La France de M. Collomb fait « le grand ménage » chez les exilés


Grand coup de balais sur les exilés : expulsions vers le pays d’origine, retours forcés vers le premier pays de transit, refoulement à la frontière,«centres de retour» fermés: le Gouvernement prépare le renvoi en masse des «sans-papiers», mais aussi de demandeurs d’asile”. Un projet de loi à dénoncer.

Depuis le début de son mandat, Emmanuel Macron assume une politique répressive sur le contrôle de os frontières, contrepartie à son attitude supposément accueillante à l’égard des réfugiés. Double discours, réalité unique… Alors que le chef de l’État insiste sur le distinguo entre « demandeurs d’asile » et « migrants économiques », les mesures introduites à petites doses ici et là au cours des derniers mois visent à renvoyer aussi bien les uns que les autres. Le langage « moral » tenu à nos partenaires européens ne souffre pas critique. La réalité du terrain, celle que dictent les préfectures, est aux antipodes du respect de la Loi et de tout sentiment d’humanité. On sait qu’en vertu des accords de Dublin III, le premier pays d’entrée dans l’UE est considéré compétent pour statuer sur une demande d’asile. Lors de sa campagne électorale, le Président de la République avait jugé cette règle inique, parce qu’elle fait peser toute la charge des procédures sur les quelques mêmes pays du pourtour européen. Dont acte.

– Ce temps est révolu. Le Lapin jovien s’évertue désormais à maximiser le “rendement” des expulsions. La police aux frontières organise les renvois, de très peu celui d’exilés dans leur pays d’origine, mais beaucoup plus de « dublinés« chez nos partenaires européens. Sans forcément aboutir, d’ailleurs, puisque les pays de première arrivée dans l’UE – en principe responsables de faire eux-même le tri – s’ingénient, de leur côté, à empêcher toute réadmission sur leur territoire de ces égarés, sans destiation. Du fait de la géographie, beaucoup de ces «dublinés» arrivent chez nous en transitant par l’Italie, la Grèce ou la Bulgarie. Mais depuis quelques mois, ils sont nombreux à rejoindre la France par l’Allemagne, où 400.000 à 500.000 personnes ont vu leur demande d’asile déboutée (sur plus d’un million d’exilés accueillis, entre 2015 et 2016). Le Gouvernement craindrait particulièrement ce mouvement migratoire «secondaire». Du coup, il réagit très fort.

– L’objectif revendiqué par le Président Macron est le «zéro migrant» absolu dans nos rues, d’ici à la fin de l’année. Dans le zèle qu’ils mettent à accueillir moins et à expulser plus, des préfets se sont aventurés, sans état d’âme, à violer la loi. Les «dublinés» en font rapidement les frais. Ces demandeurs d’asile se voient imposer de retourner effectuer leur démarche dans leur premier pays européen d’accueil. Or c’est souvent impossible.

Par un arrêt du 15 mars 2017, la Cour de justice de l’Union européenne avait pourtant jugé que les exilés destinés être renvoyés dans leur premier pays d’accueil ne devaient pas être préalablement internés en centre de rétention. Du moins, tant que la loi nationale n’avait pas déterminé les critères objectifs définissant l’infraction de «fuite», fuite que l’administration s’arroge le droit de constater pour la sanctionner. De même, la Cour de cassation avait invalidé, dans un arrêt du 27 septembre 2017, le placement en rétention des demandeurs d’asile pour le même défaut de définition légale des risques d’évasion. On peut douter, à ce stade, que les décisions de justice suffiront à détourner le ministère de l’intérieur dans son projet de grand déguerpissement.

– L’avant-projet de « loi sur l’immigration et l’asile », à l’examen du Conseil d’État, pourrait aller plus loin encore : il prévoit que les «dublinés» seraient placés en rétention, dès qu’une demande de renvoi aurait été déposée par le ministère de l’Intérieur auprès de l’État de premier transit, pour cette raison compétent. Ceci, sans attendre la réponse ni même la décision d’arrêté de transfert.
De cet avant-projet à la nouvelle loi antiterroriste, en passant par le projet de loi de finances passé par l’Assemblée, tous les outils ont été mobilisés pour compléter un arsenal, déjà sur-puissant, depuis trente ans que les gouvernements successifs s’efforcent de durcir le régime de l’immigration et de l’asile. Le contrôle au frontières va être de même renforcé : la loi antiterroriste, définitivement adoptée le 18 octobre, autorise, dans son article 10, l’extension des contrôles d’identité frontaliers à 118 points de passage, partout en France. «Mettre rapidement à l’abri» pour ensuite mieux trier et renvoyer les demandeurs d’asile «dublinés», c’est « justifié », clair et expéditif.

