C’est une flétrissure sur le front d’une Amérique censée être ‘’civilisée’’ et sur celui de quelques uns de ses alliés. Guantanamo, tel est l’archétype du lieu fermé et secret, échappant à toutes les règles du droit et de la morale. Il y a eu d’autres sites similaires ‘’antihumains’’, consacrés à la torture et à l’usure des corps et des âmes. Certains de leurs détenus, suspects d’islamisme ou de terrorisme, jamais jugés, ne sortent jamais non plus. Trois pays d’Europe de l’Est et plusieurs pays d’Islam en ont abrité sur leurs territoires, sous l’égide de la CIA. Le plus emblématique et le plus durable reste Guantanamo, planqué dans son enclave portuaire sur la côte de Cuba, où aucun visiteur ne peut se présenter sans être dûment autorisé.
C’est peu dire que cet enfer sur terre ne met pas à l’aise l’administration américaine entrante, qui se réclame, bien plus que la précédente, d’une exigence en matière de droits humains. La libération – pour motif de santé – de trois prisonniers arrêtés entre 2001 et 2003 rouvre le débat quant à une fermeture définitive du centre. Que faire alors des quelque 40 prisonnier qui y croupissent en tenue orange ? Douze d’entre eux sont soupçonnés de crimes de guerre, dont Khalid Sheikh Mohammed, le cerveau présumé des attentats du 11-Septembre. Dix-neuf autres seraient ‘’trop dangereux pour être incarcérés à l’étranger’’. Joe Biden aimerait bien tourner cette page sinistre de la politique extérieure de son pays, mais, même pour un président américain, ce n’est pas si facile que cela.
Les États-Unis procèdent à leur retrait d’Afghanistan qui devra s’achever le jour du 20e anniversaire du 11-septembre 2001. Les attentats de New York et de Washington mènent tout droit à l’invasion de l’Afghanistan et à la mise en œuvre des ‘’recettes’’ de Guantanamo. C’est le pire contexte de politique intérieure qui soit pour adopter des mesures de clémence et, simplement, de modération. Au nom des symboles, ‘’Joe le mou’’ est certain de se faire brocarder par les ‘’patriotes’’ écervelés du Congrès et des médias. Bien sûr, la mouvance progressiste réclame à hauts cris la liquidation du lieu maudit. Vingt- quatre sénateurs, essentiellement des Démocrates, lui ont ainsi adressé un message fustigeant Guantanamo comme “un symbole d’injustice et de violations des droits de l’Homme” qu’il convient d’effacer le plus tôt possible. Mais vingt-quatre élus ne constituent pas une majorité au Congrès.
Joe Biden était déjà vice-président, en janvier 2009, lorsqu’ Obama avait ordonné la fermeture du camp. L’idée était alors de faire juger les prisonniers chez eux ou aux Etats Unis, par des tribunaux civils. Pourtant certains retours de prisonniers vers leur Etat d’origine, notamment le Yémen, sont devenus impossibles, alors qu’une proportion majeure des prisonniers sont originaires de ce pays en guerre. Au plan intérieur, le transfert d’affaires conduites dans le secret et la violence, vers des juridictions civiles, territoriales et légales, n’est pas facilement validable en droit et peut se conclure par la condamnation des tortionnaires. Quoi qu’il en soit, le projet, très impopulaire, a été rejeté par le Congrès à majorité républicaine. Tout s’est figé sous Trump. Bonne chance, Joe ! On n’aimerait pas trop être à ta place.