février 13, 2015
Oui, j’ai été un Charlie, entre le 7 et le 11 janvier 2015. Fini. Maintenant, place aux réalités de ce monde ! Elles sont faites de blessures mal-pansées, d’une coexistence planétaire à repenser, d’un immense gâchis d’incompréhensions à réparer. Car les événements choquants que nous avons traversés, sous la bannière de la mondialisation des émotions, annoncent un futur plus conflictuel encore que ce que nous imaginions. La ligne de crête sera difficile à tenir : d’un côté, la haine, qui s’est forgée contre l’arrogance sans limite de l’Occident. Elle dérive en folie meurtrière; de l’autre, les sarcasmes graveleux de quelques soixante-huitards sympas mais bien auto-centrés, que les circonstances ont promus en martyrs de nos libertés. Lors du massacre chez Charlie, leurs victimes ont incarné ces libertés, quoi qu’on en veuille. Respect.
– Grivoiseries de potache contre haine écervelée. Les principes laïques de la République sont bons, sains et nécessaires, mais, eux aussi, s’exposent à caricature. Par définition, les espaces de liberté ouverts par la Loi ne recoupent pas le champ d’exercice de la tolérance ni celui du simple bon sens. Chez nous, la législation n’oblige personne à se montrer généreux ni bienveillant. La Loi ne sanctionne la bêtise que dans un nombre très limité de cas : appels à la haine, insulte et diffamation, mensonge destiné à nuire, apologie du racisme. Ce ne sont que des garde-fous (bien nommés), pas des principes de vie. On peut vivre en goujat, en toute légalité.On ne peut pas vivre en assassin et prétendre défendre une cause.
Le monde dérive dans une nouvelle forme de conflits domestico-régionaux alimentés par des fantasmes
Au lendemain des massacres de janvier, l’union des citoyens dans une même marche immense a montré la capacité d’un rassemblement citoyen pacifique à se dresser contre la violence.
– A quoi bon occulter le fait que, durant une semaine de folie assassine, l’Islam ait été revendiqué comme un ‘’droit de tuer’’ ?
– Nos anciens ont vu, eux-aussi, la foi des Chrétiens dévoyée par quelque cercles fanatiques ou délinquants hautement manipulés : ce furent les croisades, l’inquisition, les guerres de religions, la collaboration des églises avec les Nazis. Le Christianisme a été instrumentalisé pour glorifier la domination occidentale, la cupidité coloniale, l’esclavagisme, l’impérialisme. Avant la séparation de l’Eglise et de l’Etat, les clergés ont cumulé sans scrupule le magister des âmes, la propriété des richesses, la justice et le pouvoir politique. Ils ont joué leur part, également, dans la montée de l’antisémitisme. Certaines de ces références imprègneront pour longtemps encore la mémoire collective musulmane, ce, même chez les croyants les plus pacifiques.
A quoi bon égrainer sans fin la litanie de notre passé ? 15-A : jeu égal. Mais l’Islam égraine toujours et encore. Il parait, aujourd’hui empêtré dans une ornière, sans avoir beaucoup appris de l’Histoire ? l’Islam de France est très majoritairement citoyen et adulte. Mais, sans un appui puissant de la société, il ne saura guère comment ramener sous ses ailes les enfants rebelles de la troisième génération immigrante. Faute de savoir à quoi ils appartiennent, ceux-ci s’inventent un messianisme planétaire où toutes les notions se mélangent, aux confins de la psychose.
Désamorcer la vrille folle
– C’est à notre siècle qu’il est donné d’assister au dévoiement de l’Islam comme posture de combat – fantasmée – contre l’Occident et ses symboles. Mondialisation oblige, les nouveaux jihadistes sont branchés par internet sur des rancunes séculaires et d’autres plus récentes (Irak, Abou Graïb,…), toutes convergeant sur un besoin de vengeance contre les »agresseurs infidèles » christiano-occidentaux (en fait, leurs lointains descendants ou leur congénères de même origine). Le mode opératoire de nos enfants perdus – réseaux sociaux + terrorisme – crée une grave menace pour la Paix et pour la Démocratie. Comme d’autres mouvances nihilistes antérieures, d’extrême gauche ou d’extrême droite, ils s’imaginent, vengeurs, désarticulant nos sociétés dans des guerres civiles sans fin, qu’ils décrivent dans le seul vocabulaire qu’ils sachent plus ou moins maitriser : le charabia politico-islamique. Par manque de subtilité, nous hurlons »terroristes ».
