La tentative manquée de printemps libyen a aujourd’hui dix ans. La France avait cru ou feint de s’y investir en se portant au secours de la population de Benghazi, assiégée par les tueurs de Mouammar Kadhafi. Le sauvetage a été éphémère mais, en violation du mandat qu’elle s’était fait donner par les Nations Unies, ses avions de combat ont guidé les milices hostiles au dictateur jusqu’à celui-ci, caché dans une conduite en béton. Le régime s’est effondré avec son chef et une anarchie sanglante s’est installée en Libye. L’intervention de l’Otan, voulue par Paris et par Londres, a multiplié les frappes, sans assurer parallèlement aucun processus de reconstruction politique. Une décennie plus tard, le pays se débat toujours dans une guerre civile de type féodal, qui semble interminable. Divisée d’est en ouest, la Libye possède deux armées, deux banques centrales et deux parlements rivaux. Elle compte quelque 3000 milices armées qui pratiquent le pillage des ressources pétrolières et font régner la loi des bandits. De l’anarchie civile initiale, on est passé à un conflit par proxies, attisé par des puissances régionales assujettissant l’une ou l’autre des parties libyennes à leur hubris géopolitique. Pas de quoi pavoiser !
La France, par ses choix contradictoires (soutenir militairement les deux camps belligérants) et opportunistes a, elle aussi, contribué à la « décennie noire » vécue par les Libyens. Elle se dégage tardivement d’un bourbier d’interférences dans leurs luttes intestines, après s’être durement accrochée à la Turquie… et à l’Italie. Pour oublier ses errements, Paris s’en tient à une grille de lecture simplissime : l’islamisme, c’est le jihadisme ennemi et celui-ci, où qu’il soit sur le globe, ne poursuit qu’un but unique : commettre des attentats dans le ‘’nombril du monde’’ français. La même approximation règne d’ailleurs sur l’effort stratégique entrepris au Sahel, qui vise à protéger la France, pas vraiment les Africains. L’autre miroir simplificateur est celui des migrations : les pirates libyens nous aideraient en incarcérant les exilés. Les victimes de la crise syrienne ont payé cher le prix de ces errements libyens, sous la forme d’un blocage de tout règlement, à New-York : la Russie comme la Chine, échaudées par la crise précédente, ont trouvé motif ou prétexte à récuser des initiatives occidentales, soupçonnées d’objectifs ‘’cachés’’. Le coût de ces intrigues a été porté par une seconde population, plus proche encore de la France, qui a été, par le passé, la puissance mandataire de ce pays.
Saura-t-on jamais si Kadhafi a été exécuté de façon extra-judiciaire pour des contributions en cash très embarrassantes à la campagne présidentielle française de 2007 ? L’anarchie et la guerre ont effacé bien des pistes d’enquête. Au terme de deux guerres civiles, en 2011 et 2014, puis de la défaite de Khalifa Haftar, en 2020, après 14 mois de combat, la Libye vit une précaire accalmie des combats, mais sans rétablissement de la paix, de la justice ni de l’économie. L’ONU y a laissé une part de sa crédibilité. Toute à son insouciance et à sa pratique autocratique de la politique extérieure, la France, ne s’introspectera pas.