
Le projet de loi « Asile effectif et migrations maîtrisées« , à l’examen du gouvernement n’est pas axé sur l’essentiel. Globalement « à côté de la plaque », il contient quelques mesures positives, à côté d’autres, plus nombreuses, attentatoires aux droits humains, à ceux de la défense et aux libertés civiles. Voici, en premier lieu, ce qu’il ignore :
– L’asile est un droit constitutionnel, « sur le territoire de la République ». Il est à la fois d’essence universelle et « confié » aux Etats, quant à ses modalités pratiques. Le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) a connu près de 30 refontes, depuis 1971, ce qui le rend peu homogène aujourd’hui. Le droit d’asile a longtemps été une branche mineure du droit. Depuis 2015, il émerge en abcès de fixation dans les débats publics (électoraux) français comme européen.
– Le monde compte actuellement 65,8 Mns de personnes en « déplacement forcé« , dont 26 Mns, errant en exile hors des frontières de leur pays et donc susceptibles de solliciter l’asile. 3, 4 % de la population mondiale est actuellement à la recherche d’un « ailleurs ». Cette vague de fond bouleverse notre conception de l’humanité. Les exilés ne sont pas uniquement des personnes qui ne se voient aucun avenir dans leur pays d’origine et se perçoivent en victimes. Ce sont aussi des « entrepreneurs », prêts à jouer la carte de l’assimilation, comparables aux 30 millions d’Européens qui se sont réfugiés en Amérique du Nord, à la charnière des 19 ème et 20 ème siècles.
– La convention de Genève de juillet 1951 leur ouvre un droit à demeurer provisoirement en France, pour être protégés de menaces ou de persécutions qui sont subies ou craintes par eux, de façon raisonnable. L’appartenance à un groupe spécifique ou à « tout autre groupe » (victimisé) y est mentionnée comme un motif à demander l’asile. Ceci élargit largement le spectre vers des motifs d’ordres sociaux, culturels et même économiques. C’est la voie la plus pratique pour ajuster pragmatiquement la protection internationale aux évolutions actuelles du monde. Cependant, la cause climatique (45 Mns de déplacés) n’est pas encore expressément reconnue.
– A – L’accueil – Quelle politique ?
84 % des exilés sont accueillis dans des pays voisins, de conditions économiques et sociales comparables aux leurs. La France accorde refuge à seulement quelques dizaines de milliers de réfugiés chaque année : une fraction de 1 %. L’impact démographique est donc infime et non-proportionné aux passions qu’il génère. Pourtant, on n’en est plus à l’accueil apaisé et solidaire en France dont ont bénéficié 130.000 boat people, au début des années 1980, et 150.000 Bosniaques, au cours de la décennie suivante. Il s’agissait alors de ‘’collectifs’’ en danger.
– Aujourd’hui, l’asile est souvent perçu comme anachronique – appartenant à un passé idéalisé – et ne sont pris en compte que les individus, dans une optique de tri par catégories, ce, sans rapport direct avec les drames vécus par leurs groupes. Ce n’était pas là le sens de l’asile. De fait, l’humeur des pays ‘’d’accueil’’ a radicalement changé la donne et une forme de ‘’révisionnisme historique’’ s’est installée. Ce sont à la fois la croyance dans le principe et sa mise en œuvre qui se délitent.
– Nos autorités sont obsédées par le distinguo « demandeur d’asile » / « migrant économique », qui n’est pas issu des textes juridiques, ni de la réalité vécue par les migrants. C’est fondamentalement une présentation simpliste et populiste. Une majeure partie du flux des exilés est soumise, par la police, à ciblage en tant que « migrants illégaux » (ce qui depuis 2012 ne constitue plus un délit, du moins en principe), alors qu’on a affaire à des flux complexes. Quant aux motivations, il conviendrait de parler de « motifs mixtes ». Les « migrants » comme les « réfugiés » se retrouvent, en grande majorité, sans plan B, sans possibilité de retour. On ne les désigne plus comme des « immigrés« , à la manière de la génération précédente, car ils ne sont plus destinés à un nouvel ancrage. Ce sont désormais des exilés, promis, pour la plupart, à une itinérance sans destination ni perspective d’intégration.
