Joe Biden entre en scène en président ‘’normal’’ et même ‘’réparateur’’. On lui fait donc bon accueil, à l’exception de ceux pour qui l’Amérique restera de toute façon l’ennemi nécessaire. Figure politique familière pour ses concitoyens, perçu comme prévisible et rassurant par le monde extérieur, il est aussi porteur d’un message moral sur le traumatisme vécu par son pays. ‘’Papy Joe’’ fait un peu penser à notre regretté Stéphane Hessel. Mais on ne discerne pas encore si ce personnage aimable incarnera une vision traditionnelle du pouvoir, modérée et pateline, ou un puissant renouveau politique. A l’échelle internationale, la prestation de serment de l’ancien vice-président et sénateur du Delaware suscite des réactions sans surprise. Si les alliés des États-Unis, tels que l’Union européenne ou le Canada, affichent un net soulagement teinté d’enthousiasme, les rivaux de la première puissance mondiale se montrent sentencieux voire ouvertement sceptiques.
Une vague d’optimisme se lève chez les alliés traditionnels des États-Unis, qui chantent un « nouveau départ » ou une ‘’aube nouvelle’’ (Commission européenne), pour lesquels ils s’affirment disponibles. Même Boris Johnson – il y a peu encore, tancé par J. Biden pour son approche dangereuse du Brexit – s’affiche soudain « impatient de travailler » avec lui, quoi que peut-être un peu moins que son voisin irlandais, désormais épaulé par un puissant allié. En style formel et distancé, le président français limite les amabilités à l’expression de ‘’meilleurs vœux de succès’’, le minimum poli – et un peu étrange – en la circonstance. Pour Charles Michel (Conseil Européen), il est « temps de revenir aux convictions, au bon sens et de moderniser la relation » et tout aussi bien de ‘’construire ensemble un nouveau pacte fondateur ». L’OTAN entonne une partition de même facture, en saluant l’ouverture d’un ‘’nouveau chapitre de l’Alliance atlantique ». Un vrai enjeu va pouvoir être traité par le Pacte occidental avec une fenêtre d’opportunité pour bâtir un partenariat stratégique égalitaire, tout en se conformant au mode d’action extérieur de chacun. Car ils resteront différents. Comme toujours, Angela Merkel trouve les mots sobres et justes pour l’exprimer. Justin Trudeau, souvent humilié par le passé, est aux anges de voir le Canada rétabli au rang des partenaires que Washington considèrera à nouveau. La satisfaction est, de même, maximale en Amérique latine, un continent particulièrement maltraité et discriminé par le président sortant aux lourds préjugés ethniques. D’où l’accueil enthousiaste du projet ambitieux de réforme de l’immigration, qui sera bientôt soumis au Congrès, prévoyant la régularisation par étapes des quelque 11 millions de sans-papiers. De même, le soulagement des Haïtiens ou Mezzo-Américains accueillis à titre humanitaire, dont le droit au séjour va être rétabli. Certaines puissances régionales sont logiquement satisfaites d’anticiper une réémergence du précieux contrepoids américain face à leurs principaux rivaux régionaux. C’est le cas de l’Inde, confrontée à la Chine, du Japon, inquiet de l’évolution incontrôlée de son voisin nord-coréen, sans doute des pays d’Asie du Sud-Est qui comptent sur Washington, sans s’en prévaloir ouvertement, pour contenir les ambitions stratégiques de Pékin.
D’autres acteurs, plus ou moins en froid avec l’Occident, portent d’emblée un regard dur sur le nouvel arrivant. La Russie ‘’attend un travail plus constructif’’ des Etats Unis en matière de contrôle des armements stratégiques (un sujet urgent), étant entendu qu’une amélioration des relations dépendra de la « volonté politique » du nouveau président. L’Iran, jubilant du départ piteux de D. Trump, déclare que « la balle est dans le camp » de Joe Biden en ne laissant rien percer quant à l’échange de concessions à laquelle l’invitent ses nouveaux interlocuteurs américains. Son ennemi juré, l’Arabie du prince Mohammed Ben Salmane (MBS) fait patte douce tout en souhaitant tout la malédiction possible à l’impétrant, qui a dit souhaiter lever le secret (du rapport de la CIA) sur les responsabilités au plus haut niveau dans l’assassinat à Istamboul du journaliste Khashoggi. Hypocrite à son habitude, le premier ministre israélien appelle à un ‘’renforcement’’ de son alliance militaire avec Washington, qui a pourtant culminé à un point jamais vu auparavant, tandis que son adversaire palestinien tente de raccrocher comme il peut l’Autorité de son pays à un dialogue avec Washington, ‘’au nom de la paix et la stabilité dans la région et dans le monde ». Sans doute, sans grande illusion.
Les premiers pas de la nouvelle administration américaine vont être intensément observés. Deux paramètres à avoir en tête : 1 – il n’est plus possible, même pour les Etats-Unis, d’agir à l’international sans prendre pleinement en compte la scène politique interne du pays. 2 – Les évolutions de la politique extérieure de l’administration entrante seront le fait des circonstances mais aussi le fruit des affinités et des alliances scellées dès les premiers jours. Ce blog aimerait que la France se constitue, sans arrière-pensée, un capital de sympathie à la Maison Blanche. Il s’avérera précieux dans l’avenir, en particulier pour assumer sereinement nos différences.