Il y a différents volets dans la brouille ‘’ franco-anglaise’’ actuelle… mais une humeur est partout sous-jacente : le regain de nationalisme. Que ce soient les licences de pêche ‘’post-Brexit’’ (une fraction infinitésimale des échanges), les campagnes de vaccination, l’indopacifique avec la question des sous-marins australiens, le protocole nord-irlandais censé fixer une frontière commerciale sans entamer la paix dans la grande île, tout fait boomerang, comme autant de réflexes chauvinistes. Chaque rive de la Manche prend un secret plaisir à prendre l’autre en faute et à le sermonner.
Depuis les accords post-Brexit, les petits accrocs de voisinage sont entourés d’une intense publicité médiatique. Les hics de ces textes bâclés à la hâte sont vécues comme des provocations insoutenables : les licences de pêche accordées par Jersey impliquent des procédures administratives trop complexes pour des pêcheurs français ‘’sans papiers’’ … mais le système avait été validé par l’Europe et par Paris. Fallait-il laisser les marins bretons et normands organiser un blocus de l’île anglo-normande ? La frontière en pleine Mer d’Irlande avait été consentie par Londres mais, en regardant une carte, il saute aux yeux que la ligne rouge passe au milieu d’un royaume et nuit à son unité. La concession de souveraineté est ressentie comme une flétrissure par un cabinet conservateur farouchement nationaliste. En revanche, la sous-traitance de la frontière britannique à Calais ne heurte personne. Pourtant, le ‘’malaise‘ ’irlandais de Londres est symétrique et non moindre que les inquiétudes exprimées par les deux Irlande. On n‘avait pas pu trouver de meilleure solution jusqu’ici. Il faudrait écouter les quatre parties prenantes (Royaume Uni, Ulster, Irlande et Union européenne) et faire preuve d’imagination. La question des traversées de migrants en Manche – dont le nombre en a triplé en un an – n’est pas dictée par des principes moraux ou humanitaires, mais sous l’angle d’une ‘’querelle de sous’’, une indigne subvention que la Grande Bretagne concède à la France pour bloquer toute migration par cette frontière et refouler des malheureux.
Reste la tumultueuse affaire des sous-marins. Le mutisme consciencieux de Londres sur cette rupture d’engagement – d’ailleurs imputable à Washington et Canberra – a suscité en retour de flèche une manifestation de mépris hautain de la part de Paris. Ce n’était pas mieux et on a manqué l’occasion de se promettre de remettre en selle le partenariat stratégique franco-britannique, particulièrement utile pour l’Europe. Jeux égaux mais surtout perdant-perdant. Pour rétablir la confiance, il faudrait arrêter de médiatiser les arrière-pensées ruminantes, s’abstenir de rameuter les abonnés à la colère. Les troupes populistes adorent croiser le fer et haïr le voisin d’en face, surtout quand le combat est en gros folklorique et sans danger. Ressassons encore l’Histoire !
Il faut dire qu’au sommet, on s’est d’abord écharpé avec une belle vigueur. L’exemple est venu d’en haut là, où naguère, on s’arrangeait pragmatiquement et courtoisement entre hauts fonctionnaires, sans en appeler aux en appeler au jugement des médias tabloïdes. En jouant au Cassandre face à Boris Johnson, son exact ‘’anti-modèle’’ politique, Emmanuel Macron pensait sans doute se hisser en fer de lance de la cause européenne. Le premier ministre britannique se sait dans le viseur et ne peut se permettre de laisser saper son autorité par de constantes railleries publiques sur l’inanité des lendemains du Brexit. Le public britannique, quoi qu’on en pense, en est irrité et entonne à l’unisson ‘’blame the French !’’
Après s’être focalisé sur une vision vengeresse du différend on a fini par réaliser le ridicule de la petite guerre des pêches. L’ultimatum du 1er novembre-minuit est passé sans déclencher de riposte française (l’interdiction des ports aux chalutiers britanniques). Cessez le feu ou sursis, une réunion ministérielle franco-britannique s’efforce de sortir la pêche de la nasse populiste où on l’a placée. Il est probable que le processus de négociation se poursuivra cahin-caha et sans tintamarre. La COP26 de Glasgow n’aura, en tout cas, pas eu à subir dans son voisinage immédiat une guerre du poisson. Le vent de tempête s’apaise finalement et le mot ‘’confiance’’ a même réapparu (on fait ainsi ‘’confiance aux Britanniques pour prendre au sérieux le détermination française’’). Du langage de négociation, donc, et même un soupçon d’ouverture : Londres se dit prêt « à poursuivre des discussions intensives sur la pêche, y compris en examinant toute nouvelle preuve pour soutenir les quelque 170 demandes de licence restantes.
Avons-nous besoin d’un ‘’voisin-meilleur ennemi’’ pour assouvir quelque déficit identitaire ? Ne serait-ce pas avouer maîtriser de plus en plus mal les ‘’vrais’’ défis que pose ce monde en leur préférant des chamailleries de cours de récréation. Le président français a pu avoir raison sur certains arguments (pas tous), mais sa posture cassante risquait d’irriter d’autres partenaires au-delà du seul voisin britannique. Les autres Européens n‘ont pas envie de subir une présidence ‘’jupitérienne’’ de l’Europe au premier semestre 2022.