La Syrie n’aura jamais fini de nous étonner.
On pensait que les massacres de civils nous hanteraient longtemps encore : 210.000 morts, 10 millions de déplacés dont la France accepte royalement d’accueillir 500 réfugiés par an ! Nos représentants (non-mandatés) s’y succèdent pour applaudir l’Homme fort. Sous le pseudonyme de César, un haut transfuge de l’armée syrienne a fait parvenir jusqu’à nous 55.000 clichés présentant quelques 11.000 suppliciés des caveaux de Bachar Al Hassad. Et ce n’est qu’une fraction des victimes du régime chimico-alaouite. C’est déjà l’inhumanité absolue !
En Occident, rien, absolument rien ne s’en est suivi, sinon cette récente visite d’un quarteron de parlementaires français au Boucher-ophtalmologue supremo. Que voulez-vous, quand ce n’est pas l’été, ce sont les vacances scolaires : comment suivre tout ça et tenter d’y comprendre quelque chose ?
– Les Américains et leur coalition de bric et de broc ont bombardé Homs, la première ville martyrisée par Bachar. Tout un symbole ! L’Etat Islamique, lui, envoie ses kamikazes se faire exploser dans les faubourgs de la capitale, mais – secret de Polichinelle – ceux-ci s’y exposent alors aux armes chimiques, toujours utilisées par le dictateur à la tête en forme de haricot. Ces armes prohibées sont désormais combinées avec des gaz anti-émeutes, selon un savant dosage – moins détectable – et disséminées sur ‘’les points durs’’ de la résistance avec une précision sadique.
– La fameuse ligne rouge du droit international, qui devait nous (nous = la moribonde communauté internationale) obliger à arrêter la main du Dictateur est sans cesse franchie. Surtout, n’y plus penser ! A nouveau, un pilier du droit international se trouve ébranlé. On en a vu d’autres… Des services français du ministère de l’Intérieur ont, eux aussi, fait leur chemin de Damas pour prendre la température d’une reprise de coopération policière. Est-ce pour apprendre à nos gardiens de la Paix comment gazer les mauvais citoyens dans les couloirs du métro ?
– On efface tout, on recommence. C’est qu’entre temps, l’apparition en Irak voisin du nouveau monstre Daech/E.I. a rebattu la donne géopolitique. Ne cherchez pas à comprendre : on va vous faire un tri dans les niveaux d’horreur.
La meute barbare des égorgeurs serait-elle plus monstrueuse que le Bourreau de Damas, qui l’a d’ailleurs étrangement ménagée, sinon même suscitée ? Le vrai problème avec cette entité au comportement innommable, c’est surtout qu’elle est, pour une part, le fruit de la calamiteuse politique irakienne menée sous l’administration de Georges Bush. On a dressé Chiites contre Sunnites en discriminant les anciennes élites. Washington DC croyait naïvement qu’à Bagdad, une démocratie sous surveillance de Fox News fogerait un ciment national et consoliderait l’Etat !
Comme en Afghanistan et en Libye, le déferlement armé a plutôt semé les germes de guerre civile de la pire espèce : celle où l’obédience religieuse tient lieu d’étendard, celle synonyme d’une lutte sauvage pour la domination politique et économique.
– Ce faisant, on a surexposé à l’infamie des ‘’traîtres à la solde des croisés » les minorités plus perméables aux influences occidentales, parmi lesquelles les Chrétiens. Ces groupes humains en paient aujourd’hui le prix injuste et amer, face aux fous furieux du Calife.
Mais l’E.I. c’est surtout, pour nous, un monde fantasmé qui fascine des milliers de nos jeunes. C’est le cri de révolte que captent les plus »paumés dans leur tête » ou plombés par la délinquance. C’est une addiction pour shootés à la violence extrême, en quête d’on ne sait trop quel paradis mortifère. Derrière leur charabia, s’exprime une vraie haine de l’Occident, condamné comme »envahisseur » et »dépravé ». Cette »haine » (car tel est bien le terme) constitue un puissant terreau d’action. L’écho qu’elle trouve sur internet s’est ajouté à l’indignation suscitée par la cynique opération sur Gaza, en juillet-août 2014, cette attaque contre des civils en majorité musulmans que le monde n’a pu stopper.
