que certains esprits ‘’carrés’’ inclineront à le penser. Pour Ursula van der Leyen, le projet vise aussi à ‘’rapprocher le Pacte vert des esprits et des foyers des citoyens ». Dans la phase qui s’ouvre, artistes, architectes, ingénieurs, scientifiques, entrepreneurs, étudiants en grand nombre de même que tout créateur intéressé sont invités à contribuer via internet à la conception artistique et fonctionnelle de l’Europe du futur. La démarche sera résolument interdisciplinaire et recherchera une mise en œuvre au plus près de la population et du Pacte vert, autour des notions clés « d’inclusion, de durabilité et d’esthétique ».
La première édition se concentrera sur des réalisations déjà existantes : bâtiments, espaces publics, pratiques, en tant qu’illustrations des valeurs portées par le nouveau Bauhaus européen. Les suivantes feront émerger des projets radicalement nouveaux. Une dizaine de catégories sera ouverte à la compétition pour le nouveau prix, qui sera lancé d’ici l’été. Chaque lauréat recevra 30 000 euros et une aide pour réaliser un documentaire ou une exposition. Cette phase de conception sera suivie, à l’automne 2021, d’appels à propositions visant à concrétiser les idées de ce nouveau Bauhaus européen en au moins cinq endroits sur le territoire des États-membres de l’UE. Les fonds nationaux et régionaux de l’Union, parfois inutilisés, en assureront le financement.


Ce projet est tout sauf futile. Alors que la pandémie s’installe et ruine pour beaucoup l’attente de ce fameux ‘’monde de demain’’ dont on parlait tant l’an dernier, voilà une invitation concrète à se projeter avec optimisme dans l’avenir, celui que nous proposera une Europe ouverte, esthétique et généreuse. Il ne fallait pas, en effet, laisser le Covid dicter, seul, notre horizon de vie, sapant l’imagination et le moral des créateurs. Insuffler l’envie de modeler autour de nous un environnement plus beau, plus sûr, plus durable crée une source d’espoir, en particulier pour les générations montantes que le virus fruste si cruellement. Il reste maintenant à concrétiser ce renouveau. Même les vieux fourneaux en attente du vaccin peuvent bien comprendre ça.

* 18 janvier – Gueule du Loup. « J’ai pleinement le droit de rentrer chez moi ! ». Mais, ‘’chez lui’’, les autorités ont tenté au moins deux fois de l’assassiner, allant jusqu’à l’asperger d’un violent poison neurologique sorti de leur arsenal militaire. A peine rétabli de cette monstrueuse attaque, l’opposant russe Alexeï Navalny quitte son le sanctuaire berlinois où a été soigné son empoisonnement au Novitchok, pour se jeter délibérément dans la gueule du loup. Insondable sens du martyr, qui reste un mystère pour les Occidentaux ou volonté de passer dans l’Histoire en émouvant l’âme russe tourmentée ? Résultat (annoncé par avance) : il est interpellé à l’aéroport Cheremetievo de Moscou, dès l’arrivée de son vol. De même, soixante-cinq de ses alliés, dont sa directrice de campagne, à Moscou et à Saint-Pétersbourg. Ceci confirme bien l’objectif de V. Poutine, qui est d’éradiquer son opposition politique. Dès l’annonce de son retour au pays, le dissident, champion de l’anti-corruption, s’était attiré les mises en garde des autorités. Il serait aussitôt arrêté, prétendument pour avoir violé les conditions d’une peine de prison avec sursis prononcée en 2014 (face à l’entreprise Yves Rocher).

En Russie, il est de bon ton d’aller pointer poliment au commissariat chargé de vous liquider physiquement. En tout cas, on est fortement sanctionné de ne pas pouvoir le faire. Et, ce, en particulier, quand la police insiste pour vous expédier ad patres. Toute une logique … Moscou refuse – cela fait sens – d’ouvrir une enquête sur sa tentative d’assassinat d’Etat, arguant d’un refus de l’Allemagne de lui communiquer les données en sa possession. Mais, depuis que Berlin lui a transmis des éléments d’enquête judiciaire – notamment des échantillons de sang et de tissus – Moscou est singulièrement aphone.


Selon un communiqué des services pénitentiaires, Alexeï Navalny « restera en détention jusqu’à la décision du tribunal » sur son cas. On imagine déjà le style du tribunal. Même si 20 % seulement des Russes – essentiellement des jeunes citadins – connaissent et approuvent les actions de Navalny, son succès auprès des générations montantes, capables de ‘’repolitiser’’ l’électorat russe apathique, est perçu comme un défi intérieur insupportable, par la dictature vieillissante de Poutine. La France, les États-Unis ainsi que l’Union européenne appellent Moscou à une « libération immédiate ». Sans illusion aucune. Les dossiers de contentieux sont si nombreux avec la Russie et la crainte d’une confrontation de grande ampleur avec elle, si omniprésente que nos dirigeants vont surtout devoir trouver des mots nobles pour magnifier ce sacrifice un peu fou. Soutenons plutôt, et discrètement, la société civile biélorusse, en attendant que sa voisine russe se réveille, d’elle-même.

