
En novembre 2017, 470 associations et collectifs d’aide aux migrants ont lancé l’initiative d’Etats généraux des migrations. La « France qui accueille » espère se faire entendre, face à la politique de persécution des victimes et des désespérés. Le gouvernement de la France, comme l’Europe, se sont jusqu’à présent soustraits à tout appel au dialogue citoyen sur le sujet. Pour la première fois depuis 2008, Amnesty International, le Secours catholique, la Croix-Rouge française, Médecins du monde mais aussi le Gisti ou Emmaüs International se regroupent pour réclamer une autre politique, transparente et conforme aux valeurs de notre pays. Alors que le gouvernement a entamé l’examen de son projet de loi « asile et immigration », la mobilisation de cette France fraternelle va revêtir des formes concrètes et visibles : pétitions, chroniques, actions de terrain pacifiques sur la place publique.
– À l’occasion des vœux le 24 janvier, François Clavairoly, président de la Fédération protestante de France, avait dénoncé, devant le premier ministre, « l’écart entre la parole et l’action » du gouvernement concernant l’accueil des migrants, de même que sur l’Afrique et le Moyen-Orient. Il demandait le retrait pur et simple de la circulaire Collomb, en date du 12 décembre, qui prévoit un recensement des personnes accueillies dans les centres d’hébergement d’urgence. « Au nom de quel pragmatisme, cet hébergement, qui est de l’ordre de l’action sociale, devrait-il céder le pas au contrôle administratif, en vue de reconduites plus nombreuses de personnes en situation irrégulière ?» Cette mesure a été l’objet de très vives critiques de la part du monde associatif, dont plusieurs organismes ont déposé une requête d’annulation auprès du Conseil d’État. Ce dernier a fait mine de croire qu’un dispositif de tri expéditif (les « vrais persécutés », d’un côté, les »tricheurs », de l’autre) pourrait se dérouler sur la base du volontariat. Vision illusoire mais qui édulcore le débat, pour un temps.
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– En défense de la « circulaire Collomb » et de son projet de loi » asile et immigration », Edouard Philippe avait exprimé une volonté de faire prévaloir, dans l’hébergement d’urgence, le principe d’accueil inconditionnel, tout en sachant et en assumant qu’« il ne s’agit ni d’un accueil indifférencié, ni d’un droit au séjour inconditionnel ». De même, les députés du camp majoritaire parlent d’« opérations d’information, conduites dans les centres d’hébergement », qui ne seraient pas de nature policière. Et pour cause : elles seront confiées à deux organismes du Ministère de l’Intérieur qui ne sont pas stricto sensu des forces de l’ordre, quoi que… (les préfectures et l’OFII). On joue vraiment sur les mots et on prend le citoyen pour une andouille ! Les « rafles » annoncées en filigrane feront assurément fuir de ces centres la majorité des exilés-SDF, qui préfèrera l’épreuve de la rue et la vie à la cloche. Pour quel gain ? Une circulation en boucle et misérable des « dublinés » à l’intérieur de l’UE, inutile, mais bien plus aisée à réaliser que des expulsions en masse des déboutés et « illégaux » vers leurs pays d’origine, qui choqueraient une bonne part de l’opinion ?
– Aujourd’hui, plus de la moitié des demandeurs d’asile parvenant en France sont en effet « dublinés » (interdits de présence dans tout pays européen autre que celui qu’ils ont atteint en premier). Six sur dix ont laissé leurs empreintes en Italie, souvent sous la contrainte (il y a même eu des cas de torture). Ils y sont donc renvoyés, pour revenir chez nous, en boucle… Quatre sur dix viennent d’Allemagne et présentent un profil différent. Déboutés de l’asile outre-Rhin, ils tentent une seconde chance chez nous, l’Europe n’ayant pas unifié ses procédures.
– Fidèle à sa « politique du chiffre » – un dogme absolu – le Ministère de l’Intérieur convoque, sous délais pressants, le maximum d’exilés entrés sur notre territoire pour les « informer de leur situation »: un euphémisme préludant à leur expulsion vers l’Italie, la Grèce, l’Espagne ou l’Europe de l’Est. Les intéressés n’ont d’autre choix – à moins d’opter pour la détention – que de disparaître dans la nature, sans même avoir pu faire aboutir leur demande d’asile auprès de l’OFPRA ou de la justice administrative. Réduire les délais de traitement – qui sont déjà dans la bonne moyenne européenne – n’y changera rien. Renforcer les cours de français, ne concernera qu’une infime minorité. Une majorité d’exilés vulnérables, en proie à la peur, est jetée hors-jeu, hors statistiques, à la rue. Pour ceux, peu nombreux, qui ne sont pas déclarés « en fuite » et donc privés de toute ressources pour vivre, le refus d’embarquement sur le vol de « transfert » aboutira au même résultat : la clandestinité en pays étranger, sous la forme la plus dure et la plus inquiétante qui soit. Ceci, pour eux comme pour nous. Le règlement de Dublin est un scandale humanitaire que la pratique française manipule pour escamoter la réalité. De même les accords cyniques « d’externalisation » passés avec la Turquie et la Libye et ceux de réadmission conclus avec les gouvernements du Soudan, d’Afghanistan, etc. ces « killing fields » où l’on vous renvoie les gens sans grande chance de survie.
Ce faisant, le Ministère de l’intérieur brasse une masse de convocations, d’escortes policières et de projets de lois en trompe-l’œil, suffisante pour afficher, aux yeux de la France xénophobe et frileuse, des statistiques « convaincantes » sur son action anti-migrants. Mais, si la réalité est fort loin d’une intégration des exilés, elle évolue aussi aux antipodes d’une réduction de ces flux de long terme. Ni la France de l’accueil ni celle du rejet ne sont servies. La réalité est celle d’une irresponsable machine à produire et disséminer des clandestins, à grande échelle et à jet continu. Les « sans papier » tournent en boucle dans l’espace Schengen : voilà où nous mène la stratégie de M. Collomb. D’ici quelques années, cette entourloupe mettra gravement en danger la sécurité et la stabilité de notre pays comme celles de l’Europe. Elle n’apportera pas plus la paix et la stabilité dans les pays d’origine des malheureux, forcés de les réintégrer par viol de leur souveraineté ou par la corruption au sommet. Notre classe politique actuelle n’en a cure, ne s’intéressant qu’au court terme. Liberté, Egalité, Fraternité… tout ça est bien loin.