– Quoi qu’en disent le droit et les avis, les demandeurs d’asile sont plus souvent que jamais convoqués dans les préfectures pour y être interpellés illico, placés en rétention et rapidement transférés dans des pays-tiers. Le piège se referme actuellement dès la deuxième convocation non-honorée, de sorte qu’aucun juge ne peut constater l’irrégularité de la procédure. Le cas est fréquent, tant la frayeur provoquée par l’ordre de quitter le territoire paralyse de frayeur les intéressés. En clair, nombre de préfets pratiquent la privation de liberté, en violation de la loi nationale et des directives européenne. En surfant sur le fatras d’émotions négatives, populistes ou électoralistes , on cherche à nous faire oublier, qu’en fait, les personnes expulsées n’ont commis aucun délit. Sauf exception inhérente à tout groupe humain, ces gens ne sont pas des délinquants, encore moins des « fuyards ». Ce sont des êtres humains, parmi les plus vulnérables. Ils ont du fuir pour sauver leur vie, trouver une protection et, dans le plus bénin des cas, rechercher, pour leurs enfants et pour eux-mêmes, un avenir qui n’existait pas dans leur pays.

– Le gouvernement planifie-t-il les entorses à la loi, en ordonnant aux préfets d’assumer des procédures illégales et expéditives ? S’agit-il, au contraire, d’initiatives zélées de préfets qui, de façon synchrone, s’opposeraient aux mises en garde des juridictions ? Les chiffres sont assez parlants: 91.000 étrangers en situation irrégulière ont été interpellés en 2016 et 22.500 procédures d’expulsion Dublin ont été initiées. Un niveau record. La part des « dublinés » augmente de façon exponentielle, au sein des 85.000 demandes d’asile enregistrées en 2016. Finalement, 13.000 « illégaux » ont effectivement été «éloignés», sur un total de, sans doute, 200 à 250.000 clandestins jetés sur les chemins par des menaces d’expulsion, souvent non-suivies d’effets. Au demeurant, le chiffre des « reconduites » est jugé très insuffisant par l’Exécutif. «Nous reconduisons beaucoup trop peu», a déclaré le chef de l’État, devant le corps préfectoral, début septembre. Selon Le Figaro, la tendance est à la hausse en 2017. Au cours des sept premiers mois de l’année, les retours forcés vers d’autres pays d’Europe auraient progressé de près de 5 %. Hors Union européenne, l’augmentation atteindrait 10 %. Et ce n’est que le tout début !

– Depuis sa nomination place Beauvau, Gérard Collomb en a fait son dada : accélérer les expulsions tous azimuts ! Il s’inscrit dans le sillage de ses prédécesseurs concernant les étrangers en situation irrégulière, mais va nettement plus loin, quand il s’emploie à faire partir, aussi, un nombre croissant de demandeurs d’asile. Pour accélérer le renvoi des «dublinés», le ministère de l’Intérieur crée des «pôles spécialisés» au sein des préfectures. Il oriente désormais les demandeurs d’asile concernés vers des centres d’hébergement. Ceux-ci permettent, sous couvert d’hébergement, des assignations à résidence de facto, en vue d’un transfert/expulsion. Ces centres de rétention fermés sont maquillés en structure d’hébergement, afin de contourner la vigilance de la Justice. Fonctionnant essentiellement comme des centres de tri, ils succèderont, en plus dur, au Prahda (Programme d’hébergement) disposant de 5.351 places, ouvertes en 2017. Elles étaient déjà dédiées aux «dublinés». Dans tous les cas, y être  »hébergé » signifie dire adieu à la France.
Plus fort encore, le gouvernement prévoirait de créer des «centres d’aide de préparation au retour». Ils ne seront pas seulement réservés aux étrangers en situation irrégulière acceptant, en échange d’une dîme financière, de repartir «volontairement». Ils seraient, apparemment, aussi destinés aux déboutés du droit d’asile. Le mot d’ordre serait de les extraire des centres d’accueil et d’hébergement (où place nette sera faite pour des nouveaux arrivants), puis de les reconduire hors des frontières. Ainsi, la prochaine refonte du parc de logement des exilés servirait en grande partie à trier et isoler les expulsables.

