Le choix du 26 mai – Quelles missions pour l’Europe ?

Inscription sur les listes électorales européennes jusqu’au 31 mars 2019

La déclaration de 1951 par laquelle Robert Schuman a lancé l'aventure européenne commençait par ‘’LA PAIX du MONDE et la contribution que l’Europe peut y apporter sont indispensables à la cohésion de l’humanité’’. Belle phrase... L’Europe, indispensable au monde ! ... L'idée semble obsolète alors que s'ouvre la campagne pour l'élection du Parlement de Strasbourg, le 26 mai. ''Quel avantage encore attendre cette fichue Europe, pour mon bénéfice immédiat ?'' Voilà ce qui caractérise l'humeur prévalente, plutôt que ''l'Europe doit être plus forte pour me protéger dans ce fichu monde, tel qu'il est ?''

Selon la mythologie, la princesse phénicienne Europe, fille du roi de Sidon, fut enlevée par Zeus, pour l'occasion incarné en taureau. Dans un fourré de Crète, le patron de l'Olympe abusa d'elle, sans scrupule aucun. A l'image de cette malheureuse princesse orientale, le vieux continent occidental, qui a hérité le prénom d'''Europe'', inspire de par le monde plus d'envie que de respect ou de compassion. Caricature d'Haitzinger sur les premières élections au ... 

Avec l'évanescence du bloc occidental et l'égarement barbare des Etats-Unis de Trump, le modeste appendice occidental accolé au continent asiatique se retrouve tout petit, à l'écart des grandes évolutions du monde, dérèglement climatique peut-être excepté. Englué dans ses habitudes impériales passées, ses frustrations et apathies présentes mais aussi ses aspirations à un nouveau modèle de vie universel, l'Europe cherche, sans succès, un rôle à sa mesure dans l'ordre bouleversé du monde et au service d'une stabilité internationale chancelante.

1 - L'Europe lâche prise dans un monde où elle reste très attendue

L'Europe a perdu son ascendant sur le monde : intervention en Iraq de 2003, due à un caprice idéologique américain; printemps arabes dégénérant en hivers sanglants sans réel soutien de sa part; terrorisme parvenu jusqu'à elle, par effet boomerang et sur fond de rancœur du monde arabo-musulman; regain de la course aux armements auquel elle assiste en spectatrice impuissante; rejet du droit international et dépeçage, par les nouveaux "grands" du système multilatéral, qui assurait une paix, même imparfaite, et surtout un rôle à notre continent; dérégulation de l'économie libérale par des financiers américains fous à lier, responsables du Krach de 2008 et toujours menaçants; agressivité et aventurisme russes à l'égard des démocraties pour venger le déclassement subi par l'ex-URSS; catastrophe populiste nommée Trump menaçant de contaminer l'Occident; conflits commerciaux et protectionnismes antagonistes entre Washington et Pékin, Brexit europhobe (et suicidaire), ... aucun de ces malheurs courants du monde ne modifiera la curieuse perception majoritaire de l’Union, non pas en dernier carré du bon sens et de l'Etat de droit, mais en ‘’ennemi’’ de ses citoyens et en souffre-douleur pour tous les malheurs du monde. 

- Confrontée à la détresse de populations frappées par les guerres et catastrophes naturelles et face aux vagues migratoires, l'Europe dispose des moyens conséquents mais pas de la permission d'agir. Ainsi le veulent les Etats. A leur fréquentation, l'UE se compromet. Pas une semaine ne passe sans que de nouvelles informations sur le sort réservé aux personnes exilées aux portes et au sein de l’Europe ne choquent les défenseurs des droits humains. À la tragédie des morts en Méditerranée, se sont ajoutées celles des traitements cruels, indignes et dégradants sur les deux rives de Mare Nostrum, des enfermements, des tortures et des viols, de la ''chasse aux étrangers pauvres'', de leur renvoi dans une clandestinité meurtrissante. 

