De l’accueil de l’Etranger – Valeur humaniste dans une Europe qui ne l’est plus guère

L’Assemblée générale annuelle de l’Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture s’est déroulée sur un thème d’intense actualité humaine :  »accueillir l’étranger ».
Au même moment, l’Europe s’engageait dans les premiers départs forcés d’exilés, parvenus en Grèce après le 20 mars pour se voir aussitôt refoulés par ferry-boats entiers vers la Turquie, ses compromissions et ses incertitudes.  »La mort dans l’âme – dit le dicton – on s’éloigne de sa terre » … sûrement pas dans l’idée de retrouver, manu militari, les dangers qu’on vient de fuir.

1 – C’est dire, comme l’a constaté Gabriel Nizzim, président de l’ACAT, que  »l’urgence est à être là, en résistance, face au mal qui accable nos sœurs et nos frères ». L’expression a fait mouche. Un  »impératif d’action s’impose vis-à-vis de notre pays et de l’Europe », dont les politiques d’exclusion choquent nombre de chrétiens. En 2014, l’ACAT avait placé la défense du droit d’asile et de l’hospitalité haut dans ses priorités pour la décennie. Avec raison.

– Faut-il rappeler que, (1) dans l’histoire du monde, la mobilité humaine n’a été interrompue – pour quelque temps – que par des moyens brutaux et discriminatoires, (2) que la Charte des Nations-Unies, la Déclaration Universelle des droits de l’Homme et la Convention de Genève de 1951 sur la protection internationale (droit d’asile) consacrent le droit à quitter son pays, à y retourner sain et sauf, mais aussi à se mettre à l’abri des persécutions dans un pays d’accueil-tiers ; (3) que 10.000 innocents ont déjà péri en Méditerranée depuis 2011 ; (4) qu’enfin, la population du Nord riche de la planète peut, à sa guise, circuler partout dans le Sud, pour motifs d’expatriation, de tourisme, d’études, mais que la réciproque est refusée aux jeunes populations du Sud. Celles-ci ne trouveront, comme étroits sas d’entrée que le visa d’études supérieures, le regroupement familial (soumis à des conditions draconiennes) et… la demande d’asile. En France, cette dernière débouche sur un quart d’admissions au statut de réfugié (15.000 octroi du statut de réfugié sur plus de 60.000 dossiers de demande) contre trois fois plus, pour les mêmes profils personnels, dans les pays d’Europe du Nord.

2 – Il a été débattu d’un avant-projet de manifeste en douze points,  »Accueillons les ! » La version complète, riche d’autant de chapitres et de 80 pages, sera diffusée prochainement.

– Personne n’a fait mystère de ce que les politiques d’accueil des  »28 » se trouvaient en état de faillite, à force de déshumanisation :  »le Vieux Monde est devenu la destination migratoire la plus dangereuse, la plus mortifère, de notre époque ». L’élan d’émotion suscité par la noyade du petit Eylan, il y a un an, est retombé. Il s’est mué en une révulsion, largement partagée en Europe, à l’égard de ces exilés survivants, chassés par les guerres et leur lot de violence. Si les politiques migratoires concoctées à Bruxelles et dans les capitales vont à contre-sens des valeurs chrétiennes-humanistes et s’avèrent inefficaces sur le terrain, c’est qu’avec l’accumulation des peurs (celles de l’Autre, du monde et de l’époque, de la régression sociale et du chômage, etc. ), l’emprise du populisme et de la xénophobie conditionne désormais les anticipations de nos dirigeants. On pourra citer en exemple, la hantise du F.N., qui paralyse l’action des dirigeants français.

– Nos sociétés se reconnaissaient, avant la  »crise des migrants » (un fort vilain terme) comme multiculturelles, pluralistes, ouvertes et démocratiques. Dans leurs forces vives, elles manifestaient une grande circonspection vis-à-vis des doctrines nationalistes et identitaires, évocatrices des dérives ayant conduit à la Guerre Mondiale. Elles éprouvaient de la compassion pour les vagues successives d’exilés, de victimes de guerre ou de dictatures qui ont frappé à nos portes : juifs, arméniens, serbes, républicains espagnols, pieds noirs, résistants latino-américains, boat people, populations des Balkans, réfugiés du Maghreb… tous ont été accueillis. Qu’en est-t-il aujourd’hui alors que, l’hypermédiatisation aidant, l »’hostilité » se substitue aux valeurs d’hospitalité (même racine lexicale), face à la plus grande et sans doute la plus durable des tragédies humanitaires que connaît notre voisinage depuis 1945 ?

– Plutôt que de se laisser gagner par l’instinct de confrontation avec les malheureux de ce monde, notre société n’a-t-elle pas la responsabilité de dénoncer ces politiques migratoires discriminantes et contraires au droit international ? Le silence des médias et des autorités de France, quand l’Allemagne se remplissait littéralement d’un million d’exilés, reflète le sentiment de gêne alors prévalant dans l’Hexagone, refuge magnanime pour une centaine à peine de  »relocalisés » d’outre-Rhin. Nous nous interrogeons trop peu sur ces demandeurs d’asile éparpillés aux quatre coins de notre territoire, extraits de la  »jungle de Calais », que l’on retrouve bientôt sur nos routes, fuyant la France et la mauvaise réputation qu’elle s’est faite depuis les affaires de Paris et de Calais. Après tout, selon l’affirmation d’une intervenante,  »les Chrétiens sont comme des binationaux (citoyens d’ici-bas et du Ciel) et ils ont l’expérience d’appartenances diverses ». Il conviendrait d’abord qu’ils refusent la logique émergente de stigmatisation du  »migrant familial, économique, climatique, ce  »clandestin » sournois, par opposition au  »réfugié politique », héroïque et distingué. En quoi, le fait de subir des persécutions, la barbarie, les violences de la guerre, sans pouvoir recourir à une protection, devrait systématiquement transformer un citoyen commun en militant politique, flamboyant défenseur des libertés universelles ?

