Si l’on vivait encore dans le monde d’hier, on parlerait du dernier rapport du GIEEC sur le climat. Dans celui d’aujourd’hui, la folie furieuse d’un dictateur russe nous rappelle que sans un minimum de stabilité de la géopolitique planétaire, il est simplement impossible de s’atteler aux autres défis majeurs qui nous assaillent. L’amont de notre futur s’appelle »la fureur de Poutine ». C’est comme ça.
Le dictateur sanguinaire a manqué sa blitzkrieg contre les Ukrainiens. Il pense devoir faire feu de tout bois : dépêcher, dans ce pays »ex-frère », les tueurs tchétchènes du satrape Kadirov; parachuter des troupes aéroportées sur des quartiers d’habitation; y répandre ses »saboteurs »; bombarder les immeubles et les infrastructures civiles (comme il l’avait fait à Grozny et à Alep); appeler l’armée de Biélorussie à sa rescousse; y installer ses missile stratégiques et en menacer le monde libre … Le point Godwin (en venir à une comparaison avec Hitler, par facilité sémantique) n’est plus plus si outrancier que jadis, le concernant.
Il s’acharne d’autant plus que sa tentative folle anéantit son image et surtout son pays. Avant même d’avoir produit leur effet d’attrition, les sanctions d’un l’Occident, pour une fois unanime, provoquent des effets tectoniques sur l’économie russe. Même les Suisses et les Monégasques se sont alignés. Les Etats Unis collent aux mesures prises par Bruxelles, en laissant aimablement à l’UE le soin d’occuper l’avant-scène mondiale de cette guerre essentiellement européenne. Beau fair-play de la part des analystes qui ont été les plus lucides sur le désastre qui nous attendait. On oubliera les hésitations d’Obama sur la Syrie, le retrait peu glorieux d’Afghanistan, la »kremlinophylie » brouillonne de D. Trump. La crédibilité américaine est de retour. Partant, l’Alliance atlantique se montre, comme l’Union européenne, plus forte et plus soudée que jamais.
Les ovations enthousiastes et émues faites au président ukrainien à Paris, Bruxelles, Washington, etc. traduisent la dimension très forte de la victoire morale (et politique) des démocraties sur l’agresseur. L’Occident agit dans le cadre de l’article 51 de la Charte des Nations Unies, laquelle ouvre des moyens collectifs pour contrer l’agression. Envoyer des Mig à l’aviation ukrainienne dont le matériel a été détruit, des missiles anti-char à ses fantassins, ce n’est pas rien. C’est d’abord légal – et même les neutre européens, Finlande, Suède, Autriche, le font – mais ce n’est pas tout. Bien que cela ne change pas radicalement un rapport de forces trop inégal, cette aide contribuera à galvaniser la résistance d’un peuple sachant pouvoir compter sur un grand arrière. Il va pouvoir, au moins, entretenir une guérilla. Autre booster du moral des citoyens de la »petite Russie », la mobilisation humanitaire s’annonce extraordinaire. L’immense exode des femmes et enfants fuyant les combats évoque la France de 1940. La volonté d’aider dépasse largement le cercle de la diaspora ukrainienne de par le monde. Elle mobilise fortement les sociétés civiles démocratiques et bénéficie de fonds considérables des institutions européennes. Poutine nous pensait incapables de solidarité. Belle erreur !
Mais sur quels buts s’acharne-t-il donc, avec sa brutalité absolue ? Il devra peut-être un jour s’en expliquer devant un tribunal russe ou international. Visiblement, il s’identifie à un nouveau Pierre le Grand, alors qu’il se comporte en Ivan le Terrible voire en comploteur imberbe (Raspoutine/ Rase-Poutine – Bôf !). Faire la jonction d’un grand Donbass plus étendu avec ses armées de Transnistrie moldave (un autre territoire occupé, au Sud de la Mer noire); Enlever au passage le port de Marioupol constitue pour lui un objectif stratégique minimum. La Mer d’Azov deviendrait alors un lac russe fermé et la Mer noire un littoral à dominante russe.
Pourtant, à écouter son charabia idéologique »culturaliste » (conférence de presse du 24 février), on ne peut douter de sa volonté de détruire = aussi = les institutions démocratiques de l’Ukraine. De même, – sans s’engager militairement – celles de l’Europe occidentale. Il a commencé le travail depuis une décennie et pousse aussi loin qu’il le peut les feux de la désinformation, de la confusion et des actions déstabilisatrices.
Sa névrose de la vengeance contre l’Occident (1991: implosion de l’URSS) sous-tend ses actes de politique extérieure. Elle lui sert aussi d’exutoire politique à l’intention d’une population russe – celle »d’en-bas » – vouée à une stagnation assez misérable et sensible au chauvinisme. En arriver à menacer du feu nucléaire les voisins européens signe la démence d’un homme aux abois (point de Godwin : les V1, les V2, les armes secrètes du Reich). Aux antipodes de la dissuasion, Poutine considère alors les armes stratégiques comme des outils pour sanctuariser des invasions extérieures. Même Kim Jong-Un n’avait pas osé aller si loin !
Chez lui, on retrouve le tropisme culturel du »peuple destiné à dominer » et des »moujiks » idiots (et autres Occidentaux dégénérés), qui appellent sur eux la soumission. La Russie »éternelle » et ses »frontières historiques », les Nazis qui tiennent l’Europe, le »génocide » des Russes ici et là, tout ce fatras montre un esprit binaire et fermenté accro à la philosophie toxique de Samuel Huntington dans son fameux »Clash des civilisations ». Sauf, qu’avant qu’il ne s’en mêle, Russes et Ukrainiens partageaient la même histoire, la même culture, les mêmes gênes et même un bon degré de fraternité. Aujourd’hui, les premiers massacrent les seconds. Va-t-il falloir repenser plus finement la »menace islamique » et le fumeux »islamo-gauchisme », qui ont tant agité nos esprits faibles, comme si, à lui seul, l’islam politique constituait la source de tous nos maux ? En attendant, la Russie n’est pas un rempart, elle est complètement sortie du monde chrétien (un jour, elle y reviendra), elle est La Guerre, La Destruction, La Subversion … le germe du mal, à nos portes.