* 3 mars – Vladimir, voisin paria

Le pouvoir n’est plus tant que ça  »au bout du fusil ». Mao Zedong n’avait pas bien testé son dicton. Avec l’agression russe contre l’Ukraine, on redécouvre que l’économie et l’image de marque pèsent lourd, elles aussi, dans la durabilité d’une dictature. Malgré tout son aveuglement, Vladimir Poutine doit commencer à se douter que, dans une Russie ruinée, les fusils risquent d’échapper à son contrôle, voire pire. La Fédération de Russie pourra bientôt fermer sa banque centrale, coffres vides, mais aussi son Quai d’Orsay, le M.I.D : hormis la Chine, l’empire des tsars n’a quasiment plus aucun partenaire dans le monde sur qui il puisse compter. Avec la RPC, les relations commerciales vont-elles suffire à compenser les sanctions imposées à Moscou ? En fait, Pékin ne se prêtera qu’a moitié à ce jeu, qui ne satisfait pas tous ses intérêts.

Opposé aux sanctions économiques contre la Russie de Poutine, son ‘’meilleur ami’’, Xi Jinping, n’a ni les moyens, ni, surtout, l’envie de tout sacrifier à la cause du président russe. Il rechigne à aider cet allié un peu compromettant à les contourner en totalité, même s’il peut les atténuer en partie … mais ‘’donnant-donnant’’. En fait, il a de quoi être vexé de ce que l’impassible Vladimir lui ait caché ses plans d’invasion, à quelques jours de leur réalisation, alors qu’ils plastronnaient tous les deux, à l’ouverture des J.O. de Pékin. Qui plus est, lempire du Milieu n’est pas le premier partenaire économique de Moscou et ne peut se substituer entièrement à l’Europe. Il pèse pour 15 % des exportations de la Russie et 20 % de ses importations. L’Union européenne est son premier fournisseur, avec 37 % des échanges commerciaux de la Russie en 2020. En dépit des sanctions mises en place par l’UE en 2014 contre le régime de Vladimir Poutine, après l’invasion de la Crimée, le commerce de la Russie avec le Vieux Continent était, avant la pandémie, deux à trois fois plus important que celui réalisé avec la Chine. Ainsi, 83 % du gaz fourni par Gazprom aboutit en Europe. Substituer rapidement des clients asiatiques aux clients européens ne sera pas si facile. De plus, depuis 1992, le produit intérieur brut russe a été rapidement dépassé par celui de la Chine et l’écart est devenu abyssinal (de un à dix). La Russie ne figure même plus parmi les dix principaux partenaires commerciaux de Pékin.

Malgré tout, les produits que la Russie exporte sont justement ceux dont le pays de Xi Jinping est gourmand : des hydrocarbures et des céréales. Au premier jour de la guerre, le 24 février, les douanes chinoises ont annoncé lever les restrictions aux importations de blé russe mises en place jusque-là pour des raisons phytosanitaires. Voilà un petit coup de pouce donné au voisin du Nord mais qui correspond, surtout, à ses propres besoins, au-delà de sa portée symbolique.

Un nouveau gazoduc est prévu au titre des accords signés à Pékin le 4 février, lors de la rencontre des deux présidents ;Xi Jinping et Vladimir Poutine avaient alors annoncé que les relations internationales entraient  »dans une nouvelle ère »Leur amitié, désormais ‘‘sans limite », avait donc aussi comme un petit parfum d’hydrocarbure. Depuis 2019, le gazoduc Sila Sibiri  (‘’force de Sibérie’’) relie la Russie à la Chine. Par ce biais, Moscou a fourni, l’an dernier, 16,5 milliards de mètres cubes de gaz à la Chine s’ajoutant à un précédent contrat qui prévoyait la livraison de 38 milliards de mètres cubes par an à l’horizon 2025. Le 4 février, les deux pays ont annoncé l’achat par la Chine de 10 milliards de mètres cubes supplémentaires par an pendant vingt-cinq à trente ans grâce à la construction d’un nouveau pipeline via la Mongolie, Sila Sibiri 2, supposé entrer en activité en 2030. Vladimir Poutine espérait vendre davantage de gaz et de pétrole russe aux dirigeants chinois, mais ceux-ci ont fait preuve de prudence. Le contrat passé par Rosneft avec la CNPC chinoise a été libellé en euros, un effort pour ‘’dédollariser’’ l’économie russe. Mais la part du yuan dans les transactions est appelée à croître et Moscou devra bien s’y adapter.

Autre signe de soutien pondéré, aux Nations Unies la Chine dit ‘’comprendre’’ la Russie, mais ne l’a pas soutenue publiquement lors du vote sur l’Ukraine, intervenu le 2 mars. L’Assemblée générale de l’ONU a « exigé » que la Russie mette fin de la guerre en Ukraine et retire ses forces ’’immédiatement, complètement et sans condition’’. La résolution adoptée déplore de même l’implication de la Biélorussie et appelle à un accès sans entrave à l’aide humanitaire. Ce texte, piloté par l’Union européenne en coordination avec l’Ukraine, a été approuvé par 141 pays sur les 193 que compte l’Organisation. Trente-cinq pays-membres se sont abstenus et la Chine est du nombre. Elle ne veut pas s’associer à la ‘’dénazification’’ du pays envahi. Une option d’équilibre et  de confort dans l’ambiguïté. Seuls, cinq Etats (la Russie, le Belarus, la Corée du Nord, l’Érythrée et la Syrie) ont soutenu la ligne de Moscou. C’est tout dire !. On n’avait jamais vu l’AGNU aussi unie et déterminée, face à une guerre depuis le vote de l’opération de l’ONU en Corée. Un mauvais souvenir pour Pékin. La Russie s’est abaissée elle-même à l’état de paria sur la scène mondiale. Cela chatouille manifestement l’aura de Pékin.

Sur le plan de ses intérêts économiques, la Chine peut sans doute voir  d’un bon œil la perspective d’une  dépendance accrue de Moscou à son égard. Pourtant, elle n’a aucun intérêt à sacrifier sa relation avec les Occidentaux. Elle peut donc soulager les convulsions de Moscou mais pas effacer sa dette ni sa mauvaise presse. D’ailleurs, il n’est pas certain qu’elle le veuille. Pas question de mettre tous ses œufs dans le panier russe. Une Russie affaiblie se retrouve dans la position désavantageuse du demandeur. Telle Huawei, certaines entreprises chinoises souffrent déjà de sanctions occidentales. Si elles ne peuvent pas utiliser l’euro ni le dollar dans leurs affaires avec la Russie, elles vont y réfléchir à deux fois. D’ailleurs, les banques – publiques – chinoises ne semblent pas, pour le moment, aider les Russes à contourner les sanctions financières. Fauché, Vladimir : on le plaindrait presque !

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