Les défis inattendus proviennent souvent de percées technologiques : l’arbalète et la bombarde, la bombe atomique, les nano-technologies. C’est de plus en plus le cas des drônes tactiques armés, qui mettent à mal la notion traditionnelle :‘’à la guerre, c’est l’Homme qui décide de tuer l’Homme’’. Bientôt, ce sera faux.
Le drône, quid ? C’est une plateforme vectorielle (terre, air, mer), sans être humain ni passager, sur laquelle on greffe un système opérationnel actif, civil ou militaire. Il est téléguidé à grande distance (parfois juste un œil humain veille sur l’écran d’auto-conduite du robot) ou il est autonome. Dans ce dernier cas – s’il s’agit du drône militaire – il décidera de lui-même de sélectionner et d’attaquer ses cibles. Un humain aux yeux bleus ou un autre aux yeux bruns; un enfant de tel âge et de tel sexe; un combattant dont il a numérisé le visage; un convoyeur de fnds dans son fourgon blindé; un blessé dans son lit d’hôpital, un homme d’Etat dans sa limousine : dingue !
Le progrès technologique peut servir la violence et l’impunité…
– Les États-Unis sont à l’origine du concept de ‘’guerres à distance, sans soldat engagé’’ (du moins, de leur côté). Leur ‘’révolution dans les affaires militaires » a été conçue après la guerre du Vietnam. Plus tard, la ‘’privatisation’’ de la guerre en Irak a bien fait progresser les robots de guerre.
Les opérations robotisées – et donc à 0 victime côté attaquant – sont réputées présenter les avantages suivants :
– 0 victime, assurant l’indifférence de l’opinion public;
– pas de pression, donc, venant de familles de victimes, ni des médias; pas de besoin d’une information poussée des élus;
– des coûts financier moins élevés que pour les guerres humaines et moins d’aléa risquant de troubler les opérations;
– l’assurance pour les services menant la guerre (CIA, HSA, armées) d’avoir les coudées franches, comme dans les opérations d’espionnage.
– Les drônes américains ont déjà fait des milliers de morts : 3000 à 5000, en Afghanistan, au Pakistan et au Yémen. Ils traquent et exécutent des ‘’ennemis’’ ou supposés tels, à 10.000 ou 20 000km de leur base. Idem pour Israël, qui utilise cette catégorie d’armement sur Gaza ou sur le Nord-Liban. La technologie permettant une autonomie complète de la machine n’est pas encore ouvertement utilisée mais elle existe déjà et sera opérationnelle sous peu.
– L’émergence de ces armes constitue une grave atteinte à la Paix.
76 pays disposent de drônes tactiques armés. Le principal exportateur en est Israël et le principal utilisateur, les Etats-Unis). Ces robots-tueurs soulèvent les plus graves questions sur les plans juridique et éthique, au point que les gouvernements des États-parties à la Convention sur certaines armes classiques (CCW) se sont engagés à élaborer un statut pour ces »systèmes d’armes robotisés létaux et autonomes ».
C’est d’abord un défi pour le droit international humanitaire (le droit de la guerre et les conventions de Genève de 1948) : comment assurer la protection de populations civiles contre des armes ‘’anonymes’’ ? quelle responsabilité imputer et à qui, quand aucun décisionnaire responsable n’est identifiable ? quid des normes de conduite à inculquer aux robots ?
La notion d’exécution extrajudiciaire s’applique en fait logiquement à ces homicides commis hors de tout contrôle.
C’est aussi un défi politique. Dans la guerre asymétrique du robot-tueur contre le terroriste, lequel donne sa vie pour des convictions ? Lequel accepte de mourir avec ses victimes (comme les chevaliers du Moyen-Age) ? Lequel va paraitre le plus lâche et déchainera la haine ? Lequel des deux affichera le plus de mépris à l’égard de ses victimes, voulues ou collatérales ?
* Enfin, c’est une démission morale : l’éloignement émotionnel du commandement des drônes par rapport au théâtre des combats ( »wargames ») crée l’insensibilité à la souffrance humaine, le désintérêt par rapport à la justice ou l’injustice des opérations et l’anesthésie de toute conscience morale.
Ces nouveaux outils tactiques génèrent une violence sans limite pratiquée dans la routine, dans l’impunité et l’irresponsabilité. Ce sont justement-là les attributs du Tortionnaire. Avec eux, bientôt les contours s’estomperont entre conflits extérieurs classiques, guerres civiles, terrorisme, maintien de l’ordre dans un système totalitaire ou activités aéroportées du crime organisé.
– Des solutions sont recherchées dans le droit international
A Genève, 40 gouvernements se sont prononcés publiquement sur le sujet des armes totalement autonomes, dont la France et les quatre autres puissances permanentes. Les autres participants observent le sens du vent. La négociation devrait aborder les aspects juridiques, techniques, éthiques, sociétaux, humanitaires et relatifs à la prolifération de ce type de robots. Ces technologies relèvent en effet du double-usage et sont donc ‘’proliférantes’’. Le secteur civil, la recherche et la science ayant besoin de les utiliser, on ne pourra en empêcher l’exportation que dans le cas où le destinataire final serait une »entité non-autorisée ». La négociation n’a pas encore débouché./.
Pour approfondir la problématique de désarmement :
La Convention-cadre sur certaines armes classiques (CCW), adoptée en 1980 a été ratifiée par 117 pays, dont ceux qui sont les plus avancés en matière de recherche sur les armes autonomes: les États-Unis, la Chine, la Corée du Sud, Israël, le Royaume-Uni et la Russie. Elle comporte cinq protocoles :
* le protocole I interdit les projectiles à fragments indétectables aux rayons X dans le corps humain;
* le protocole II sur les armes à sous-munitions/fragmentation;
* le protocole III, interdisant le largage par voie aérienne de bombes incendiaires sur des zones habitées;
* le protocole IV qui a interdit de manière préventive les lasers aveuglants.
– Un futur protocole V interdirait le fonctionnement entièrement autonomes de ces armes. Il imposerait par conséquent un degré significatif de contrôle par des êtres humains, en matière de décisions de ciblage et d’attaque d’autres êtres humains (ouverture du feu ou largage d’engins explosifs).
L’Ourson craint les pommes de pin qui lui tombent sur le museau par grand vent. Alors, ces vautours-là !