Unis, les Etats fédérés héritiers de Jefferson ? Selon un article du Journal of Politics de 2018, les Républicains pensent que 32 % des Démocrates sont LGBT (6 % en réalité), que la moitié sont noirs (24 % en fait), que 44 % sont syndiqués (11 %). Les Démocrates pensent que 44 % des républicains ont 65 ans ou plus – le chiffre réel est de 21 %. Les batailles autour de la mémoire nationale ou même locale se multiplient (Jefferson lui-même et ses esclaves domestiques, le général Lee, chef confédéré vaincu, idolâtré par les Trumpistes, la Constitution de Philadelphie, sacralisée et en même temps interprétée aux antipodes idéologiques par les deux camps politiques, etc.). Chaque camp se met à purger le paysage historique des souvenirs de l’autre.
Depuis l’arrivée aux affaires de D. Trump, les haines se recuisent et l’idée d’un ‘’vivre ensemble’’ devient insupportable à la majorité. D’ailleurs, l’unité nationale n’est pas tant un impératif aux Etats Unis que la ‘’question fédérale’’, cet axiome-antidote à tout ‘’populisme’’ unitaire, qui bride l’Etat central et exacerbe les particularismes locaux. Là où la fougue française concevrait une révolution idéologique et sociale, la frustration américaine et l’invocation des valeurs fondatrices suscitent des tentations récurrentes de sécession. C’est à travers ce type de rupture géopolitique que se sont cristallisées la Guerre d’Indépendance, celle de Sécession, le New Deal Rooseveltien, les révoltes contre la ségrégation raciale, etc. Qu’elle soit Démocrate ou Républicaine, Washington est le lieu honni du jacobinisme à l’américaine. La capitale aura toujours mauvaise presse dans le pays profond.
Aujourd’hui, la Grande Nation compte en son sein des ‘’revivalistes’’ de la Confédération sudiste, avec leur lot de suprémacistes blancs, armés jusqu’aux dents, des Evangéliques républicains aspirant à un gouvernement par l’Eglise, des ‘’anti-fa’’, guérilleros ennemis des précédents, des ‘’bio-démocrates’’ libertaires, tels les Californiens, et même des républiques de retraités de l’entre-soi, comme la Floride ou le petit Vermont, etc. De façon préoccupante, l’identité partisane des électeurs agit désormais comme un révélateur de la communauté d’appartenance ethnique, de l’âge, du milieu social et même de la perception du monde extérieur : le bleu (Démocrates) colore les territoires proches des frontières ou face à la mer. Le rouge (Républicains), les vastes plaines monotones du centre et les friches industrielles et minières à l’abandon.
La (les ?) population n’a plus de ciment commun, plus d’empathie ou de tolérance pour autrui, plus d’envie de ‘’faire nation’’. La ‘’guerre des cultures’’ ne s’éteindra donc pas au lendemain en janvier, avec l’avènement du prochain président. Les contentieux électoraux, les clashes communautaires, l’injustice dans la répartition sociale de la crise économique et sanitaire, tout cela continuera à miner de l’intérieur un pays au nerfs enflammés par ses conflits humains. Bonne chance au prochain ‘’incumbent’’ !