
Plus que d’autres, les Français conçoivent leur histoire en termes de »ruptures » successives. Lorsque les problèmes s’accumulent sur l’horizon politique, ils ne croient guère au gouvernement par les réformes et ils s’insurgent pour renverser la table. Ailleurs, les difficultés à décrypter la »grande image » intriquée du monde extérieur sont contournées par la tradition du consensus national en politique étrangère. Ce domaine revient aux dirigeants nationaux ou de leurs conseillers, quitte à leur demander des comptes par la suite (Tony Blair et George W. Bush, s’agissant de l’invasion de l’Irak, en 2003). En France, c’est plus compliqué, moins clair que ça.
– Les deux dernières mandatures présidentielles nous ont insensibilisés au monde. Elles seront rangées un jour sous la rubrique »chloroforme » de nos annales politiques. Schématiquement, »ne vous inquiétez nullement des tourments qui nous affectent, ne les identifiez surtout pas autrement qu’en concepts abstraits. Remettez en vous simplement en à l’autorité d’Etat ». Conceptualiser n’est pourtant pas synonyme de »bien gouverner », encore moins de »servir l’intérêt général à long terme ». On voit bien que nous flottons dans un épais brouillard, à un an des prochains scrutins majeurs. Lorsqu’on veut influer sur les affaires du monde – tout au moins, sur celles qui déterminent nos intérêts nationaux – il faut d’abord s’habituer à agir pragmatiquement et en vaste coalition d’intérêts. Dans ce format, il n’est pas d’autre choix que le réformisme. Non pas les réformes pusillanimes et auto-mutilantes auxquelles l’Etat nous a habitués, mais un vrai travail d’architecte, d’ouvrage, de refondation. Les lendemains de la Libération de 1944-45 et la »nouvelle donne » issue de la Résistance nous proposent un précédent historique.
– En 2013, dans leur essai visionnaire »La gauche n’a pas le droit à l’erreur », Michel Rocard et Pierre Larrouturou proposaient, moins qu’une ébauche de programme, un état d’esprit de gouvernement constructif, rassembleur, moderne et emprunt de justice. Ne faudrait-il pas persévérer sur cette voie ?
1 – Les dysfonctionnements du monde nous enferment dans un tunnel
– A ressasser émotivement tous les dysfonctionnements du monde, nous voilà piégés dans un tunnel sans issue, dont nos enfants devront bien trouver un jour la sortie. Les relations »citoyennes » internationales y semblent fluctuer non pas sous le règne des faits mais sous celui d’humeurs fragiles, souvent bornées par un horizon étroit. Les composantes en sont l’affirmation d’identités agressives, le rejet de l’étranger, la jalousie sociale et la représentation d’autrui en caricature idéologique, un mépris inavoué pour les pauvres, l’intolérance maquillée sous divers vocables (islamophobie, laïcisme pur et dur, tradition), le déni de tout ce qui dérange ou qui s’annonce trop complexe, etc.. L’envie nous saisit de »tirer la nappe » pour casser la vieille vaisselle, sinon la table elle-même. Sans doute, sommes-nous »en guerre » (une expression dans l’air du temps) mais surtout contre l’ignorance, la frustration l’impulsivité et la peur, pas contre nos semblables.
– Il faudrait pourtant se garder de tout déterminisme (obsession de la rupture), tout en s’extrayant de l’encéphalogramme plat actuel (anesthésie mortifère). »Faire de la politique » c’est se concentrer, toujours et encore, sur une dynamique méthodique de »transition longue », la recherche d’une évolution systémique viable et pacifique, à l’horizon d’une génération. Apprendre, expliquer, dire vrai, convaincre, coaliser le plus grand nombre, rester surtout modeste et honnête dans ses intentions, voilà une vie de moine qui s’ouvre aux militants ! Pourquoi ne pas appeler cette quête »Nouvelle Donne » ? Le cri de ralliement est évocateur de dynamisme, de raison et de renouveau. Selon les cas, on se plaira à y discerner une emprunte humaniste, un attachement fort à la République et à l’Europe et, avant tout, aux valeurs vivantes de la démocratie. Ce besoin, à l’opposé de tout populisme, pourrait aussi redessiner les prémices d’une confiance citoyenne perdue quand la dernière décennie politique a brouillé nos perceptions et brouillé nos cartes. La bannière N.D. mérite bien qu’on lui donne sa chance !
2 – Nous entretenons des notions approximatives sur la nature de la panne politique
Nos »ruptures » actuelles sont des mini-basculements qui, marche après marche, nous entraînent toujours plus bas. Bien avant que le système »France » ne flagelle, le système »monde » s’était mis à boiter dès la fin des années 1980. Certains nous ont vendu une compréhension »idéologique » de l’effondrement soviétique et de la fin de la guerre froide, la fumeuse conception d’une disparition de l’Histoire tout court (une »victoire éternelle » du capitalisme dans sa version idéologique la plus »néo-libérale », le triomphe du monétarisme universel). Nous avons aimé une conception proche de notre »idéologisation » de l’Histoire. Ceci impliquait dans la foulée une »universalité » nouvelle, conférée au mandat de l’OTAN (fatale erreur!), alors que la guerre de Bosnie préfigurait le retour du vieux fond ethnoculturel des conflits »civils et régionaux accrochés à la terre et aux identités », un archaïsme redevenu marque de fabrique de notre 21 ème Siècle.
– Un coup de semonce nous a été donné, que nous avons à peine perçu, le 9 septembre 2001. Nous nous sommes retrouvés partie à ces interminables croisades en Afghanistan, puis en Irak, en Libye, aujourd’hui au Sahel et dans les fiefs cauchemardesques de Daesh. La détestation à l’égard des »Occidentaux » (ce sont les Orientaux, qui nous catégorisent ainsi) a monté et monté encore. Elle s’est répandue sur tout notre arc Sud, face à l’arrogant étalage de notre force armée.
– Peu soucieux de géopolitique ni d’équilibre économique, nous nous contentions, alors, de vivre franchement au dessus de nos moyens, parce que, pensions-nous, l’€uro nous constituait une formidable muraille, à l’abri de laquelle l’endettement ni les déficits ne poseraient jamais problème. Ni les guerres lointaines, à fortiori. Belle insouciance !
– 2005 aura été l’année de l’intifada des banlieues parisiennes et de la giffle cinglante que les électeurs ont assénée à l’Europe, par leur »non » tonitruant au référendum constitutionnel. La cohésion du Pays en a pris un sacré coup tant se sont manifestés le rejet global et émotionnel des élites, la stigmatisation en vrac de la classe politique (englobant la haute fonction publique, pour sa part de responsabilité dans la rupture avec une base qu’elle craint et méprise). S’en sont suivis une perte de perspective collective et un plongeon des »paumés » dans une virtualité schizophrénique (les banlieues parisiennes, fictivement réincarnées en Palestine occupée !)
Tracé »au karcher », le septennat Sarkozy, n’a évidemment pas aidé à recoller les morceaux, bien au contraire.
– Après les crises financières mexicaine, russe et asiatique, nous n’avons pas pris au sérieux la vraie rupture, pour le coup, engendrée par le fiasco des »subprimes » et des marchés financiers, aux Etats-Unis, en 2007-2008. Myopie à tous les étages… Il faut dire qu’en France, tout nous incitait à nous intéresser à nos parts respectives du gâteau, plutôt qu’à la santé du pâtissier, à sa capacité à produire et à vendre, à l’évolution de son chiffre d’affaire. Peu de publics sont aussi inconséquents dans la chose économique que le nôtre, tout acquis qu’il est au postulat du »socialement juste ou correct » (nullement une faute morale, mais une sérieuse distorsion de perception). S’en est suivie la tempête du Siècle sur les marchés internationaux puis contre l’Euro et les dettes souveraines, à la charnière de deux présidences. En dix années de temps, la France s’en est trouvée durablement affaiblie, désindustrialisée, sous-compétitive, surendettée et d’humeur exécrable. La Grèce, quant à elle, a connu la descente aux enfers, comme seules les guerre en engendrent, croyait-on. Mais nous nous sommes plutôt absorbés dans de savantes querelles théologiques sur les critères de Maastricht, les défaillances bureaucratiques de l’Union et le rigorisme allemand. Toujours et encore, le dogme de préférence au fait et à la négociation.
