Pour nous projeter dans l’avenir, je souhaiterais relayer quelques réflexions de sagesse et de lucidité que je tiens du philosophe – appelons le Guy – qui nous faisait l’amitié d’être parmi nous pour nous éclairer sur l’avenir de la Fraternité et accessoirement de la Liberté d’expression :
– Tout d’abord, il faut renouer avec le »nous » c’est à dire avec la conscience de notre vivre ensemble et de notre communauté d’avenir. Car depuis assez longtemps, c’est notre espace commun, la notion-même de »République », qui s’est dégradée, dans notre société. Le »Je » de »je suis Charlie! » traduisait par trop notre atomisation actuelle, celle où l’individu solitaire juge personnellement et directement des affaires de l’Humanité, sans se référer à l’intérêt général ou collectif.
– la Fraternité est à la fois complément naturel et catalyseur de la Liberté et de l’Egalité. Tout simplement, parce que ces deux dernières valeurs de la République resteraient virtuelles et théoriques en l’absence de l’élan humain, celui qui mobilise, qui scelle l’unité, crée l’empathie et incite à construire ensemble. Elle seule permet de transcender les conflits culturels et les inégalités;
– la Fraternité relève du vocabulaire civique mais tout autant du langage religieux : assumons cette dualité mais ne restreignons pas la fraternité des croyants à un triste cercle paroissial défensif de coreligionnaire. N’oublions pas que l’islam, le vrai, est, lui aussi, Fraternité et Humanisme. La Révolution Française avait, sans complexe, assumé la dualité du terme, qui préfigurait la laïcité et nous ne pouvons pas faire moins aujourd’hui;
– L’apogée du concept dans notre histoire ne se situe pas en 1789 mais en 1848, avec l’éveil des nationalités. La Fraternité peut être solidifiée par la connaissance de l’Histoire. La notion française de République intègre ce ciment de cohésion. Aujourd’hui, la Fraternité ne décrit plus l’état de la société mais lui ouvre une voie pour sa refondation. Elle garde ses bienfaits, à la croisée du politique, de l’idéalisme, de la morale et des croyances;
– Ferment d’unité, la Fraternité est initialement stimulée par la découverte de la souffrance de l’Autre. Elle se nourrit surtout de la conscience de l’essence unique de chaque personne, de sa non-substituabilité. Sa logique est »parce que je suis moi, parce que il/elle est lui/elle ».
– La Fraternité appelle une structuration de la société pour accomplir son idéal solidaire. Pour renforcer l’envie d’agir ensemble, il nous faudra réhabiliter et restaurer les corps intermédiaires, les médiateurs, les porte-paroles. La gouvernance doit s’impliquer dans des plans d’ensemble et de long terme (on pense à la politique de la Ville, toujours proclamée, fort peu mise en oeuvre). A l’intérieur d’un système fraternel, la laïcité (celle de la loi 1905) ne constitue pas un but mais un utile mode d’emploi;
– La Fraternité n’est pas immune de dérives. Elle peut même être pervertie. De 1789 à 1793, on l’a conçue »nationale », »citoyenne » puis fondée sur la terreur. Lorsqu’elle appelle à la destruction de ses ennemis, la fraternité dévoyée se fait tyrannie, purge et oppression. Le chauvinisme et même le gouvernement par la torture impliquent requièrent l’adhésion massive d’acteurs politiques agissant en »Fraternité ». Les fascismes privilégient tous une notion fermée et exclusive (ou raciale) de la Fraternité;
– Le »cosmopolitisme », perçu comme oblitérant tout ce qui est national, local, ancré dans une langue ou dans une culture donnée, ne favorise pas l’émergence d’un sentiment fraternel. Il est dénué d’efficacité sociale. En revanche, le multilatéralisme, pour autant qu’il fait converger des acteurs typés et divers vers des formes d’action communes, constitue un prolongement de la fraternité, à l’international. La communauté internationale se préoccupe alors des plus faibles (cf. les demandeurs d’asile), des victimes, des minorités maltraitées. Ceci implique de passer par un délicat et nécessaire dialogue des cultures. A preuve, l’affaire du port de la burka sur la place publique ou les problèmes d’interprétation de la laïcité »à la française ».
Amis de partout, maintenons bien haut la flamme de la Fraternité, en ces temps troublés!