– Parmi ceux qui, ennemis de la violence, ne cèderont jamais à la violence du jihad, beaucoup n’en sont pas moins sensibles aux mêmes frustrations. Dans l’état où se trouve notre société, ils sont déçus par leur vie : pas d’avenir, pas d’amour, pas d’estime de soi. Pathétique et brouillon, souvent mal exprimé, le message est cassant. Il est normal qu’il diffuse large, même s’il ne justifie aucunement le passage à l’acte.
Plus que politiques, les symptômes du jihad banlieusard sont surtout morbides : aspiration au meurtre et au martyre (tournée le plus souvent, contre d’autres Musulmans); allergie à la culture, aux arts, aux loisirs; misogynie agressive et malaise obsessif à l’égard du corps féminin; misanthropie ombrageuse; fascination pour les armes et pour la mort, qui »délivre » et qui »rétribue ». La psychiatrie peut être appelée à la rescousse. Le plus grave reste que la manipulation opérée par quelques cheikhs haineux les entraine dans des complots internationaux en vastes ramifications terroristes dont ils ne perçoivent que la surface visible. La radicalisation est finalement assurée par le passage en prison, étape incontournable dans tout parcours initiatique de ce type. Nos tristes prisons, universités du crime, se retournent contre les »honnêtes gens », un comble !
– Comme pour mieux installer le cycle sans fin de la violence, des contrefeux sont allumés dans nos sociétés »de souce » (pardon pour l’expression) par certains activistes de l’Identitaire, des plus immatures. Vient alors l’islamophobie bête et hideuse. Sur un autre registre, une bouffée de laïcité intransigeante va immanquablement dénoncer ‘‘La Religion » (c’est à dire toutes), comme principale »source d’affrontements obscurantistes’’. Aux armes, citoyens ! S’enchaineront alors, à travers le monde musulman, des manifestations violentes de croyants tout aussi immatures et tout aussi outragés/enragés, puis, à nouveau, celles de leurs clônes »chrétiens » ou laïques brulant de défendre la République par l’épée et par le goupillon … et ainsi tourne la vrille.
– Les gens de bonne volonté refusent l’emballement des cycles de violence et de répression. On conçoit bien que l’ensemble des institutions de l’intérêt général – notamment, les ONG, les églises et les travailleurs sociaux – ont une contribution à apporter à la nécessaire désescalade des passions.
En même temps, les arguties politico-philosophiques ou théologiques ne sont guère d’utilité. Les êtres humains à sauver ne sont plus ceux qui sont passés à l’action. Ceux-là devront d’abord rendre des comptes à la Justice (prions aussi pour les juges). Ce sont ceux qui se rapprochent du point de basculement. L’humanisme naissant du Siècle des Lumières a fortement influencé la sphère religieuse occidentale. Un ‘’retour d’ascenseur’’ des églises et de la société civile vers cet humanisme laïcisé est à espérer, à l’heure où le Politique n’a plus prise sur les jeunes. Il faudra relayer, dans les recoins de la société, l’humanisme universel et son respect bienveillant du pluralisme religieux (laïcité). Sans toujours bien maitriser les motifs de la rébellion, il va falloir convaincre les franges rebelles qui surgissent chez nous de passer à l’action non-violente et d’apprendre l’humanisme. L’Etat devra leur proposer beaucoup, aussi. Il commence d’ailleurs à bouger, un peu.
C’est au prix d’un effort de meilleure cohésion interne que nous pourrons agir, aussi, à l’international. Là, dans le même esprit, une tache immense nous attend.