* 27 juin – La Tunisie va-t-elle rester une démocratie ?

Ce pays a accompli, en 2011, une révolution démocratique qui en a fait un modèle, quasi-unique, dans le monde arabe. Au plan culturel c’est une proche voisine de la France, à laquelle sa classe moyenne est très liée. Elle représente un exemple en termes de développement et de libertés fondamentales (l’indépendance et la hardiesse de sa presse sont montrées en exemple). La condition de la Femme y est avancée, l’état de droit en progrès. Pourtant, elle n’a pas eu de chance. Son éveil à la démocratie s’est fait sur fond de crises multiples : la montée des ‘’caïdismes’’ ; celle de la dictature en Egypte et généralement dans la région ; le jihadisme – endogène et exogène – qui menace son économie et clive sa société entre Tunisiens ‘’aisés’’ et pauvres traditionnalistes ; la guerre civile et le banditisme pur chez son voisin oriental libyen, qui déborde sur son territoire ; l’agitation politique et l’impéritie du pouvoir algérien sur son flanc occidental ; l’effondrement du tourisme, celui de ses finances publiques ; l’accentuation rapide des inégalités sociales et la radicalisation d’une partie de sa jeunesse (des traits communs aux pays arabes) ; la vieille culture intrusive et répressive de sa police, héritière de Ben Ali (l’armée restant neutre et légitimiste).

Puis survient la pandémie à laquelle le Pays ne s’était pas préparé et dont les ravages révèlent une pathétique impuissance. Ennahda, le parti islamiste, participe au pouvoir et tient même le Parlement et, avec cette institution, une part du pouvoir exécutif, aux termes de la constitution mixte (parlementaire et présidentielle). Ce n’est pas le Liban et ce parti légitimiste se comporte aux antipodes du Hezbollah. Mais, dans un monde trop moderne pour lui, son approche de la gouvernance demeure archaïque et confuse. En six ans, il n’a presque rien accompli d’autre que de ‘’tenir son rang’’ et cultiver sa clientèle.


L’accumulation des tensions, sur tous les fronts, a mécaniquement abouti à les exacerber dans la dimension politique. Six mois d’opposition frontale entre le président Kaïs et le parlement, tenu par l’islamiste Rached Ghannouchi, ont sérieusement dégradé le consensus initial et divisé les Tunisiens en deux camps antagonistes. Pouvait-il en être autrement quand rien n’avance en dehors de multiples périls et catastrophes ?
Le président Kaïs Saïed a finalement pris les devants en limogeant son premier ministre (complaisant à l’égard d’Ennehda) et en suspendant l’activité du parlement. On peut parler d’un coup de force, même si, sur un plan strictement constitutionnel, ce type de recours est prévu lorsque l’intégrité et la souveraineté du pays sont en jeu. Chacun en jugera. Mais, faire encercler le Parlement par l’Armée et en interdire l’accès ajoute une touche de brutalité à cette décision. Les Islamistes dénoncent un coup d’Etat. Si s’en est un, il ressemble un peu à celui accompli en 1958 par le général de Gaulle, à la limite extrême (et même un peu plus) du respect des institutions. Du coup, les Tunisiens sont sortis dans la rue pour s’affronter, camp du Président contre camp d’Ennahda.


Tout cela s’agrège dans un spectacle de délitement général de la démocratie tunisienne, peut-être même, si l’on dramatise les choses, dans des prémices de guerre civile. On n’en est pas là, mais la perspective d’un retour à l’Etat de droit démocratique paraît s’éloigner sur la ligne d’horizon politique. Il est infiniment plus facile de suspendre que de restaurer l’Etat de droit.
Kaïs Saïed se révèlera-t-il un de Gaulle tunisien ou dérivera-t-il vers une émule du général égyptien al Sissi ? Comment réagira Ennahda, divisée entre légitimistes et complotistes ? Quelle chance reste-t-il à la Tunisie de sortir, malgré tout, de ces ornières ? On ne peut que souhaiter à la Tunisie de s’en tirer, malgré tout, ce qui nous aidera, nous aussi, un peu.

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