La saison estivale laissera le souvenir de la canicule. Pourtant, l’actualité géopolitique n’a pas connu de pause (d’ailleurs, pourquoi ?) ni de baisse de température. Si on cherche à dégager quelques tendances de fond, on pourra relever l’angoisse montante des Européens à propos du futur de notre monde ‘’invivable ». Elle contraste avec un reste du monde à la fois optimiste et belliqueux, à l’image du président Trump, de Kim Jong-Un ou de Xi Jinping. Ceux-là sont absorbés dans la recherche de gains stratégiques ou commerciaux. La scène géopolitique projette l’image du monde d’hier, sans pôle et « globalisé », glissant dans une logique de blocs antagonistes, sous l’influence de puissances conquérantes. Quelque chose des impérialismes du 19ème S et des alliances de 1914 est de retour dans l’air du temps, partout sur fond de national-populisme souverainiste. Le désordre international ne contribue pas à maintenir les liens entre les nations qu’il s’agisse du commerce, des mouvements humains, de la recherche de la Paix ou du contrôle des armements que celle-ci implique. J’y ajouterais aussi un certain cosmopolitisme des cultures, qui aide à comprendre notre temps. Sur les multiples foyers de crise et de contentieux, le populisme à courte vue ravive les braises. Mais les prises de conscience des problèmes progressent et elles peuvent aussi faire surgir de nouvelles sagesses.

1 – La Planète finira-t-elle par se délester de l’Humanité ?
Côté ambiance, des scénarii-catastrophes planaient en préambule du G7 de Biarritz, au terme d’un mois de juillet le plus chaud de l’histoire du monde. La Sibérie et l’Amazonie, nos « poumons », se consumaient. Le dernier rapport du GIEC s’inquiétait de l’état très dégradé des terres. Parviendraient-elles à nourrir le surplus de population attendu ou, autre option, à produire les énergies renouvelables tant espérées ? La jeune Greta, 16 ans, parcourait le Nord de la planète en essemant la grève du vendredi dans les collèges et toute une génération de parents s’introspectait fermement : « avons-nous mal fait ? ». Les piques échangées entre E. Macron et J. Bolsonaro à propos de l’Amazonie en flammes ont donné un tour saisissant à cette confrontation. Maltraitance de la Terre due à notre esprit social et libertaire, « consumériste » et incapable de régulation ? Et les catastrophes s’enchaînaient : ouragans (dont le dernier, dévastateur, aux Bahamas), Ebola, séismes, parasites de l’olivier… Stopper le commerce sauvegarderait-t-il l’environnement ? Ce credo quasi-religieux a mobilisé des foules contre le CETA, avant que cet accord ne soit adopté en France, le 23 juillet, épargnant au pauvre Canada d’être traité comme notre pire ennemi. Les pays du Mercosur ont, eux, vu l’accord de libre-échange négocié depuis 19 ans avec l’UE, bloqué d’adoption par la France pour cause de « tromperie brésilienne ». Utiliser les conventions commerciales pour imposer des conditions écologiques (fidélité à l’accord de Paris – COP-21) ou couper les ponts et opter pour l’autarcie, le débat tend vers la caricature.
2 – Le délire américain, entre Grand-Guignol et avant-goût d’apocalypse
Le côté le plus délirant de la scène mondiale porte un nom : Trump. Le président américain a été à l’initiative contre tout ce qui pourrait nous assurer un avenir relativement protecteur. Si l’OMC existe encore formellement, il a désintégré tous les codes du commerce international, au profit exclusif de « l’arme du rapport de force ». Voisins, alliés comme concurrents se sont pris des taxes pour leur grade (même notre bon vin est ciblé), mais c’est encore, en direction de la Chine et de l’Iran que ces offensives ont été les plus agressives, souvent à la limite du blocus (Iran) ou de l’étouffoir (Chine). Au point que beaucoup s’interrogent sur leurs effets récessifs potentiels, voire sur une dérive militaire dans la gestion des crises : tentative avortée de bombardement par drones sur l’Iran, manœuvres de confiscation de bâtiments de commerce répondant à des sabotages, resserrement des interdictions bancaires et, concernant la Chine, livraison d’armes à Taiwan et même menace de « couler » la place financière de Hongkong ! En revanche, le Groenland plaît à Donald et il propose de l’acheter, au grand effarement des autorités tutélaires, au Danemark. Pour se constituer un arsenal contre la Chine, le 2 août, il jette aux orties le traité INF bannissant les missiles nucléaires de 500 à 5000 km de portée, qui protégeait l’Europe du péril atomique. Sous une pluie d’essais balistiques nord-coréens, il affirme sans fard que « tout va bien avec (son) ami Kim ». Dans la même veine, après un an de négociation secrète avec les Talibans, il congédie ceux-ci à leur arrivée à Camp David et décide de laisser pourrir le conflit d’Afghanistan, dont l’issue dans l’honneur est, pour le coup, un vrai casse-tête. Qu’importe ! Sur le « front électoral », primordial à ses yeux, le milliardaire manie l’insulte raciste contre des élues du Congrès (« retournez d’où vous venez ! »), la soumission des migrants latinos – même, les enfants – à de mauvais traitements, les diktats à ses industriels pour qu’ils désinvestissent en Chine ou fabriquent des véhicules polluants, etc.