– L’habitude a été prise d’accuser de tous ces maux notre énigmatique président, »maître de l’emploi, des taux, des marchés et de la croissance, des ventes d’armes, etc. » Sa fonction hautement providentielle mais solitaire confine à une dimension mondiale, voire divine !. Et les Français de houspiller Dieu II (Dieu premier était François Mitterrand), ou, faute de mieux, son gouvernement terrestre. Celui-ci, il est vrai, godillait artistiquement, tirant à hue et à dia. Il affichait surtout un inquiétant manque de cohésion, d’expertise et de vision, s’acharnant parfois à se torpiller lui-même. Nous sommes donc restés dans le mystère sur ses intentions réelles, hormis le renouvellement du Sacré Graal : le suprême quinquennat. A sa décharge, sans un de Gaulle au sommet, les institutions de la Vème République génèrent plus de schizophrénie que de cohérence et elles accrochent trop peu les Français aux affaires de la Cité, gérées ailleurs (où?).
3 – D’abord, nos grands et nos petits malheurs …
– Notre capacité à évacuer la dimension globale de nos grands et petits malheurs, pour en faire des querelles gauloises insolubles désole mais elle est durable. Comme l’illustrent nos grèves récurrentes, les velléités de rupture se portent rarement sur les leviers stratégiques de l’action mais plutôt sur des tiers qu’on prendra en otages. Quant aux instruments de contrôle à l’international, nous ignorons presque tout de nos atouts comme de nos obligations légales. Peu d’entre nous souhaiteraient s’inspirer des modèles fonctionnels que nous voyons réussir chez nos partenaires. En France, les recettes étrangères ne sont jamais adaptées à la culture.
– Ainsi, la taxe carbone, d’importance universelle, a modestement achoppé sur une petite »guerre bretonne des bonnets rouges » . Notre avenir énergétique restera, lui, »col blanc », un monopole du prestigieux corps (quasi- nucléaire) des ingénieurs des mines. Mais on en ignore encore le coût comme les modalités .
– Le renouvellement de notre système fiscal a fini en eau de boudin, laissant la France en position de dernière de la classe européenne. Tous les autres pays d’Europe, sauf deux, ont réussi, sans grande difficulté, à effectuer le saut vers le prélèvement à la source. Nous ne sommes pas si rapides, un peu autocentrés …
– L’effondrement de notre enseignement supérieur stupéfie le monde, vu la glorieuse référence que nous avons incarnée en la matière. Elle fait jubiler l’université Shanghai et son fameux classement. La ressource humaine ne justifierait-elle même pas un modeste investissement. Bercy n’est pas convaincu que celui-ci contribuerait autant au redressement de notre compétitivité que le CICE (!) La réforme des collèges a été caricaturée en problème de cantine »laïque » ! La consommation de jambon serait-elle un devoir français sacré ? Dans le vaste monde, seuls nos compatriotes seraient, dit-on, à même de comprendre une telle logique fantasmée.
– L’inclusion de nos patriotes musulmans a, de fait, été perçue au travers le prisme du hijab. Notre fière »identité nationale » (comme dirait M. Hortefeux) aurait ainsi été bafouée par quelques mères de famille d’origine maghrébine, voire quelques jeunettes au mauvais caractère. Personne ne parle de la culture d’émancipation musulmane, moderne et bien française, qui prend sa source dans cette communauté française et aussi musulmane. Le faux problème de l’inclusion dans notre société multiculturelle de cette composante spécifique a été si brutalement, si lourdement posé – en termes, parfois, quasi-coloniaux – que le critère de notre ouverture ou non à l’Islam de France devient une mesure fiable de notre attachement ou non à la démocratie plurielle !
– Notre appareil de défense n’est plus qu’un cache-misère saupoudrant ses faibles moyens à travers la planète. Il s’est enlisé en Afrique. Nos dirigeants utilisent aussi, pour leur propre aura, ce ministère bis de l’Industrie, lequel s’applique à exporter des armes là où cela embarrassera le plus notre diplomatie (par ailleurs, exsangue et aphone, j’y reviendrai).
– Notre bien modeste politique d’aide au développement a été détournée en un outil policier pour enrober l’exigence d’une »réadmission » des migrants expulsés de notre territoire. Où est donc passé l’esprit de Cancun 1991 ? Il reste juste un pré carré africain qui fleure encore un peu la »France-Afrique ». Notre président est le »papa » des leurs.
– Quant aux droits de l’Homme, la Cour européenne de Sauvegarde des D.H est amenée à épingler la France de plus en plus souvent, pour certains traitements indignes infligés par sa police ou par son administration carcérale. Le sort que nous réservons aux étrangers parvenus sur notre sol n’est pas celui de la »Patrie des droits de l’Homme, loin s’en faut !. Rien n’est irrémédiable, mais l’on s’en soucie peu. Voyons si, comme il s’y est engagé, le Gouvernement de la République publiera désormais annuellement la liste des victimes décédées ou grièvement blessées par les armes »non-létales » (!) de la police, dans les opérations de rétablissement de l’ordre. Guettons aussi si nos préfets arrêteront de placer des mineurs étrangers dans les Centres de Rétention Administrative (CRA), en pure violation des textes internationaux sur la protection de l’enfance… ou s’ils s’abstiendront un jour d’expulser des demandeurs d’asile avant même qu’ils n’aient épuisé leurs recours auprès de la Justice, etc.
Voici autant d’exemples de notre habilité à escamoter en polémique locale toute question d’essence globale, constituant un défi par-delà nos frontières ou toute difficulté qui nous positionne défavorablement dans la compétition mondiale. Passée, en l’espace d’une décennie, de quatrième à sixième puissance mondiale, à quel rang encore inférieur tombera notre France dans les années 2020 ? Pour expliquer un score si médiocre, on s’interroge sur la part jouée par notre indifférence au droit international (ou par notre pure ignorance de celui-ci – cf. le ministère de l’Intérieur assumant les conditions d’accueil dégradantes dans la » jungle de Calais ») et la part revenant à une attitude d’abandon aux préjugés les plus archaïques. Car nos dogmes ne sont guère modernes ni en phase avec les frustrations actuelles. Nous nous considérerons, contre toute évidence, toujours aussi »importants » dans les affaires du monde. Nous sommes-nous totalement débarrassés de certains vieux réflexes populistes ou coloniaux ? Que vaut désormais notre culture démocratique par rapport à celle de nos voisins ? »Think global, act local », la formule-recette de la mondialisation aurait-elle été détournée en »deny global, struggle local » ? Une trajectoire directe vers le mur …
– Nous sommes bombardés de notions approximatives
Nos expressions usuelles diluent, dans un »tout idéologique » émotionnel, les facteurs agissants qui nous intègrent au monde réel. Tout commence par »la politique », cet idiome obscène, s’il en est, pour qui arborera fièrement une tête bien vide et bien propre. On citera l’usage des termes indistincts comme »LA Crise », manière d’amalgamer nos frustrations (on n’aura jamais vu une seule crise aussi permanente, aussi globale et aussi polyforme !) ; l’emploi connoté et suspicieux du terme »mondialisation » nie l’ancienneté historique de la finitude du monde, pourtant établie depuis Christophe Colomb et Magellan. On exonère au passage notre époque d’avoir inventé la dérégulation sauvage du système financier et des marchés, le vrai bouleversement du siècle avec le marketing et la fuite en avant technologique. De même, le »déclin » français que chacun définit à la sauce de son pessimisme ou fatalisme ad hoc, reste-t-il la caractéristique majeure d’un des pays qui attirent le plus à lui, vers son mode de vie et sa culture ? Notre grand »malaise social », dont on ignore généralement le soubassement économique, sacralise le rapport au »patron », plus qu’à la disparité des revenus. Il ne s’attarde guère sur les inégalités, leur préférant souvent une approche »psy », plus dans l’air du temps. On présentera les plans sociaux par un décompte des victimes, pas par les gains excessifs des actionnaires. Le déni des réalités économiques – ce n’est pas une science conviviale – fausse l’angle de compréhension du marché et du Contrat social.
