. Pendant que 400 Français meurent chaque jour sous intubation, un enjeu plus stimulant accapare certains esprits : la liberté de circuler à sa guise et de profiter des beaux paysages, des arts et des distractions, de la villégiature auprès de populations étrangères accueillantes. Dans le droit fil du déconfinement des Israéliens et de l’insistance du gouvernement grec, l’Europe consacre aujourd’hui ses délibérations au « certificat vert », très loin des sentiments d’angoisse des soignants face à cette troisième vague, renforcée par les variants. Elle se montre peu attentive à la gravité de l’heure : avril sera un chemin de souffrance comme le vieux continent n’en a pas connu depuis l’arrivée de la pandémie.
Mais l’Européen veut saisir ‘’l’après’’, la perspective d’une jouissance revenue, les restaurants rouverts pour certains. Cela n’est pas illégitime mais imprudent. Il évacue le présent, qui le sature et le rend dépressif. Le nombre devient inquiétant des citoyens qui fuient l’information sanitaire, s’enterrent la tête dans le sable et en viennent parfois à négliger les précautions de base. Les mêmes estiment à tort que le vaccin permettra de tomber les masques et de circuler à leur guise, ce, même au milieu de populations non-immunisées. Pensent-ils à la situation des pays du Sud abandonnées à la pandémie ? Non. La question demeure : qui est vacciné et va être autorisé à profiter de belles vacances d’été, insouciantes, ici, là ou n’importe où ? L’égoïsme fait partie de l’Humain.
La Commission européenne va diffuser des ‘’certificats verts’’ pour ouvrir l’accès à ce privilège d’insouciance, au sein de l’Union. Ce sésame, qui donnera sans doute lieu à une avalanche de faux, de falsifications et de complaisances, »attestera » que son porteur est immunisé… mais nullement qu’il n’est pas contagieux. Cette approche non-sanitaire de la question va donner lieu à des discussions serrées entre les Vingt-Sept. Ainsi, le ‘‘mieux vacciné’’ des Etats d’Europe s’emploie à dissuader les sujets de sa Majesté de voyager, même immunisés, hors du Royaume. Son souci explicite est que ceux-ci pourraient contracter l’un des variants – recensés ou à naître – qui rend les vaccins inopérants.
L’industrie du tourisme n’en a évidemment cure et préfère exposer à quelques risques les ‘’coureurs de jouissance’’. Car le problème ne se limite pas à l’indécence, dans la forme, à l’égard des mourants, des familles éprouvées, des personnes à la peine pour recevoir le vaccin et des populations vulnérables des pays de destination. Un tel desserrement sélectif des contraintes enfreindrait les principes d’égalité citoyenne devant la Loi. Il conduirait à contourner l’autorité médicale comme l’avis des élus locaux, pour la bonne raison qu’il ne contemplerait que le marché et la nécessité de combler les pertes de l’industrie. A ce propos, est-on bien sûr qu’en Europe, l’on vaccine les centaines de milliers de sans papiers déboutés de l’asile ou abandonnés au marché noir, dans tous les cas sortis des radars de la protection sociale ? Doit on continuer à faire circuler en boucle, au sein de l’espace Schengen, ceux qui relèvent du sinistre et irrationnel dispositif dit de Dublin ? ‘’Circuler’’, une notion bien policière, mais pas un conseil prophylactique. Circulez, il n’y a rien à voir !