- Dénués de volonté politique comme de courage collectif pour apporter une réponse à la hauteur des enjeux actuels, les pays européens ne savent plus trop quoi inventer pour éviter d’accueillir et de secourir les milliers de personnes qui espèrent encore un refuge pour survivre dans la sécurité et la dignité. Alors que la seule véritable question devrait être : comment assurer un accueil humanitaire et une protection à tous ceux qui le demandent et qui en ont besoin, nos dirigeants nationaux contraignent plutôt la Commission à ménager le camp de la peur, de la haine et du court terme.



 - L’idée européenne s’est affaiblie . Il y a toujours eu des Eurosceptiques mais, aujourd’hui, l’UE s'attire toutes les critiques, toute aussi "politiquement correctes". Ses institutions se retrouvent seules face à elles-mêmes, les gouvernements nationaux en faisant un bouc-émissaire facile et une mauvaise excuse pour leurs échecs. Comme si eux-mêmes n‘étaient pas l’Europe! Tout mouvement d’adaptation au monde (cf. le "protectionnisme intelligent"), toute réforme sont compris comme des mesures d’austérité visant à renforcer les inégalités. Pourtant, l'Europe ce n'est pas moins que 50 % des dépenses sociales du monde !  

- L'épisode peu glorieux de la révolte de 2005 contre le projet de constitution européenne et son adoption consécutive par la voie parlementaire (en omettant au passage le dispositif de conduite politique de la Confédération) procédait d'une incroyable maladresse de la technocratie française - pas de celle de Bruxelles ! Nos hautes juridictions avaient réussi à brouiller les enjeux jusqu'à l'absurde (75 pages de textes incompréhensibles, résumant tous les Traités européens). Dans son article 2, le Traité de Lisbonne (2007) énonce ‘’Dignité humaine, démocratie, droits humains’’, comme creuset des valeurs européennes. Depuis lors, les rares critiques que l'on entend sur ce Traité tiennent en général à son application frileuse et insuffisante, bien plus qu'à une absence de fond. 

2 - Le populisme, une menace pour la démocratie en Europe
La génération actuelle de dirigeants a oublié la volonté de proximité avec les gens et leurs aspirations prosaïques. Bruxelles comme les gouvernements nationaux n'ont pas vu venir le décrochage des peuples, repliés dans les populismes. Ceux-ci constituent à la fois des une démission de l'esprit rationnel, une forme de fantasmes nés des crises accumulées, des caricatures simplettes de la réalité, mais aussi l'expression de réelles souffrances individuelles : celles  des ''perdants de la mondialisation'', des angoissés culturels et autres oubliés de la compétition permanente mettant aux prises chacun contre tous.  Les réseaux sociaux en attisent les effets de contagion et génèrent une culture brouillonne de la révolte instantanée, sans fil conducteur : les vraies questions étant trop compliquées pour mobiliser, les "fake news" servent d'aiguillon ! 

- La mediasphère offre aux politiciens peu inspirés d'immenses possibilités de moisson électorale, grâce aux outils de conditionnement psychologique et à la création de fantasmes imbéciles, par exemple autour de la "crise des migrants". Les débats citoyens deviennent manipulables par le biais d’intrusions extérieures dans les processus socio-politiques des démocraties. Les Européens, qui ne se connaissaient pas d'ennemis, sont mal armés pour faire le tri des menaces vraies ou imaginaires et pour décrypter un monde qui leur semble, à tort, hostile et sans espoir. En cela, ils se rapprochent de plus en plus du public isolationniste américain, fortement sous-informé et naïvement nationaliste. Plutôt que de regarder la réalité en face, beaucoup se retournent alors contre la seule institution souffre-douleurs à la portée de leur colère : l'Europe (toutes composantes confondues).