*16 janvier – Armin d’outre-Rhin. Alors que la chancelière Angela Merkel, à la tête du gouvernement fédéral allemand depuis 2005, terminera son dernier mandat en septembre, son parti, l’Union chrétienne-démocrate (CDU), vient de porter à sa tête Armin Laschet, 59 ans, par une majorité de 521 voix sur ses 1 001 délégués. Ce modéré, fidèle parmi les fidèles de la chancelière, ancien journaliste et ministre-président du land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, incarne la continuité. Centriste, européen mais aussi atlantiste, il est rassurant pour les partenaires de l’Allemagne, sans qu’on ait encore éprouvé ses talents d’homme d’Etat.

Trois hommes s’affrontaient : outre Armin Laschet, le très conservateur Friedrich Merz et l’expert en politique étrangère Norbert Röttgen. L’élection, faisait suite à la démission d’ Annegret Kramp-Karrenbauer, longtemps « dauphine » d’Angela Merkel mais écartée faute de s’être imposée. L’échéance avait été repoussée à plusieurs reprises en raison de l’épidémie et le scrutin s’annonçait très ouvert et difficile à pronostiquer. Laschet va donc mener la coalition CDU-CSU aux élections législatives du 26 septembre. S’il gagne, il pourrait devenir le futur chancelier. Néanmoins, un tel enchaînement n’est pas encore assuré. C’est en effet le président de la CSU, Markus Söder, qui serait le favori des urnes pour succéder à Merkel. Peu charismatique, Armin Laschet jouit d’une cote basse de 28 %, selon un sondage ZDF publié hier. Avec 54 %, Markus Söder, le principal opposant à la ligne Merkel et ancien ministre de l’Environnement et des Finances se tient en embuscade, pour le cas où le nouveau patron de la CDU, ne démontrait pas suffisamment l’étoffe d’un gagnant face au candidat SPD.
Le jeu politique allemand est finalement assez simple. Il ne risque guère de voir s’effondrer les partis traditionnels, même si les Verts devraient s’étoffer pour devenir, plus qu’un parti d’appoint, la troisième composante stable des coalitions de gouvernement. C’est plutôt au niveau des personnalités et des tempéraments qu’une marge d’incertitude subsiste. L’élément personnel reste également cardinal dans toute stratégie de tandem avec Paris. Par contraste, la France paraît jouer son avenir de façon moins conventionnelle, imprévisible, peut-être plus imaginative. Quoique la roulette russe ait déjà été inventée…

* 15 janvier – Echelle des soucis. Parlons peu, parlons bien. Nos choix, nos comportements tiennent largement à la gamme de nos préoccupations. Pas besoin de sondage : la pandémie de Covid l’emporte largement sur tous nos autres soucis. J’ai vécu l’épidémie du Covid 1, à Canton, au Nouvel An de 2003. On ne savait absolument rien sur ce syndrome respiratoire, quel nom lui donner, quel traitement, etc. Il n’empêche que le virus a cessé de circuler – ou plutôt est parti circuler ailleurs, après trois mois, cinq, au maximum si l’on tient compte de sa présence non-détectée. La peur n’avait pas dégradé nos comportements. Il a réapparu, différent, 17 ans plus tard. L’actuel Covid 2 a trouvé un périmètre d’expansion universel et semble être là pour longtemps, pour toujours peut-être. Le Covid 1 coïncidait avec l’offensive post 11 septembre contre Saddam Hussein et l’on se plaçait dans une optique stratégique, selon le jugement qu’on avait sur l’initiative hasardeuse de George Bush Jr. Aujourd’hui, le géopolitique procède principalement du combat contre la pandémie et peu du jugement politique des gens. L’angoisse de la survie s’installe dans la durée. En 2003, nous avons craint le terrorisme sans réellement le subir. Aujourd’hui nous subissons le terrorisme de façon sauvage et répétée, mais nous nous obsédons bien plus du fait que le virus tue chaque jour, aux Etats-Unis, deux fois le nombre des victimes de l’attentat de Manhattan. Le virus – toujours lui – ce  »super-terroriste », a montré toute l’incompétence des autocrates populistes à protéger leurs peuples. Mais naïvement, les braves gens cherchent plus que jamais des dirigeants » providentiels » face à la menace sanitaire pour ne pas avoir à penser par eux-mêmes. C’est le germe du populisme. Autre paradoxe, le principal soin administré par les démocraties paraît être, en toute méfiance des citoyens, de rogner peu à peu les libertés et les institutions dont nous avons le besoin le plus vital pour  »refaire Nation » et construire un avenir collectif qui exige efforts, esprit critique et consensus. Les Etats-Unis, en pleine crise existentielle, découvrent les horreurs de la violence (l’assaut contre le Congrès) et en arrivent à des constats qui ressemblent aux nôtres. Avec nos voisins européens et notre allié américain, restons éveillés à un avenir ou la confiance et la fidélité à nos valeurs nous sortiront de léthargie !

* 13 janvier – « Bla bla bla…, biodiversité. Le commentaire lapidaire de Greta Thunberg quant au ‘’One Planet Summit » de Paris sur la biodiversité, résume bien la version ‘’verre vide’’ de cet évènement. Emmanuel Macron qui en a eu l’initiative, s’est, lui, épanché sur la version ‘’verre qu’on remplit peu à peu’’. En fait, l’idée d’une nécessaire bonne volonté collective pour préserver les innombrables espèces en danger a été déclinée de gauche à droite et de haut en bas. Qui, d’ailleurs, s’opposerait à cette relance tous azimuts de la diplomatie verte, dont l’hôte du sommet s’est voulu l’incarnation ? Qui nierait, par ailleurs, que les dangers du non-respect du vivant et des dérèglements environnementaux contribuent à déclencher ou à aggraver des pandémies ? Il est, en effet, paradoxale que la crise du Covid ait éclipsé les alertes parentes et connexes touchant au monde du vivant. La conférence a traité quatre thèmes : protection des écosystèmes terrestres et marins ; promotion de l’agroécologie ; mobilisation des financements ; lien entre déforestation, préservation des espèces et santé humaine. Bien !


