Priver les petites classes moyennes du Maghreb de la possibilité de venir – légalement – en France, avec un visa, c’est comme leur retirer leur pain quotidien et les portions de ‘’vache qui rit’’, si populaires en Algérie, Maroc et Tunisie. Le gouvernement français s’attaque à des populations qui entretiennent des liens parentaux avec les trois à cinq millions de Maghrébins résidant en France (selon la définition de leur statut), pères, mères, aïeux des binationaux qui sont nos compatriotes. Ces ‘’cousins’’ sont frottés aux cultures des deux rives et à l’histoire de la Méditerranée, déclinable en deux versions. Ils acceptent de subir les interminables files d’attente devant les consulats de la République. Certains – peu nombreux – en profitent pour s’installer ou pour se faire soigner gratuitement et même quelques-uns se laissent entraîner dans la délinquance des quartiers, qui est, elle, bien de chez nous. C’est la contrepartie d’une contribution utile à la marche économique de cette ‘’seconde patrie’’ que leur est la France et cela n’affecte pas notre qualité de vie. Globalement, ces »franco-compatibles » jouent le jeu et rentrent au pays. Leurs demandes de visa sont traitées par profilage (susceptibilité de migrer ou non) : malheur à ceux dont les intérêts patrimoniaux détenus au Pays ne sont pas suffisamment importants pour impliquer un retour au bercail ! Les plus modestes (une majorité des demandeurs) n’ont aucune chance d’obtenir le sésame. Peu de nationaux étrangers font l’objet d’un filtrage »visa » aussi dur.
Sabrer de moitié (ou du tiers) ce flux légal, déjà réduit à néant par la pandémie de Covid, ne constitue pas un mode de régulation rationnel. Cela équivaut à rejeter les échanges humains avec des peuples-partenaires que l’on devrait prémunir de toute radicalisation et arrimer à nos intérêts et à notre culture en tant que proches voisins. Au lieu de cela, on sépare les membres français et non-français des mêmes familles, on dresse des murs policiers et réglementaires. Pourquoi désespérer ces voisins, pourquoi faire surgir un visage aussi inamical de la France ? Où va-t-on à long terme ?
On ne va pas refaire l’histoire de cette circulation humaine millénaire, par-delà les mers et les frontières. L’état du monde rend strictement impossible d’en tarir les sources à long terme. Quelques remarques sur la façon discutable dont on s’y prend :
– Le visa représente le mode de déplacement respectueux du droit et de l’autorité étrangers. Fermer cette vanne honnête, c’est ouvrir toujours plus grand celle des entrées clandestines. On s’en apercevra dans quelques mois.
– La motivation de Paris touche un problème très différent des visas : la réadmission des clandestins ‘’reconduits’’ (expulsés) dans leur pays d’origine. Celle-ci nécessite l’émission d’un laisser-passer consulaire de la part des autorités du pays d’origine. On comprend bien que certains ‘’illégaux’’ posent des problèmes d’ordre public, de délinquance, etc, et soient renvoyés. Mais pourquoi sanctionner à leur place les visiteurs légaux ? Ne cherche-t-on pas à créer dans l’esprit du citoyen français une confusion entre la reconduite d’illégaux et la venue de visiteurs respectueux des règles ?
– Cette impression est encore accentuée par la façon de sanctionner une population, alors qu’on en veut à son gouvernement. A la guerre comme à la paix, les contentieux entre Etats ne sont pas supposés prendre comme cibles ou otages les citoyens civils. On comprend bien que la police française soit frustrée par la quasi-absence de coopération des consulats maghrébins dans l’Hexagone. Il faudrait s’en prendre aux ‘’coupables’’, plutôt qu’aux braves gens. L’entrée sur le territoire relève du pouvoir régalien de l’Etat, sa souveraineté (à l’exception de l’asile). Pourquoi ne pas ajourner certains rendez-vous d’Etat avec les trois pays voisins, voire suspendre pour une période limitée les déplacements d’officiels ? Sans doute parce que le tarissement des visas a été dicté par la police française, peu initiée aux multiples canaux de la diplomatie.
– Les accords de réadmission, source du contentieux actuel avec les trois capitales, ont pour source la frustration de nos autorités policières. Ils ont été conçus selon une pure logique d’affichage statistique et ignorent les paramètres sociaux et qualitatifs profonds de la circulation humaine. Même les coopérations en codéveloppement ont été assujetties au but de restreindre une présence étrangère mal vue de certains Français, tous statuts confondus. Il est d’autant plus piquant que quelques politiciens proposent de supprimer cette coopération censée retenir les gens chez eux (une vision fausse d’ailleurs).
– Ces accords ont été conclus par torsion de bras… mais aussi par intéressement financier. Avec les gouvernements du Maghreb, la France, comme d’autres pays d’Europe, rétribue peu ou prou une fonction de barrage aux flux clandestins de l’Afrique subsaharienne. Un service redu, en échange des visas. Par extension, elle escompte de la part de ces partenaires obligés une ‘’modération’’ sinon une régulation des candidats au départ sans visa. Maintenant, si tous les canaux se ferment, que valent ces accords ?
– Paris n’a pas d’état d’âme à ce propos. Mais les Etats d’origine ressentent une certaine honte à défendre ces arrangements face à leurs électeurs. Car ces accords ont, pour leurs nationaux, comme un parfum de trahison et d’hégémonie (post) ‘’coloniale’’. Il est tabou de reconnaître publiquement qu’on s’y soumet et il serait politiquement dangereux de les honorer de façon visible du public. Il y a un brin d’hypocrisie à se formaliser de ces ambigüités.Paris, Alger, Rabat et Tunis naviguent au plus près des aspirations ou des fantasmes de leurs opinions et médias. Il est vraiment dommage qu’une question de long terme aux incidences systémiques multiples et graves soit traitée au gré d’humeurs et de calendriers purement conjoncturels. A chacun ses électeurs, après tout !
Au point de vue humain, certes L’ourson ne peut être blâmé. Mais au niveau des états, il faut toujours montrer sa force et sa capacité de nuire. C’est pour cela que la position du gouvernement français est la seule qu’il pouvait prendre.
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