3 – Le nationalisme obtus, plus contagieux qu’Ebola
La xénophobie, le protectionnisme et le nationalisme ne sont pas l’apanage d’un seul pays et l’été 2019 a illustré une propension croissante à la création de conflits, dans d’autres régions du monde. Bien qu’e principe pacifique, la grande offensive de Pékin sur les nouvelles routes de la Soie fait peur, tout en créant des opportunités. Les pays africains ont été particulièrement ciblés par cette invite à sortir du système multilatéral pour prospérer dans l’orbite chinoise. Certains laissent percevoir de la prudence, à l’image des états européens, exception faite de la Grèce, de l’Italie et de l’Europe centrale. Quelques jours après avoir célébré, au château de Chantilly, son partenariat stratégique avec la France, l’Indien Narendra Modi met fin brutalement à l’autonomie du Jammu-Cachemire, ce territoire musulman revendiqué par le Pakistan depuis la partition de 1947 et dont la population se retrouve en quasi-rétention. Islamabad ne manquera pas de riposter par le biais des groupes d’insurgés soutenus à distance. La Birmanie achève de barricader au Bangladesh ses Rohingyas. L’ASEAN, prudente, maintient un fer au feu avec la Chine et l’autre avec les Etats Unis (manœuvres communes). Mais le clash de valeurs le plus spectaculaire concerne Hongkong, dont la population est en ébullition depuis février contre la « mainmise continentale » (de Pékin) sur la vie politique locale. Centré initialement sur une volonté unanime de résistance à un projet de loi liberticide (possible déportation des suspects vers la justice communiste), l’indignation s’est mue en dénonciation des ingérences du PC chinois mennaçant les garanties d’autonomie complète (un pays – deux systèmes) accordées pour 50 ans lors de la dévolution du territoire à la Chine, en 1997. En réponse à la brutalité montante de la police et à la surdité politique du gouvernement hongkongais (qui confirme son inféodation à Pékin), la tension monte, avec son cortège de violences, à l’approche du 1er octobre, la date célébrant le 70ème anniversaire de la fondation de la RPC, à l’occasion de laquelle les dirigeants du PCC ne peuvent se permettre de perdre la face. Or, Hongkong est le poumon financier de la Chine et son plus grand port….
4 – Vers une guerre entre les USA et l’Iran ?
