»L’opération spéciale » lancée le 24 février a muté sous forme de guerre en Europe. Notre bon vieux continent pacifique et jouisseur se retrouve, malgré lui, en situation de belligérance, bien que sans intervention directe sur le terrain des combats. Jour près jour, il s’est vu devenir une cible, un adversaire haï. Détesté pas moins que l’OTAN, car si l’Europe ne détient pas la force, elle incarne la démocratie et une recette de prospérité insupportable à l’Agresseur. La crise ukrainienne n’est pas née de l’indépendance de l’ex-république soviétique, mais de la volonté majoritaire de la population, treize ans plus tard, de contracter un partenariat économique avec l’Union européenne. Telle est l’origine de l’éviction de l’ex-président Viktor Ianoukovitch et le point de départ de la révolution orange de 2014.
L’Europe reste un enjeu de combat. Bloquer par tous les moyens son attraction sur les »anciens satellites » traduit une véritable obsession du dictateur russe. Les Européens s’étaient endormis dans la douce croyance que Vladimir haïssait l’Amérique mais pas eux. Archi faux !
Les appels désespérés du président ukrainien pour intégrer d’urgence son pays dans la famille européenne ont porté un effet, quand bien même Kiev campe encore à mille lieues des critères d’admission dans l’Union. De plus, les 27 sont assez divisés sur le sujet. Mais qu’importe, l’objet immédiat de la réponse sera de donner une perspective d’appartenance, un gage de solidarité, un signe d’espoir à même de galvaniser l’esprit de défense de cette jeune démocratie. La demande formelle de Kiev a été transmise par le Conseil Européen, le 28 février, pour avis et recommandations de la Commission. Elle pourrait court-circuiter la candidature turque de 1999 en se retrouvant placée en haut de la liste d’attente. A l’inverse, le contexte des hostilités devrait décrédibiliser la demande de la Serbie, pays resté fidèle à ses accointances russes. Nécessité fait loi, en temps de conflit. Elle devrait aussi devancer les démarches d’adhésion de la Géorgie et de la Moldavie, deux petites nations déjà placées sous le joug d’une occupation partielle par l’armée russe et qui craignent – à raison – d’être être victimes du »coup d’après ».
De façon intéressante, le président Zelensky commence à percevoir les conséquences extrêmes que provoqueraient des actions de combat lancées depuis l’espace géographique de l’Alliance atlantique. Il a donc modéré ses exigences concernant l’OTAN, mais il ne cède rien de son impatience à rejoindre l’U.E. Les sanctions décidées par Bruxelles, la capacité du grand marché uni à se fermer à la Russie et à encaisser un effort de guerre soutenu, la dispersion, enfin, de la population ukrainienne en une diaspora au quatre coins de l’Europe, tous ses facteurs prouvent que la géographie (et l’Etat de droit) sont aussi décisifs que les armes.
Le sommet européen attendu à Versailles dans les prochaines heures ne sera pas décisif, tant les questions à résoudre sont délicates, nombreuses et complexes. Mais les chefs d’Etat et de gouvernement devraient donner un aperçu impressionnant de leur nouveau logiciel politique et économique de temps de guerre, face à l’adversité qui frappe le continent. Au plan géopolitique, on est probablement parti pour une révolution copernicienne en Europe.