– La République se bat désormais en Irak contre l’E.I et contre certains de ses propres enfants, devenus terroristes, qu’elle craint de voir rentrer au bercail. Sans passer par l’étape préalable d’un débat parlementaire, Mariane s’est jointe à la troisième ‘’croisade’’ internationale en Irak (après celles de 1991 et de 2003). On était déjà édifié par le succès des deux précédentes. Nos forces spéciales, nos marins et nos aviateurs se trouvent confrontés à un essaim d’ennemis non-identifiables. Le groupe aéronaval Charles de Gaulle, depuis peu engagé sur zone, intervient-il pour sauver l’intégrité territoriale de Bagdad ou pour renforcer le front chiite contre les Sunnites ? On n’en sait trop rien, à vrai dire.
– Beaucoup des frères ennemis protagonistes prétendent que nous sommes dans leur camp, sans partager nos buts, notre candeur ni nos scrupules éthiques (Turquie, Arabie Saoudite, Qatar… Iran, Liban voire Syrie !). Bonjour, les »tirs fraternels » et autres bavures entre amis !
– Les drones tactiques armés (ou »sauterelles de l’Apocalypse ») sont de sortie un peu partout. Mais sait-on, face aux fragiles espoirs de paix des populations, pour quelles valeurs la France part en guerre ? On distingue mal ses objectifs concrets et ses sources de légitimité politique, au-delà du mandat (auto)obtenu de l’ONU. Enfin, forte de quels moyens s’embarque-t-elle, laïcité en bandoulière, dans un combat sur plusieurs générations ? Contre »le Terrorisme » mondial (un mode d’opération affreux, pas une cause en soi) ou au secours du Chiisme babylonien ? Toutes les plaies du monde islamo-arabe sont là, béantes : celles héritées de l’Histoire, qui s’infectent, et les nouvelles, dont le sens nous échappe encore mais que nous retrouverons encore dans des décennies.
– Ce long détour par la géopolitique aide à mesurer l’énorme défi lancé à nos valeurscomme à nos intérêts. N’entretenons aucune illusion quant à la possibilité qui resterait ouverte d’un repli dépité sur nous-mêmes. Vous savez, du type de ce qui fait dire à nos voisins de palier : ‘’ne m’en parlez pas. Je ne veux pas le savoir !’’. Impossible de se mettre à l’abri. Sans doute, dans leur inconscient, notre monde à la dérive dégage-t-il un avant-goût de fin du monde, d’Apocalypse. Cela rend ombrageux de se sentir ainsi dépassé et vulnérable. Mais, même l’équidistance entre les camps combattants – qui n’est pas la passivité – elle-même combinée au ferme maintien de nos valeurs humanistes et républicaines, impliquerait une sérieuse prise de risque. L’esprit civique peut nous y préparer.
C’est bien du piège des préjugés naïfs et de la »géopolitique de l’émotion » ( »… qui donc serait moins méchant que qui, ce qui en ferait un ami… ») qu’il faut nous prémunir. Que l’on cesse toute mission complaisante et indigne à Damas ! Le droit, lui, ne connait pas telle ambigüité et ce type de lâcheté. Quant aux profiteurs de la »guerre de religion mondialisée », ils sont puissants mais restent très minoritaires et ils se mangeront entre eux.
A ceux qui ont en partage une conscience et une éducation de contrer leurs attaques dans cette guerre engagée pour la conquête des esprits. Ce doit se faire par une vaste coalition de bonne volonté citoyenne.
Allons, enfants de la Patrie (et du monde entier), serrons les rangs, soyons vigilants ! Pour la gloire on verra bien après.