- Le triptyque "Démocratie + Etat de droit + droits humains" n’est plus pertinent aux yeux des déçus de l’Europe. Il faudrait, dit-on, un nouveau projet politique qui remobilise les gens. Hélas, personne n’ose plus bouger sur ce terrain-là. Le Parlement européen, il est vrai, pourrait mieux endosser sa mission démocratique et faire plein usage de son pouvoir de codécision. Il commence à bouger das cette direction, sur les questions d'environnement, de santé et reste le meilleur défenseur des consommateurs et des libertés. Mais les gouvernements, maîtres du jeu au sein du Conseil européen, pratiquent l'inertie et le blocage. De leur côté, les citoyens-électeurs ne se font pas entendre en nombre auprès de leurs élus européens ou, alors, sont plus prompts à stigmatiser qu'à encourager. Pourtant, lorsque ces derniers se savent interpellés, ils s'efforcent, le plus souvent, d'être à la hauteur.

- Les populistes seront peut-être demain capables d’investir le Parlement européen, pour le réduire au silence, même si leurs formations extrémistes  se montrent fort peu actives dans l’Hémicycle, sinon à  tenter des provocations stériles et des détournements de fonds. A  l’issue du 26 mai, un hold-up aussi grossier exacerberait les frustrations, si d'aventure les pro-européens ne recueillaient pas une solide majorité.  

3 – Une nouvelle donne économique est possible
La réalité économique de l'Europe, c’est celle de deux zones €uros distinctes, séparées par des soupçons : celle du Nord (Allemagne, Belgique, Autriche, Benelux, Finlande), assez encline à se délester de ce "Sud", réputé ingérable. Ses plans de sortie sont d'ailleurs  prêts, pour le cas où... Par fierté statutaire, la France semblerait préférer alors suivre et se retrouver maillon faible, au "Nord" plutôt que moteur de croissance, au "Sud". L'U.E "sudiste", plombée par un excès d’endettement privé, par des budgets structurellement déséquilibrés et des balances commerciales déficitaires, se présente, en effet, en mal aimée des marchés financiers. L’austérité budgétaire et la fixité de change y creusent une trappe déflationniste mortifère que le ''Nord'' préfère ignorer (cf. le sacrifice insensé de la Grèce, par la Troïka). 

- La Banque Centrale Européenne (BCE) accentue ce syndrome en axant trop exclusivement son mandat sur la lutte contre l’inflation. Sans raison claire, les 3 % de déficit maximum annuel de Maastricht semblent à  tout jamais gravés dans le marbre, alors qu'ils ont déjà été réinterprétés, comme on l'a vu  avec le sauvetage express des banques, lors de la crise de l'Euro de 2011-12. Coût : 4.000 milliards €. En fait, tout semble relatif aux circonstances du moment et à l'humeur de la finance allemande. Pourtant, les pays "faibles" ont besoin de plus de marges de manœuvre pour rétablir leur équilibre du budget et du commerce et investir dans l'avenir, sans être paralysés par leur dette.

- D'évidence, l’investissement est indispensable aux transitions, énergétique, agricole, climatique et à l’amélioration de la compétitivité et de l’efficacité sociale des services publics. La Banque Européenne d'Investissement (BEI) saurait identifier les besoins et la BCE pourrait contribuer à les financer. L'Europe disposant d'un outil financier formidable, ne manquerait-il à nos dirigeants (nationaux) que la volonté politique d'en faire usage ? Les citoyens pourraient en faire la demande, à l'occasion du scrutin européen. Le feront-ils ?

- A moyen terme, beaucoup est à faire : le poids excessif de la Commission européenne devrait être rééquilibré par l'accroissement de celui du Parlement, compétent dans toute initiative législative. Sauf pour certaines affaires de défense, le Conseil européen ne devrait plus opérer à huis clos, comme il le fait en dehors de toute règle. Les gouvernements nationaux devraient aussi être pris en défaut sur leur double langage, à la fois européen à Bruxelles et anti-Bruxelles, devant leurs électeurs. La BCE devrait être chapeautée par une institution politique légitime : là serait, par essence, la vocation du Parlement européen et cela satisferait une règle démocratique de base.