3 – Mais que devrait-on faire, surtout, des déboutés de l’asile, dont la majorité aussi a tout perdu et n’a plus d’endroit où vivre ? Le Centre Primo Levi soigne, sur notre territoire, deux tiers de migrants victimes de violences privées pour un tiers d’arrivants torturés et sans recours aucun dans leurs pays d’origine. Ces déboutés, dont beaucoup d’enfants, sont traités en parias et assimilés à des  »mauvais sujets », des délinquants, peut-être des  »jihadistes », qui sait. S’ils ne font pas l’objet d’une humiliante  »reconduite aux frontières », avant de retenter leur chance, ils vont devoir, pour beaucoup, se cacher sur notre territoire, sans ressources ni droit aucun, pour échapper à l’OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français) qui les vise.

4 – Geneviève Jacques, présidente de la CIMADE, a estimé que le regard que porte la société française sur l’Etranger (non-européen) s’est rapidement dégradé. En fait, nos pays nient la composante violente présente dans les catastrophes socio-économiques ou climatiques poussant à l’exode des populations éprouvées.

– Lors de l’élaboration de la Convention de Genève de 1951, la question de la prise en compte des seuls droits civiques et politiques ou, également, des droits économiques, sociaux et culturels avait été longuement débattue. Guerre froide oblige, le pan  »non-politique » des droits humains fondamentaux avait été laissé de côté. Ne pourrait-on en demander une mise à jour, aux normes du XXI è Siècle, celles du multiculturalisme, de la mondialisation et du brassage humain, ou simplement s’intéresser à la Convention des Nations-Unies de 1990 sur les droits des migrants – fortement inspirée par l’Amérique latine et boudée par les pays de l’OCDE – qui accorde certains droits humains y compris aux  »sans papiers » ?

– Pour l’ONG protectrice des droits des étrangers, le plus alarmant dans les nouvelles tendances actuelles est celle  »comptabilisant » les exilés par catégories et par blocs, afin de les trier en flux et en masse. Ce tri se fait sur des critères d’identité de groupe alors que, par définition, la protection internationale (droit d’asile) doit être accordée – ou non – sur une base strictement individuelle, en s’appuyant sur le récit de vie de la personne. Selon plusieurs intervenants, la loi française de réforme du droit d’asile, en vigueur depuis novembre 2015, a inauguré cette notion de  »tri par voie de loterie ».

– Le  »grand troc » que l’U.E a conclu le 18 mars avec la Turquie, pays homologué hypocritement comme  »de destination sûre », fait totalement fi de l’essence et des dispositions de la Convention de Genève. Les Européens procèdent, sans état d’âme (sinon électoral), à la déportation en masse de populations déjà placées sous leur responsabilité humanitaire, sans même recueillir leurs récits individuels, examiner sérieusement les dossiers des personnes ni même – semble-t-il – leur ouvrir un guichet d’asile  »par absence de moyens humains pour ce faire ». La Turquie s’arroge, quant à elle, le choix de les déporter une seconde fois à sa convenance, y compris vers les pays en guerre que ces personnes ont fuis. N’ayant adhéré à la Convention de Genève que pour la protection des seules populations européennes, Ankara gère son  »stock » d’Orientaux, en fonction d’intérêts financiers et de ses préjugés ethniques ou politiques et n’obéira qu’à ses caprices. Devrait-on vraiment se montrer fier d’être partie à un tel gâchis ?

5 – Sans doute, un mouvement associatif comme l’ACAT ne pourra-t-il exercer qu’une emprise limitée sur ces funèbres évolutions, mais il se doit de les contrer courageusement, en coalition d’ONG humanistes et internationales, particulièrement dans la dimension européenne. Derrière Barcelone, qui va au devant des migrants piégés en Grèce pour les accueillir, des collectivités locales se placent  »en résistance » et montrent l’exemple. En plus des actions citoyennes en direction du monde politique, une action pédagogique particulière est à mener pour dissiper  »la haine des simples », cette peur ressentie par les groupes sociaux défavorisés face à l’arrivée de l’Etranger, comme archétype du bouc-émissaire, par qui on anticipe son propre déclassement, voire son exclusion de la société. Une appréhension non-fondée, comme le passé l’a montré. Mais le réflexe de refoulement est aujourd’hui si large qu’il contamine jusqu’aux ultra-privilégiés du XVI è arrondissement de Paris, qui s’estiment menacés – dans la valeur de marché de leurs propriétés immobilières – par un modeste projet de centre d’hébergement prévu par la Mairie, sur leur chasse gardée.

– En ateliers, trois questions ont été posées aux participants : (1) doit-on accepter ces politiques migratoires en faillite, (2) que pensons-nous faire à notre niveau, concrètement, pour redresser la barre et (3) comment rechercher avec les exilés un contact personnel utile et humain ? Un agenda à méditer au niveau des groupes locaux.

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