La »base citoyenne » prend aussi sa part dans nos préconceptions.
– Par rapport à nos voisins nordiques, notre complaisance est assez large à l’égard des personnalités publiques prises sur le fait de frauder le fisc ou de sombrer dans l’inconduite. Quand on la rapporte à notre piètre rang dans le classement des pays industrialisés corrompus, établi par Transparency international, l’image de la France en tant que partenaire sérieux en pâtit. Idem pour »la patrie des droits de l’Homme », slogan qu’à part quelques migrants africains mal informés, personne ne prend au premier degré. Si la préférence française pour le chômage fait sourire les nations acquises au marché, la préférence nationale, elle, n’amuse pas grand monde hors de nos frontières et celle que nous entretenons pour la prison »sèche », notre »université du crime » – contre tout dispositif de réinsertion – nous ne situe pas haut sur l’échelle des démocraties avancées. Serons-nous un jour à la pointe d’un sinistre (et illégal, en droit européen) rétablissement de la peine capitale ?
– La confusion entretenue entre le changement du climat et la préservation de l’écosystème – qui impacte nos santés – et l’archaïsme, pour tout dire »chimique », de notre agriculture ne font pas non plus de nous une société avancée au plan écologique et ceci se sait à l’extérieur.
– Le peu d’intérêt que suscite auprès de nos citoyens les »guerres » extérieures » menées par la France n’a d’égal que les réticences de nos alliés européens à nous y accompagner. Depuis leur »non » à l’Europe de 2005, les Français ne sont d’ailleurs plus vus comme à l’avant-garde de l’Union Européenne.
4 – Tréfonds ou rebonds, après les calamités de 2015
– Le »nez sur le guidon », les contemporains d’un changement d’époque ne perçoivent pas d’emblée celui-ci. Le recul du temps, finit par dégager des dynamiques, visibles par tous. Les Français des premiers temps de la Renaissance étaient – paraît-il – très angoissés d’assister à l’effondrement d’un monde. Aujourd’hui, ils ne sont pas moins agrippés à leurs vieux repères dépassés. Pas plus qu’au 16 ème siècle, nous ne parvenons à arbitrer entre contraintes et opportunités (ces dernières relevant de la notion implicite de »profiteur »). Nous n’avons pas vu venir la crise financière, ni l’embrasement du Moyen-Orient et son flot de réfugiés, ni la révolte de nos banlieues, ni l’asthénie de l’Europe, ni la place acquise par l’Islam – légitimement – dans notre société… Il semblerait que le véhicule autonome de Google, le prochain avatar de l’I-phone et l’aventure des prochaines vacances au soleil nous suffisent comme horizon »court-termiste ». Hormis, heureusement, quelques films (en version doublée mais pas sous-titrée), les arts et la culture nous branchent plutôt superficiellement sur les Etats-Unis – ce qui est appréciable – mais peu, sur le reste du monde. Cette semi-cécité devient une source de tension entre citoyens, car l’émotivité, les préjugés et les poncifs idéologiques s’engouffrent vite dans ce vide. L’internationalisme irrite les Français et ceux qui s’essaient à décrire le spectacle du monde comme pas systématiquement ingérable sont perçus comme de bien tristes illuminés, des apatrides, sans doute des traîtres…
– Le débat public sur nos intérêts extérieurs n’est ni fréquent, ni vraiment cadré par les acteurs de la diplomatie ou par la classe politique. Il fourmille d’arrières pensées et de clichés archaïques. Il est difficile, dans cette ambiance, de s’approprier le sujet et de participer au débat. Dans nos médias, tout est question de posture et d’art de se couper sans cesse la parole, pour l’obliger l’adversaire à sortir du débat. Les considérations de fond s’en trouvent rapidement expurgés. Pourtant, la politique extérieure se prête très mal à des échanges guerriers. Elle nécessite, au contraire, un consensus bâti patiemment et beaucoup de lucidité pragmatique. Convaincue qu’un tel sujet »mou » ne lui rapportera que des déboires électoraux, la classe politique ne parle du monde extérieur avec la base citoyenne, que le moins possible. Quant à nos échecs diplomatiques, jamais. Ce déficit de communication fragilise l’action extérieure du pays, peu assurée d’un consensus consolidé dans l’opinion donc moins crédible par nos partenaires ou adversaires. On ressasse souvent les mêmes paradigmes, vagues mais forts en teneur de vieille idéologie ou en indignation catégorielle (les deux se rejoignent). Dans les conversations à bâtons rompus, divers clichés – mesquins ou généreux – surnagent, aux antipodes des préceptes du »Droit des Gens », celui qui est censé réguler la Planète. Certains esprits »sensibles » appellent, ainsi, à extraire du brasier moyen-oriental les seuls Chrétiens… et pas les personnes persécutées dans les termes codifiés par la Convention de Genève de 1951. Celle-ci s’impose pourtant à tous comme une obligation du droit, d’autorité supérieure à notre législation. Tristement, en une décennie à peine, les principes de l’universalisme sont devenus caducs,… trop dérangeants. Place au chacun pour soi ! Pour accentuer la perte de sens collectif et d’appétence pour le monde, la part des élites dans nos débats publics s’est résorbée à peau de chagrin, l’émulation des idées se distillant désormais dans des rapports d’experts – que le grand public ne lit pas – ou encore dans les revues spécialisées et sites web arides, auxquels n’accède qu’une minorité élitiste.
– En 2015, s’est brutalement surajouté à nos marasmes récurrents le double choc – prévisible – des attentats et de l’afflux des exilés chassés par les guerres, la misère, les gouvernances abjectes, etc. Nous avons débouché sur la »polycrise » actuelle (terme inventé par la Commission européenne), synonyme d’un besoin de solutions rapides et tous azimuts, à vrai dire d’une sorte de réforme »systémique », que certains nomment pompeusement »refondation de l’Europe ». Qu’importe. Face à ces séismes multiples et aux fortes répliques qu’ils occasionnent, les citoyens se cherchent instinctivement quelque d’excuse pour ne pas voir, ne pas se mouiller. La faute en va à la »saturation médiatique » qu’on leur ferait subir ou à »l’alarmisme malsain » de commentateurs pilotés par l’audimat.
– L’absence ou la présence attentiste de la »communauté internationale » dans les tentatives règlement des conflits majeurs du moment, c’est aussi un peu de notre faute : nous avons échaudé les Russes et les Chinois par notre croisade en Syrie qui dépassait le mandat humanitaire obtenu de New-York. La méfiance s’est installée au Conseil de Sécurité, parmi les membres permanents. Le déficit d’action humanitaire à travers le Moyen-Orient incandescent, doit à cela, de même qu’à notre incapacité à organiser l’Europe en acteur majeur régional et mondial. Le défaut de pression de la base citoyenne sur la classe politique et sur le Parlement européens, le peu de soutien que nous apportons aux agences onusiennes telles le HCR, l’UNICEF, le PAM, ces faiblesses accentuent un déclin vers »l’état de jungle ». A-t-on vu souvent les citoyens manifester à Bruxelles pour qu’on ouvre aux réfugiés syriens des couloirs humanitaires, depuis la Turquie ? Combien de voix, dans notre pays, appellent au respect du droit de la guerre, bafoué tous les jours, alors qu’il impose le respect et la protection des populations civiles ?
voir sur le sujet Allo la communauté internationale ! Ya personne ?