- A plus long terme, la montée en régime de l’économie sociale de marché et une consolidation consensuelle du confédéralisme actuel - laissant aux Etats-membres un vaste pan de souveraineté subsidiaire - pourraient assurer un approfondissement raisonnable des politiques européennes, sans nouvel élargissement, au cours de la prochaine mandature. Il faudrait aussi épurer certains dogmes naïfs, comme "la concurrence pure et parfaite", qui entravent la recherche de coopérations entre grands acteurs européens et mieux protéger les accords commerciaux des appétits prédateurs des firmes géants du commerce. L’UE devrait enfin s'ajuster à la réciprocité, à la concurrence systémique - par exemple, face au géant chinois - et s'impliquer plus dans la gestion du système économique mondial, devenu une jungle. La loi sur le "devoir de vigilance" des sociétés-mères à l’égard des méfaits commis par leurs sous-traitants extérieurs fournit un exemple heureux de retour vers quelques principes moraux. Pourquoi ne pas entretenir les mêmes soucis éthiques s'agissant des industries d’armement ? Aux citoyens d'en exprimer le souhait !

4 - Reconstruire la paix, depuis l'Europe 
- Née d'une réconciliation et d'un idéal de paix après la pire des guerres sur son territoire, l'UE s'est extraite de la vision du "hard power", propre aux anciens empires. Plus gros marché, mondial, elle représente aussi un patrimoine de valeurs culturelles, philosophiques ou politiques qui conserve une forte emprise sur les peuples en quête d'émancipation et de justice. Pourtant, elle ne possède pas vraiment d’unité politique, de diplomatie, ni de défense et son image reste floue.

- Le retour en force de la géopolitique nécessiterait qu'elle anime un débat démocratique. Les gens ont besoin de comprendre. La réalité du monde n'est pas le monopole d'une élite mais bien l'affaire de tous. Nous vivons une ère des "guerres hybrides", non-conventionnelles, avec des éléments entremêlés de violence armée, de menace et d'intimidation, de propagande et d'intoxication (les "infox"), des épisodes de cyber-conflit et des attaques de réseaux criminels. Les populations civiles en sont les cibles. C'est à leur dépens que se font les manipulations et elles paient la note, au fil des conflits.

- Pour autant, le procès identitaire faits aux élites, aux Roms, aux universitaires, aux musulmans, aux migrants, aux citadins, aux juifs, etc. n'aboutit qu'à saper, depuis l'intérieur, la cohésion de nos sociétés et de notre continent. Notre capacité à défendre nos intérêts vitaux et nos libertés, face à des dictatures, s'en trouve limitée. Bertrand Badie avance, à raison, que les populistes, Daech, Trump et le Kremlin se sont ligués pour nous pourrir la vie. Face à tous ces champions de ''l'illibéralisme'', l'Union joue pourtant encore un rôle - unique dans le monde - pour la défense de l'idée démocratique, le respect des droits et des libertés fondamentaux mais aussi face à la question climatique. Elle est la championne incontestée du "soft power". Nos futurs députés européens disposeront, en son nom, d'un forum qui peut sauver un grand nombre de victimes à travers le monde et redresser des injustices, chez nous comme ailleurs.
  • Message aux électeurs, en guise de conclusion

Voter pour une Europe qui puisse agir, le 26 mai prochain, signifie endosser sa responsabilité à l’égard du monde et pour protéger les libertés et la dignité humaine tout comme pour se protéger elle-même. La campagne @Free and fair Europe,  lancée par le réseau Human Rights and Democracy Network, appelle les candidats au scrutin du 26 mai à signer un Pacte pour une Europe libre et juste, qui respecte les droits humains, garantisse un accueil digne aux demandeurs d’asile et incite les entreprises privées à s’engager en faveur d’accords commerciaux qui soient respectueux des populations. Il est possible de télécharger le pacte pour l’envoyer à vos candidats au Parlement de Strasbourg.  270 d’entre eux l’ont déjà signé.

Remerciements à Pax Christi et à l’ACAT-France dont cet article s’est inspiré de beaucoup d’idées sur l’Europe L'Europe est de Venus et du "soft power" L’Europe est de Venus et du « soft power »

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