– L’arme absolue dans cet arsenal reste la possibilité que s’octroie l’Etat d’expulser les demandeurs d’asile vers un pays-tiers estimés «sûrs». Cette fois-ci, il ne s’agit plus de renvoyer les demandeurs d’asile vers un pays de l’Union européenne, comme dans le cas des «dublinés», mais hors de l’Union européenne. La destination sera indifféremment tout État offrant les «garanties »nécessaires, en matière de respect des droits de l’Homme ». On peut être certain qu’aucune dictature lointaine ne niera jamais accorder toutes ces garanties. Cette mesure met donc en grand danger le droit d’asile, tel qu’il est inscrit dans la Convention de Genève de 1951 et dans le Protocole de New-York. Elle figure pourtant dans l’avant-projet de loi sur l’immigration et l’asile, ébruité fin septembre. Selon l’AFP, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) serait invité à juger «irrecevable» toute demande de protection de personnes susceptibles d’être réadmises dans un pays tiers « sûr », par lequel elles auraient transité avant d’atteindre l’Europe… C’est un «Dublin global», en quelque sorte ! De même source, l’OFPRA renâclerait à assumer ce rôle. Son directeur général, Pascal Brice, critique même publiquement cette mesure. Sera-t-il entendu ?
Aucune liste de «pays sûrs» n’est pour l’heure établie. On imagine qu’outre la Turquie d’Erdogan, la France pourrait y inscrire la Tunisie, le Maroc et aussi l’Algérie, le Niger et le Mali. Et pourquoi pas, le Soudan ? Des milliers de personnes seraient potentiellement concernées : s’il n’est pas rare que les demandeurs d’asile débarquent par avion, ils sont bien plus nombreux, en effet, à arriver par la voie terrestre, au terme d’un long périple.

– Plutôt que d’interroger les exilés sur les motifs de leur départ, de chercher à évaluer la crédibilité de leur témoignage, de rassembler des indices de leur persécution, les officiers de l’OFPRA s’en tiendraient alors à un simple pointage des itinéraires. Au cours des milliers de kilomètres parcourus dans leur fuite, n’auraient-ils pas traversé au moins un «pays-tiers sûr» ? Peu importent les violences subies, les parcours de souffrance, une destination – la plus éloignée possible de l’Europe et qui ne les accueillera pas – serait le Graal que leur propose M. Collomb.

– Encore faudrait-il établir sans faute la nationalité des expulsés. Prévu par l’avant-projet de loi sur l’immigration et l’asile, l’allongement du maintien en rétention de 45 à 90 – voire jusqu’135 jours, dans certains cas – y pourvoira. Le Gouvernement peut ainsi accroître sa pression sur les consulats à Paris des pays « sûrs » (délivrance en retour de visas français à leurs compatriotes; menace de baisse de l’aide publique au développement), afin qu’ils délivrent les laissez-passer ou passeports nécessaires au retour de leurs ressortissants. Un «ambassadeur aux migration», Pascal Teixeira Da Silva, a même été nommé, afin d’accélérer la délivrance des documents par les pays de destination récalcitrants.

– Les exilés afghans sont particulièrement ciblés. Le gouvernement de Kaboul ayant accepté les subsides de l’Europe (officiellement, les “frais de construction d’une nouvelle piste d’atterrissage »), il renvoie l’ascenseur à Bruxelles. Il fut un temps où les expulsions vers l’Afghanistan créaient l’émoi chez nous. Elles se sont depuis banalisées, alors que l’instabilité demeure constante dans ce pays en convulsions et que les talibans en contrôlent les deux-tiers du territoire. Selon la Cimade, 640 ressortissants afghans ont été « transférés » là-bas, en 2016, sans aucune considération pour leur sécurité. L’ONG protestante vient de lancer, avec Amnesty International, une campagne pour imposer un moratoire de ces déportations. La tendance à écluser les sorties s’accélère en 2017. Les exilés soudanais connaissent le même problème, depuis que le Gouvernement de Bruxelles a «acheté» leur renvoi à Khartoum. Sans oublier la scandaleuse corruption des gardes-côtes libyens, au comportement tortionnaire et mafieux.

