Au printemps 2017, l’ACAT s’interroge sur le binôme  »Fraternité – Résistance »

Accueillie à Bussang (Vosges) par le chapitre lorrain du Mouvement, l’Assemblée générale 2017 de l’Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture (ACAT-France) s’est placée sous les signes dialectiques de la fraternité et de la résistance. Le rapport moral de la Présidence et la table ronde  »résister », qui l’a suivie, ont précisé, avec clarté et réalisme, la posture de l’ACAT dans la période actuelle de gros temps sur la démocratie.

1 – Face à la montée des populismes, à la perte du sens de la fraternité/ solidarité universelle, à l’engourdissement des esprits et à leur déshumanisation, il nous faut considérer sans complaisance notre société, mue par l’argent, la jouissance matérielle égoïste, la désinformation et la peur. La fraternité fondamentale n’a pas résisté au climat délétère, dans lequel  »beaucoup voudraient limiter leur humanité au cercle étroit de leurs proches ».

– Amplifiées par l’effervescence de la campagne électorale, ces pulsions négatives appellent à un surcroît de vigilance face à la ré-émergence de la torture et de comportements haineux. Il n’est pas du au hasard que les citoyens qui s’insurgent contre l’accueil (fort modeste) des exilés en France, sont aussi ceux qui réclament à grands cris le retour de la peine de mort dans notre arsenal judiciaire. Le concept-même de  »droits de l’Homme », surtout dans sa version  »droits de l’Autre » est attaqué et déconsidéré de toute part. Les beaux esprits sceptiques s’en moquent. Les gouvernements s’engouffrent aussitôt dans la brèche.

Une sorte de Moyen-Age refait surface. Un consensus punitif est retrouvé sur les châtiments cruels et inutiles. Comme dans les époques tortionnaires, des  »fratries » de gens proches, voisins, alliés entre eux dans des cercles fermés se recomposent, cimentant leur solidarité et leur convivialité internes sur un grand mépris pour tous les autres. Car tous  »ces autres » possèdent, à leurs yeux, moins de valeur humaine, moins de droits, moins de dignité, moins d’importance aux regard de la Justice.  »Taire ou faire taire » (comme c’est souvent le cas dans nos prisons), c’est déshumaniser, parfois-même  »démoniser ». Notre siècle renoue avec ce  »vieux fond de barbarie persistante » qui aime infliger de l’humiliation. Puis celle-ci mène, bien sûr, à la violence et, parfois, au suicide.

2 – De toute évidence, l’indifférence à l’Autre se situe aux exactes antipodes du message d’amour et d’espérance que nous ont laissé le Christ et 20 siècles de progrès à tâtons de l’Humanité. Il n’est, assurément, de fraternité qu’universelle, égale pour tous, bienveillante et gratuite. Comment articuler notre action, plus efficacement qu’au coup par coup, sinon en travaillant sur l’opinion publique, dans son ensemble. Fraterniser et résister, venir au contact des furieux en refusant toute tentation de crier avec les loups, c’est bien l’effort supplémentaire de présence et de pédagogie auquel il faut s’atteler en 2017.

– Comme le rappelle l’anthropologue Emmanuel Terray,  »résister ne se conjugue qu’au présent ». Le prérequis en est un acte de volonté : s’engager fermement sur ses valeurs, les défendre, bien cerner le projet collectif (aux côtés des valeurs individuelles) et ses bénéfices de long terme, savoir protester et dénoncer l’arbitraire. Un équilibre s’établit entre ces deux termes (valeurs collectives et individuelles) mais aussi entre la Loi (gage de l’ordre public et de la pérennité du système démocratique) et les valeurs  »civilisatrices », religieuses,etc. avec lesquelles la Loi entre parfois en contradiction. Face à l’injustice, se présente alors le choix entre se montrer moralement intransigeant (et donc moins efficace) ou aussi efficace que possible (au prix d’un compromis avec l’idéal), tant l’antagonisme reste permanent entre la démarche de pureté morale et celle de réalisme fécond. Chacun, selon son tempérament, sera juge pour lui-même, de même que chacun optera, soit pour la non-violence absolue, soit pour une forme de  »violence défensive », maîtrisée et proportionnée. Violence et vérité n’interagissent, de toute façon, pas entre elles. Dans l’option non-violente, la souffrance qu’on peut accepter pour soi n’est pas imposable aux autres. La désobéissance civile, fluctue entre ces deux pôles. Il faudra toujours déboucher sur l’apaisement. Ainsi, le Moyen-Age ne diabolisait pas systématiquement le vaincu : paix juste, retour de concorde et générosité prévalaient souvent sur l’instinct de vengeance.

3 – Le pasteur Rodenstein (également élu local), s’est présenté comme un proche de Tullio Vinay, le pasteur vaudois qui avait alerté, en 1974, les futures fondatrices de l’ACAT des tortures ayant cours au Vietnam. Il puise une forte inspiration à l’esprit de résistance de son ami, face au nazisme puis contre la mafia sicilienne. La  »trouille qu’éprouvent les petites gens » reste un fond de commerce florissant pour les dominants de tous genres. Des investissements considérables sont consacrés à faire proliférer l’ignorance et à la désinformation des gens. A en rendre malade notre démocratie, on va nous  »soumettre à la tentation », celle qui fait renoncer à son esprit critique, à son droit à la justice, à la vérité et surtout à l’égalité de droit entre les personnes, inscrite dans la condition humaine. On touche là à des trésors humains non-négociables, qu’il faudrait défendre sans faillir. Mais, hélas ! Pour rendre les choses pires encore, sous nos latitudes, les transgresseurs sont des élus issus d’institutions démocratiques ou de grandes entreprises libérales. On pense à certains tortionnaires assumés, qui avaient parfois été résistants auparavant. Entre les institutions (inertes, dépassées) et la réalité (volatile, manipulée), le décalage explique nombre de comportements anormaux.

– Mais d’ailleurs, nous autres heureux moralisateurs dotés d’une conscience, nous imposons-nous les efforts quotidiens qui nous permettraient de nous prévaloir de la qualité de citoyen responsable  »modèle », actif et informé ? Ne copions-nous pas, par réflexe mimétique imbécile, certains abus flagrants devenus courants ? Eprouvons-nous le respect scrupuleux dû au vivant, au delà de celui, de pure forme, pour l’être humain ? Sommes-nous prêts à intégrer une approche des droits humains qui concilierait les cultures diverses du monde et qui serait élaborée aussi en termes positifs, plutôt que sous forme d’une longue liste d’interdits ?

Poser ces questions, c’est nous renvoyer à notre conception de la liberté/responsabilité individuelle. Très loin de toute  »doctrine du mérite », c’est de la grâce qui nous est naturellement donnée que nous tenons la liberté de choix et d’action. Ouverte ou clandestine, notre résistance sera contenue dans des limites, car raisonnée et tournée vers l’objectif d’une réconciliation ultime. C’est toute la différence avec l’acte révolutionnaire, qui vient du tréfonds, quand la raison n’en peut plus et ne contrôle plus. La Loi, nationale ou internationale, reste un fil conducteur qui oblige et qu’il ne faut pas opposer, à la légère, à la  »Loi de l’Eglise » ou d’autres institutions. Très exceptionnellement, elle peut contredire la Loi de Dieu, en fait celle de notre conscience (par ex :  »tu ne tueras point ») et c’est alors, au nom de l’Humanité, que nous devons dire  »non », jamais pour notre propre convenance.

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