Attentats de novembre : vains propos de trottoirs et quête de fraternité

2015-11 Attentats-du-13-novembre 2 Attentats


Récit philosophique n° 16

Ce samedi-matin là, très tôt, j’avais rejoint Montmartre et mon carré habituel de  »droit-de-l’hommistes vintage », pour plancher en cœur sur  »Fraternité et problèmes de la liberté d’expression », thème de notre rassemblement francilien. Beau sujet à traiter en humaniste chrétien, avec ses réminiscences du Charlie de janvier mais aussi des caricatures blasphématoires et de tant d’autres quiproquos culturels. Sauf qu’on était le 14 novembre et que j’avais complètement manqué l’actualité sanglante de la nuit, moi qui n’omets quasiment jamais de tremper une bonne dose de media dans mon café noir du réveil.

Dérision insignifiante, préoccupation déplacée, la Fraternité, quand tant d’innocents sont assassinés juste parce qu’ils étaient là, au mauvais lieu au mauvais moment, occupés à capter un peu de douceur, un peu d’amitié ? Un instant, j’ai pensé que ce thème était terriblement décalé, indécent, ce sujet que j’avais promu pour activer les neurones du groupe sur la société française actuelle. Il l’était assurément par contraste avec les urgences du moment : premiers soins, identification des morts et des blessés.

1 – Mais, en se projetant un peu vers demain, je suis maintenant convaincu que retrouver le sens de la Fraternité fait sens, plus que jamais:

– reconstruire et conforter la fraternité d’une nation (incluant tous les étrangers qui vivent parmi nous ou qui nous rejoindrons) n’est pas affaire de sentimentalisme naïf mais un élément décisif de notre réaction, de notre capacité à surmonter l’épreuve, de notre salut à long terme;

– sauvegarder nos libertés, nous garder des inhibitions de pensée, de langage, de vie normale, dans une France sous état d’urgence, où la police, l’appareil sécuritaire (incluant les pôles anti-terroristes de l’institution judiciaire) vont occuper toute la scène publique et agir sans limite d’autorité ni de droit : c’est un impératif sur un période sans doute plus longue encore.

En état de choc, trouvera-t-on quelque chose d’intelligent à dire ? Défi posé à mon présent épanchement. D’un autre côté, la parole libère, décharge la tension interne, met à l’abri de l’introversion destructive. Mais, on ne trouve pas toujours d’emblée le grand souffle et l’inspiration. – M. et Mme Quidam s’exprimeront en non-victimes larmoyantes : il/elle n’était pas là et ils vivent loin de Paris. Ce qu’ils ont vu à la télé leur a fait si mal qu’ils s’apitoient abondamment sur eux-mêmes;

– Nos dirigeants nationaux revêtent l’armure et le bouclier : la France sera  »impitoyable » envers les attaquants,  »œil pour œil, dent pour dent ». L’image de l’Homme d’Etat martial et dur comme le roc ne nuit sans doute pas aux proches échéances électorales. Effets de manche sincères mais sans incidence bien précise;

– Au sein de la  »demie Union sacrée » post-attentats (on prédit des cassures profondes au sein de la classe politique  »républicaine »), les règlements de compte ne vont pas tarder, telle la demande de  »profondes inflexions », qui porte ses effluves de polémique;

– En dehors de la sphère républicaine, l’extrême droite se régale des malheurs des Français : les frontières devraient être fermées, les quartiers de banlieue sont promis à ratissage – ratonnade ? – pour en extirper les armes et l’islamisme (définition ?); les  »migrants » et demandeurs d’asile – forcément des terroristes – prestement expulsés et renvoyés à la mort vers le pays de leurs origines.
Pas follement intelligent, tout ça.

On comprend mieux et on aime plus le  »même pas peur » de nos jeunes parisiens, bravant gentiment l’état d’urgence au lendemain du massacre. Gardons ce que nous pouvons de l’esprit du 11 janvier quand nous étions quatre millions à défiler en criant  »Je suis Charlie! » à travers la France.
Mais l’endurcissement et la vigilance seront notre demain, nettement plus sombre qu’au début de l’année.

2 – Pour nous projeter dans l’avenir, je souhaiterais relayer quelques réflexions de sagesse et de lucidité que je tiens du philosophe – appelons le Guy – qui nous faisait l’amitié d’être parmi nous pour nous éclairer sur l’avenir de la Fraternité et accessoirement de la Liberté d’expression :

– Tout d’abord, il faut renouer avec le  »nous » c’est à dire avec la conscience de notre vivre ensemble et de notre communauté d’avenir. Car depuis assez longtemps, c’est notre espace commun, la notion-même de  »République », qui s’est dégradée, dans notre société. Le  »Je » de  »je suis Charlie! » traduisait par trop notre atomisation actuelle, celle où l’individu solitaire juge personnellement et directement des affaires de l’Humanité, sans se référer à l’intérêt général ou collectif.

