BreakPshiiit ! (la géopolitique du Brexit)

Quitter le bord, OK, mais pour atterrir où ?

Nos amis britanniques sont-ils heureux ou tout au moins soulagés de rompre avec l’Union Européenne ? S’ils l’étaient, ceci justifierait, quoi qu’on en pense, les errements récents de leur classe politique. Mais, à l’heure où le Parlement et le gouvernement dressés l’un contre l’autre se neutralisent mutuellement et l’Histoire s’embrouille autour de trahisons et de subterfuges surréalistes, aspirent-ils à autre chose qu’à mettre « l’affaire » derrière eux » pour n’y plus penser ?

1 – Après trois années de doute, d’information faussée, de fantasmes collectifs d’invasion ou de rêve d’un retour glorieux au magister impérial, l’usure des nerfs a prélevé sa dîme sur les esprits. La polémique a divisé jusqu’à l’intérieur des familles et la lassitude générale engendre un fatalisme à courte vue : s’extraire, au plutôt, de toutes ces misères et s’engager dans l’inconnu, sans trop penser, pour l’instant, ni au passé, ni à l’avenir.

– Parmi les mille et une raisons de l’allergie du Royaume à l’égard de Bruxelles, la plus patente, lors du référendum de 2016, concernait la présence au sein de cette société d’assez nombreux travailleurs détachés de pays européens de l’Est et, qui plus est, pour certains, « papistes » par conséquent assimilés aux coloniaux irlandais, si mal aimés des Anglais (cas des Polonais, Hongrois, Slovaques… un peu moins, des Français et des Italiens). Cette présence, au titre de la libre- circulation des personnes dans le Marché interne européen, a contribué à la prospérité et à l’équilibre presque-parfait du marché de l’emploi îlien. Ces malvenus ne demandent qu’à rentrer chez eux, une fois un pécule constitué pour leurs vieux jours, mais, que voulez-vous, avec le syndrome du plombier polonais, la xénophobie voire le racisme ont gagné la population plus soudainement qu’en France.

– Le même type de rejet culturel avait déjà conduit à faire du Calaisis français un barrage étanche contre les demandeurs d’asile venant du Sud. Contrairement à la France, où le phénomène progresse sans surgir, ce malaise d’identité a rapidement envahi la psyché d’une majorité de Britanniques. Guidés par leurs media, ils en ont directement imputé la faute aux (infâmes) directives bruxelloises.

– Un paramètre majeur de ce basculement tient à la presse dite tabloïde, lue par M. Tout-le-monde, qui cultive une solide tradition d’Europhobie et de mauvaise foi. Elle n’a jamais vraiment reconnu que le Royaume Uni était, des 28 membres de l’UE, celui qui bénéficiait de dérogations sur mesures pour à peu près toutes les politiques communautaires (budgétaires, monétaires, sociales, agricoles, frontalières, etc.). L’Europe est davantage perçue comme abritant des « monstres », tels, la Commission, le Parlement et la Cour de justice européenne. Les media populaires ont a aussi beaucoup vendu l’idée passéiste que « l’Empire » et le reste du monde attendaient l’émancipation britannique pour créer un pôle majeur dans les affaires du monde. L’archaïsme (« salafisme » occidental ?) paraît une folie, en ces temps où le monde occidental, celui du libre-échange et de l’entreprise globale, se replie dans sa coquille protectionniste et souverainiste, au constat – comme le fait le Moyen-Orient – de son rapide déclin dans les équilibres mondiaux. Ce recul appelle malheureusement des ingérences extérieures et pas seulement dans nos élections. Vu d’ailleurs, les Britanniques – à l’exception bien sûr des milieux d’affaires et des citadins éclairés – n’ont pas perçu l’époque qui est la nôtre et le risque encouru à cheminer seul, petit, sans boussole ni voisins.

2 – Pour les Etats-Unis, la Chine et pour l’Inde, en effet, voire pour Singapour ou la Malaisie, un portail va s’ouvrir sur une mine d’opportunités en termes de prise de possession d’actifs économiques et de technologies britanniques. La transformation des îles en plateforme de pénétration financière et commerciale, en contournement des règles et des taxes européennes, devrait créer frictions et méfiance là où l’alignement des normes avait, jusqu’ici, parfaitement servi les succès de la City. D’ailleurs, si l’idée est bien d’abolir toutes les règles et contraintes bancaires au profit d’un néocapitalisme sauvage du type « Singapour sur Tamise », la méfiance risque de changer de rive de la Manche et d’éloigner les Européens de la place financière pourtant la plus performante du monde.