D’ailleurs, depuis 1991, la demande d’asile n’ouvre plus, en France, un droit immédiat au travail. Les demandeurs d’asile cherchent désespérément à s’employer, ce qui leur est refusé pendant neuf mois (un record européen de lenteur !). Quand l’interdit est enfin levé, la régulation du marché du travail leur pose des difficultés pratiques insurmontables. Néanmoins, ils resteront bien soumis à l’impôt en cas de succès. Pour demander l’asile, il ne devrait pas être nécessaire de répondre à tous les critères à la fois de la protection internationale, mais à au moins l’un d’entre eux. La traque au « faux réfugié » conduit l’autorité publique à formuler l’exigence de « preuves ». Dans cette optique, la quête de l’autonomie personnelle par le travail – et donc via l’intégration – délégitimise désormais le demandeur d’asile. Une contorsion sémantique dans l’air du temps…
– Inspirée par la répartition géographique que l’Allemagne opère entre ses Länder, la pratique française est de disperser les demandeurs d’asile en région et d’éviter que la Région parisienne, Calais – Ouistreham ou la vallée de la Roya ne deviennent des « points de fixation », avec des conséquences d’ordre sécuritaire. Il s’agit aussi de contrer l’aspiration à choisir son lieu d’accueil. Ainsi, l’Ile de France qui, il y a deux ans, recevait les deux-tiers du flux, n’en accueille plus que 35 % actuellement, avec un objectif de fléchissement rapide à 18 % du total.
– Les pouvoirs publics souhaitent que l’environnement français soit inhospitalier au travailleur étranger (non-européen) et en font l’une de leurs méthodes pour dissuader l’afflux. Le concept – immesurable, mais constamment évoqué – de ‘’l’appel d’air’’, que créeraient dit-on les opportunités d’emploi, est une affabulation populiste. Mais c’est néanmoins un avertissement adressé à des populations jeunes et entreprenantes, qui sauront ne pas être bienvenues. Avant 1974 et la fermeture de nos frontières, les migrants arrivés en France au terme de différents parcours pouvaient se faire régulariser par le biais du travail. Il reste que les transferts « au Pays », à partir des salaires gagnés en Europe, n’ont cessé de croître pendant que l’aide publique au développement, censée servir des objectifs connexes, s’effondrait à moins de 3% du PIB. Les mandats privés envoyés aux familles restées dans le pays d’origine représentent aujourd’hui 460 Mds $/ an, soit trois fois le montant de l’aide publique européenne ! Voudrait-on vraiment tarir ces flux vitaux ?
– Aux termes de la Convention de 1951, deux garanties principales sont dues aux fugitifs/exilés : un examen impartial de leur demande d’asile et des conditions d’existence dignes, pendant la durée de cet examen. Ce n’est pas ainsi que l’asile se déroule à Calais, dans la vallée de la Roya, et même à Paris. Dans le Calaisis, les « squatters » qui se voyaient proposer l’asile, en 2015- 2016, sont désormais traqués comme délinquants. A proximité de la frontière italienne, des quadrilatères « extraterritoriaux » (sic : enclavés dans notre territoire) ont été créés pour donner lieu à des simulacres de procédures de « refoulement à la frontière », à bonne distance de son tracé réel. Ce sont généralement des mineurs non-accompagnés qui en font l’objet, afin d’être refoulés « dans les formes ». C’est là une violation du droit humanitaire, doublée d’une fraude sur la souveraineté territoriale. Un peu partout, les CRS frappent ou gazent les nouveaux arrivants, détruisent systématiquement les tentes fournies par des ONG, sacagent des effets personnels, dont souvent des documents indispensables pour accomplir les démarches. Ces traitements indignes et cruels relèvent d’une maltraitance institutionnelle, dénoncée par nos juristes et par les juridictions européennes.
