Les gilets jaunes, archétype des confrontations mondiales ?

Réincarnation des sans-culottes ?
The Gilets jaunes, (yellow vests) are anti-globalisation and furious

Je suis loin d’approuver BHL sur tout, mais je dois dire que son récent discours devant le CRIF, concernant le phénomène des « gilets jaunes », est assez convainquant. Ce type de révolte « à la base » est un classique de l’histoire de France : les pantalons rayés des sans-culotte de juillet 1789 préfiguraient bien nos gilets fluo d’aujourd’hui. Justement insatisfaits de l’état du Royaume, ils tendent, comme on dit, à « péter les plombs » et s’en prennent à tout ce qui paraît injuste, dans leur représentation enfantine de la chose publique. Cela justifie à leurs yeux un vrai passage à l’acte. « Libératrice », la violence leur ferme aussi tout horizon. Elle les confronte à des tyrannies un peu fantasmées et, dans leur spontanéité, ils font erreur sur leurs cibles : déjà, ce pauvre gouverneur Delaunay et la quinzaine de fils à papa enfermés à la Bastille en 1789, n’étaient pas vraiment le cœur arrogant de l’ancien régime. On a fait comme si. Même méprise chez les « boulangistes » en 1879, chez les « ligueurs » en 1934, chez les « bonnets rouges », il y a peu.

– En quoi donc les barrières de péage, quelques MacDo, trois exilés dans une citerne, une mère conduisant son fils à l’hôpital ou un couple gay seraient-ils des responsables directs du mal-être évident des délaissés de la mondialisation ?

Sans oublier ces innombrables automobilistes protégeant leur liberté de circuler. Cela valait-il 550 blessés (dont pas mal de policiers) et deux morts ? Les justification basse stipule que ce sont les taxes sur les carburants fossiles qui exaspèrent. Au niveau des justification haute, le problème tiendrait à un antagonisme de classes sociales. Les maquisards ne devraient-ils pas alors rejoindre ceux – et ils sont nombreux – qui prônent une transformation radicale du modèle socio-économique dominant ? Parlons alors plutôt réduction et partage collectif du travail et accès à plus d’éducation et de culture ; taxation des robots et du capital ; développement de l’économie sociale et solidaire; revenu universel individuel ; transition écologique ; circuits courts de distribution ; chasse à la fraude fiscale ; développement durable anti-gaspillage ou économie circulaire. Voire simplement des inégalités ! On n’est pas forcément d’accord avec toutes les recettes, mais c’est bien au niveau des idées qu’il faut porter le débat, plutôt qu’à celui de la « casse ». A quoi bon dénoncer ce « Macron qui garde pour lui notre argent » (oh combien navrant !). Les caricatures ne marquent pas les esprits. D’autres que les gilets jaunes battront le fer brûlant pour servir des intérêts particuliers…

– Comme tous leurs prédécesseurs, les gilets jaunes portent, en effet, la société à l’incandescence, puis ne savent plus guère de quel objectif se réclamer. Ils parviennent mal à s’organiser, à se faire comprendre, à s’insérer dans un projet national. Le pouvoir qu’ils se gagnent en inspirant la peur est loin d’être négligeable, dans l’immédiat. De plus, les évolutions opportunistes qu’ouvrent ce genre d’émeutes populaires sont, par définition, imprévisibles. Tout le monde va disséquer le processus inquiétant et finir par s’en mêler (ce que confirment les précédents précités), dont des catégories entières d’opérateurs de cette mondialisation tant honnie, qui instrumentaliseront à leur tour le risque « France ». La situation échappera vite à ceux qui l’ont créée, un train en cachant un autre, plus lourd, plus grand.

– J’en viens à mon intuition principale : le monde international fonctionne comme cela, lui-aussi. Depuis la chute du mur de Berlin (1989), les initiateurs de ruptures sont de plus en plus rarement des Etats. Ceux-ci s’impliquent, mais à la traîne des acteurs sociaux et contre eux. Les Etats dits « westphaliens » n’existent plus ! (avec un pouvoir politique central fort ; organisés sur le même modèle ; dotés d’armées de circonscription, de règles pour encadrer les conflits, etc.). Dans nos pays comme de par le monde, les acteurs des affrontements sont sociétaux, pas régaliens. La frustration des rêves populaires inaccomplis ; la trahison des dirigeants qui avaient promis la prospérité pour tous et laissent les gens d’en-bas dans le déclassement ; l’arrogance universelle des élites et serviteurs de l’Etat (par ailleurs, compétents) ; l’empressement de chacun à défendre sa communauté ou son pré-carré, contre cet « autrui » qui dérange ; les croyances « universelles » tournées les unes contre les autres ; la prétention d’individus à incarner, « le peuple souverain » (parfois, médiocre souverain…) ; les remugles de l’Histoire et du nationalisme primaire; les ennemis « providentiels » (contre eux, « on existe ! ») : voilà ce qui fait bouillir la Planète, sous l’ère anthropocène.

– Je ne prétends pas que les Etats, de plus en plus « nationaux » et égoïstes soient purs de tout reproche. Ils débouchent en force dans la mêlée, après les prises de Bastille initiales, ballottés qu’ils sont par la fermentation de leurs bases sociales, ethniques ou religieuses et leur volonté d’y survivre. Ils sont impuissants face à la perte de sens de leurs frontières, quand tant de souverainetés nouvelles s’affirment désormais en dehors de tout soubassement territorial ou étatique (typiquement : l’islamisme, le ségrégationnisme, l’antisémitisme, mais aussi la climatologie ou l’alliance des humanismes cosmopolites). Pour des motifs purement électoralistes, sos Etats-membres de l’UE, s’emploient à démolir, pan après pan, notre Union européenne, comme le système multilatéral, alors que ce sont les derniers remparts de la paix.

Plus à l’Est, les « démocratures » envahissent des territoires et asservissent des petits peuples; elles se mettent au service des pires archaïsmes sociaux et des groupes d’intérêt les moins citoyens. Non, on ne doit certainement pas exonérer les Etats. Mais en Syrie, en RDC, en Colombie et ailleurs, les conflits ne naissent plus principalement de la folie des princes. Ils jaillissent d’affrontements intestins entre communautés civiles armées, « à la base ». Ensuite, chacun s’engouffre dans les brèches : le Prince, pour tardivement défendre son trône; ses voisins transfrontaliers, pour soutenir ses sujets révoltés, les réseaux mondiaux, pour éprouver leur puissance et rameuter d’autres protagonistes, les ennemis des voisins pour servir le Prince, les puissances régionales ou globales, pour bombarder d’en haut les civils, car c’est inévitable et il faut bien exister face aux empires rivaux.
Un monde guerrier, en quelque sorte une planète atomisée et sans règle, qui évoque la confusion de nos gilets jaunes, bien français et leurs difficultés à conclure. Ceux qui interfèrent de tous bords chercheront à faire valoir – socialement – leurs exploits destructeurs ou se contenteront de prédations sur des populations civiles « impies ». Cela leur donnera l’ivresse de la puissance.
Alors, appellera-t-on les casques bleus, pour faire face aux gilets jaunes (ou bonnets bleu, blanc, rouge) d’ici et d’ailleurs ?

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