Le Chef de guerre et le Maître des émotions

Tribunal sous état de droit (l'Ourson comme greffier)
Tribunal sous état de droit (l’Ourson comme greffier)

Un chef d’état-major des armées qui ne croit pas que l’action militaire, seule, puisse déradicaliser une société dysfonctionnelle ni que les victoires guerrières mènent à des solutions de fond. Selon lui, la violence légitime d’un Etat défendant ses citoyens ne réduit pas, comme par enchantement, l’aspiration à la violence des révoltés et des exaltés. Au contraire, le risque existe d’un « mimétisme », d’une émulation vers les extrêmes du mode terroriste et de l’antiterrorisme.

– Un Président qui, contre la terreur, décrète toutes les mobilisations imaginables. Il multiplie les outils, systématise l’état d’exception et opère, tambour battant, une grande dramaturgie médiatique. Mais quand toute l’adrénaline dispersée ne produit plus de plus-value marginale au bilan sécuritaire, il se voile la face : on ne fait pas de politique sans casser des œufs.

Manifestement, ces deux hauts personnages devraient échanger leurs rôles. Au premier, la vision longue et pérenne de l’Etat; au second, la fuite en avant vers le court terme expéditif, guidé par l’émotion. Malheureusement, le général semble le plus attaché des deux à l’état de droit et il ne paraît nullement dans sa nature (ni dans celle de l’institution militaire actuelle, d’ailleurs) de revendiquer quelque autorité politique sur le pays. Et puis les militaires n’éprouvent aucune appétence particulière à surfer sur les peurs citoyennes, les états-majors cheminant par la voie d’une pensée critique, rationnelle. Il ne leur viendrait pas à l’idée de réclamer la mise en oeuvre de l’article 36 de la Constitution, ni la mise du Juge sous hibernation.

Les magistrats sont, en effet, les grands perdants du moment. Certes, la quasi-totalité des procédures musclées qu’on nous présente comme « nouvelles » existaient déjà dans l’état normal de nos institutions. Trois mille perquisitions (aboutissant à quatre dossiers d’incrimination en justice !) et trois cents et quelques assignations à résidence, voici la « plus-value » fort modeste tirée de notre état d’urgence, essentiellement au cours des deux premières semaines de sa mise en oeuvre. Depuis lors : quasiment rien.

– La différence essentielle entre octobre et novembre 2015 tient dans le contrôle préalable du Juge, seul gardien de nos libertés contre les abus du droit. Par définition, la police livrée à elle-même n’a pas à s’encombrer d’états d’âme, ceci dit sans acrimonie aucune : chacun son métier. En fait, le débat entre partisans et opposants d’une pérennisation de la loi d’urgence se résume à un enjeu risible : gagner quatre minutes en court-circuitant le Juge, pour mettre la main, quatre minutes plus tôt et une fois par mois, sur un individu louche en train de dormir quelque part sur son projet assassin. En échange de ces quatre minutes, nos libertés sont mises sous le boisseau et des milliers de gens, lésés par les brutalités de forces de l’ordre en permanence sur la brèche, rejoindront le camp des ennemis de la République. Le beau marché !

– Evidemment, le véritable enjeu n’est pas l’enjeu réel mais l’imaginaire projeté sur nos émotions, et c’est là que l’homme politique reprend le pas sur le militaire. Sa logique est implacable autant qu’auto-centrée : d’autres attentats, hélas, surviendront. Ce, quoi que l’on fasse, même si beaucoup d’autres seront déjoués, tout comme ils l’étaient d’ailleurs avant l’état d’urgence (une vingtaine sur moins de deux ans). L’opinion évoluera de la peur vers une franche hystérie et, par réflexe, se fera accusatrice à l’égard de ses dirigeants. Même si cela devait n’être d’aucune utilité pratique, il faudra – électoralement parlant – que ceux-ci, à commencer par le premier magistrat du Pays, prouvent à la population qu’ils ont empilé, étage après étage, les éléments de leur usine à gaz sécuritaire, sans jamais en retrancher le moindre boulon. Pas pour notre sécurité physique – vous l’avez compris – mais pour canaliser nos folles émotions.

Au printemps 2017, ce sera au « Successeur » de remettre un peu d’ordre dans le grand fatras antiterroriste … ou de sortir sans drame de la démocratie. Le rétablissement de la peine de mort est déjà au programme de certains. C’est à peine si cela fait débat.

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