Il reste que les participants n’ont pas détaillé leurs belles promesses ni mis d’argent sur la table pour la cause de la survie de l’’’Humanité animale et végétale’’. Ils se sont penchés, pour la beauté du geste, sur le projet de « grande muraille verte » anti- désertification dans onze pays bordant le Sahara. Même en l’absence de la FNSEA, la France a simplement tu la réintroduction des néonicotinoïdes et du glyphosate dans l’agriculture nationale et européenne. Trop ‘’clivant’,’ sans doute. La ‘’réconciliation des défis’’ chantée par l’organisateur et applaudie par le secrétaire général des Nations Unies aurait elle quelque chose à voir avec une certaine réconciliation, rêvée à l’horizon de 2022, autour de celui que les électeurs percevraient alors comme ‘’l’Homme des grands défis globaux à venir ?’’ Non non, non (bla bla bla), il ne s’agit que de sauver l’Humanité, vous-dis-je !

* 12 janvier – Partenaires contre les illuminés du monde. Dopés par la fin pitoyable du mandat de D. Trump, les régimes voyous ciblés par Washington peaufinent leur vengeance. Téhéran fait monter en régime ses centrifugeuses pour porter à 20% le taux d’enrichissement de son combustible nucléaire, une cote mal taillée, supérieure à une utilisation civile mais aussi bien en deçà d’un usage militaire efficace. L’aile dure du régime des Mollahs adopte une posture triomphale, plus belliciste que jamais. Il est vrai qu’avant de quitter la Maison Blanche, le président calamiteux doit éprouver in peto quelque tentation de ‘’frapper un dernier coup’’ contre les Pasdarans. Inscrire les Houtis du Yémen sur la liste du terrorisme international (et Cuba, tant qu’à faire) constitue déjà un message d’au revoir mais cela reste loin du but.

A Pyongyang, devant le 8e congrès du Parti des Travailleurs, Kim Jong-Un annonce le prochain lancement d’un sous-marin nucléaire à même de ‘’subvertir’’ les Etats-Unis (comprendre : frapper de ses missiles nucléaires une ou plusieurs mégapoles américaines). L’Oncle Sam est ‘’le plus grand obstacle à notre révolution et notre plus grand ennemi’’. Pour se rendre suffisamment menaçante, la Corée du Nord va s’appliquer à développer davantage sa technologie nucléaire et, notamment, à produire des ogives nucléaires légères et miniaturisées transportables en ‘’bouquet’’, par ses lanceurs à longue portée Nodong. Le point d’impact potentiel dépasserait la cible actuelle de Hawaï, étirant la portée des frappes jusqu’à Los Angeles, voire plus loin. Tel est le point d’aboutissement des relations  »affectueuses » établies lors du sommet de Singapour Trump-Kim en 2017. Entre insultes et poignées de mains, aucun progrès substantiel n’a été enregistré. La mollesse des positions de Washington n’a nullement empêché cette dérive tumultueuse de Pyongyang, qui se considère gagnante au jeu des initiatives provocatrices et tumultueuses entretenant la tension. Joe Biden est bien instruit de cet échec et il ne choisira pas le ton de l’apaisement face au voyou nucléaire. Le nouveau président est déjà qualifié par la Maison Kim de ‘’chien enragé’’, qu’il faudra ‘’battre à mort’’.

Tout ce qu’il y a de dictatorial ou de malfaisant sur la planète va s’empresser de tester les nerfs de l’administratio démocrate entrante. Heureusement, J. Biden s’entoure, pour la politique extérieure, d’une équipe de professionnels accomplis, de bon sens et particulièrement bien disposée à coopérer avec les Européens. L’Amérique se sait moins forte, moins respectée du monde et les nouveaux venus devraient moins insister à imposer leur leadership de principe. C’est un bon point de départ pour établir un partenariat des démocraties, respectueux des projets des uns et des autres. ‘’UE, précise nous vite quel est donc ton projet !’’

* 11 janvier – Trump : censure ou procès ? Les démocrates s’apprêtent à voter une résolution demandant au vice-président de démettre Donald Trump de ses fonctions pour incapacité. Il est moins que probable que Mike Pence coopère de plein gré à cette seconde tentative de destitution de son patron, laquelle, tout comme la première il y a un an, est peu susceptible de recueillir l’accord de 60 % des sénateurs américains. Après quatre années de présidence barbare, s’achevant dans la pure délinquance, plusieurs questions de principe se posent pour remettre les institutions des Etats Unis sur de bons rails et assurer un consensus minimum sur les règles du jeu démocratiques.

