Humanisme et religions révélées – Un renouveau de l’Islam aux couleurs de l’Europe

avril 6, 2015

Sage soufi– 02-TABAC-SALAFISME-550
chronique n° 9
Chaque culture produit son humanisme qui fait écho aux valeurs universelles. A travers l’Histoire, les périodes fastes voient se développer une capacité à mieux vivre ensemble et en paix. On citera en vrac le Siècle des Lumières, les Califats andalous, omeyade, abbâsside ou ottoman; l’espace d’échange et de libre commerce de la Horde d’or mongole; les empires du Niger et Tombouctou; la Chine des Tang, des Song et des Yuan; l’Amérique latine post-dictatures; l’Amérique des pères-fondateurs, le Japon de Meiji et de l’après-guerre; l’Afrique du Sud de 1994; la France du Conseil National de la Résistance; la Tunisie de Bourguiba ou actuelle.

– Mais des régressions apparaissent aussi régulièrement, sur des durées variables. A preuve, on pourra citer le Régime de Vichy et le III ème Reich allemand; l’ex-Yougoslavie de Milosevic; l’actuel gouvernement Poutine, teinté d’autoritarisme, de populisme et de xénophobie; la Révolution culturelle chinoise; les dictatures latino-américaines des années 1970; une série de pouvoirs tribaux africains, particulièrement prédateurs; l’Apartheid bien sûr … la roue tourne et chacun peut changer de camp.

– Un rapide tour d’horizon dans la plupart des pays d’Islam met en exergue une gouvernance très dégradée , caractérisée par la confiscation de tous les pouvoirs, le dévoiement de la Religion au service des régimes politiques non-démocratiques et le rejet presque général des droits humains. Il n’y a certes pas de fatalité et rien n’obère le futur. Pourquoi prétendre qu’énoncer ce triste constat équivaudrait à commettre une discrimination, à céder à un préjugé ‘’islamophobe’’ ? Assurer que l’Islam est partout compatible avec la démocratie exprime en fait une potentialité rassurante, pas un accomplissement avéré. Le jihadisme « à la française, par exemple, existe bien depuis 1979 et on en est déjà à la troisième génération.
(à ce propos : le jihadisme made in France)

Surtout, prétendre que les mauvaises gouvernances dans notre Sud renforceraient la sécurité, la cohésion des populations et favoriserait l’intégration de l’Oumma avec le reste du monde (dont ces pays avaient une expérience admirable dans leur passé) n’aidera pas à la compréhension de l’état conflictuel de la périphérie européenne.

– Car la situation du monde arabo-musulman est celle d’une terrible souffrance. Point d’angélisme. S’y mêlent une nostalgie de la grandeur et du prestige passés de ses cultures (avec l’illusion parfois d’un souhaitable retour en arrière); un patent échec des modèles socio-économiques, qui prive les populations d’un vrai développement humain ou, sous nos latitudes, d’une intégration sociale; le traumatisme des récentes ‘’croisades’’ occidentales (Irak, trois fois; Afghanistan; Libye; l’injustice criminelle des drones armés de la CIA; Guantanamo et Abou Graïb, etc.); l’échec sanglant des printemps arabes qui est hélas celui des peuples; la suspicion dominante en Occident que l’Islam génère, par essence, la violence voire le terrorisme; les comportements de rejet épidermique des strates de nos sociétés, où l’émotivité a oblitéré tout esprit critique; l’affrontement mortifère entre Sunnisme et Chiisme sur une échelle presque globale; la confrontation à la crise économique occidentale qui affaiblit toute capacité de solidarité, de tolérance, de compassion à l’égard des perdants de la mondialisation. Une longue liste de frustrations, donc …

– Même s’il peut paraître politiquement correct, pour ménager amis et voisins, le déni du profond malaise de l’Islam contemporain ne calmera ni les incompréhensions ni les affrontements. Dans cet espace oriental en ébullition, l’Islam d’Europe constitue un sous-ensemble plutôt protégé. Européen, il ne possède pas vraiment la légitimité historique et l’autonomie théologique qui lui permettent de diffuser, sans s’exposer à des contre-feux, un message humaniste moderne vers le reste de l’Oumma. Pourtant, il peut œuvrer à la Paix et à la tolérance bien mieux que ne semblerait l’indiquer son statut de  »simple enclave » annexée aux grands centres d’autorité arabo-islamiques. C’est parce que les fidèles européens sont en grande partir déjà acquis à cette évolution. Ainsi, le potentiel fraternel de l’Islam de France est énorme et doit fructifier. Constatons d’abord qu’un très grand nombre de nos concitoyens musulmans rejettent sans faiblir l’intolérance qui détruit l’Afrique et le Moyen Orient. Ils souffrent légitimement de l’islamophobie primaire de certains non-musulmans, du racisme ethnique ou social, du laïcisme agressif, de la xénophobie montante. Ils aspirent à la Paix, à la justice, à une coexistence laïque et fraternelle entre cultes et ils participent sans réserve au consensus des bonnes volontés. Il leur restera, de mon point de vue, à renouveler un jour leur lecture du Saint Coran, à la lumière de leur modernité, de l’humanisme qu’ils pratiquent déjà, sans doute au prix d’une profonde rupture avec le Parti littéraliste et autoritaire (l’islamisme politique), comme le Christianisme l’a déjà connue.