– D’après le traité de Lisbonne, l’accueil devrait procéder d’une politique européenne de l’immigration et de l’asile. Les Etats membres n’en ont cure. En septembre 2015, les institutions européennes ont voulu tenter une expérience de ‘’relocalisation’’ de 160.000 arrivants (révisé à la baisse à 90.000, après un an). On sait l’échec patent de ce projet de péréquation. La France, qui ne le soutenait qu’‘’en façade’’, a accueilli 5700 personnes, soit 28% seulement du quota sur lequel elle s’était engagée. L’affaire est close.
– B – Enfermement et restriction de liberté de circulation – Quelles conditions ?
Faudra-t-il codifier l’hospitalité, la chose la plus ancienne et la plus naturelle qui soit au monde ? Quand l’accueil est réticent et parcimonieux, l’hospitalité est absente. C’est, au contraire, la stratégie du soupçon et le recours à la pénalisation pour effrayer qui guident la politique de l’Etat vis-à-vis de ces fugitifs ou exilés que le droit international n’incrimine nullement. Les images du réfugié « menteur et parasite », « dissimulateur de son identité et de ses vraies intentions », voire de l’ »envahisseur » dominent l’imaginaire collectif. Les sondages de la DGSI et d’autres institutions estiment à 64 % la proportion des Français qui partagent ces phobies. Seulement un tiers de nos compatriotes évitent l’écueil. Ce sont, il est vrai, les plus soucieux de s’informer.
– Dans ce contexte, le projet de loi « asile et migrations » est bien destiné à conforter les bataillons d’électeurs français xénophobes et inquiets. L’ensemble des professionnels attachés aux droits des étrangers estime son contenu inique ou, au mieux, électoraliste. Ceci, même après que certaines dispositions extrêmes en aient été retirées. Le barreau de Paris a déjà diffusé deux communiqués pour dénoncer le piège. Plus pudique, le HCR reconnait qu’il se fait un devoir d’en parler aux autorités françaises, depuis 2017, et qu’il va bientôt s’exprimer par communiqué. Surtout, ce projet législatif ne traite aucun des vrais problèmes et il est, de plus, attentatoire aux libertés fondamentales des demandeurs d’asile potentiels (beaucoup s’en trouveront empêchés) mais aussi de leurs défenseurs français et des associations, c’est-à-dire tous les citoyens du Pays. Parler d’un asile « effectif » dans le titre du texte, alors que le but fixé est précisément de l’entraver, ajoute une petite touche de cynisme.
– Contourner l’état de droit et entraver les prérogatives de la Justice paraissent être le sport favori des préfets. Le Conseil d’Etat a commencé à recadrer le Législateur et à condamner certaines préfectures, mais d’expérience, ces dernières n’en poursuivent pas moins leurs pratiques illégales. L’accès au guichet de l’administration est un parcours long et tortueux, quels que soient les délais impartis ensuite à la procédure. La dignité et les droits humains d’un « sans papier », entré « illégalement » (le choix des mots pèse lourd), ne pèsent pas : ce type d’étranger est d’emblée assimilé par les préfectures à un délinquant. Le parcours personnel, l’âge, l’état de santé, le stress ou la situation de la famille, la scolarisation des enfants, etc. rien n’y change. De même, tout jeune se désignant comme mineur est vu comme dissimulateur. Le devoir de mise à l’abri préalable à tout examen de son dossier (conforme au droit international et interne) sera ignoré jusqu’à ce que preuve soit effectivement faite de son âge, par des moyens d’ailleurs peu scientifiques. Dans certains cas, la mauvaise volonté des services amène ces adolescents négligés à échouer, faute de mieux, dans le milieu du crime.
– La procédure Dublin constitue l’échiquier sur lequel l’Etat conduit sa politique de ‘’dissuasion migratoire’’. Elle est synonyme de rétention et de ‘’transfert’’ vers un autre pays européen de premier transit (seul jugé compétent en matière d’asile). Ces transferts empêchent les regroupements par affinités (famille, amis, employeurs connus dans un autre pays) et ils ne servent à rien, en termes de flux, sinon à avertir que les migrants seront perdants. Comme pour les Roms, on fait tourner une population en boucle, au sein de Schengen. Elle s’épuise et devient très vulnérable.