Le cadre de la légalité américaine diffère sensiblement des systèmes de pouvoir français et européens. Pourtant, en termes de principes de justice et de jeu politique, ce qui a profondément troublé les Américains pourrait nous affecter tout aussi bien, si la vague populiste devait déferler de notre côté de l’Atlantique, avec la même force destructrice. La prise d’assaut du Capitole n’est d’ailleurs pas si différente de ce à quoi les Français ont assisté, il y a un an, à l’Arc de triomphe de l’Etoile, devant le ministère du Porte-parole ou encore autour de préfectures assiégées (dont une incendiée).
Sanctionner politiquement ou déférer devant la Justice ? Les démocrates de la Chambre des représentants penchent pour une destitution expresse, avec ou sans l’entremise du vice-président. Ils en ont le droit, mais en user est pour le moins paradoxal à neuf jours de la fin du mandat Trump. On est là dans le symbole : une fin politiquement ignominieuse constitue, plus qu’une petite vengeance (compréhensible), un moyen radical d’écarter le milliardaire toxique de la vie politique, à l’avenir. Un point marqué sur l’échiquier politique mais aussi une sanction partisane, qui confortera les 75 millions de partisans de Trump dans un soutien insensé à leur ‘’héros-martyre’’. En tel cas, le mandat de Joe Biden commencerait dans une confrontation sans fin et le soupçon persisterait dans le public, peu indulgent envers Washington, pas trop ému de l’assaut sur le Capitole et, par tempérament, enclin à voir un règlement de compte partisan dans une sanction des élus contre le premier d’entre eux.

Avec sagesse, Joe Biden préfère prendre une certaine distance. Il a confortablement gagné l’élection contre le président sortant et il perçoit désormais son intérêt à  »calmer le jeu’’ pour plus vite réparer quatre années de dégâts. Faudrait-il alors passer l’éponge et renvoyer gentiment le Misanthrope à son golf de Largo del Mar ? Sûrement pas. Parmi ses victimes figure la Justice américaine. Celle-ci est à même de faire la part des actes relevant de ses prérogatives et impliquant son immunité fonctionnelle et, d’autre part, sur plainte des victimes, de ses biais personnels délictuels, ceux l’ayant porté à des transgressions sexuelles, fiscales, à la mise en danger intentionnelles de personnes par discrimination, négligence ou racisme, etc. On dit qu’une douzaine de chefs d’inculpation seraient déjà prêts. Les procès subséquents ne déstabiliseraient pas l’Exécutif qui va se mettre en place et comporteraient des vertus pédagogiques pour les citoyens, souvent moins crispés par l’autorité de Justice que par celle du Congrès. Il faut espérer pour ce peuple divisé que la réparation s’effectuera selon cette voie. Avec toutefois deux questionnements pour l’avenir : cette justice très professionnelle voit sa qualité excessivement dictée par la fortune que les justiciables lui consacrent. Ceci devrait évoluer. La Constitution de Philadelphie et ses amendements accumulent les archaïsmes et les distorsions de représentativité. Que leurs populations se comptent en 100.000 ou en dizaines de millions, chaque état détient de la même façon deux sièges au Sénat. L’élection par blocs régionaux des grands électeurs ne comprend aucun correctif à même d’assurer une concordance avec les intentions de vote individuelles des électeurs. C’est la ‘’question fédérale’’ et elle sape la légitimité des institutions. Ce refus fondateur de considérer le jeu politique comme national et homogène conduit à lui préférer un dédale de procédures locales disparates, dans l’idée que le localisme mettrait le pays à l’abri de la tyrannie. Trump est pourtant la preuve vivante que ce n‘est pas le cas.

* 9 décembre – Chacun pour soi, les riches d’abord ! Le nationalisme vaccinal tant redouté est à l’œuvre et la solidarité face au virus disparait de l’ordre du jour global. ‘’Je veux que les fabricants de vaccins priorisent leurs livraisons et le fassent à travers le programme Covax’’, insiste le docteur Ghebreyesus, de l’Organisation mondiale de la santé. Celle-ci relève que parmi les 42 pays qui ont lancé des campagnes de vaccination massives, seuls six sont de revenu moyen. L’OMS a pourtant garanti au monde émergent deux milliards de doses de vaccins au titre de son programme Covax. Mais ce programme est sapé par les initiatives des pays riches visant à s’approvisionner directement auprès de fabricants, sur lesquels ils disposent de leviers de contrôle. Les pays-membres de l’UE s’étaient pourtant engagés à ne pas faire transaction derrière le dos de la Commission. Aucun engagement ne tient alors qu’ils se retrouvent sur la sellette face à des opinions publics en proie à la panique. De ce fait, mécaniquement, les prix évoluent à la hausse et l’accès se complique pour les Etats moins puissants. Ils seront réorientés au mieux vers les vaccins russe ou chinois. Des surplus de doses sont commandés ou stockés par certains pays riches, ce, jusqu’à la Commission européenne qui entend s’assurer d’une quote-part supplémentaire de 300 millions de doses à prélever sur le plan de production à venir. L’OMS a beau appeler à l’équité et au partage, à son message ne répond qu’un écho vide…