– Aux non-musulmans de se montrer solidaires, à l’écoute de leurs droits et de leurs aspirations. Chrétiens et laïcs humanistes doivent oeuvrer par définition au dialogue et à l’apaisement des tensions inutiles, nécessaire à une coexistence fraternelle. En laïcité, chacun a le droit de pratiquer et d’échanger sur ses croyances religieuses et philosophiques, tout simplement pour mieux prendre en compte l’identité de l’Autre. Ne serait-ce que pour ne pas se côtoyer sur fond de sentiments ambigus ou insincères. A l’heure de la mondialisation, les enfants d’Abraham comme les agnostiques et les athées ont le même droit de s’affirmer en citoyens, de faire usage de l’esprit critique que forge une éducation complète dénuée de tabous. Les musulmans parmi nous considèrent favorablement la démocratie et sont prêts à refuser les discriminations et les persécutions contre les femmes, contre les dhimmis (non-musulmans), les homosexuels, etc. D’éducation française ou européenne, ils acceptent naturellement le primat du droit sans l’assujettir à aucun dogme. On ne doit pas douter non plus de leur attachement au droit à la vie et à la dignité humaine, de leur rejet du jihad comme des croisades modernes, ce, dans la même écrasante majorité que les autres groupes de citoyens. En fait, un consensus paraît possible entre tous sur le fait que dans les pays où une religion domine sans partage – quelle que soit cette religion – la vie publique risque d’être accaparée par une hiérarchie cléricale et détournée du bien commun au profit du prosélytisme et de la violence. La laïcité bien comprise n’ouvre pas la voie à l’agnosticisme obligatoire mais bien au pluralisme des consciences, parfois même à l’humour ou aux osmoses. Ceci n’est possible que dans un système d’équilibre pluriel et de contre-pouvoirs, que n’autoriserait pas la théocratie.

– Il n’est donc pas question de singulariser négativement l’Islam de France ni l’Islam dans l’absolu, pas plus qu’il ne servirait à grand chose de ressasser les responsabilités de nos ancêtres occidentaux dans l’Histoire. Les confessions chrétiennes sont sorties de l’ornière, non sans un pénible cheminement pour retrouver la confiance des populations, redécouvrir les réalités du monde, l’apport des sciences exactes et humaines, la gouvernance démocratique. Ceci les a amenées à des révisions déchirantes mais salutaires. Mais comment parler théologie si on ne s’accorde pas, en préalable, sur la planète et le siècle où nous sommes, la temporalité qui nous est commune ? Si finalement nous partageons bien les mêmes repères temporels et géographiques, l’évidence s’impose naturellement que l’Islam européen est à la veille de se réformer pour mieux épouser son temps… et qu’il en émergera un jour en acteur majeur de paix et de justice, pleinement intégré à l’espace mondialisé.

Il faut souhaiter que, parmi nos concitoyens musulmans, se dresse bientôt un nouveau Martin Luther, réformateur islamique, porteur d’une critique constructive de l’état des lieux mais aussi d’une vision rénovée, humaniste, moderne et enthousiasmante du Coran révélé au Prophète. Comme ce fut le cas pour les autres religions du Livre, la réconciliation de la Foi avec son temps suscitera assurément un grand enthousiasme de même qu’une virulente levée de boucliers des arrière-gardes obscurantistes. Pour les femmes d’Islam, pour la jeunesse du Moyen-Orient et d’Afrique et pour les jeunes musulmans d’Europe, frustrés par un présent si gris, pour les myriades d’esprits brillants et émancipés qui ne demandent qu’à renouer avec la hardiesse intellectuelle d’un Omar Kayan, d’un Léon l’Africain (Hassan al-Wazzan), d’Averroes (Ibn Rochd) ou d’Adonis (Ali Ahmad Saïd Esber), pour la paix du monde qui ne sera réparable que par notre ‘’vivre-ensemble’’, il faudra tenir bon et, sans faiblesse, avancer.

« Le véritable croyant, c’est celui dont l’humanité n’a à craindre ni la langue, ni la main » [Hadith rapporté par Boukhari et Mouslim]

 

 

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