– la Fraternité est à la fois complément naturel et catalyseur de la Liberté et de l’Egalité. Tout simplement, parce que ces deux dernières valeurs de la République resteraient virtuelles et théoriques en l’absence de l’élan humain, celui qui mobilise, qui scelle l’unité, crée l’empathie et incite à construire ensemble. Elle seule permet de transcender les conflits culturels et les inégalités;

– la Fraternité relève du vocabulaire civique mais tout autant du langage religieux : assumons cette dualité mais ne restreignons pas la fraternité des croyants à un triste cercle paroissial défensif de coreligionnaire. N’oublions pas que l’islam, le vrai, est, lui aussi, Fraternité et Humanisme. La Révolution Française avait, sans complexe, assumé la dualité du terme, qui préfigurait la laïcité et nous ne pouvons pas faire moins aujourd’hui;

– L’apogée du concept dans notre histoire ne se situe pas en 1789 mais en 1848, avec l’éveil des nationalités. La Fraternité peut être solidifiée par la connaissance de l’Histoire. La notion française de République intègre ce ciment de cohésion. Aujourd’hui, la Fraternité ne décrit plus l’état de la société mais lui ouvre une voie pour sa refondation. Elle garde ses bienfaits, à la croisée du politique, de l’idéalisme, de la morale et des croyances;

– Ferment d’unité, la Fraternité est initialement stimulée par la découverte de la souffrance de l’Autre. Elle se nourrit surtout de la conscience de l’essence unique de chaque personne, de sa non-substituabilité. Sa logique est  »parce que je suis moi, parce que il/elle est lui/elle ».

– La Fraternité appelle une structuration de la société pour accomplir son idéal solidaire. Pour renforcer l’envie d’agir ensemble, il nous faudra réhabiliter et restaurer les corps intermédiaires, les médiateurs, les porte-paroles. La gouvernance doit s’impliquer dans des plans d’ensemble et de long terme (on pense à la politique de la Ville, toujours proclamée, fort peu mise en oeuvre). A l’intérieur d’un système fraternel, la laïcité (celle de la loi 1905) ne constitue pas un but mais un utile mode d’emploi;

– La Fraternité n’est pas immune de dérives. Elle peut même être pervertie. De 1789 à 1793, on l’a conçue  »nationale »,  »citoyenne » puis fondée sur la terreur. Lorsqu’elle appelle à la destruction de ses ennemis, la fraternité dévoyée se fait tyrannie, purge et oppression. Le chauvinisme et même le gouvernement par la torture requièrent l’adhésion massive d’acteurs politiques agissant en  »Fraternité ». Les fascismes privilégient tous une notion fermée et exclusive (ou raciale) de la Fraternité;

– Le  »cosmopolitisme », perçu comme oblitérant tout ce qui est national, local, ancré dans une langue ou dans une culture donnée, ne favorise pas l’émergence d’un sentiment fraternel. Il est dénué d’efficacité sociale. En revanche, le multilatéralisme, pour autant qu’il fait converger des acteurs typés et divers vers des formes d’action communes, constitue un prolongement de la fraternité, à l’international. La communauté internationale se préoccupe alors des plus faibles (cf. les demandeurs d’asile), des victimes, des minorités maltraitées. Ceci implique de passer par un délicat et nécessaire dialogue des cultures. A preuve, l’affaire du port de la burka sur la place publique ou les problèmes d’interprétation de la laïcité  »à la française ».

Amis de partout, maintenons bien haut la flamme de la Fraternité, en ces temps troublés!

notre aimable sommaire au fil de l’Ourson
(also in English, under # 16)

Une réflexion sur “Attentats de novembre : vains propos de trottoirs et quête de fraternité

  1. Elisabeth LAVEZZARI 20 novembre 2015 / 17 05 51 115111

    Ce que je retiens principalement de l’article (qui est l’oeuvre d’un parent proche dont je suis très fière) c’est que les principes de liberté et d’égalité restent partiellement stériles si le principe de fraternité est mal compris, c’est à dire utilisé à des fins égoïstes servant des intérêts personnels. C’est justement la dimension interculturelle humaine qui donne au mot Fraternité toute sa beauté et toute sa force.
    « Tu es peut être de culture de race et de langue différentes mais tu fais parti de la race humaine et cela, nous le partageons tous. Et pour cette raison tu as mon intérêt et mon attention »
    J’espère moi aussi avancer dans cette direction et pouvoir crier de tout mon coeur Liberté, Egalité, Fraternité en pesant chaque mot!

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