Dans le zodiac chinois, le Singe est connu pour ses facéties et pour ses bêtises autant que pour son intrépidité. Nous entrons à peine dans ce signe délicat à gérer et, déjà, l’Année du Ouistiti cabriole en tous sens. Revenons un peu à la géostratégie :
Pour ne parler que de la Syrie et de l’Irak, on se félicitait, il y a peu encore, d’un certain regain d’activité de la fameuse et insaisissable « communauté internationale », tant sur le plan humanitaire qu’en raison d’un nouveau départ du « dialogue » politique syro-syrien, à Genève. Faudrait-il plutôt s’en méfier ?
– Février nous confronte à nouveau à une Russie plus cynique et va-t-en guerre que jamais, dont l’aviation détruit par tapis de bombes les seuls rebelles qui nous soient fréquentables. Ce sont ceux qui auraient pu offrir une alternative au régime de Bachar Al Assad, une fois réglé le défi d’une transition politique incertaine. John Kerry et Serguei Lavroff viennent de sceller, à Munich (lieu prédestiné aux accords de paix morts-nés), une « trêve humanitaire » permettant, en principe, de faire parvenir des secours à certaines populations assiégées dans des enclaves. Mais Moscou entonne, dans le même instant, son répertoire de la « nouvelle guerre froide », due aux « turpitudes » de l’Occident honni. Au service de l’armée de Bachar – remontée à bloc et à nouveau en ordre de marche – et de ses conseillers iraniens, l’offensive russe vise rien de moins qu’une victoire militaire totale du régime de Damas sur tous ses adversaires. Elle ne s’arrêtera pas en chemin pour de simples et naïves considérations humanitaires, faisons en le pari. Les pudiques regrets de Washington, de Paris, de l’Alliance atlantique sur le thème de « ne tuez pas nos amis, SVP » seront vite remis en poche : l’Occident ne veut pas courir le risque d’arrêter le bras russe et de le prendre en pleine figure. Il le dit sans fard. Munich : la paix au prix de l’abandon …
– La campagne pour les élections primaires américaines met, en effet, en scène un Obama particulièrement circonspect. En pleine joute électorale des primaires, il paraît moins que jamais enclin à ternir l’image qu’il léguera bientôt à l’Histoire, par quelque pulsion « bushiste » inconsidérée. Il est vrai qu’une posture dure conduirait à attiser plus encore l’internationalisation du conflit. Du coup, les puissances sunnites pétrolières se sentent lâchées et allument, pour leur propre compte, divers contre-feux dangereux contre l’ennemi chiite et donc contre son grand allié russe. S’il en est encore temps, Riyad, Abu Dhabi, Doha, Le Caire et quelques autres ne cachent pas leur intention d’équiper leurs protégés sunnites d’armes antiaériennes performantes, à même d’infliger des pertes humiliantes à Moscou.L’Ours pourrait grogner très fort et montrer les dents…
– Voilà qui rapproche les pétromonarchies du Golfe de la Turquie solitaire et paranoïaque de M. Erdogan. Cette dernière était déjà proche d’un conflit aérien ouvert avec la Russie, après deux incidents d’interception majeurs. Comme les émirs déçus par Obama et enlisés dans une croisade de leur cru au Yémen, Ankara s’empare formellement de l’étendard anti-Daesh. C’est en réalité pour servir son propre agenda.
Pour « le Sultan » Erdogan, la priorité va contre vents et marées à l’écrasement militaire de tout ce qui pourrait s’affirmer, à l’intérieur de ses frontières ou en territoire syrien, comme une entité ou une armée kurde autonome, un peu à l’image de ce que les Kurdes d’Irak ont réalisé, plus près des frontières de l’Iran que de la Turquie et dans un contexte de relations plus pragmatiques, voire franchement commerciales, avec Ankara. Les capitales arabes (sunnites) évoquent de plus en plus aussi, une action militaire au sol en Syrie et Bachar, qui se sait visé, fanfaronne »qu’ils y viennent, ils verront bien ! ». Question : va-t-on vers une guerre de grande ampleur au Moyen Orient entre, d’un côté, les « Russo-chiites » et de l’autre, les Sunnites arabes et turcs, traînant l’OTAN dans leur sillage ?
– Et la France, dans tout ça ? Elle s’applique à faire de la légitime défense, pardi, et porte avec parcimonie 5 à 6 % de l’effort aérien accompli par les Etats-Unis (à 80 %), le Royaume Uni, l’Allemagne (hors frappes directes) et les pays de la Ligue arabe, en Syrie-Irak. Quand les Russes effectuent 1200 sorties aériennes par jour, nos aviateurs en font une… tous les deux jours, mais avec précision et sans dégât collatéral. La cible semble surtout être le petit jihadiste de quartier en vadrouille, français ou belge. Mais, on imagine que celui-ci ne reste pas sagement dans son camp d’entrainement macabre à attendre de saluer nos avions, lorsqu’ils attaquent. Alors contre qui, contre quoi mener notre légitime défense ? On ne nous le dit pas vraiment. Il est à craindre qu’avec tous ces avions et ces missiles qui s’entrecroisent au dessus du ciel du Levant, nos Rafales finissent par s’en prendre une. Du fond du cœur, l’Ourson prie pour que l’on récupère alors nos pilotes sains et saufs.
Mais outre le fait qu’on pourrait entrer, sans l’avoir voulu, dans une troisième guerre quasi-mondiale, le coût de remplacement des appareils perdus pourrait représenter, pour nos finances publiques défaillantes, plusieurs fois les recettes retirées d’une fermeture complète du Quai d’Orsay, ambassades et consulats compris. A moins qu’on s’en prenne au budget de l’éducation nationale, plus conséquent. Pas très réjouissant.