Les experts peinent à évaluer la capacité réelle de production de l’industrie pharmaceutique mondiale. L’heure est à la conquête de parts de marché sur un secteur de consommation qui s’annonce durablement lucratif. De trop nombreux acteurs différents, dont une myriade de sous-traitants soumis à un partage complexe du travail s’y imbriquent. De plus, la concurrence acharnée pour l’accès aux substances actives et aux adjuvants crée de multiples goulots d’étranglement. Ne devrait-on pas partager les formules vaccinales et les rendre génériques afin d’activer les chaines des laboratoires qui n’ont pas sorti leur propre vaccin mais gardent des ressources et une capacité de production inutilisées ? Epineuse question financière, il est vrai. La recherche d’une formule orale du vaccin, particulièrement adaptée aux pays émergents, est, elle, quasiment abandonnée. Plus grave, les perspectives prometteuses concernant l’élaboration d’un traitement curatif du Covid (travaux de l’Institut Pasteur, notamment) se sont perdues dans l’obsession générale pour le préventif. En fait, les médias semblent ne pas pouvoir maintenir l’attention durable nécessaire sur plus d’un sujet. Enfin, on ignore encore si les vaccins sont interchangeables. Pourtant, déjà, certains pays en font le pari. Certains sérums seront efficaces pour traiter les formes les plus sévères, d’autres pour endiguer la contamination, d’autres encore seront adaptés à une catégorie particulière de patients. Mais, alors que l’apparition de souches variantes crée une panique (médiatique), les précautions tendent à perdre toute pertinence. Dans quelques années ou avant, l’on risque de réaliser que la pandémie est restée récurrente au Nord car elle n’a pas été correctement traitée au Sud. La cause : un égoïsme souverain à courte-vue et un déficit d’autorité de l’OMS. Ils confèrent au marché un pouvoir de régulation faussé, inéquitable, inégal.

* 8 janvier – Les abois du Capitole. Selon leur ancrage démocratique ou autoritaire, les dirigeants du monde réagissent avec effroi ou avec sarcasme au raid des partisans de Donald Trump sur le Congrès américain. On peut, de fait, y voir l’échec pathétique d’une attaque brouillonne contre les institutions de la plus éminente démocratie de la planète ou, au contraire, le signe du déclin inexorable de l’hyper-puissance donneuse de leçons. Les deux interprétations ont leur part de vérité, mais il est clair que l’affrontement entre Américains reste latent et que l’épreuve de force va se poursuivre entre les héritiers de l’œuvre des Pères-fondateurs et les milieux blancs déclassés, agités par la fureur populiste. Les uns fondent leurs convictions politiques sur le respect des institutions et des libertés civiques, les autres, sur une prise de possession directe et le spectacle du  »légitime défoulement populaire’’ contre tous les sujets de leur méfiance. Avant de ranger ces derniers parmi les ennemis de la démocratie, il faudrait déjà les inciter à en exprimer, au-delà des slogans extrémistes fantasmés, leur conception des remèdes à la crise, ce, dans l’ordre politique rationnel.


Nous venons de faire, en France, l’expérience d’un long conflit interner assez comparable. Personne ne nie la montée des populismes, un peu partout en Occident, exacerbée par des décennies de méfiance entre gouvernants et gouvernés. Etait-ce le sens de cette bannière étoilée, placée en toile de fond de l’intervention à chaud du président Macron sur l’incident du Capitole ? Faisons mine de croire que c’était bien le cas :  »Français et Américains, nous sommes sur la même galère, comme à la fin du 18ème siècle, et l’on va devoir ramer longtemps ». Des deux côtés de l’Atlantique, des peurs bien réelles accompagnent l’émergence économique de nations (surtout asiatiques) plus performantes ou plus agressives, le déclassement social, la révolution numérique tueuse d’emploi, l’alarmisme mensonger des réseaux sociaux, sans oublier une myriade d’angoisses fantasmées qui trouvent malheureusement un écho médiatique complaisant. La pandémie constitue un riche terreau, à cet égard. Sans trop idéaliser Joe Biden, il nous faudra observer comment il va tenter de réparer le tissu américain. Il n’est pas exclu qu’il marque quelques points là où la défiance sociale reste la dominante politique française. Il faut être deux – dirigeants et population – pour danser le menuet, mais c’est toujours à ceux qui ont appris la danse qu’il revient de guider les premiers pas.

* 7 janvier – Gilets stars & stripes et combattants de la liberté. La tentation est grande de consacrer cette brève à l’assaut du Capitole par l’équivalent américain des troupes de choc des gilets jaunes. Nous vivons tous à la même enseigne, celle de la pandémie de populisme. Tous ? C’est faux : aujourd’hui encore, on piétine la liberté de populations qui ont une foi sacrée en elle.
Ainsi, à Hongkong, une cinquantaine de figures de l’opposition prodémocratie a été arrêtée, le 6 janvier, en vertu de la loi adoptée par Pékin sur la sécurité nationale. La ‘’normalisation’’ de l’ancienne colonie britannique est menée tambour battant, avec une dureté comparable à l’après Tiananmen (1989) ou encore aux reprises en main musclées de l’ère soviétique dans le glacis du pacte de Varsovie. A la différence près, néanmoins, qu’il s’agit à Hongkong d’une population née, éduquée et active dans un système d’institutions libres et de droit de type occidental. Ces arrestations collectives sous des chefs d’accusation de sédition sanctionnent rétroactivement les primaires organisées par les démocrates hongkongais, lors du scrutin au Conseil législatif de juillet 2020. Aucune loi ne l’interdisait à l’époque. Au prétexte de l’épidémie, ces élections ont été reportées d’un an, clairement pour se donner le temps d’’’assainir’’ la vie politique (de l’aligner sur la pratique totalitaire du PC chinois). Le vrai ‘’crime’’ est que ces primaires aient apporté la preuve incontestable de l’attachement très majoritaire de la population à la démocratie. On ne pouvait d’ailleurs pas en douter, au terme d’un an de mobilisation civique impressionnante. Depuis sa rétrocession à Pékin en 1997, la ‘’zone administrative spéciale’’ – hors-normes – de la Chine s’accrochait à la promesse faite par Deng Xiaoping de conserver, pendant 50 ans au moins, son propre régime de droit, si peu assimilable à celui du Continent. Cette promesse, inscrite au cœur de l’accord juridique conclu avec le Royaume Uni, a été froidement et brutalement violée et cela reste pratiquement impuni. La guerre contre les libertés a été gagnée et elle est même érigée en modèle. Du fait de son passé colonial, Hongkong est perçue comme ‘’la putain de l’Occident’’ et punie pour ce péché originel. Shenzhen et Shanghai auront vite fait de la dépecer de ses atouts dans l’économie tertiaire.

