La Russie fait-elle encore peur à l’Occident ? La question se pose toujours, alors qu’elle marque, en pleine mortification, le trentième anniversaire de l’effondrement de feue-sa mère l’URSS. Hier, Poutine a promis une ’’réponse militaire et technique’’ (sic) face aux positions stratégiques occidentales, par lui perçues ‘’menaçantes’’ aux confins de son présumé ‘’glacis’’ oriental. Il pensait surtout à l’Ukraine, échappée à son emprise depuis 2014 et exposée à un dispositif militaire russe considérable et très pressant. Mais, dans ce fond d’obsession révisionniste commun à toute cette nation, avide de retrouver sa stature d’empire parmi les pays de son étranger proche’’ (et même au-delà), d’autres frustrations tenaces percent sous sa mise en garde.
La Biélorussie est assurément un terrain d’affrontement. La complète insertion dans l’OTAN des ex-démocraties populaires devenues des pays-membres de l’UE revient au même chiffon rouge. Moscou gronde à la moindre manœuvre de l’Alliance dans ce glacis stratégique qu’elle a perdu. La Pologne, en particulier, fait l’objet d’une détestation extrême du Kremlin. Les sanctions consécutives à l’annexion de la Crimée puis au dépècement de l’Ukraine orientale (Donbass) alimentent une volonté de vengeance. La guerre hybride tramée contre l’Occident, les manœuvres sur les livraisons de gaz, les coups de butoir assénés à la périphérie (Syrie, Libye, Afrique sub-saharienne), enfin, la collusion stratégique russe avec Pékin sont autant de signes vengeurs que nous avons du mal à interpréter comme un message cohérent. Il faut dire qu’il n’est pas aisé de se mettre dans la tête de Vladimir Poutine. Sa psychè ne coïncide plus avec notre temps mental, tant ce personnage semble appartenir à un sinistre passé.
Rustre ne signifie pourtant pas irrationnel. Un peu à l’image du processus de Helsinki, lancé en 1973, Poutine vient de proposer à l’Adversaire une négociation sur ‘’l’architecture de sécurité’’. C’est Moscou, cette fois, qui en prend l’initiative. Deux traités sont proposés à l’Ouest, dont le contenu n‘est nullement novateur : un accord de délimitation de la sphère d’influence de l’OTAN, garantissant à Moscou, au moins, le maintien d’une ‘’zone tampon’’ entre l’Alliance et la Russie. Cette frange ‘’finlandisée’’ (que la Finlande aimée me pardonne ce terme par elle détesté !) serait bien entendu découpée dans la partie orientale de l’Union européenne. S’y ajouterait le Caucase (Géorgie, Arménie) et les autres anciens membres du pacte de Varsovie.
L’autre proposition de Poutine est complémentaire : en gros, sous couvert de dialogue stratégique, restaurer un condominium russo-américain sur l’Europe, pour gérer les problèmes : un nouveau Yalta, dans l’esprit de 1944 ! Ces deux demandes russes sont mortelles mais, venant d’un joueur d’échec – qui sait bien à quel point elles sont inacceptables en l’état – elles restent intéressantes. Une négociation géostratégique marque d’abord des temps de pause comme des pics de pression dans une rivalité globale. Les joueurs se font concurrents plus qu’ennemis. Le fond compte peu au début : il sera façonné par sa forme évolutive, les tactiques employées, le rapport de forces. Poutine a bien compris qu’être à l’initiative, c’est se donner un avantage sur la conduite du processus. George Bush senior avait bien su user de cette logique, en 1990-91, face à Gorbatchev.
On peut regretter que Joe Biden et l’Alliance atlantique aient purement rejeté la gesticulation poutinienne comme une fièvre débile, une grossière ficelle de propagande. Contre-proposer, prendre l’initiative et rappeler à Moscou les lois et réalités du système mondial actuel (notamment, celles de l’Europe) eût été plus avisé. A la table de négociation, la Russie est faible (comme son économie) et ne peut se montrer aussi agressive que sa soldatesque l’est à la frontière ukrainienne. L’Ouest n’aurait-il plus assez confiance en lui ? Ce serait au nouveau duo Macron – Scholz de prendre le relai pour- si possible – dégager de toute cette poudre aux yeux quelques vraies opportunités.
Bravo l’Ours pour cette belle et bonne analyse. Cependant, quelle serait la réaction des USA si au Mexique le pouvoir politique se rapprochait par trop de la Chine, jusqu’à entrer dans une alliance politico-militaire ? Ou, plus près de nous, si la Belgique se mettait à soutenir ostensiblement des indépendantistes ultramarins ?….
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