* 20 novembre – Nos concurrents n’ont ni tabous ni limites

Notre ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, avait été ministre de la Défense – c’est-à-dire principalement de l’industrie de défense – dans le gouvernement de François Hollande. Il a une vision du monde, certes politique, mais exprimée dans le lexique du business : au milieu du globe et au vu de tous, l’entreprise France évolue dans les clous du droit et du libéralisme (avec quelques chasses gardées traditionnelles, toutefois). Autour d’elle, une horde de ‘’concurrents’’, sans moralité aucune, pratique une compétition déloyale et même prédatrice. Le principal marché disputé est l’Afrique, dont les liens s’avèrent, il est vrai, de moins en moins exclusifs avec ‘’Maman la France’’. La trahison du Mali, celle auparavant de la République centrafricaine, passée aux mercenaires russes de Wagner (pauvre grand musicien allemand !), ne sont pas faciles à digérer. La baisse inexorable du commerce avec le Continent noir, non plus.

Et que dire du manque d’appétence des nouvelles classes moyennes et intellectuelles pour la ‘’Patrie des droits de l’Homme,’’ celle qui professe des belles leçons sur l’Etat de droit mais se rallie systématiquement aux pouvoirs en place, pourvu qu’ils veuillent bien de sa protection stratégique ? Cette mère coloniale n’émancipe plus personne, dès lors que la ‘’FrançAfique’’ survit dans les liens entre palais présidentiels. En termes géostratégiques, l’Afrique constitue désormais le bouclier au Sud de l’Europe pour boucler l’accès à la Méditerranée, mais ses habitants ne sont pas protégés pour eux-mêmes. Faute de pouvoir se désengager de son passé, Paris multiplie, par la voix indignée de M . Le Drian, les fortes allusions aux coups bas chinois et russes sur SA ‘’terre promise’’ africaine : ‘’ils nous cassent la boutique !’’ Certes.

Bien sûr, si l’on fait abstraction des choix des Africains eux-mêmes, tout n’est pas faux dans cette saga de dumping et d’appropriation néocoloniale. La l’arrogance belliqueuse des Russes, l’incitation à l’endettement et à la dépendance économique recherchée par la coopération chinoise, tout cela n’aide pas à régler les problèmes structurels entretenant l’instabilité africaine. Le délitement de la gouvernance affecte l’assise et la durabilité des exécutifs, déstabilise les composantes ethniques et les institutions de ces nations inachevées. La natalité débridée et les effets pervers des guerres comme du climat signent l’échec du développement humain, lui-même générateur d’exil et d’errance e Europe. Le chaos extérieur s’y rajoute, sous la forme de la déferlante djihadiste et du banditisme associé. Ainsi tournent en boucle les cercles vicieux qui nous inquiètent, mais que nous ne maitrisons pas. La France ne serait plus qu’une puissance moyenne, dit-on. Mais peut-elle encore proposer un modèle ?

Pour le ministre breton : ‘’ c’est le monde d’avant en pire. Nous constatons non seulement la brutalisation des rapports, mais aussi une véritable course à la puissance, aggravées par une compétition des modèles. Nos concurrents n’ont ni tabous ni limites : ils projettent des milices privées partout, détournent des avions, font exploser des satellites, ils subordonnent des peuples, siphonnent des ressources sur certains continents, je pense à l’Afrique, en obligeant les pays concernés à crouler sous l’endettement’’

Certes, mais, brillants politologues que nous sommes à Paris, maîtrisons-nous les parades, de notre seul mérite national ou même européen ?  »Il faudrait agir maintenant, sinon l’histoire ne nous attendra pas ». A ce point, on s’attendrait à voir enfin exposé un ‘’grand plan Marshall » (ou Le Drian) pourvu d’une ressource au moins comparable au plan de relance européen (750 + 500 milliards €). A marche forcée, on s’attellerait à créer une grande industrie, un artisanat moderne, une agriculture vivrière saine et autosuffisante, un réseau épidémiologique ainsi que des infrastructures de service public irriguant jusqu’aux campagnes les plus reculées. On vous l’accorde, ni la France ni l’EU n’ont la taille financière ou même la légitimité pour mettre en œuvre ce qui existe déjà, comme horizon utopique, aux Nations Unies. Il n’y a rien de neuf à inventer, il faudrait se mettre ensemble, ce qui veut dire, notamment, avec les Russes et les Chinois. Ou essayer, tout au moins, pour interpeler les Africains. De leur côté, plutôt que de jouer opportunément les faveurs des uns contre celles des autres, les nations africaines seraient bien inspirées d’exiger l’unité d’action de la communauté internationale (unité à réinventer).  Un effort, donc, de conception d’une géopolitique collective africaine alimentée par des intérêts et des valeurs.

De fait, leurs dirigeants ont leur part de responsabilité dans l’anarchie continentale. Et nous avons aussi notre part d’hypocrisie en fulminant contre la brutalité et l’égoïsme de nos ‘’concurrents’’. Nos investisseurs en Afrique jouent-ils sagement le jeu du développement et de l’émancipation ? Les exilés africains, qui atterrissent dans l’Hexagone, ne sont-ils pas maltraités par la police et privés de leurs maigres biens (saccagés), ignorés des préfectures – où ils n’ont plus même droit à un contact humain – Ne sont-ils pas privés de ressource et de soins par la ‘’machine à produire des clandestins’’ laquelle, dans son ambiguïté chronique, ne sait ni les intégrer, ni les expulser. Enfin, ne sont-ils pas conscients d’être stigmatisés en redoutables ‘’envahisseurs’’ par la vulgate populaire ? Alors, la France ‘’solidaire des Africains et attentive à leur sort’’ ?

Le patron de la diplomatie n’entre pas dans des considérations aussi larges et lointaines. Sa conclusion est plus court-termiste : le président français assumera la présidence de l’Europe dès janvier. Face aux malheurs de l’Afrique, sa contribution sera exceptionnelle et décisive. Comptons sur Paris pour accélérer la capacité de l’UE à compter en ’’puissance affirmée dans les affaires du monde’’, à  »défendre son modèle et à  promouvoir un multilatéralisme efficace ». Soit. Mais qu’attendent vraiment les jeunes Africains de leur vieille Maman ? Qu’en penseraient les Baltes, le Polonais et le malheureux peuple biélorusse, s’ils devaient être jamais au courant ? Et que restera-t-il du bel activisme présidentiel qu’on nous promet, une fois passées les élections françaises ? Trop de flou, sans doute quelque loup…

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