A part l’accueil de quelques intellectuels ou investisseurs hongkongais parvenus, par leurs propres moyens, sur le sol britannique, Boris Johnson n’en a cure : il a – on le sait – ‘’d’autres chats à fouetter’’. A peine quelques mots désolés, ailleurs, parmi les nations dites ‘’libres’’. Antony Blinken, le futur secrétaire d’Etat de Joe Biden, parle d’une ‘’attaque contre ceux qui défendent courageusement les droits universels’’. Il n’envisage pas d’autre réaction à ce stade. La Chine, ennemie déclarée des libertés, est surtout la meilleure amie du business et de l’idéologie de la croissance. L’époque n’est plus où l’on pleurait le sacrifice de Ian Palach, à Prague, ni celle où l’on exfiltrait (via Hongkong) les jeunes leaders de Tiananmen, qui défilaient ensuite à Paris pour le 14 juillet. Entretemps, nous avons-nous-même, il est vrai, abdiqué toute une partie de nos libertés.

* 6 janvier – Georgia on my mind. La Géorgie, état conservateur s’il en est, produit une ‘’resucée’’ des élections américaines du 3 novembre. L’enjeu, cette fois, est la majorité au sein du Sénat de Washington. L’objectif, qui se joue à un siège près, est vital pour mettre en mesure la future administration Biden de simplement gouverner, alors que le pays sort de l’ère Trump fragilisé dans ses institutions et totalement déboussolé. Et c’est bien parti, à en juger par les résultats de ce matin, quasi-complets. Candidat démocrate issu de l’ancienne paroisse de Martin-Luther King, le pasteur baptiste Raphael Warnock remporte l’un des deux sièges en jeu, une grande première dans ce fief sudiste dont il sera le premier sénateur afro-américain. L’autre siège, que disputent le démocrate Jon Ossof et le républicain David Perdue, paraît devoir revenir au premier. On doit s’attendre à un barrage de contestation des résultats mais, au-delà, ce serait pour Joe Biden une seconde victoire et peut-être la perspective d’un effilochage du Parti républicain tel que Trump l’avait soumis à sa personne. Le recours du président sortant à des procédés électoraux de plus en plus transgressifs et autoritaires ne l’a visiblement pas servi. Une partie du public trumpiste, démobilisée, n’a pas répondu à l’appel.

Le Congrès sortant doit maintenant valider les résultats des élections du 3 novembre. En sa qualité de président du sénat sortant, le terne Mike Pence se voit publiquement intimer l’ordre d’y faire obstacle par tous les moyens. Le vice-président de D. Trump sait bien qu’il va perdre tout crédit personnel dans cette manœuvre de sabotage vengeresse. Mais son président veut, jusqu’au bout, exhumer toute sa toxicité, au point qu’on s’interroge sur son départ effectif de la Maison Blanche, le 20 janvier. Faudra-t-il que la police déloge le squatter manu militari ? Il faut bien avouer que dans la longue litanie des élections gâchées en Afrique, on ne trouve rien d’aussi indécent que Trump. La grande différence réside dans la foi d’une majorité de citoyens Américains dans leurs institutions démocratiques et dans leur résilience à l’épreuve du populisme. Une belle leçon, utile au monde.

* 5 janvier – Election, piège à stabilisation. En Centrafrique, comme on pouvait l’anticiper, les élections présidentielle et législatives s’avèrent un vrai naufrage, en dépit d’une participation présumée de 76 % (en fait, de 37 % de l’électorat inscrit). Neuf candidats à la présidentielle saisissent l’autorité en charge des élections (ANE) contre une série d’irrégularités graves ayant entaché le premier tour du scrutin du 27 décembre. La principale fraude tient au recours massif à un mode dérogatoire de scrutin, limité par le code électoral à quelque cas précis (fonctionnaires en mission). La production à très grande échelle de certificats signés par l’ancienne présidente de l’ANE a conduit au de détournement de la loi. Globalement, la moitié de l’électorat a été privé de tout vote direct. De plus, en raison du contexte d’insécurité, à peine une moitié des centres de vote avait pu ouvrir, alors que des groupes armés menaçaient la capitale, Bangui.
L’Autorité Nationale des Elections affirme néanmoins la validité, de l’élection et la victoire, dès le premier tour, du président sortant Faustin Archange Touadéra, avec 54 % des suffrages. La proclamation des résultats interviendra sous deux semaines. Les opposants dénoncent, quant à eux, une mascarade et demandent à examiner les registres de dérogation tenus dans chaque bureau de vote. Dans ce contexte d’anarchie armée et de violence, on peut en effet s’interroger sur le sens de ces scrutins.