Systématiquement déclarées « en fuite » (un concept entièrement forgé, en matière d’asile, récemment légalisé), sous un prétexte ou un autre – généralement non-notifié aux intéressés – les personnes se voient privées de leurs moyens de vie (l’ADA : 11€/j). Elles sont, surtout, menacées de rétention, pour une période de plus en plus longue : jusqu’à 135 jours, dans le projet de loi, -dès que la police mettra la main sur elles. Or, la Cour de Cassation de Bordeaux, en décembre 2017, comme la CJUE ont établi que le placement préalable en rétention (CRA) constituait, pour les « dublinés », une atteinte à leur liberté. Mais qu’importe la légalité ! Souvent relâchées sans explication mais aussi sans droit, elles seront considérées comme en fuite et il leur faudra se cacher 18 mois durant avant de refaire surface et de de tenter d’accéder aux procédures. Lorsqu’elles sont effectivement « reconduites aux frontières », toutes traces de leur passage s’effacent d’elles-mêmes. Le bannissement du territoire de Schengen pendant cinq ans leur inflige alors une peine supplémentaire, sans base légale précise, s’agissant des expulsés n’ayant pas commis de trouble à l’ordre public.
– L’assignation à résidence avec pointages à heures fixes au commissariat a connu, l’an passé, une augmentation de 37 %. C’est une mesure moins visible mais assez abjecte, puisqu’elle empêche toute activité personnelle et débouche sur la certitude d’une expulsion, à tout moment (‘’reconduite à la frontière’’ ou ‘’transfert’’, pour les dublinés). Pour l’heure, OQTF et transfert donnent abusivement lieu aux mêmes abus et privations de liberté. Le Défenseur des droits dénonce cette dérive de l’administration, mais en vain. Aucun décompte statistique des migrants enfermés n’est non plus publié au niveau européen. Alors que les personnes concernées sont exemptes de toute incrimination, leur projet initial et le refus de l’expulsion les criminalisent. Elles se voient menacées pour s’être seulement manifestées au ‘’mauvais guichet’. Elles finiront par se sentir contraintes à passer dans la clandestinité absolue. On peut comprendre que, plutôt que moisir dans nos geôles pour, ensuite, affronter les risques d’un retour dans leurs pays d’origine, elles choisissent généralement le large. En tel cas, le contrôle sécuritaire comme le décompte administratif s’en trouvent perdus, en même temps que le lien que maintenait l’aide pour assurer leur survie.
– Parmi les autres failles du règlement européen, on constate qu’il est bafoué par les Européens eux-mêmes. L’application d’un critère principal purement géographique crée une profusion d’antagonismes et de mauvais procédés entre pays de la périphérie du Continent (qui reçoivent le flux) et les autres, à qui le flux est repassé ‘’sous la porte’’. Certains pays enregistrent le flux mais l’escamotent. D’autres refoulent à leurs frontières et déportent. D’autres encore construisent des murs qu’ils croient étanches. Nous jouons à cache-cache avec ceux qui arrivent d’Italie ou d’Allemagne pour les éloigner un temps et les faire ‘’disparaître du radar’’. Dublin détourne considérablement l’attention et l’action de la priorité qui devrait être donnée à l’asile. On peut prédire que le règlement ne sera jamais appliqué de façon cohérente, à fortiori uniforme. Le règlement de Dublin n’est pas seulement kafkaïen et inutile, même s’il permet à notre police de faire ‘’du chiffre’’ (inutile), et de valoriser son action dans les statistiques.
