Coup de projecteur désabusé sur le Soudan : c’était le dernier pays du monde arabe à avoir accompli une révolution populaire pour secouer le joug d’un pouvoir militaire corrompu et teinté d’islamisme radical. En 2019, le dictateur Omar Al Béchir avait été renversé, avec la connivence d’une partie de l’Armée, et la population soudanaise était massivement dans la rue à réclamer ses droits et libertés ainsi qu’un gouvernement civil élu. Depuis plus de trente ans, aucune élection n’a pu se tenir. On ne pouvait que sympathiser avec ces citoyens déterminés, bien organisés et mûrs sur le plan démocratique …
Comme dans tous les pays arabo-musulmans animés de cet idéal en 2011 et après, la boucle s’est soudain refermée : retour dramatique au point de départ. Un nouveau dictateur militaire a confisqué les rennes du pouvoir. Le général Abdel Fattah al-Burhan, patron de l’Armée de Terre, s’assoit, hautain, sur le trône de Béchir, dissout le gouvernement, l’instance de la transition politique (Conseil de souveraineté), suspend la législation, arrête les ministres civils et fait tirer sans état d’âme sur les manifestants civils défendant les promesses de transition démocratique qui leur avaient été faites (à l’horizon 2023) . Ces promesse, au Soudan comme ailleurs, sont trahies.
La »transition politique » n’est, au fond, qu’une façon d’habiller le rapport de forces, de la part des acteurs politiques qui détiennent les fusils et une mainmise sur l’économie. On s’est demandé, dès la conclusion d’un compromis de coexistence et de partage transitoire du pouvoir entre civils et militaires, si ces derniers ne succomberaient pas bientôt à la tentation de récupérer la mise, en totalité. C’est fait désormais et le risque a été pris de susciter une légitime résistance populaire, peut-être un conflit civil, et de faire retomber le pays dans l’ornière de l’arbitraire et des violations massives des droits humains. Les généraux soudanais ont tout à redouter d’un progrès de l’Etat de droit : ils ont suscité et soutenu des formations ‘’paramilitaires’’, tels les Janjawids, qui n’avaient d’autre mission que de piller et de massacrer les populations non-arabes du Darfour et d’autres régions. Eux-mêmes ont directement commis de nombreux méfaits en rapport avec ces génocides et ils n’auraient guère de chance de s’en tirer indemnes face à une cour de justice indépendante.
Quelle frustration que le système international doive s’en tenir à des condamnations verbales et à des réunions sans effet à New York ! La Ligue arabe, pas plus que l’Union africaine n’y feront rien. Ceux qui en Occident s’effarent de l’augmentation, dans le monde entier, des flux de populations menacées chez elles, devraient foncer sur Khartoum avec des filets pour embarquer les coupables vers la Cour pénale internationale de La Haye. Un conseil un peu fou, mais il y a urgence.