La question d’une libération de nos peurs, d’un retour collectif à l’humanisme se pose, au vu de l’insensibilité ambiante au sort des populations syriennes martyrisées (non-limitées aux Chrétiens d’Orient). Elle nous hante aussi en conséquence de la disparition de quatre mille noyés en Méditerranée et de l’accueil indigne réservé aux malheureux de Calais ou de Paris.
5 – Un devoir de réagir face à la vague brune
– La monté en Europe des souverainismes, bottés ou non, est patente dans le récent scrutin présidentiel autrichien, même si la balance a penché, d’un cheveu, du bon côté des urnes. On la retrouve dans la sortie de la Pologne de l’Etat de droit (mise hors-jeu de la Cour constitutionnelle), dans le racisme à peine contenu du premier ministre hongrois, dans la franche xénophobie suisse et même à l’arrière-plan, plus subtil, d’un possible »Brexit » anglais, qui laisserait l’Europe pantoise. C’est un peu partout sur notre continent que la démocratie a besoin de se protéger contre certains de ses citoyens suicidaires ou vengeurs, vaguement semblables aux jihadistes orientaux dans leur mode binaire de pensée, et, hélas, toujours plus nombreux. Il y a, dans certaines situations, des facteurs économiques sous-jacents explicatifs, mais parfois aussi les failles ont des origines culturelles ou éducatives. La peur ou la fureur s’y engouffrent.
– Le »grand dérapage » de certains Européens (et Américains aussi, curieusement) d’avec le bon sens résulte d’une imprégnation insidieuse par les thèses complotistes, omniprésentes et »pas moins crédibles que les autres ». A cela s’ajoute une certaine incapacité à se rétro-projeter dans l’Histoire. Les leçons politiques des années 1930 sont en effet perdues, quand bien même les scénarios restent, c’est vrai, très différents. »Après tout, avec le Front National, ça ne pourrait pas être pire qu’aujourd’hui ». Bien sûr que si, et de très loin, mais notre démocratie molle est jugée à l’aune des frustrations du moment et pas comparativement à des époques passées infiniment pires. Ce sera un long et exigeant travail de réhabiliter l’esprit critique et le bon sens collectif. Il faudra répondre au flux confus des émotions, par une vision d’avenir qui soit à la fois bien cadrée (sans anesthésie ni complaisance) et réaliste (viable, en coalition). Il faut avoir la foi : celle que chacun voudra bien se trouver. On pourrait commencer par sauver Schengen, les directives européennes sur l’asile, les programmes Erasmus…
– Hors de nos frontières, on compte une trentaine de conflits actifs sur notre mapemonde polycentrique (en fait, disloquée). Les situations les plus graves se situent aussi bien en périphérie que dans les foyers ardents, tant la Paix – qui devrait être notre obsession – est la reconstitution d’un puzzle aux pièces innombrables, le fruit d’une détermination acharnée sur une durée longue. La fureur de certaines édiles, lorsque l’Etat implante – provisoirement – sur leur territoire, un camps de réfugiés n’est franchement pas à la hauteur des défis de notre temps. Refusons toujours de considérer des drames comme les guerres par le bout mesquin et autocentré de la lorgnette ….
Il y a eu un temps – sous Jacques Chirac au milieu des années 1990 – où des »éléments de solutions à la française » étaient contemplées par tous. Le Quai d’Orsay entretenait une belle vision du multilatéral et prônait même l’institution d’un Conseil de Sécurité Economique et Social des Nations Unies, égal en autorité à l’actuel, dévolu à la Sécurité et à la Paix. Il devait être doté de moyens humanitaires, prépositionnés régionalement, et servi par des »casques blancs » issus des Etats-membres : autant de spécialiste de la défense civile, de la reconstruction, du retour à l’Etat de droit, de la cohésion, de la réconciliation, de la justice réparatrice transitoire, etc. La réforme du Conseil de Sécurité, pour laquelle notre voix était accueillie comme novatrice, sincère et généreuse, devait en constituer un préalable, compte tenu du conservatisme des »grands ». C’était il y a 20 ans…
– La Cour Pénale Internationale (CPI), opérationnelle depuis 2002, procède largement d’une conception promue par la France au sein des Nations-Unies. Sa compétence »supranationale » à connaître des plus graves crimes commis contre les populations a ouvert une vraie révolution en matière de Justice internationale. En 2014, le pôle »crimes contre l’humanité » du parquet général de Paris s’est retourné contre un tortionnaire marocain – très haut gradé – de passage en France, qu’il soupçonnait d’avoir personnellement participé à des séances de torture contre des plaignants bien identifiés. Laurent Fabius a publiquement voué aux gémonies magistrats parisiens et secteur associatif des droits humains, à l’origine de cette procédure éminemment morale et légale. Pour éviter d’engorger son tribunal de La Haye, la CPI invite ses Etats-membres à faire usage du mécanisme de la compétence universelle (juger un non-Français pour un crime contre l’humanité ne concernant pas directement la France). Aujourd’hui, il semble qu’il ne soit plus question que notre justice puisse appliquer ces dispositif avancé du droit international : il embarrasse les chancelleries et pourrait compromettre la coopération entre police française et responsables tortionnaires (à Rabat, la Légion d’Honneur a prestement été épinglée, par le ministre de l’Intérieur, sur la poitrine du bourreau allégué, par un triste 14 juillet). A l’avenir, on pourrait revenir au schéma initial en respectant, aussi, le principe de la séparation des pouvoirs.

– Une agence de plein droit des Nations Unies, consacrée à l’Environnement était aussi dans les plans pour remplacer le bien faible »Programme » pour l’Environnement actuel, dénué d’autorité. Qu’en est-il advenu ? Pourquoi ne pas réactiver cette bonne idée ?
Qui au sein de l’opinion ou à l’extérieur du Pays entend encore la »voix du Quai d’Orsay », autrement que lors de l’exercice quotidien, en langue de bois, assumé par son Porte-parole, afin de donner l’illusion »que la France est bien »en initiative » et qu’elle contrôle ce qu’il y aurait à contrôler (en fait, on ne sait pas trop). Pauvre Quai, »drossé » par le rabotage de son budget et de ses effectifs depuis trois décennies ! Au total, les lambris et les stucs s’accrochent encore. Se maintient,surtout, la devise officieuse de la Corporation : »Gardons dignement les apparences ». Il est vraiment temps de faire de la place pour le SEAE et la diplomatie européenne, où nos diplomates s’acquièrent d’ailleurs influence et estime.
– 6 L’accès à la »grande image » implique présence, efforts, travail en réseau
– L’émergence, hors de l’Occident, de nouveaux pôles géants de l’économie et le rapetissement consécutif de l’Europe en termes de poids mondial (7 % de la population) ne sont pas perçus dans leurs incidences, sinon via une vague d’allergie protectionniste. De formidables opportunités résultent de ce monde aux grands acteurs nombreux. On préférera les taire. par exemple, on débat rarement de l’investissement – du nôtre à l’extérieur ni de celui des capitaux étrangers chez nous, dont dépend pourtant un tiers de nos emplois. Les succès de notre industrie du tourisme ne nous réjouissent pas plus que ça. Par contre, les délocalisations révoltent et font le buzz. La Chine, qui connaît ses propres et sérieux problèmes, devient un repoussoir, uniquement au titre de sa politique industrielle d’accueil des capitaux. Ouvriers, consommateurs, patrons et Bureau politique se voient tous mis dans le même sac perfide. D’ailleurs, pour certains d’entre nous, la compétitivité et la concurrence exprimeraient de fausses valeurs néo-libérales qu’il conviendrait de fustiger dans le discours public. Même si le monde est structuré par les marchés (et par les guerres) – ceci dit sans satisfaction aucune – il nous serait effectivement loisible de vivoter pauvrement en autarcie, sans ce fichu défi mondial permanent, qui nous demande de nous dépasser et nous donne la migraine. Doliprane, svp !