Sur arrière-plan de confrontation entre sunnites et chiites, des deux côtés, on s’y est préparé. Washington, en sortant de l’accord nucléaire de Vienne de 2015, seule piste praticable pour calmer le jeu de la prolifération nucléaire (et balistique), sans perte de face … mais aussi, en sanctionnant personnellement les dirigeants iraniens (confiscation des comptes bancaires) et, surtout, en bloquant tout commerce avec Téhéran en vertu de la « loi du dollar », qui bannit l’usage de cette devise pour toute transaction. Les Européens ont bien tenté, par le mécanisme de troc INSTEX de desserrer un peu le collet mais leurs entreprises, très respectueuses du Trésor américain, n’ont pas suivi. En pleine bataille d’arraisonnement de pétroliers et de tir de drones dans le golfe d’Ormuz, un ultimatum a été lancé aux Européens par le président Rohani : rétablir le commerce sous 60 jours. Le délai passé, les mollahs en viennent à se désengager par étapes de leurs obligations aux termes de l’accord nucléaire : les centrifugeuses tournent à nouveau à plein. Un peu plus au Sud du Golfe, au Yémen, la population continue de subir les bombardements aériens saoudiens et les chars emirati, avec, dans les deux cas, la très probable utilisation d’armes françaises, car, faute d’être sunnite, l’industrie de défense du Pays de Voltaire se montre foncièrement anti-chiite. La confusion règne entre alliés arabes opposés aux Houtis chiites : Riyad veut punir, nettoyer et réinstaller le président Radhi, « dégagé » par la population. Abu Dhabi cherche à s’octroyer une emprise sur le terrain, au Sud, en s’appuyant sur des milices indépendantistes ou autres. Les deux capitales laissent Daech et Al Qaeda prospérer. Rien de sérieux à signaler sur la Syrie : Idlib, une province de 3, 5 millions d’habitants – surtout des déplacés de guerre – est soumise par les troupes de Damas et l’aviation russe à blocus et à un déluge continu de bombes, mais les démocraties d’Occident ne s’en préoccupent guère. Accessoirement, la Turquie menace d’ouvrir – en direction de l’Europe – les vannes des quelque trois millions de réfugiés syriens sur son territoire, si on ne laisse pas son armée constituer, en Syrie, un glacis de 30 à 40 km de profondeur, tout au long de sa frontière sud (de peuplement kurde). L’entité autonome kurde YPG, qui a libéré la population des bandes de Daech, avec des appuis aériens occidentaux, est clairement en ligne de mire. A l’approche d’élections qui seront difficiles pour B. Netanyahou, Israël envoie aussi son aviation bombarder, en Syrie – mais aussi en Iraq et au Liban – tout ce que l’Iran compte comme éléments armés et associés dans la Région. Il est vrai que l’axe de pénétration que Téhéran tisse patiemment jusqu’à la Méditerranée constitue une vraie menace pour l’Etat hébreu. La prétention d’annexer un tiers de la Cisjordanie vise, elle, à plaire à la majorité de l’électorat, farouchement opposée à une paix en Palestine.
5 – En Afrique, un face à face stoïque de la bonne et de la mauvaise gouvernance
– Dans ce tableau général d’une « Asie qui brûle », l’Afrique s’en tire-t-elle mieux ? Comme les étudiants Hongkongais, les jeunesses du Soudan, d’Algérie et de Tunisie expriment une volonté exemplaire de refuser l’injustice et l’oppression des grands dirigeants corrompus. A Khartoum, au lendemain d’un Tiananmen sanglant le 3 juillet, les militaires – qui ont renversé le général Al Bechir – se sont ressaisis et ont fini par accepter une transition vers la démocratie de trois ans, partagée entre eux-mêmes et la société civile. L’Ethiopie a exercé ses bons offices. Une belle victoire, quoi que très fragile. En Algérie, l’après Bouteflika s’annonce sous des auspices comparables, : la population et la jeunesse en particulier ont manifesté leur ferveur démocratique et leur attachement aux libertés sans être contrés par les Islamistes, la corruption est sanctionnée, une transition est annoncée mais l’arrestation de certains démocrates et l’autoritarisme du Chef d’Etat-major, actuellement aux mannettes rend circonspect. En Tunisie, la classe politique a bien réagi à la disparition du président Beji Caïd Essebsi, un grand acteur de la révolution démocratique. On peut gager que le modèle tunisien, unique au sein du monde arabe, est en train de prendre racine. La prédiction inspire de l’optimisme, en même temps qu’elle illustre le rêve éternel de liberté et de dignité, qui n’a pas perdu son attrait, du fait de l’urgence climatique.
– Ailleurs, sur le continent noir : expansion inquiétante des zones d’exactions jihadistes à travers le Sahel et l’Afrique centrale (où les attentats jihadistes se multiplient aussi), pandémie d’Ebola qui s’étend, forêts tropicales qui partent en fumée, nouvelle vague de violences xénophobes dans les townships d’Afrique du Sud, départ de centaines de milliers de candidats à la traversée vers l’Europe, promis à des supplices en Libye ou à se noyer en Méditerranée, à portée de navires européens désormais interdits de tout secours en mer. Matteo Salvini n’aura constitué que la partie émergée, très visible, de cet iceberg d’hostilité et de déni du droit humanitaire.
– A courte portée de la Tunisie démocratique, l’anarchie libyenne fait tache. Après avoir bénéficié de soutiens militaires français, le « maréchal » Haftar met la région de Tripoli sous siège et à feu et à sang. Les milices s’en donnent à cœur joie : exactions économiques, pillages, torture et racket des exilés subsahariens (bombardés jusque dans les centres d’hébergement), tandis que l’Europe continue sa distribution de subsides à qui voudra bien endiguer le flux des Africains. Là aussi, le chaos général bénéficie aux mouvements jihadistes qui prospèrent là où les Etats dysfonctionnent ou n’existent plus.
