Billet vengeur n° 4
N’insistons pas trop sur le prologue à la visite que Sa Majesté Mohammed VI, Roi du Maroc a effectué en France à la Saint Valentin. De l’amour, entre la République et le Royaume, il y en a certes et, dans bien des cas, il est désintéressé. De la sécurité dans le Sahel, Paris et Rabat en ont également besoin et ils ont intérêt à échanger en partenaires sur cette Afrique désarticulée et jihadiste qui apparaît ici et là. Mais, de la justice, en veut-on ? On devrait en vouloir, considérant que les communautés binationales, les ressortissants de l’un chez l’autre, les drames familiaux, les détours par la case »prison » et les trafics en tous genres sont le lot commun de deux pays aux populations si fortement imbriquées.
Réponse : La relation sert à conforter les chefs, pas les sujets d’en bas ! Il y a un an, à l’occasion du passage à Paris du grand patron du contre-espionnage marocain, l’Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture (ACAT-France) a soumis au parquet de la Capitale deux dossiers individuels s’ajoutant à un autre, bien antérieur, concernant des faits de torture allégués (avec des éléments solides justifiant une instruction). Il s’agissait de victimes franco-marocaines – mais aussi d’un Marocain mono-national – dont le Procureur général de Paris souhaitait se saisir du cas, en vertu du principe de compétence universelle (pas de jugement possible dans le pays du délit, mais passage sur le territoire français de l’auteur présumé permettant l’action en justice). Ce M. Hammouchi ayant prestement rejoint son pays, la justice française n’a pu que faire parvenir à l’ambassadeur du Maroc, quelques instants trop tard, son mandat d’amener pour auditionner le suspect.
– On sait comme le Palais a très mal pris la chose, suspendant, en représailles, la convention judiciaire franco-marocaine structurant les échanges entre magistrats des deux pays (notamment par le stationnement croisé dans les deux capitales de magistrats de liaison). Ce filtre avait été court-circuité s’agissant d’un recours en justice directement actionné par la société civile française (l’ACAT-France) et les familles des victimes. L’ACAT a été à son tour attaquée par la justice marocaine (diffamation, tentative de trouble, etc.), ce qui a amené le ministre de l’Intérieur marocain à constater benoîtement que la dénonciation de faits de torture venait de personnes elles-mêmes condamnées au Maroc ». Jolie inversion de la chronologie !
– Que l’on se rassure : le filtre a été renforcé, la fuite colmatée, les tuyaux blindés, grâce à un amendement de la Convention bilatérale d’entraide judiciaire. Celle-ci, »réactualisée », paraît désormais carrément exclure toute possibilité de saisine en France en vertu de la compétence universelle. En lieu et place, le Royaume étant partie à la Convention de décembre 1984 réprimant les faits de torture, il sera toujours possible de s’adresser au juge marocain pour incriminer ses chefs. Pas grand danger pour ceux-ci, de ce côté là !
C’étaient les premiers pas de la France en matière de compétence universelle, un dispositif que notre diplomatie avait vaillamment promu aux Nations-Unies. Le Royaume Uni s’était montré plus hardi envers Pinochet et le juge Garzon, en Espagne, avait fait du bon travail sur les tortionnaires d’Amérique latine, avant qu’on ne le bâillonne. En France, cette belle avancée du droit est morte-née. mieux encore, le Ministre de la Justice se précipite à Rabat pour distinguer le tortionnaire allégué des insignes de la Légion d’Honneur. Les victimes apprécieront…
Seul l’Ourson, qui grogne contre l’injustice, se soucie de la façon dont l’Exécutif ferme prestement le clapet à nos procureurs : Montesquieu, que fait-on de ta séparation des pouvoirs ? Sa tête oursonne lui tourne de tous ces zigzags opportunistes qui jalonnent la pratique française en matière de justice internationale. Bientôt, la justice interne, aussi ?
notre aimable sommaire au fil de l’Ourson …