A travers le pays, les combats reprennent un peu partout. Depuis le 19 décembre, une coalition de groupes rebelles, qui occupe les deux tiers du territoire, mène une offensive initialement destinée à perturber l’organisation des élections présidentielle et des législatives mais qui vise désormais plus loin. Les autorités soupçonnent l’ancien président Bozizé d’en être l’instigateur. Dans tous les cas, celui-ci a fait voler en éclats l’accord de stabilisation politique signé par les acteurs politiques en février 2019.Une douzaine de seigneurs de la guerre s’en prend en particulier aux implantations de l’armée centrafricaine. Ils ont notamment saisi la ville de Baboua à la frontière du Cameroun et celle de Bangassou, dans le sud-est. Ces prédateurs tentent désormais d’investir les villes de Grimari, Damara (fief du président sortant) et de Getwa. Beaucoup d’habitants ont du se réfugier en RDC. La MINUSCA parait totalement dépassée par la situation sécuritaire et les Nations Unies, qui ont tenu mordicus à la tenue de ces scrutins, se trouvent prises à leur propre piège.
Depuis 2013, la Centrafrique est ravagée par une guerre civile, après qu’une coalition de groupes armés à dominante musulmane, la Seleka, a renversé le régime du président François Bozizé. La France avait envoyé un contingent militaire dans le cadre de l’opération Sangaris. Celle-ci s’est avéré inadaptée à la reconstruction de l’Etat, prérequis absolu au retour d’un minimum d’ordre. L’effectif militaire été rapatrié discrètement en octobre 2016. Lors des élections, Paris s’est symboliquement contenté de faire survoler Bangui par quelques avions militaires. Comme d’autres pays voisins, le gouvernement de la Centrafrique continue d’échapper à toute légitimité démocratique et à l’état de droit. On n’ose à peine imaginer le boulevard ainsi ouvert aux entreprises séparatistes ou même terroristes. Ce n’est pas un ‘’ventre mou’’ au cœur de l’Afrique, mais un sinistre abcès, porteur de contagion, un vrai virus de la guerre.

* 4 janvier – Parler à ses ennemis. Cinquante-cinq vies prélevées par la guerre du Sahel sur le contingent français de Barkhane, dont cinq au cours de la semaine passée. Les Français et leurs media ressentent de l’émotion mais ne cherchent pas encore à traduire celle-ci en prise de position politique. Bien sûr, les temps difficiles que ou vivons ne portent pas particulièrement à s’investir dans les opérations extérieures. Mais, huit ans de combats acharnés, sans rapport de forces clair, sans stratégie d’ensemble notamment sociale et politique, sans aucun résultat d’étape : il y aurait de quoi s’affoler ! L’engagement de nos militaires est une prérogative strictement présidentielle, ce qui est largement compris dans la culture française comme un domaine réservé blindé par le secret. Dans le même ordre d’idées, les ventes d’armes à des dictatures exotiques sont en principe tabou mais voilà qu’à la suite de campagnes d’opinion menées par des ONG, l’Assemblée nationale cherche à s’en saisir pour information – et implicitement aussi, pour enquête. Il est à parier que le même timide réveil va s’opérer concernant ‘’l’Afghanistan de la France’’, déjà dans l’impasse, à terme dans la déroute. Depuis quelques jours, des éditoriaux posent la question de cette opération militaire quasi en solo (en fait, dépendante du soutien américain en termes de renseignement), objet d’un évitement de la part de nos alliés européens (merci, quand même aux quelques Estoniens des forces spéciales !) et surtout totalement stérile en termes de ressaisissement des populations et de ralliement à leurs autorités nationales.


La longue histoire de la FrançAfrique montre malheureusement le peu d’efficacité des politiques d’aide au développement à construire des nations structurées autour d’une conscience citoyenne partagée. La souveraineté obsessionnelle prônée par des dirigeants indifférents au prérequis de la cohésion sociale conduit à l’implosion des structures étatiques dès que les armes s’en mêlent. L’histoire commune est parsemée d’épisodes dictant à Paris un soutien complaisant et inconditionnel à des régimes sans assise populaire, voire méprisant ouvertement leurs populations, cela, au nom de l’impératif illusoire de la stabilité. Cette-stabilité est déjà perdue au Mali, au Niger, au Burkina Faso et le cercle s’élargit indépendamment des hauts faits militaires sur le terrain. Prises en étau, les sociétés penchent de plus en plus du côté des agitateurs extérieurs affiliés d’Al Qaïda et de Daech, qui savent attiser la révolte. Ainsi, on les distancie de l’ancien maître colonial français, perçu – non sans raison – comme un ennemi de l’Islam (cf. l’actualité interne et les médias nationaux).