– Le Défenseur des droits observe de son côté que l’«intensification des mesures d’éloignement» touche particulièrement les étrangers malades. «Alors qu’il y a 20 ans, avant même l’instauration d’un droit au séjour pour soins, le législateur avait estimé indispensable de prémunir les personnes gravement malades d’un éloignement qui aurait conduit pour beaucoup à une mort certaine, les obstacles actuels à l’admission au séjour pour soins sont de plus en plus fréquents». On en est là…

– Il est encore impossible d’anticiper les effets d’un tel projet de loi, programmé pour être examiné début 2018 par le Parlement : le nombre des expulsions décollera mais jusqu’à quel sommet ? Ne doutons pas que les migrants ont déjà compris le message. Près d’un an après la destruction de la «jungle» de Calais, des experts de l’ONU viennent de rappeler à la France la nécessité d’octroyer de l’eau potable aux migrants ce, sans la faire gazer par ses gendarmes mobiles, de même que les maigres repas qui leur sont offerts. Face à la honte que provoque une telle réprimande, on ne s’interroge guère sur les raisons de cette maltraitance organisée : nos autorités pensent que cela plaît aux électeurs et que tous les tourments du monde nous sont incompréhensibles tout en déversant sur la France les malfaisances concentrées du terrorisme et de l’insécurité. Et tant pis pour les innocents ! En refusant à ceux qui ont tout perdu le minimum vital et humain, l’État veut les décourager de rester en France et les incite à partir d’eux-mêmes… chez nos voisins allemands, par exemple.

– Des ONG aux associations de défense des droits des étrangers, en passant par le Défenseur des droits et la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH), les observateurs humanitaires sont unanimes pour dénoncer les régressions en cours ou en projet. Ce sont celles des conquêtes de la démocratie et de l’humanité de nos comportement. Alors qu’il en est encore temps, il nous faut stopper cet avant-projet de loi sur l’immigration et l’asile. La défense de l’Etat de droit incombe à la vigilance de la société civile. Les associations ont malheureusement motif à désespérer de l’utilité de leurs actions. Il y a peu encore, elle apportaient du baume et du lien social à toutes les étapes du “chemin de croix” des exilés. Aujourd’hui, ce sont des “dublinés” ou des déboutés, des mineurs, des malades, des sans-domicile qui s’adressent à elles. Une bonne part du public étranger, à commencer par les demandeurs d’asile, est captée ou captive du ministère de l’Intérieur. La traque a lieu à toutes les étapes et à tous les étages. Les associations ne voient, elles, que les candidats-réfugiés les plus marginaux, les moins susceptibles d’obtenir gain de cause dans l’octroi du statut. Elles leur apportent des conseils juridiques et pratiques, du soutien médical et humain, en se doutant que ces témoignages de solidarité resteront vains. Parfois, les citoyens solidaires se retrouvent, à leur tour, soupçonnés et intimidés. On se plie à l’impératif de devoir protéger la clandestinité des étrangers en détresse, souvent malades pour ne surtout pas leur nuire en premier lieu.

– La CNCDH s’alarme ainsi de la «multiplication des violations des droits fondamentaux des personnes migrantes observées sur le terrain». Elle demande aux autorités d’«abandonner une vision réductrice des phénomènes migratoires consistant à opposer les demandeurs d’asile aux autres migrants et souligne que «l’État se doit non seulement de protéger le droit d’asile, mais aussi de garantir et de faire respecter les autres droits des personnes migrantes, et ce, quel que soit leur statut». Pour mettre fin aux traitements injustes et illégaux, les associations de défense des droits et les avocats des personnes demandeuses d’asile s’adressent solennellement au gouvernement. Donnons leur le plus large écho !

(composition librement inspirée des publications de la Cimade, de Mediapart, du Monde et de l’AFP). Après-coup, la Loi oppressive est bien passée en septembre 2018 malgré l’opposition forte de la société civile…

Eux, c’est nous, demain, ailleurs…

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