Chronique n° 13
On en est donc arrivé là : la police de la République tabasse et gaze des citoyens soucieux du droit d’asile et attachés à la dignité des êtres humains, de tous les êtres humains. Devant la halle de la rue Pajol (Paris 18 è), dans la capitale de la patrie – bien galvaudée – des droits de l’Homme, deux sombres délits ont été réprimés dans l’œuf et avec le »maximum d’humanité » (Bernard Caseneuve) que l’on puisse intégrer dans des matraques et des grenades :
– pour quelque 350 rescapés des camps d’esclavage de l’armée d’Erythrée, des provinces »génocidées » du Soudan ou des massacres des Shebabs, le délit d’avoir survécu jusqu’à nos portes (mais pas tous), d’afficher ici, en France, une existence misérable dans des conditions inhumaines, insalubres et indignes, qui font honte à beaucoup d’entre nous. Tout cela, alors qu’ils ne songeaient même pas à demander l’asile ou à s’installer, bien conscients de l’inhospitalité du Pays et accrochés qu’ils sont à l’idée de poursuivre au delà de nos frontières leur mortel exode;
– pour quelques poignées de riverains et de militants, effarés de revivre, après leurs (grands) parents, les rafles et leurs cortèges de bus, le délit d’être simplement les témoins d’une tache sur l’honneur et sur l’humanisme revendiqués par notre République. Anne Hidalgo a assurément raison de penser à monter, dans l’urgence, un Sangatte improvisé à Paris (comme on finira bien par en remonter un à Sangatte ou à Calais ou à Vintimille).
Que n’avons-nous pas reconnu depuis des années le fait que nous ne gardons pas chez nous mais que n’accueillons pas non plus pour une étape, et même que nous avons cessé d’enregistrer à notre frontière sud ce cortège de souffrance humaine. Nos institutions ne voulaient ni le voir ni l’entendre ! On sait que sur une période longue, le nombre de réfugiés accueillis en France (une obligation au titre du droit international et non pas une décision régalienne) ne varie pas : entre 12.000 et 15.000. L’appel lancé par Mme Duflot au Président de la République, le 10 juin (à lire intégralement dans Le Monde) est autrement plus sensé et courageux. Peu importe qu’elle l’ai rédigé elle-même ou ait trouvé une plume – magistrale – pour s’exprimer. Peu importe aussi la couleur politique quand c’est de l’Humain, l’autre nous-mêmes, qu’il est question. Enfin, sont posés des constats d’évidence : les drames collectifs – les »soubresauts de notre planète » – que fuient tous ces pauvres gens; notre impréparation matérielle dramatique à les canaliser, à les héberger ne serait-ce qu’un moment, à les accompagner; la veulerie des services de l’Etat qui (comme pour les Roms) laissent la société civile s’en dépêtrer comme elle peut; la myopie des préfets, qui ne voient dans ces déchirements planétaires qu’une bataille picrocholine d’ordre public; celle du Quai d’Orsay, qui relègue à la police antiémeute un pan entier de nos relations internationales et ferme toute réflexion de long terme quant à l’impact des migrations sur l’état du monde, de notre monde… Mais surtout, surtout, l’incroyable perte de repères, de valeurs républicaines et humanistes qui conduit une classe dirigeante presqu’entière (serait-elle éminemment honorable) à vouloir toujours flatter plus loin le prurit de la fièvre nazillonne affligeant les plus médiocres de nos concitoyens. Oui, Mme Duflot, vous avez raison, c’est bien à un »Waterloo moral de nos politiques des migrations » que nous sommes arrivés !
Il est grand temps d’ouvrir grand nos yeux, de prendre conscience de notre monde tel qu’il est vraiment, même si ce n’est pas très réjouissant. Car nous en sommes des citoyens, des acteurs interdépendants. Il est temps de reparler du droit, notamment du droit humanitaire et des chartes des libertés qui ont fondé nos sociétés occidentales. Il est temps de veiller à ce que soient assumées ces responsabilités que, depuis le programme de Tampere (1998) de l’U.E., nous avons confiées à Bruxelles en matière de crises migratoires, aux termes aussi et encore du Traité de Lisbonne (2009). Il est temps de laisser le Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations-Unies exercer normalement ses fonctions, en Méditerranée (aux côtés de l’ambigu FRONTEX), en Europe, en Mer d’Andaman (où dérivent les Rohingyas). Il est temps de dépasser cette vision du »tout sécuritaire », la chimère malthusienne du »seuil de tolérance sociale » (toujours plus bas, jamais raisonné). Cela, pour assumer les responsabilités – juridiquement distinctes mais humainement fortement liées – tenant au devenir de deux groupes humains : les dizaines de millions de personnes déplacées à travers le monde et ceux qui, sans être éligibles au statut de réfugié, ne pourront plus jamais rentrer chez eux. Ils ont droit aussi, selon les directives européennes, à des formes spécifiques de protection. C’est sur la base de ces textes, en leur temps approuvés par la France, que la Commission Européenne a proposé de répartir entre les »28 » des quotas d’admission dans l’urgence. Paris cafouille et bégaie sur ce projet de bon sens. Un jour, le Ciel nous en garde, nous autres Français pourrions bien nous retrouver aussi pris au piège des guerres, des persécutions et des désastres en chaîne, parmi tous ces parias du monde.

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