Que faire, face aux cousins des Talibans, pour ne pas s’enliser dans un scénario à l’afghane ? Les dirigeants africains, Mali en tête, envisagent de prendre langue avec l’ennemi, ce qui, d’un point de vue politique sinon moral, ne manque pas d’une certaine pertinence, du moins à long terme. Paris feint d’être révulsé. Certes, le scénario afghan n‘est pas un remède. Peu de temps passera avant que les Talibans ne chassent le régime ‘’pro-occidental’’ de Kaboul, qu’ils s’emparent à nouveau du pays et martyrisent encore leurs concitoyens. Ceux du Sahel, que nous taxons de ‘’terroristes’’ – un raccourci de propagande situant le niveau de violence mais pas les atouts et les motivations – devraient être sérieusement répertoriés et sondés. Les services doivent avoir une petite idée sur le sujet, mais les Français ignorent quels éléments armés seraient ‘’récupérables’’ et quelle recomposition politique ceci entrainerait. Le mieux serait que les régimes africains, conscients de ce que leurs armées ne sont pas d’une grande utilité et que les militaires français ne produiront pas de miracle, s’attèlent sérieusement à la recherche d’un dialogue politique et social avec ceux d’en face, triés sur le volet. Même là, les ressentiments, les discriminations l’absence de culture citoyenne et les mauvaises habitudes perdureront comme autant d’écueils. On sera seulement passé d’un modèle afghan à un risque de pourrissement, à la colombienne. Mais l’Europe pourrait alors contribuer à consolider les sociétés africaines, par son soft power, plus puissant que le poids de ses armes.

* 2 janvier – Microcosme et macrocosme. Mon épouse souhaite à chacun une année ‘’piquante’’. Sa formule évoquet la seringue et son vaccin salvateur et non pas les charmes et les surprises épicés promis par l’année du Buffle. Pas loin de chez nous, 2500 jouisseurs irresponsables ont enchaîné deux jours de rave party, sinistre promesse de cluster qui pourrait dévaster des innocents. Beaucoup de commentateurs jouent pourtant la complaisance : ‘’il faut bien s’amuser un peu, non’’? Une majorité exprime son refus ou au moins sa réticence à l’égard du vaccin. Mettre à l’abri une nation entière n’est absolument pas son affaire. Comment va-t-on affronter l’année difficile qui nous attend, si on ne parvient pas à se départir de cette complaisance culturelle à l’égard des colères infantiles et de toute transgression ? L’intérêt général est moins valorisant que les frasques individuelles, un constat qui date des temps les plus anciens, que l’obsession identitaire a encore aggravé.

L’identitarisme individuel, synonyme de déshumanisation, conduit inexorablement à l’affrontement. Qui a d’ailleurs parlé de paix à l’occasion des vœux ? Sans doute, le vaccin constituera le premier maillon d’une chaîne par laquelle la santé servira la paix (civile et mondiale) et celle-ci permettra ensuite de reconstruire la justice (civile comme universelle). Dans cette passe très difficile, la défiance exacerbée à l’égard de l’autorité, des institutions et du savoir (comme de la compétence) des experts crée, au sein des centres de décision – censés guider les citoyens renâclants – une ‘’peur du peuple’’. Le soupçon devenant une culture, de part et d’autre, la technocratie tourne en boucle sur elle-même, produit des schémas tortueux et dénués de bon sens, prompte qu’elle est à s’abriter derrière  les responsabilités d’une classe politique, qui, de son côté, peste surtout contre des temps et des électeurs ingrats. Une autre façon de laisser venir la guerre. Pour prouver que l’on ‘’contrôle’’, l’on multiplie les lois et les règlements liberticides. Ceux-ci survivront longtemps à la pandémie, de même que les profondes divisions qu’ils créent entre les gens, un autre facteur de stress et de tension. Sur ce fond de toile, les pauvres, les isolés, les exilés, les SDF, les affamés du Sud, les civils bombardés ou tués à la machette ne peuvent plus exister ou plutôt, ils ont été chassés de l’esprit des nantis. Tout peut être réparé, il suffirait de susciter les bonnes volontés et de les mettre à l’ouvrage. Clairement, il faut faire du consensus et de la confiance, fabriquer du neuf, ne pas perdre de vue le lien indéfectible Paix – Stabilité – Cohésion – Justice, retrouver la passion du long terme et des paris collectifs intelligents.

 »Mais enfin, l’Ours,tout cela paraît fort partisan et pas du tout géopolitique ! » Pas si sûr : dans les comportements, leurs dérives, les aspirations profondes à l’échelle globale, on retrouvera l’essentiel  des tourments et des états d’âme qui nous pèsent ici où nous sommes. Le ‘’monde extérieur’’ ressemble fort à notre monde intérieur et il n’est pas plus dur d’y accéder si on est éveillé.

2021 ne sera pas vain, hé, hein ?!

Avec son regard perçant sur l’actualité géopolitique, l’Ours y veillera. Son chapeau de consul signifie protection et confiance. C’est reparti pour un tour !

31 décembre – Disparition tragique ? Des ours calaisiens nous signalent ne plus distinguer l’archipel britannique, antérieurement sur l’autre rive de la Manche. Le brouillard ne cacherait plus qu’une absence béante. Où donc serait passée la galère UK ? Selon certaines sources à confirmer, des promeneurs auraient vu passer les falaises de Douvres au large de la Galice espagnole. Le doute n’est plus permis, la destination finale du Royaume Brexiteur doit être Singapour, à l’issue d’une régate d’étape avec la Vendée-Globe. A ce que l’on dit, les rameurs du Capitaine Johnson consacreraient leur rare temps libre à l’appretissage du mandarin chinois.

Consultez les brèves de la fin-2020 : https://oursongeopolitique.blog/1-f-breves-de-lete-2020/breves-de-lautomne-hiver-2020/