– La dépendance élevée vis-à-vis de l’oncle Sam (ou Donald), seule alternative à l’U.E – mais dans les pires circonstances – que puisse se permettre un Royaume Uni sans amarre, impliquera la conversion la plus totale à la loi des marchés, avec un coup social élevé prévisible pour les classes laborieuses britanniques, déjà peu gâtées. Pour l’Ecosse mais éventuellement aussi pour le Pays de Galles et l’Irlande du Nord, le coût payé à l’unité du Royaume pourrait atteindre l’insupportable. Vu du monde émergent, le Brexit – s’il a lieu – signera l’effondrement de l’influence de l’Europe dans le système mondial. Si ce n’est dans l’immédiat, le Royaume pourrait se fissurer à terme, voire se recroqueviller sur la seule Angleterre.

3 – Le Royaume Uni a beau être le berceau de la démocratie parlementaire occidentale – un siècle avant la France – il n’apparaît pas particulièrement prémuni contre le populisme, une dérive d’opinion touchant tout l’Occident, mais plus ancrée dans la tradition française que dans la sienne, laquelle est tournée vers une forme d’inter-communautarisme de l’indifférence. Ce même populisme est en train de détruire un édifice politique, jadis exceptionnel, mais devenu passablement archaïque (comme aux Etats-Unis) et sans repère écrit (la constitution républicaine d’Oliver Cromwell, au 17ème siècle, ayant laissé les pires souvenirs à ses contemporains). Politiquement, le Royaume ne s’est jamais approprié les institutions continentales, même si les parlementaires britanniques à Strasbourg ont généralement brillé par leur talent de négociateurs. Héritiers du postulat « the Sovereign in his/her Parliament », les sujets britanniques se sont habitués à ce que le pouvoir législatif finisse par incarner, seul, les fonctions de l’Exécutif, en s’attribuant des pouvoirs exorbitants et solitaires, le moindre n’ayant pas été de réduire les pouvoirs du monarque à une coquille politique vide, sans avoir laisser émerger une réelle souveraineté populaire, que les partis n‘ont pas vocation à incarner. Le référendum de juin 2016, outil peu usuel au Royaume Uni, aura été une sorte d’exception, introduisant une tension entre les partis (le peuple) et leur représentation parlementaire (la souveraineté). Les sujets britanniques, surtout les « remainers », se sont alors exprimés sur la place publique, comme rarement auparavant, mettant en lumière la fracture du peuple en deux camps antagonistes.

Par inconscience du problème, la classe politique s’est limitée à être servile à l’égard des milieux les plus démagogues et des bourreurs de crâne irresponsables en tous genres, sans proposer sa propre vision de l’avenir. Le Parlement se bat, lui, essentiellement pour ses prérogatives. Les électeurs cherchent une sortie du tunnel dans un épaisse pénombre. La démocratie anglaise a décliné au fil des trois dernières années et se met entre parenthèse, comme le montre les coups de force, complots et trahisons, de toutes parts, pour forcer le cours de la vie publique. Ceci ne va pas aider le reste de l’Europe, relativement plus stable et peut-être plus unie jusqu’à présent (?), à maîtriser ses propres démons internes.

4 – Pour l’heure, qui s’intéresse encore à la défense de valeurs communes européennes – bien réelles – au point de vouloir protéger les Kurdes, de parler d’une seule voix à la Chine ou de compenser la démence de plus en plus patente de Donald Trump ? Que restera-il- demain du partenariat stratégique liant la France au Royaume Uni – seul élément rapidement mobilisable du système de défense européen – quand les classes politiques, insensibles aux intérêts communs, pousseront le « blame game » (culpabiliser l’autre pour se dédouaner soi-même) jusqu’à l’hystérie ? Pourra-t-on coordonner le déploiement des moyens nucléaires des deux pays, voire leur action au Conseil de Sécurité ? Face au déploiement d’Euromissiles russes visant les cités et les infrastructures du Continent, Londres ne va-t-elle pas s’aligner sur l’indifférence et la vacuité américaine ? Quelle chance aura la Politique européenne de Sécurité et de Défense d’intervenir et de peser, sans la Grande Bretagne, avec l’inertie que l’on sait chez nos partenaires de l’Union ?

L’Europe va perdre de sa substance vitale et, il va sans dire, de sa légitimité internationale. Si on peut comprendre l’impatience de certains d’en ‘’finir avec le Brexit’’, on a tout motif à vouloir connaître, dès à présent, la nouvelle donne des relations euro-britanniques, avec laquelle il va falloir vivre tant bien que mal les prochaines décennies. Dans un divorce décent et indolore, on fixe des règles pour l’avenir en même temps qu’on solde le passé. Là, nenni, et cette incertitude s’ajoute à l’autre (quand, le Brexit ?), alors qu’on aurait pu négocier successivement et rapidement le divorce et l’entente future. Un mauvais présage…

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