– En matière de crises et de conflits, »mais, que fait-elle ? » C’est l’invocation rituelle concernant la »communauté internationale », cette sorte de super-pompière universelle pour embrasement lointain, qui est, aussi, l’Arlésienne. Passe alors un message démobilisateur: »tous responsables, mais personne en particulier; tous absents, de toute façon ». Elle sera à nouveau au rendez-vous après qu’on aura re-dynamisé, élargi et modernisé l’ONU pour que l’Organisation universelle ne soit plus paralysée par le système du veto. »L’ingérence humanitaire », popularisée par le Dr Kouchner, aura permis de faire sauter quelques verrous dans quelques cas, mais pas longtemps, tant elle paraît avoir été théorisée pour nous faire percevoir par l’ensemble du monde émergeant d’être de fieffés intrus-donneurs de leçons et pour glorifier notre bonne conscience. Devenue le »devoir de protection », elle continue à alimenter des soupçons (cf. tensions liées à l’utilisation que la France en a fait en Libye, en 2011, en »réinterprétation » du mandat onusien). Il est temps de faire place à des sagesses venues du Sud. Il y en a et elle nous serviront.
– Jusqu’à certains de nos accords de coopération militaire, déguisés en innocents »arrangements administratifs » – (pour échapper à l’examen du Parlement) et qui prévoient la fourniture, avec nos systèmes d’arme clé-en-main, de sulfureux »plans génériques » d’état-major. Ceux-ci désignent au client son ennemi, le plan de guerre à mettre en œuvre et ils incluent parfois une clause d’engagement »automatique » de nos forces dans les futures hostilités, en appui à l’Emir. Nos troupes prépositionnées seraient alors épaulées par des »mercenaires » , également français ( »conseillers » ou »assistants techniques »), fournis par les sociétés de service de la Défense (DCI) afin de servir les systèmes d’arme livrés. Et si nous remettions un peu d’ordre et de légalité dans notre commerce militaire ?
– Que faire de plus ? L’instinct pousse à proclamer : »de la pédagogie, beaucoup de pédagogie, encore de la pédagogie ! ». En partant toutefois de la condition vécue et des problèmes pratiques de chacun. Le sens civique semble réémerger progressivement : Nouvelle donne, Nuit debout, beaucoup de nouveaux forums, beaucoup de formules »alternatives », qui se cherchent encore. Tant mieux ! Il faut se déplacer sous les préaux, parler aux gens d’autres gens qui leur sont proches et de l’imbrication du local, du national, de l’européen et de l’international dans leur environnement immédiat. Appréhender la »grande image » nous renvoie aux institutions multilatérales, actuellement boudées, tandis que notre contribution et nos attentes individuelles se placeront bien plus sur un plan local. Parlons donc de l’avenir de l’ONU, du rôle de ses agences spécialisées, du désarmement… tout comme nous aimerions deviser, au café, de l’économie circulaire pour nos bourgades et quartiers !
7 – Nous resterons, malgré nous, des otages de l’international
Proposons quelques angles d’explication répondant au triptyque » pédagogie – grande image » – action locale des citoyens », en pleine conscience de la simplicité du microcosme de voisinage (à notre portée) et en même temps de son rapport intrinsèque à un »tout » international ou universel, complexe (la »grande image »).
– Premier scénario (basique) : je suis chômeur.
Gardons à l’esprit que ma galère n’est pas étrangère à la »crise » des subprimes, surgie dans le monde anglo-saxon. Si mon ex-entreprise n’a pas été purement et simplement liquidée par la financiarisation de l’économie (le transfert des fruits du travail des travailleurs et entrepreneurs vers des actionnaires anonymes mais voraces), peut-être a-t-elle été délibérément déstabilisée et affaiblie dans son cœur de métier, voire »siphonnée » dans sa trésorerie, au nom du primat sacré du profit à court terme de l’Actionnaire. Une branche du capitalisme mangera l’autre, comme certains l’avaient prédit dès le 19 ème siècle. Mon patron appartenait, par vocation, à l’économie rproductive. Le Board a décidé de gouverner par dessus sa tête et d’en faire le liquidateur de ses propres capacités, à mes dépens, qui plus est. Le robot ou la technologie qui vont me remplacer ne créeront pas nécessairement beaucoup de plus-value supplémentaire, mais sûrement moins de gestion (volatile et pénible) de ressources humaines. Et surtout, plus de souplesse financière. Le modeste retraité américain cotisant au fonds de pension X (un géant sur les marchés financiers), celui qui me »tue » par entreprise interposée, est au demeurant fort sympathique. Je voudrais l’informer de l’usage peu éthique fait de ses modestes économies et même m’en faire un ami. Mais, il vit trop loin de chez moi. Donc, je préférerai prendre simplement en otage mon DRH, qui n’y peut mais. Act narrowly focused …
– A terme, comment gérerons-nous les sociétés au sein desquelles la majorité d’entre nous n’auront plus aucune part aux processus nobles : recherche, éducation, santé, encadrement, administration, production, commerce, finance et autres services (culture, loisirs…) ? Un droit sec à la consommation, sans responsabilité, sans culture et sans épanouissement personnel : voilà ce qui formera l’ossature et le tissu social de la masse citoyenne occidentale, marginalisée, par succession aux classes moyennes actuelles. Les désœuvrés de la société civile seront un jour tentés de rejoindre les »alternatifs »de toujours, pour s’insurger contre les banques et les machines, pour arracher au »système » quelques bribes de pouvoir. Ils se retrouveront aussi, à leur propre étonnement, aux côtés des sous-prolétaires du monde émergeant, qui sont eux aux aux prise avec leur propre »emballement » démographique, générateur de pauvreté (l’Afrique!). Ceux-là sont, plus brutalement encore, privés de débouchés pour leur force de travail, mais aussi de mobilité humaine, du droit à un modèle économique compatible avec leur développement humain. Consommateurs désœuvrés, allons donc faire un peu de tourisme – intelligent – chez nos frères du Sud. Restons-y et échangeons nos réflexions prospectives !
– Seconde (fumeuse) hypothèse : je suis banlieusard, fier d’un patronyme qui a des tonalités de soleil. Je désespère de jamais trouver un job qui m’extrairait du ghetto (quartier). Je soupçonne »ces Français des beaux quartiers » de m’ignorer voire de me mépriser profondément. Rien de neuf, en somme. Pourtant, les Etats-Unis et les monarchies du Golf s’intéressent de près à moi … plutôt plus que le préfet de Bobigny. Washington m’invite à créer un »Parti des banlieues », car, après tout, nous sommes 15 millions dans cette condition, que ça pèse électoralement et et que le modèle des Pères fondateurs yankees nous branche bien. Abou Dhabi, Dubaï ou Doha veulent prendre en charge ma transfiguration en un moderne »homme d’affaires islamique », à elles (en principe) tout dévoué. Les régimes maghrébins se disputent pour animer ma mosquée (où je ne vais guère, d’ailleurs, comme les Chrétiens vont peu à l’office). Daesh et les autres jihado-sectaires me harcèlent de leur prosélytisme, par internet, depuis Rakka ou le Waziristan. Ils aimeraient bien me recruter pour le grand sacrifice kamikaze, m’équiper de la panoplie complète du petit terroriste, complétée des 12 leçons sur le web et du séjour d’entraînement – ou non – plus feu d’artifice au retour au pays, sans frais. La galère …
Harcelé par tous ces étrangers – pas très francs – je me dis : »think global, act local, boy / girl ! ». J’aimerais comprendre l’état du monde, comme le font les autres Français, et notamment prier comme ça me dit, dans la langue de Voltaire. Mais le ministère de l’Intérieur et des cultes entretient, lui, un partenariat stratégique de sécurité anti-terroriste avec les pays-mêmes d’où viennent mes vieux imams aigris, illettrés et consorts. De plus, la laïcité impliquant, dit-on, un rapport très spécifique de force de police à lieu de culte, il resterait peu de moyens au gouvernement pour mon émancipation et la justice sociale. Il se limite à embellir les paysages urbains. Assurément, ma radicalisation éventuelle, au titre de ma vengeance, fera merveille pour titiller l’Autorité et horrifier l’électeur lambda. Ceux-ci sont moins sensibles à la violence des casseurs trotskistes ou anarchistes de la Place de la République qu’à mes frasques, il est vrai insensées. Probablement ont-ils perdu de vue les croisés du Moyen Age, les anarchistes d’antan, Action Directe et autres guérilleros nihilo-trotskistes. Tous ces gens n’étant pas spécifiquement musulmans (ou banlieusards), bien qu’assurément assassins, revenons en à la Loi !
