* 12 juillet – Mon aveu sur les inter-socialités

L’Ours Géo sollicite une mise au point sur la méthode. Il paraît qu’à lire les brèves, on adhérerait inconsciemment à la conception westphalienne du monde (celle du Traité européen de 1649) : des territoires nationaux bordés de frontières; des princes dotés de têtes politiques, qui règnent et décident de tout; des peuples qui expriment leur nationalisme en mourant à la guerre pour leur prince ou –option alternative – en lui coupant le cou… pour aussitôt le remplacer par un autre tout pareil. Si vous avez l’impression que la guerre d’Afghanistan, la lutte contre le dérèglement climatique, les révoltes de bonnets ou de gilets de couleurs ou encore l’assommoir des réseaux sociaux répondent à ce schéma classique, ou, pire encore, que tous ces phénomènes n’ont aucune incidence sur l’humanité globale, alors l’Ours géopolitique s’est planté (d’ailleurs, normal, s’agissant d’un plantigrade).


De fait, nos ancêtres gallo-romains ne s’embarrassaient pas de ces attributs géopolitiques. Leur descendance médiévale, non plus, qui a vécu localement le féodalisme, pour ne sortir de ses fiefs qu’à l’appel de l’Eglise et aller s’éclater aux croisades. Les grandes découvertes de la Renaissance pouvaient, certes, être subventionnées par telle ou telle couronne, mais, une fois parvenus aux Amériques ou aux Indes, marchands et guerriers agissaient à leur guise. Voyez aussi la compagnie des Indes de Colbert reprise et gérée par les marchands-corsaires de Saint Malo. Depuis la Révolution française et Valmy, les gens ont fait irruption dans la  »grande image » et les Etats doivent s’y adapter ou ils sont défaits (le cas des dictatures modernes).

Depuis 1945, les principes du bien-être social, de l’égalité des chances, du droit humanitaire dans les conflits, de la protection du travail, celui des droits humains sont consacrés par des lois et des principes universels (la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948). Les princes d’aujourd’hui ne l’ont pas fait, les tout-puissants marchés, qui nous gouvernent, non plus. Ils doivent ‘’faire avec’’, mais s’emploient à grapiller ce viatique arraché par les peuples et à maintenir ici et là l’ordre et la stabilité. Surtout, lorsque lesdits peuples s’agitent en spasmes planétaires, rythmés (entre autres) par les réseaux d’internet. On reconnait là l’état pré-Covid de la société mondiale. Cette tendance n’est pas éteinte.

– Bertrand Badie, un politologue influent, qui enseigne à Sciences Po, pense le vaste monde en termes d’inter-socialités. Le terme décrit la vie internationale des sociétés humaines, quand on a mis de côté le rôle des Princes, des Etats, des frontières et des Nations. Il catégorise les sociétés humaines en fonction de deux propensions fondamentales à l’international : d’un côté, celles qui voient ‘’le monde source d’opportunités et de conquêtes’’, de l’autre, celles dont ‘‘la préférence va à leurs particularismes’’. Il en extrapole six modes d’inter-socialités.

Parmi les sociétés positivement impliquées dans l’international, il range les sociétés ‘’messianiques’’ (Christianisme médiéval des croisades, Islam du jihad, néo-conservateurs américains et une majorité d’églises évangéliques, l’écologie universelle) (1) ; les sociétés conquérantes pragmatiques (adeptes de la colonisation ‘’spontanée’’, les pilgrim fathers américains du May Flower, les cultures marchandes telles celles des Pays Bas ou du Royaume Uni, les individus agglomérés et conditionnés par les marchés mondiaux et le marketing, les firmes multinationales, les communautés de pensée des réseaux sociaux, les migrants) (2) ; enfin, ‘’les sociétés à ambitions géopolitiques’’ (Etats westphaliens ‘’classiques’’, empire romain, sociétés en quête de grandeur comme une bonne partie des Français et des Britanniques, les Américains et les Chinois, peuples qui se conçoivent en acteurs stratégiques) (3).