– A l’incohérence du règlement Dublin, s’ajoutent les modes de mise en œuvre de la convention de Genève, qui, eux aussi, varient du tout au tout, d’un pays à l’autre (les réfugies afghans admis à l’asile à hauteur de 1 % ou de 80 % selon l’agence qui les traite). Jusqu’à nos préfectures qui divergent dans leurs pratiques ! Au total, les demandeurs d’asile sont broyés dans une loterie infernale : pour une même démarche, les décisions peuvent varier de la peine de prison à l’accueil réussi via l’intégration. Nos fantasmes nationaux créent une Europe folle, imprévisible et assurément injuste, aux yeux des exilés. En contrepoids, les ‘’politiques de territoire’’, élaborées autour d’une ville ou d’une région, consistent à créer des micro climats d’accueil et de respect des droits. On en parle peu mais elles sont efficaces et constituent une piste à explorer comme on le voit aux Etats-Unis dans les ‘’villes sanctuaires’’ résistant à la politique migratoire de Trump.
– C – Les garanties procédurales, quelle effectivité ?
Une autre cohorte abandonnée – peut-être, deux millions – se trouve encore ‘’hors procédure’’, au Maghreb ou en Turquie, où elle subit une forme de relégation ‘’à l’australienne’’ (par référence à la politique d’externalisation mise au point par Canberra, confinant les migrants asiatiques sur des îlots du pacifique ou en Guinée-Papouasie). Bruxelles, toutes institutions confondues, s’essaie à ce type de traitement ‘’par externalisation’’ à des ‘’sous-traitants’’. L’Union a adopté à la hâte de mauvais pis-aller, sous l’effet de son impréparation, résultant elle-même de son incapacité à prévoir. Sous couvert de soutien aux capacités d’Etats tiers à accueillir les migrants, elle les instruit de bloquer (à tout jamais ?) les exilés qui parviennent sur leurs territoires. On sait le sort de ces malchanceux en Libye ou en Turquie, pays qui les maltraitent et bafouent copieusement leurs droits. S’il salue poliment l’ouverture de hot spots par l’OFPRA, au Tchad et au Niger (dont il sait bien l’extrême modestie des flux traités : quelques dizaines par mois), le représentant en France du UNHCR n’avalise absolument pas l’accord de mars 2016 avec la Turquie, ni les sinistres tractations financières avec les garde-côtes libyens, les autorités afghanes (pour la réadmission) ou soudanaises (pour l’identification consulaire et les laisser-passer), etc. On est là dans le commerce et la rançon, hors du droit, surtout du droit humanitaire. La politique du grillage électrifié conduite par l’Espagne à Melilla et à Ceuta, l’érection de murs et l’enfermement systématique pratiqués à l’Est de l’UE et à Mayotte ne sont guère plus reluisants.
– La France n’a reçu que 100.412 demandes d’asile en 2017, dont 273 seulement pour des mineurs isolés. Au total, elle en accepte 40 %. Si l’on compare l’évolution très modeste d’une année sur l’autre aux bonds que font les statistiques chez nos voisins, on en déduira que l’attractivité de l’ex-‘’Patrie des droits de l’Homme’’ est assez faible aux yeux des migrants et que, sauf pour ceux de l’Afrique noire francophone, notre territoire n’est qu’une destination de second ordre, notamment pour ceux du moyen Orient et de la Corne de l’Afrique… un modeste plan B ou C ou D : on le voit bien à Calais. Les mineurs isolés, en particulier, sont très négligés et leur présence est même parfois niée par les services de protection de l’enfance comme par les plateformes de type PADA. On ne peut pas évaluer le nombre de demandeurs potentiels, déjà présents en Europe, qui, au bout du comptent y renoncent, du fait des tracasseries délibérées auxquelles on les soumet. Il est sûrement très élevé. Ils deviennent alors des clandestins sortis du ‘’radar’ et des statistiques’.