– Scénario n° 3 : Vous êtes lecteur du Monde, de Libé (ou de Mediapart), et vous souhaitez que la France diffuse encore et toujours un message humaniste universel à l’intention du vaste monde. Vous vous demandez dans combien de guerres extérieures la Patrie est, pour l’heure, embringuée : 4, 5, 6, 7 ? Qu’ont donc réalisé nos soldats en Centrafrique de si remarquable, dans leur travail de police (en omettant les scandales de mœurs que quelques individus pédophiles ont suscités) ? Ne cherchez pas de réponse, dans le présent immédiat. Pourquoi n’y a-t-il pas d’armée européenne à nos côtés au Sahel, alors que la Politique européenne de Sécurité et de Défense (PESD) date du début des années 1990 et que l’idée d’armée commune remonte à la conférence franco-anglaise de St Malo, en 1998. Pourtant, c’est l’Europe qui est menacée ? Pas de réponse, non plus ou alors, dans un siècle.
– On voudrait se rassurer en se disant que toutes ces opérations guerrières ont été amplement délibérées et approuvées par la Représentation Nationale, après avoir été démocratiquement expliquées aux citoyens… Est-ce le cas, vraiment ? Ad post, le Gouvernement et nos médias vont nous expliquer par le détail les résultats de nos frappes contre les camps de Rakka (où les jihadistes franco-belges n’attendent pas nos rafale pour s’exposer glorieusement au sacrifice) et au dessus des derricks syriens. Ira-t-on jamais taquiner Abou Bakr Al-Bagdadi, lui-même enterré dans son bunker de Mossoul, le centre névralgique de Daesh ?. Ce serait »détonnant » et lancerait vraiment , pour le coup, »la guerre » dont on nous parle tant ! Pourquoi, dans ces opérations, une bonne partie de nos »alliés » arabes (sunnites), bombardent Sanaa au Yémen plutôt qu’avec nous, le désert syrien ? Problème de GPS ou obsession anti-chiite, à laquelle nous nous sommes associés, un peu par mégarde et par contrats d’armement ? Toujours est-il qu’à côté des Russes – très actifs à raser les hôpitaux et à matraquer les survivants civils – nous sommes bien petits, tout gentils et très calmes, pour ne pas dire invisibles sur le théâtre des opérations. Devra-t-on attendre que le »Charles de Gaulle » encaisse un coup au but, pour sortir toutes nos griffes de vaillant chaton? Ou nos militaires ont-ils simplement pour mission de montrer la force, sans plus, comme ils le font dans nos gares ? Il doit bien y avoir un plan stratégique quelque part, puisque nos apprentis-jihadistes s’en réclament pour justifier leur sanglante follie. Mais n’évoquons surtout pas, entre les sorties de nos aviateurs et celles de nos jihadistes français l’existence d’un vague lien de causalité, pas maintenant …
– Scénario 4 : Dans l’air du temps, nous recherchons tous de l’air pur, de l’onde sans nitrate, des aliments naturels, sains pour notre santé. »Think global, grow local ». Mais qui donc a pensé ce modèle chimico-financier d’agriculture (la dette en étant le ressort central), capable de stériliser la terre et de nous empoisonner lentement ? Reconstituer la terre, laisser la nature se reconstruire elle-même avec le temps, à l’heure où 40 % de nos champs sont déjà stériles, impliquerait une réparation opiniâtre des dégâts accumulés, sur une vaste échelle. La réduction de moitié de l’usage des pesticides (cancérogènes), exigée par l’UE pour 2018 est mal partie : depuis lors, on en a encore augment la dose de 15 %, ! Ne parlons pas de la »nitrification » de la Bretagne par la concentration porcine, ni de l’épandage des perturbateurs endocriniens dans nos rivières et océans… Nous empoisonnons, au passage, un bon nombre de riverains non-Français, néanmoins concernés, peut-être guère moins que par nos essais nucléaires passés en Polynésie. Des terres aux océans et aux pôles, de la »chimi-culture » à la biodiversité abîmée, ces prélèvements sur Mère Nature s’inscrivent bien dans un processus global et de long terme. La diplomatie de l’environnement a de très beaux jours devant elle.
– Le modèle productiviste était, à l’origine de la Politique Agricole Commune (PAC) d’inspiration essentiellement française. Il a été porté à son paroxysme comme résultat de l’agressivité mise par Paris à assurer sa perpétuation à Bruxelles (UE), et, aussi, par l’alliance »contre nature » des syndicats et coopératives agricoles, d’une certaine culture paysanne ( »on vous nourrit, on peuple les campagnes, alors tenez-vous cois ») et par la sourde complicité des banquiers et de la classe politique (les bataillons d’agriculteurs, »électeurs fidèles » de la droite conservatrice, à l’opposé symétrique de ce qu’ont été les enseignants pour la gauche). Bref, c’est l’Europe et seulement elle qu’il convient de détester pour tout cela, par exemple, en brûlant des pneus devant nos sous-préfectures (cruel message écologique!). Vous l’avez compris : il existe d’autres forums auxquels s’adresser.
– Scénario 5 : en parlant d’atome, je me découvre, tout bonnement, un actif qui produit et a besoin d’énergie. La transition énergétique progresse dans tous les pays autour de nous, sauf en France, pays du brouillard. Jusqu’à quel âge vieillit et meurt une centrale nucléaire, combien coûte son démantèlement (à imputer ou pas sur la facture du consommateur ?), sait-on d’ailleurs le faire, d’ailleurs et où passent les déchets enfouis profondément comme l’argent européen ? A quoi ressemblera, enfin, le »mix » énergétique, des années 2020 et 2030 ? A quel prix facturera-t-on le Kw/h ? Posons à notre guise toutes ces questions : nos voisins auront quelques réponses. Mais pourquoi n’entreprenons-nous pas illico de créer, avec eux, les futures infrastructures des régions frontalières? Au fait, que proposons-nous comme matrice de la politique énergétique européenne ? Notre corps des mines s’introspecterait-il plutôt sur les quasi-faillites d’Areva et d’EDF : où aller pantoufler, désormais ? C’est
– Scénario 6 : en tant que citoyen de la base, je suis amené à m’exprimer et à m’ investir dans l’action associative civique, culturelle, écolo et sociale (que les sportifs m’excusent). Le paysage de l’action citoyenne qui évolue sous mes yeux n’est que cloisons, murs, quotas, catégories (forcément suspectes), exclusion et prohibition. Par ailleurs, chacun de mes faits et gestes est soigneusement espionné par de puissantes et lointaines entités sécuritaires ou commerciales, nationales, internationales, mondiales. Aucune parade, en tout cas sans une vaste alliance mondiale de citoyens. Compliqué. En tout cas, merci , M. Snowden et aussi à tous les lanceurs d’alerte du monde! Je ne puis investir les états-majors totalitaires lointains ou bien gardés. Bloquons alors quelques raffineries, en attendant mieux. C’est écolo et ça pourrira la vie de braves gens comme moi, c’est déjà ça !