6 – L’Europe, cahin-caha, sur une pente glissant vers l’insignifiance
Certes, tout n’a pas empiré sur le Vieux Continent. La France a eu le mérite de tenter une discrète opération pour désamorcer la bombe américano-iranienne, mais elle n‘avait pas le poids requis. Elle occupe le haut du pavé climatique et environnemental tout en ayant perdu beaucoup de son poids géopolitique, scientifique et humanitaire ou moral. Paris a occupé, pendant l’été, une place d’importance compte tenu des difficultés intérieures qui affectaient ses partenaires européens et de l’ambiance prévalente de repli sur soi. Sa diplomatie s’efforce à rééquilibrer la relation avec la Russie et à recréer, avec le « président-ennemi de tous les régimes libéraux », des éléments de convergence et de complémentarité (d’où la visite de V. Poutine au fort de Brégançon, avant le G 7). Elle espère que, ce faisant, l’Europe et la Russie pourront prévenir le risque de se voir éclipsées par le nouveau duopole sino-américain. L’idée de sauver, au passage, quelques lambeaux de l’ordre multilatéral, qui gageait la Paix, n‘est pas absente du raisonnement, même si, pratiquement, on ne peut aller loin sans l’aval des autres. Ce nouvel état d’esprit, auquel Poutine se prête pour le moment (qu’aurait-il à y perdre ?), favorise la recherche d’une solution en Ukraine. L’élection à Kiev d’un nouveau président, plus pragmatique y contribue positivement et, ainsi, des échanges de prisonniers ont été amorcés. On parle un peu du Moyen-Orient, où les deux grands acteurs sont empêtrés et pourraient vouloir conclure sur un plan politique. Reste le déploiement en cours de missiles nucléaires ciblés sur les villes européennes. Décidé en juillet, il ne favorisera pas la confiance.
– Le choc qui disqualifiera l’Europe a pour nom « Brexit ». Lancé par le referendum de juin 2016, sur fond de fureur populiste à l’égard des institutions de Bruxelles et des Européens de l’Est, jugés envahissants, le divorce d’avec le continent était devenu la quadrature du cercle sous T. May. Toutes les options étaient bloquées. Après que ses inspirateurs se sont emparés des leviers du Royaume, Boris Johnson en tête de proue, un bras de fer hargneux s’en est suivi avec le Parlement de Westminster. Ce dernier a infligé, à l’ancien maire de Londres, une belle brassée de camouflets, récusant son projet de « hard Brexit », sans accord avec l’UE, impérativement au 31 octobre (six motions sur six votées contre lui). N’en doutons pas, la suite de cette féroce bagarre fera les bons feuilletons de l’automne, mais elle achèvera aussi de projeter, à travers le monde, l’image d’une Europe en déclin et peut-être même en décomposition. Certes, c’est exagéré. Sans doute, les Etats Unis – si Trump est réélu fin-2020 -, les légions de hackers du Kremlin, Facebook et les investisseurs « routes de la soie » sauront profiter de l’aubaine. Pourtant, l’Union a plutôt bien tenu le coup face aux coups de boutoir britanniques. A la date de la rupture annoncée (aussi, celle célébrant Halloween), elle mettra en place une nouvelle équipe dirigeante, présidée – pour ce qui est de la Commission – par U. van der Leyen, ancienne ministre de la défense d’Allemagne, réputée avoir l’esprit géopolitique. Autre acquis immédiat : le reflux des personnalités populistes. En Italie, M. Salvini est tombé, après avoir essayé d’accaparer le pouvoir par la voie plébiscitaire. Le piège s’est refermé sur lui et Rome devrait retrouver, pour un temps, le chemin de Bruxelles. En Hongrie, en République tchèque (où elle a chassé un premier ministre corrompu), en Pologne, à un moindre degré, des oppositions se font entendre plus fort face aux dirigeants autoritaires. Irait-on jusqu’à espérer, si les attentats poursuivent leur déclin actuel, que les questions bien réelles concernant les nouvelles migrations, le climat, la défense et le « soft power » de l’Europe, la sécurité financière, la sécurité numérique, le développement durable, l’avenir de nos libertés, etc. soient saisies à bras le corps par une Europe suffisamment unie pour aller de l’avant. Rendez-vous au début-2020 !