– L’instruction d’un dossier d’asile nécessite plus qu’un récit de vie : des traces des souffrances endurées, une bonne mémoire des étapes et des évènements, une cohérence cartésienne, dans le propos, qui puisse convaincre les agents publics du pays de destination, eux-mêmes d’une autre culture sont soumis à d’autres contraintes. Le ‘’grand oral’’ devant l’OFPRA produit un face à face brutal entre deux représentations du monde qui se comprennent mal. Malheur aux personnes intimidées ou traumatisées, qui ne répondront pas à l’attente d’une ‘’brillante spontanéité’’ ! Le statut de réfugié ira à ceux se montrant ‘’les plus méritants’’ et convaincants dans l’échelle de jugement occidentale. Le problème de la langue, n’est pas la principale difficulté, mais, dans un récit de vie, il y a des risques à s’en remettre à un traducteur qui suit son propre intérêt. Les représentants d’ONG assurent, tant bien que mal, la préparation en amont et font tampon entre les parties. Mais la pré-connaissance des environnements géopolitiques s’applique, en fait, moins dans le vécu de la personne que dans l’objectif immédiat de tri et de flux. Ceci change l’essence-même du droit d’asile. L’Etat se décharge, au passage, sur le milieu associatif de tout ce qui apporte une touche d’humanité et de solidarité sociale à ce public étranger totalement désorienté. Une épreuve plus durable tient à la difficulté et aux délais d’accession aux procédures elles-mêmes – en pure théorie : 3 à 10 jours, mais parfois un mois ou plus – avec l’angoisse au ventre d’être ‘’embarqué’’ par la police, avant d’avoir pu lancer sa démarche (peur de sortir dans la rue, de prendre les transports…). In fine, outre la faiblesse insigne de l’accueil, l’hébergement d’urgence se montre insuffisant et défaillant lorsqu’on aura la possibilité d’y faire appel. Nos SDF sont souvent des étrangers-demandeurs d’asile, qui craignent d’être confrontés au ministère de l’Intérieur dans ces lieux de refuge.
– La « machine à produire du clandestin » procède de la conjonction du catastrophique règlement « Dublin » et de la pression mise sur les préfectures et par elles pour « faire la politique du chiffre », en dissuadant la venue, déstabilisant les arrivants et en mettant en fuite les exilés qui ‘’s’accrochent’’. Ceux-ci ne comprennent pas les ressorts politiques de ce mauvais accueil, qui les fait tourner en boucle, épuisés et anxieux, exposés aux mauvais traitements de la police.
– Alors, abolir une fois pour toute le règlement Dublin et laisser les personnes ayant acquis la protection internationale circuler librement dans l’espace Schengen et s’installer là où elles trouveront les meilleures opportunités ? Cela calmerait la ronde folle actuelle et permettrait d’arrêter la « machine à produire du clandestin », sans provoquer pour autant « l’appel d’air » tant fantasmé. Endiguer les dérapages du ministère de l’Intérieur constitue, aussi et par ailleurs, une des multiples réponses à apporter aux problèmes. C’est bien plutôt le sort inique subi par les populations prisonnières des guerres, des catastrophes et de comportements obscurantistes qu’il conviendrait de changer pas à pas. Et aussi l’interdiction injuste de mobilité vers le Nord frappant les populations du Sud. (Le Nord circulant lui, sans entrave, partout sur la planète) : elle met en marche des millions de pauvres gens sans autre alternative.
C’est en fait une énorme bombe à retardement pour l’Europe et pour sa sécurité, qui se mettra en place dans les années à venir, lorsque la grande masse des personnes abandonnées à l’errance se retournera contre les acteurs de leur non-accueil. Le ressentiment s’accumulera au fil des années et des arrivées. Victimes de tous les préjugés que notre continent sait produire, portés se venger de l’échec qui aura gâché leur jeunesse, ils deviendront, pour certains, une proie facile pour les réseaux mafieux ou jihadistes, qui se réjouissent déjà de l’aubaine. Mal accueillir et trier des êtres humains de façon brutale, sans souci de l’individu ni de sa dignité, aboutira à miner la sécurité de notre continent, à terme. A l’inverse, accueillir et intégrer concourra à la stabilité sociale et à l’économie du Continent. Sur ce constat, on devrait pouvoir rassembler une majorité de Français, enclins à l’ordre comme à la générosité.