– Scénario n° 7 : martyrisé à Rakka, je suis demandeur d’asile à Paris, mais je ne peux lancer ma bouteille à la mer : le préfet venant de me communiquer une OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français) … je suis pour peu de jours en Centre de rétention administrative, attendant l’avion pour Rakka. Adieu !
– 8 Sous l’état d’urgence perpétuel et bientôt la pression des milices
Un gouvernement réputé de gauche (que je ne citerai pas) a coupé les ailes à la magistrature française, au motif d’attentats imposant l’état d’urgence. Ce régime d’exception est, d’ores et déjà, pérennisé dans le code pénal et dans une dizaine de textes réglementaires ou législatifs sur la sécurité et le renseignement. Tous assez intrusifs, ils ont été adoptés à la hâte. Si on s’en prend à moi, au mieux, mon pauvre cas débouchera au tribunal administratif, précédé par l’avis du Préfet, qui vaudra jugement. Dans moins d’un an, ce dernier sera peut-être aux ordres d’un gouvernement que l’extrême droite pourrait étroitement contrôler, directement ou non. Quel usage sera-t-il amené à faire de tout cet impressionnant arsenal ? Avant longtemps, notre démocratie vieille de deux siècles pourrait bien se retrouver en lambeaux. En de telles circonstances, on pourrait douter que la »société civile » – hormis celle qui vote à droite – garde quelque capacité d’agir et de se faire entendre. J’entends des bottes dans le couloir, mais cool : aucun motif à me déclarer »surpris »!
– Question d’un citoyen non-violent (scénario n° 8 ?): quelles tensions ou affrontements seraient le plus à craindre au sein d’une société sous la botte du FN ? Quels alliés improbables iront chercher les miliciens (car il y en aura), à l’extérieur de nos frontières ? A bien regarder autour de nous, les conflits liés à la défense des libertés (révolutions de couleurs, en Europe orientale, fugaces »printemps arabes », la Bosnie, auparavant ..), les scénarios sont déjà rodés : rien ne se passe à l’abri des ingérences. Tout sera à la fois civil, armé et international. N’allons pas imaginer que l’arrivée aux commandes des extrêmes droites nous laisserait tout loisir de mitonner entre nous de gentilles querelles »partisanes » franco-françaises », sans que l’on ne prenne quelques coups sur le nez. Anticipons plutôt l’arrivée de fauteurs de troubles extérieurs, dont certains opèrent déjà parmi nos »casseurs »de la place de la République. Si vous estimez devoir fuir, avec moi, en Angleterre, en Suisse, en Allemagne ou encore en Belgique, prenons bien soin de vérifier que la »peste brune » ne nous y rattrapera pas. Même, les Etats-Unis de l’ineffable Donald Trump pourraient se mettre de la partie. Réfugions-nous plutôt à Pékin, où, avec un peu de chance, nous pourrons assister aux premiers pas d’une contre-révolution humaniste en marche!
– L’Histoire bégaie sans vraiment se répéter. Certes. Mais les régressions historiques se font écho les unes aux autres, dans une sorte d’enchaînement mécanique. Ce glissement dans l’abîme sera suivi d’un réveil et d’une résistances, mais à quel prix ! On a déjà vu ces descentes aux enfers, sous l’effet de cultures politiques populistes. Toutefois, dans une partie – même minoritaire – du corps citoyen, restent heureusement en mémoire les leçons de l’Histoire, formulées en leur temps, et les valeurs-repères qu’enseigne la démocratie. Les réseaux sociaux diffusent sur ces sujets beaucoup de fantasmes, d’approximations et de contre-vérités mais il faut en être pour porter la contradiction aux charlatans. L’Histoire nous est, dans la période qui s’ouvre, un outil d’analyse et de comparaison plus précieux que jamais. Epaulée par la recherche en sciences humaines et sociales, elle nous éclaire et peut nous prémunir du basculement complet, qui n’est pas l’option la plus probable mais la plus redoutée. Par symétrie, la peur reste, encore et toujours, le vecteur de tous les dangers.
9 – Raccrocher les Français à l’Europe de la démocratie
Comme 70 % des Européens, les Français »décrochent » en masse de l’Europe et aussi de leur goût d’antan pour le débat géopolitique. Je me prends, quand même, à rêver d’une »diplomatie citoyenne », même si les deux termes s’accordent assez mal au premier abord. La »diplomatie » reste, à tort ou à raison, évocatrice d’un distingué apanage revenant à quelques hauts commis de l’Etat. Ceux-ci pratiqueraient sans âme, au service de leurs carrières et, accessoirement, des politiciens qu’ils servent, en quête d’images flatteuses d’eux-mêmes et de »buzz » valorisant. Il faudra bien tirer un peu la nappe, changer la vaisselle et »secouer les tapis par les fenêtres » – comme disait le fougueux Claude Cheysson – , pour remettre dans les mains de ceux qui préparent l’avenir du Pays ce pan des affaires de la Cité (la France, l’Europe, le monde). Introduire un peu de transparence et de démocratie dans la diplomatie ne nuirait pas, bien au contraire !
– L’éducation, par excellence, est l’axe qui ouvre l’avenir. Préparer nos jeunes à la condition adulte et citoyenne, cela commence tôt, dès l’école puisque, dans un certain nombre de foyers, les parents ne peuvent pas ou ne savent pas y contribuer: il faut y suppléer. En commençant par la démonstration de ce que »la politique, c’est noble et généreux » (et non pas »sale et vil ») et, de plus, pas systématiquement partisan. Sachons rendre vivante et stimulante la convergence des sciences humaines – Histoire, géographie politique, droit, économie, philosophie pour enrichir l’éducation civique.
– L’Euroscepticisme concentre, dans une formule assez démagogique, toutes nos frustrations, dont bon nombre ne sont pas directement ou pas du tout liées à la marche du Vieux Continent. Pourtant, il est peu d’institutions sur terre qui aient produit autant d’effets bénéfiques sur la vie concrète des gens que l’Union Européenne. Depuis la réconciliation franco-allemande, le retour à la paix, le brassage des peuples, la croissance des échanges jusqu’à l’affirmation de principes humanistes très en avance sur d’autres temporalités gouvernant d’autres latitudes. Nous pouvons en tirer une vraie fierté, sans chauvinisme aucun. Il convient d’exploiter au mieux notre taille critique continentale, très délicate à gérer, mais qui permet aux représentants des 28 de se faire entendre et de marquer des points dans les grands forums mondiaux… quand la volonté politique est là, évidemment !
10 – Une politique extérieure ancrée dans la communauté citoyenne
– Il n’est, de toute façon, pas de bonne politique extérieure sans saine situation intérieure et, surtout, sans un niveau décent de stabilité et de cohésion sociale. La diplomatie en antichambre ou sous les ors fins, ça ne va pas très loin. Les initiatives diplomatiques intelligentes mais privées du soutien populaire, retombent d’elles-mêmes. Une vision de l’Europe et du monde sans une base économique solide sur laquelle s’appuyer ne suscitera au mieux qu’une sympathie passagère dans les capitales. Un peuple majoritairement eurosceptique si c’est bien le cas des Français (sans aller toutefois jusqu’à vouloir rompre avec l’Union) avait pourtant porté l’Europe sur ses fonds baptismaux. Cela donne un énorme coup de blues à notre Vieux Continent tout entier : »the French are sick and down ».