La catégorie des sociétés ‘’communautaristes’’ ou identitaires se divise, elle aussi, en trois sous-catégories : les ‘’peuples élus non-messianiques’’ (Judaïsme, Hindouisme, croyances animistes, adeptes du survivalisme ou de laïcité radicale) (4) ; les ‘’réseaux utilitaires’’ (sociétés traditionnelles en autarcie, syndicalistes et militants sociaux, diasporas ethniques, séparatismes locaux, populations déplacées) (5) ; enfin le type ’’instrumentalisation politique du social’’, dans laquelle toute aspiration économique est transposée par un pouvoir fort en fait politique (la Chine, très westphalienne, en politique intérieure) (6).


En soi, aucune de ces six catégories n’est plus vertueuse ou plus efficace qu’une autre. La question n’est pas là, même si ces énormes disparités sociétales créent les plus puissantes dynamiques et les principales frictions (voyez les Etats Unis face à l’Afghanistan). La première est de fortement relativiser la part que jouent les dirigeants étatiques dans l’agencement du monde. On cherche à nous faire croire qu’elle est déterminante. Le choix d’un prince serait celui de notre avenir sur terre. Totale illusion !
Dans un pays comme la France, les habitants, dans leur grande majorité, appartiennent au modèle n° 5, avide de protection sociale, tandis que les entreprises relèvent du type n° 2, radicalement opposé, qui ignore et contrarie la catégorie précitée. Le gouvernement s’accroche – pour se maintenir au pouvoir – à la tradition ° 3 et fait croire qu’il est ordonnateur du business, de la paix et du progrès (ce qui fait bien rire les marchés). La jeunesse, très soucieuse de l’évolution climatique, emprunte au paradigme n° 1, tout comme les islamistes poursuivant leur califat mythique, tandis que les minorités identitaires frustrées optent, sans le savoir, pour l’entre-soi du n° 4 … et trouvent d’autres furieux tout pareils par-delà les frontières.


L’affaire dite des caricatures aura été très représentative de la façon dont fonctionne le monde : les journalistes qui ont re-publié ces brûlots n’avaient pas eu conscience un instant que des centaines de millions de gens, très éloignés d’eux sous tous apports, vivraient ces blagues de potache comme une blessure inguérissable, encore moins que la vie de Français à travers le monde s’en trouverait mise en danger. Mais les réseaux inter-sociaux ont fonctionné, sans qu’aucun Etat ne s’en mêle. En effet, les six modes d’inter-socialités ne savent pas spontanément se trouver des longueurs d’ondes communes. Un énorme effort d’ouverture, d’information et de tolérance est nécessaire pour passer des corrélations sociales mondialisées (conflictuelles) aux passerelles médiatrices, qui relèvent de l’‘’inter-culturel’’. On devrait enseigner cela à l’école.
A partir d’un tel sac de nœuds de tensions, pourrait-on synthétiser une vision française populaire des enjeux mondiaux ? Evidemment, ce serait une gageure et les bras en tombent à l’Ours. En revanche, l’on pourra cerner des réseaux internationaux d’intérêt ou d’idéologie sur des causes en réseaux : réparer le monde ; en soutirer un paquet de profits ; réélire les princes (qui nous conduisent si bien dans le maquis international) ; comploter et inonder l’humanité de fausses vérités pour la perdre ; faire converger les révoltes ; propager une cause unique (ethnique, religieuse, politique) et tout recentrer sur elle ; déstabiliser une autre société par le piratage numérique ou la propagande ; faire du tourisme, du sport et aller à la pêche comme tant d’autres le font ailleurs. Vous le voyez : presque tout est transversal ; peu de sujets restent purement nationaux… et même le ‘’vivre local ‘’ suit des arcanes intercontinentaux, sans le savoir. N’insistons pas sur l’inter-socialité du Covid, la danse mondiale des virus et des bactéries en général : elle est si comparable aux virus informatiques et aux épidémies de fake news. Voilà ce qui fait les relations internationales !
Chers citoyens-habitants du monde, chers lecteurs éclairés : ne vous trompez pas de réseau, car vous êtes les vrais diplomates et médecins de la Paix !

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