Depuis 2017, une campagne de long terme est conduite par les autorités chinoises contre la minorité ouïgoure du Xinjiang (Turkestan chinois). Les rafles se multiplient pour les regrouper dans des camps d’internement. A partir de documents administratifs chinois, une étude du chercheur allemand, Adrian Zenz, examine les déplacements forcés imposés aux jeunes ruraux turcophones. Il met en lumière un plan colossal de construction de camps d’internement, servant, entre autres, à l’utilisation massive de cette main d’œuvre captive pour la cueillette du coton. Le Xinjiang en fournit 20% de la production mondiale. Plusieurs formes de contraintes, proches de l’esclavage, sont recensées :
-Considérés aptes à rejoindre la ‘’vie normale’,’ les éléments ‘’déradicalisés’’, (‘’diplômés’’, en terminologie officielle) ne sont pas libérés mais affectés sous régime disciplinaire, dans les usines voisines ou dans les fermes d’Etat pour être exploités à la récolte du coton.
-Par ailleurs, nombre de jeunes chômeurs (‘’main-d’œuvre surnuméraire’’) du Sud de la Région sont recrutés et formés en vue de leur placement direct dans les usines, au Nord . Une fois ‘’diplômés’’, les jeunes auront été enrégimentés : ils ne reviendront plus dans leur famille. Selon la recette, la ‘’rééducation’’ commence par séparer les enfants de leurs familles pour les acculturer complètement.
-Les éléments ‘’suspects’’, dont on n’a pu rectifier la pensée, sont repérés par la surveillance vidéo et des algorithmes d’interprétation des comportements. Ils restent en détention et risquent la torture.
Pour A. Zenz, ces transferts massifs ne visent pas, au premier chef, à traiter la pauvreté du Sud-Xinjiang, mais d’abord à réduire la densité et la cohésion des Ouïgours dans leur berceau historique, puis à canaliser un néo-prolétariat discipliné dans les entreprises d’Etat. Ces traitements répondent à la définition du travail forcé adoptée par l’Organisation internationale du Travail (OIT). De 1,6 à 1,8 million de jeunes Ouïgours ruraux seraient visés par cette ‘’ingénierie démographique’’.
-Dès 2017, Zenz avait également signalé la campagne de réduction forcée de la natalité ouïgoure – stérilisations et avortements forcés, obligation de port du stérilet – conduisant certains juristes à dénoncer une forme de crime contre l’humanité. Ce régime combiné de travail forcé et de dénatalisation aboutit, en effet, aux yeux du chercheur, à une opération de destruction, en tant que telle, de l’ethnie ouïghoure.
Les déviances de la politique chinoise des minorités évoquent étrangement celles de l’anthropologie coloniale dans les empires du siècle dernier. Mépris socio-racial, exploitation économique forcée de la main d’œuvre dans les entreprises des dominants, assimilation des enfants par déracinement géographique, obsession de répression politique et culturelle des éléments ‘’pensants’’, la Chine au Xinjiang évoque les pires recettes de la France coloniale comme d’autres puissances impériales. Depuis 1949, la Chine, par contraste avec l’Occident, n’a rien appris, car la politique n’y laisse aucun interstice à la conscience éthique. L’introspection est interdite, réprimée et quasi-inexistante. Les Mandchous, qui ont dominé l’Empire, du 17ème au 20ème siècle, ont optiquement disparu, totalement assimilés aux Hans. Aucune trace de leur langue n’a subsisté. Les Tibétains résistent en s’accrochant à leur religion. Leur région n’a pas d’usine où les entasser, mais ils n’en ont pas moins perdu tout contrôle de leur économie et de la vie dans les villes, dominées par les colons. Les Mongols, ethnie écartelée entre Chine et Mongolie, ont renoncé à leur unité. Leur culture survit difficilement. La révolte des Ouïgours a poussé quelques-uns d’entre eux vers le jihad. De quoi inquiéter à Pékin. Mais, en voulant les réduire par la force, Pékin s’aliène le monde turc et s’expose à la colère de l’Umma. Une décolonisation n’est pas concevable sans éveil démocratique.