– Sans s’appesantir plus sur les sacrifices matériels auxquels a été astreinte notre diplomatie, à l’inverse de celles de nos voisins, son déclin en puissance et en influence s’est particulièrement fait sentir au fil de tristes péripéties françaises : le reniement des élites et de l’Europe en 2005, la désintégration sociale, une capacité moindre que les voisins à sortir du gouffre de la dette et à relancer la machine économique, le flou des orientations politiques, les querelles de Gaulois sur les politiques sociales et sur le modèle sociétal. Les talents sont toujours mobilisables mais l’écoute est devenue plus faible, les centres de décision, mal coordonnés et le moral n’y est plus du tout. Hormis l’aimable accueil, par Laurent Fabius, de la COP 21 à Paris – une conférence onusienne, pas française – on ne voit pas ce que les prestidigitateurs de l’Elysée et du Quai pourraient bien sortir de leur chapeau, qui puisse marquer le monde (une n ème conférence sur le contentieux israélo-palestinien?). Restera toute une série d’accords et de flatteries destinée à des présidents-dictateurs et aux émirs sunnites du Moyen-Orient ou d’Asie centrale, qui sont de bons clients. C’est assez triste, mais le peu d’éclat à l’international dont jouit encore la Patrie de Vergennes et de Talleyrand tient surtout à la vaillance de ses armes – celles portées par ses soldats, celles vendues par ses marchands de missiles – et bien moins au génie créateur de sa diplomatie, autrefois fort respecté.
– Il faudrait vraiment que les classes sociales »évincées » s’intéressent à nouveau à tout ce pan du domaine étatique que l’on qualifie à tort de »régalien » plutôt que de »citoyen ». Que les débats s’instaurent ! Espérons que le corps législatif comme la haute fonction publique y prendront part sur tous les forums, dans toutes les enceintes, au côté des enseignants, des retraités de la »réserve civique » et des citoyens-lycéens, travailleurs, chômeurs, etc. C’est à eux que ce texte d’humeur est adressé avec confiance et affection. Plutôt que les stéréotypes dont on l’affuble, la démocratie représentative mérite une nouvele chance, au prix d’un profond renouveau des règles et des personnes.
11 – Le rebond est à portée
Demain, on pourrait parler à nouveau de relations »Nord-Sud », pour confirmer que l’avenir planétaire des générations qui nous suivent passe bien par ce plan là (sur les 30 plus grandes mégapoles du monde, en 2030, une seule sera européenne : Istanbul). On pourrait ne pas taire notre expédition militaire malheureuse en Libye, et prévoir le prochain exode qui pointe à nos portes (la Libye, encore), retravailler l’avenir de la Méditerranée, rassurer l’Europe de l’Est face au prédateur russe ; s’interroger sur ces guerres abjectes qu’on a pas su éviter, sur leurs victimes si mal accueillies chez nous (en réfutant la »crise migratoire », expression impropre, imbue d’un froid mépris!). On rétablirait, au total, une certaine perception du cours de l’humanité fondée, non sur une émotivité racoleuse, mais sur des vrais valeurs, assurément universelles et partagées à l’international.
– Au milieu du gué, il va nous falloir décider si nous voulons mener le cheval européen jusqu’à la rive d’en face, en terrain sec et stable, ou bien si nous préférons le noyer, immobile, dans le fil du courant. On évoque là le sort de tous ces chantiers européens, qui ont soulevé beaucoup d’enthousiasme initial, mais restent figés inachevés du fait des hésitations de nos capitales: une Europe politique citoyenne aurait à se doter d’un »vrai » parlement qui soit, comme le font déjà les Verts, structuré par sensibilités politiques, sans considération des nationalités d’origine. Une Europe sociale, apparaîtrait comme porteuse de plus de justice pour les chômeurs, les nouveaux pauvres et les »quartiers » désespérés, dans un souci de cohésion entre nous. Ce serait aussi, pour les mêmes raisons, une Europe fiscale et un Gouvernement économique de l’Euro-Groupe, pour gérer les crises internationales, harmoniser le fonctionnement des économies et des banques, saisir, aussi, les opportunités inhérentes à la mondialisation, en tentant de »civiliser » (réguler) celle-ci, comme Hubert Védrine l’a bien exprimé en son temps.
– Toujours dans un souci d’économie et de meilleure représentativité, on s’efforcerait à mettre en oeuvre, sans biaiser, la substance du Traité de Lisbonne, notamment en activant la montée en puissance du Service Européen d’Action Extérieure (SEAE), actuellement sous la main de Federica Mogherini. Ce serait réaliser l’ambition que la diplomatie européenne dépasse enfin le stade de la sous-traitance pour les Etats nationaux (le Conseil Européen, en l’occurrence). Des initiatives de l’Europe vers le monde sont attendues à court terme, telle, l’adaptation du droit humanitaire à l’environnement géopolitique des années 2010, qui est très différent des références juridiques puisées dans le cours des années 1950-1960. Les guerres »civilo-régionalo-religieuses » n’attendront pas, ni le flux induit de réfugiés-victimes (mais pas principalement »politiques »), ni les cataclysmes naturels (annonciateurs des réfugiés climatiques à venir).
– Le processus du contrôle des armements et du désarmement, actuellement au point mort, pourrait reprendre son cours. Les drones tactiques auto-guidés (5000 morts, déjà) pourraient ainsi être prohibés en tant qu’outils d’exécution extra-judiciaire, non-conformes au droit de la guerre. On ne contournerait pas non plus les grands thèmes du multilatéral (réforme des Nations Unies, de l’aide publique au développement, de l’éthique de comportement de sociétés multinationales, plus puissantes que certains des Etats qui les accueillent. On poursuivrait la croisade contre l’évasion fiscale internationale et celle concernant les intrusions du numérique dans la vie privée des gens. Le dérèglement du climat et bien sûr, les accords commerciaux resteraient en haut de l’agenda. Tous ces sujets seraient du plein ressort du SEAE, en liaison avec les autres organismes concernés.
– Pour stimuler la citoyenneté européenne, on pourrait imaginer de renforcer et d’élargir à d’autres publics les programmes de type Erasmus, porteurs d’une conscience collective et d’une identité continentale. C’est sur cette base préalable que pourrait être élaborée une politique de mobilité qui ne soit pas dictée par les peurs. Européens, visiteurs extérieurs et personnes accueillies doivent pouvoir se côtoyer sans préjugé obscurs ni arrière-pensée idéologique, à l’intérieur de frontières extérieures bien gardées, mais excluant les drames de refoulement en masse, c’est à dire sans murs ni barrières intérieurs. Une politique humanitaire (réfugiés et migrants, droits de l’Homme, solidarité internationale) digne de l’histoire de notre Maison commune ne pourra être élaborée et soutenue que par une convergence de contributions nationales jusqu’au niveau supranational, conformément d’ailleurs au Traité de Lisbonne et à la Charte de San Francisco. Il faudra aussi convaincre nos voisins de notre sérieux et mobiliser une vaste coalition de partenaires pour déboucher, avec le temps, sur des résultats concrets.
Une Nouvelle Donne, à la hauteur du New Deal des années 1930 réalisé par Roosevelt, se prépare en vue des échéances nationales. Elle nécessite un long travail de fond, en une large concertation nationale mais aussi beaucoup de consultations avec nos proches partenaires extérieurs (les »like-minded »). Ceux-ci sont des capteurs indispensables pour saisir correctement certains sujets et s’emparer efficacement des leviers d’action. Il faudra se faire bien des concessions entre Européens pour intégrer nos spécificités respectives – celles de la diversité géographique économique et humaine du Continent – dans un creuset de valeurs communes, fortement réaffirmées.
De la »grande image » des enjeux pourra surgir la remise à plat pacifique et généreuse qu’espèrent nos concitoyens.