La première rencontre entre Emmanuel Macron et Assimi Goïta, le colonel-président de la transition malienne, n’a eu lieu. Le chef de l’État français a annulé sa visite, prévue le 17 décembre. Le motif en a été ouvertement ‘’diplomatique’’ (soit, un beau faux prétexte) : la pandémie de Covid-19 le retenait à Paris. L’explication des gravures n’aura donc pas lieu non plus. Chacun restera sur son fort ressentiment. D’aigres contentieux ont vu le jour, au cours des dernières semaines, autour de ‘’l’abandon français du Mali’’ ou, en sens inverse, de »la vente du Mali, à vil prix, aux intérêts russes, portés par les mercenaires du groupe Wagner ». Les chances de rabibochage paraissaient nulles et le risque de manifestations anti-françaises, trop élevé. Ce risque n’en valait pas la chandelle.
A qui imputer cette impasse face aux offensives djihadistes du Sahel ? Accueillie en libératrice, en janvier 2013, l’opération Serval a rempli son objectif immédiat : repousser la déferlante des katibas depuis le Nord visant à investir la capitale malienne. Depuis, les diverses opérations d’endiguement, française (Barkhane), onusienne et africaine au Sahel ont toutes échoué à ramener l’ordre et la paix, notamment dans le centre-Mali. Ce secteur est frappé d’anarchie et de raids terroristes, les populations s’estimant plus ou moins abandonnées par les autorités maliennes. Les groupes armés liés à Al-Qaïda et à Daech, y gagnent sans cesse du terrain et y sont désormais chez eux.
L’insécurité croissante nourrit le sentiment ‘’antimilitaire’’ et, particulièrement, la rancœur antifrançaise, à travers le Mali : ‘’puisque vous ne pouvez pas régler le problème, alors, dégagez !’’ Cette colère permet au gouvernement ‘’deux fois putschiste’’ de Bamako de détourner de lui la responsabilité de l’inexorable défaite sécuritaire et d’en reporter la faute sur un bouc-émissaire sacrificiel tout trouvé, qui plus est étranger et post-colonial. Les mauvais garçons au pouvoir dans la capitale seraient bien à mal, autrement, de justifier leur cuisant échec face à leurs ennemis … et face à leur propre population. Celle-ci n’a pas encore de préjugé particulier sur l’option de remettre aux Russes les richesses et la charge militaire du Pays. Les Maliens s’apercevront un jour qu’ils auront beaucoup perdu au change. Voyez les méfaits commis par les voyous de Wagner contre les Centrafricains et les Libyens !
Du côté français, le syndrome de ‘’défaite à l’afghane’’ est à l’œuvre. Les autorités maliennes, que l’on tentait d’aider, jouent désormais sur le registre du chantage et de la trahison. Pourquoi leur offrir une visite ‘’légitimatrice’’ … et se faire fustiger en retour ? On réalise bien ne pas pouvoir compter sur elles, que ce soit pour redresser la situation ou pour sortir Barkhane de la nasse, en limitant la casse. Censées exploiter les avancées militaires des autres armées pour faire progresser leur gouvernance et l’intégrité de leur pays, elles, profitent surtout d’un pouvoir arraché illégalement, sans tenter de remplir leur rôle dirigeant. ‘’Se reconcentrer sur la stricte lutte contre les groupes terroristes’’, comme le prône le locataire de l’Elysée, constitue une alternative toute militaire mais théorique. Elle est rendue illusoire par l’absence de soutien civil, de base politique. L’armée française, comme ses épigones européen (Tacuba) et africain (Minusma), n’est plus gratifiée d’une légitimité populaire : elle ne peut plus être utile au Mali.
Cette ‘’tolérance’’ à l’égard des djihadiste en arrive au point où les colonels de Bamako estiment ‘’de leur devoir’’ d’ouvrir le dialogue avec eux. « C’est une demande forte depuis plusieurs années du peuple malien, qui dit que ceux qui sont avec les jihadistes sont des jeunes souvent désœuvrés, souvent endoctrinés (…). Discutons pour récupérer ceux qui sont récupérables ». Candide naïveté ou impuissance déguisée en habilité suprême, le gouvernement malien caracole tout droit vers le gouffre. La feuille de route pour la Paix de 2015, conclue à Alger et validée par l’ONU, est soudain jetée par lui aux orties, au profit d’un ‘’arrangement’’ à l’amiable, comparable à une trêve entre quelques chats grassouillets et des hordes de hyènes. Partir, d’urgence, vous dis-je ! Sera-ce une consolation quand les brutes de Wagner, plus encore que les Français, répugneront à se frotter à toute cette cette pagaille ?
La Conclusion est que les militaires de Barkhane vont pouvoir mastiquer tranquillement leur festin de Noël, sans être perturbés par un show présidentiel autour d’eux. En buvant leur champagne, ils penseront in petto : ‘’l’an prochain, à la maison’’. Bonnes fêtes, les gars !