En Afrique, la France navigue entre le hard power militaire face à son présent (la vague jihadiste qui progresse vers l’Atlantique et la Méditerranée) et le soft power auquel elle s’essaie aussi, pour soigner les plaies de son passé. Avec un certain succès, elle s’est ainsi prêtée, avec le Rwanda, à un exercice d’introspection et de dépassement de ses erreurs – et sans doute de ses fautes – à propos su génocide Tutsi de 1994.
Le scénario avait été conçu par le président rwandais, Paul Kagame. Lors d’une conférence de presse commune au palais présidentiel de Kigali, Emmanuel Macron a admis la « responsabilité accablante » de son pays dans ce drame humain, sans pour autant formuler les excuses attendues par beaucoup. Ceci marque, de façon positive, la fin d’un déni français qui entravait la marge d’action et de crédibilité de la politique africaine de Paris et reflétait une bonne dose d’archaïsme dans la façon dont celle-ci avait été conçue. Mais, loin d’être un ‘’coup de maître français », ces aveux effectués sans demande de pardon tracent un parcours borné et imposé par l’homme fort de Kigali. La France l’a négocié à l’initiative de celui-ci et c’est pour cette raison que Kagamé s’en dit pleinement satisfait. Il n’y aura eu aucune place pour l’improvisation ou pour la spontanéité des émotions : c’était un acte diplomatique longuement mûri. Et c’est pour cela que cette contrition bien millimétrée peut faire avancer les choses. Pour la même raison, Kigali va laisser Paris simuler en avoir pris l’initiative et avoir agi en totale souveraineté. Qu’importe !
« La France n’est pas complice, mais elle a un rôle », a déclaré le premier des Français, en reconnaissant ‘’ la part de souffrance infligée au peuple rwandais … pour avoir trop longtemps fait prévaloir le silence sur l’examen de vérité. » La reconnaissance de responsabilité est la seule démarche significative en droit, avec l’extinction de l’incrimination de complicité de crime contre l’humanité. Une fois effectuée, elle expose bien sûr à des demandes de réparation. On peut supposer que cet aspect des choses a été réglé auparavant, au cours du grand marchandage diplomatique, et que des engagements ont été pris pour que des demandes reconventionnelles n‘aillent pas trop loin et ne mettent pas en péril l’édifice de la réconciliation.
Les excuses non-prononcées n’y auraient pas changé grand-chose. On navigue là sur l’océan des sentiments et de la communication pure. C’est une perception des choses qui est cependant d’une importance majeure, pour le vécu des populations, à la fois du côté des victimes et de celui de l’Etat responsable. Ce sera plus facile de gérer toutes ces émotions et la suite des indignations populaires après s’être entendus entre gouvernements. Une certaine vigilance restera de mise à l’égard des médias, surtout ceux de sensibilité nationaliste (va-t-en-guerre ?), en France comme au Rwanda. Le thème du génocide est trop sensible pour que les expressions échappent à la tentation d’en faire une machine à scandale et un buzz.
En amont, une révision de la vision des actes passés a été rendue possible par les différents rapports d’historiens français et rwandais, qui ont préparé le terrain. Ces documents constituent typiquement un mode de cheminement du soft power, entre œuvre de justice et tractations non-violentes pré-diplomatiques. Ainsi, du côté français, le rapport Duclert a fourni la clé d’une sortie de contentieux en oblitérant le grave soupçon d’une complicité dans le génocide, pour y substituer le constat de « lourdes responsabilités » de la France. Les armées françaises ne sont donc plus spécifiquement montrées du doigt (et pourtant…) et tenues redevables des exactions commises. L’aboutissement de ce schéma d’ensemble va pouvoir être l’échange d’ambassadeurs et la reprise de la coopération bilatérale.
La solution trouvée est autrement plus intelligente que la polémique agressive et les mesures de représailles (hard power civil). Pour autant, une lecture angélique de cette normalisation des relations entre Paris et Kigali, en imaginant qu’elle procèderait de pieux sentiments, serait légèrement naïve, voire ridicule. Il est intéressant de noter que la France s’est fait entrainer dans un mode diplomatique plus moderne et plus réaliste que sa pratique habituelle, par un petit Etat du tiers-monde. Et qui plus est, par un gouvernement qui est loin d’être un modèle de l’Etat de droit et du respect des normes humanitaires internationales. 15 A, jeu égal !