Au milieu du tourbillon islamiste qui agite le monde arabo-musulman, le Royaume du Maroc se distingue des autres Etats par sa gestion singulière du phénomène: il fidélise ses intégristes (modérés) à la monarchie, les introduit dans la vie publique, les laisse accéder à la tête du gouvernement (tout en les contrôlant de bout en bout) et, une fois sûr de leur inefficacité gestionnaire, il soumet ces notables bien usés au suffrage universel. Avec le résultat qu’on devine.
De fait, les quelque 18 millions d’électeurs marocains appelés à voter le 8 septembre pour renouveler les sièges de leurs 395 députés ont, en quelque sorte, ‘’répondu à l’appel’’. Bien qu’associé aux affaires dès 2007 et placé à la tête du gouvernement de Rabat depuis 2011 (deux mandatures), le Parti de la justice et du développement (PJD) s’est littéralement effondré. Sa déroute le voit chuter de 125 sièges de représentants dans l’Assemblée sortante à seulement 12, en cela un peu aidée par un changement de comptabilisation des sièges par suffrages (retenant les inscrits plutôt que les votants). Cela profite, sans surprise, aux partis tous dévoués au Palais royal. Mais il n‘empêche que cette déroute est signée de façon légitime, par le peuple électeur et non pas par un coup de force comme vu en Tunisie.
Sans les réprimer (sauf ceux qui s’attaquent à sa personne), le Souverain marocain a su patiemment mettre en scène ses sujets islamistes et les exposer publiquement à des responsabilités (non-régaliennes) ainsi qu’à un certain confort. Etre intégriste au Royaume du Commandeur des croyants est sans doute plus compliqué que de combattre l’autoritarisme d’un président à Tunis. La perte d’autorité des islamistes marocains modérés suit une longue litanie d’hésitations et de passivité dans les affaires économiques et sociales, auxquelles les exégètes du Coran préfèrent de loin les questions concernant la moralité publique et la piété. Fin 2007, j’avais moi-même été honoré, dans leurs journaux, d’une campagne de presse courroucée, trois mois durant, après avoir associé les vignerons et résidents français de Meknès à une fête de la Vigne célébrant la principale activité économique de cette ville berbère, une activité qui prospérait et créait de l’emploi plus que toute autre (de fait, il faut des raisins secs pour faire un bon tajine).
Leur manque de discernement dans la gestion a paru difficilement excusable, lorsque le pays s’est enfoncé dans une crise économique (une récession de – 7%, l’an dernier) et sociale inextricable, en conséquence de la crise sanitaire et de l’effondrement du tourisme (- 65 %). Leur lecture rigoriste de la politique, censée inscrite dans le Coran, n‘a pas résisté aux réalités. L’exposition médiatique de ces personnages archaïques mais parfois sympathiques, jointe à leur absence de contrôle et d’intérêt sur la pitance quotidienne des Marocains, ont cassé net une ascension qui paraissait irrésistible, à l’époque du « Mouvement du 20 février » – version marocaine du Printemps arabe de 2011. Ils réclamaient alors la fin de la corruption et du despotisme avec un fort écho populaire.
Le pouvoir réel s’exercera, comme toujours, dans les arcanes du Palais, dont les habitués ressemblent fort aux habiles (?) énarques français, avec un peu plus d’implication dans les affaires (au sens de ‘’business’’, s’entend). La classe politique parachève la vitrine du système de pouvoir, dans un cadre d’ensemble relativement démocratique où elle peut s’exprimer et maugréer à sa guise, sauf sur les deux tabous que constituent les attaques contre la monarchie/Commandeur des croyants ou contre la marocanité du Sahara occidental. La presse reste plurielle mais très surveillée.
Il faut reconnaître que la Monarchie se débrouille plutôt bien sur le front religieux et en matière de cohésion autour du Roi. Cela ne résout pas, au fond, les problèmes sociétaux et de développement du Royaume, mais cela crée une habilité à éviter les écueils, meilleure que dans les pays voisins. En France aussi, la monarchie est à la manœuvre. Ah oui,… pardon, je me trompe de sujet…