* 22 mars – Au bout du Quai : la fronde

Aujourd’hui, on quitte pour un moment l’actualité en Ukraine. Parlons donc du diplomate français. Ce personnage assez imbu de sa personne tient, à la fois, du loup solitaire, écumant le vaste espace de la géopolitique et du caniche de salon, tout feu-tout flamme dans la bonne société. Il raffole de l’effervescence conceptuelle et de la volubilité policée des ambiances  »club » cosmopolites. Sous la férule d’un Maître et Suzerain lointain, il s’adonne à l’entre-soi des ‘’gens de bien’’ et parfois aux récits picaresques de ses propres aventures. Rajoutez encore une dose d’égo et un sens – sublime – de l’intérêt général, un rien de complaisance envers la féodalité qu’il sert en bon petit marquis attentionné et vous aurez une image générique de la corporation, un peu forcée, quand même vraie, comme toute caricature sociale.

Ces clichés sont pourtant trop généraux pour coller à la réalité de 16.000 individualités qui composent parmi lesquelles quelques dizaines de barons décident de tout (cf le film et la BD  »Quai d’Orsay »)

Le prestigieux Quai d’Orsay ne déteste rien autant que de se voir mélangé à d’autres corps de la haute fonction publique et d’ouvrir son ‘’entre-soi’’ international à un  »entre-nous » franco-français. A bord, ce n’est pas votre nationalité qui importe, c’est votre capacité à surfer, au quotidien, sur les affaire du monde et, par pathologie professionnelle, à vous sentir intime des grands de ce monde. Cela va de soi.

à Mort à qui débarquera dans nos postes (diplomatiques) pour simplement changer sa routine et goûter en curieux à une expérience  »différente » ! Les préfets, généraux, recteurs académiques, directeurs de grands hôpitaux  ou autres administrateurs civils, qui rêvassent d’intégrer le Quai (tout le monde a envie de parcourir le monde, en grand seigneur) vont longtemps trainer derrière eux le boulet de leurs origines ‘’inadéquates’’.

La récente et ‘’révolutionnaire’’ réforme de la haute fonction publique, décidée en avril 2021 par le président Macron, retriture sous un autre format l’ENA , pièce maîtresse sacrée de notre belle et antique bureaucratie. Elle prétend surtout fondre et confondre le haut de la grille administrative française dans un même pot commun hétéroclite et baroque. Les grands corps de l’Etat disparaitront de ce fait, à l’exception des conseillers d’Etat et des magistrats de la Cour des Comptes, protégés par la Constitution. Dès cette année, les grandes chapelles de la haute administration – au moins 16, comportant une centaine de sous-catégories et de sous groupes – seront fusionnées en un corps interministériel unique d’‘’administrateurs de l’Etat’’. Chaque technocrate deviendra donc interchangeable avec n’importe quel autre.

Est-ce un vrai changement en vue ? Pour commencer, cela annonce un exercice ardu de formation continue. Les DRH ne sont pas le fort de l’administration française et tiennent souvent plus du copinage que de la logistique planifiée. Comme pour tout, l’intendance suivra.

Les résultats pourraient être jugés décevants, d’ici quelques années. Pour les têtes d’œuf de la prestigieuse diplomatie française, l’humeur est plutôt à dénoncer un sacrilège social, un vrai ‘’n’importe quoi ‘’: un déclassement. C’est dire si leur fierté chatouilleuse va en prendre un coup ! Va-t-on laisser à des inspecteurs des finances le soin d’analyser finement la révolte des peuples du Sud de la Planète, un commissaire divisionnaire de province s’atteler à la tâche d’un conclave entre rebelles musulmans en vue d’un traité de paix ? … des inspecteurs des affaires sociales plancher sur la nucléarisation de l’espace ? La force des clichés, encore et toujours …

Pourtant, mixer – de façon fine – les références et les expériences professionnelles peut catalyser l’intelligence collective et enrichir la capacité française à capter l’image complexe du monde.

Les arguments des ambassadeurs, directeurs et sous-directeurs d’administration centrale ou autres consuls généraux pourront paraître un brin insolites, voire décalés d’avec la vie réelle dans la République. Une tribune des  »révoltés », parue dans ‘’le Monde’’, cite des diplomates anonymes dénonçant ‘’un danger pour nos institutions’’, susceptible même de provoquer ‘’la désagrégation de notre pays’’. Diantre, on croirait du Zemmour ! Voilà qui est pathétique mais sous-argumenté, de la part de si brillants esprits. Les mêmes – ou d’autres – ont remis le couvert, pointant dans la réforme un risque de ‘’disparition de la diplomatie’’ . Si quelque chose la menace, la pauvre, ce serait plutôt sa déchéance budgétaire, sa tour d’ivoire toute fissurée sans vue sur la France ou encore la dégradation de sa capacité à aider les Français vivant à l’étranger (les consulats Potemkin dotés d’une façade, d’un drapeau mais d’aucun fonctionnaire).

Dans une soudaine montée d’adrénaline, les anonymes du  »Département » s’affolent pour la place de la France compromise dans le monde. Ce souci tient en fait moins à sa diplomatie qu’à un déclassement économique, éducatif et social assez général du Pays de Voltaire. Le repli de la société sur elle-même et sur des souverainismes réducteurs englobe tant de paramètres qu’on peut difficilement le réduire au seul souci d’une seule petite corporation distinguée et franchement invisible au sein du débat national.

Le ministre Le Drian fait la moue, sans volonté particulière de calmer la fronde des barons du Quai. De la diplomatie, le patron, c’est lui et il ne tient pas à braquer ses gens. L’Elysée n’a accepté aucune autre exception et donc, il en sera bientôt fait du sacro-saint statut particulier du corps des diplomates français (à ne pas confondre avec le corps diplomatique des représentants de pays étrangers accrédités en France). Les suppliques obséquieuses et un peu fielleuses n’y changeront rien. Le président est resté froid et n’ a rien cédé à leur émoi. Un ancien ambassadeur à Washington, un peu vachard, a insinué que M. Macron avait a décidé cette réforme afin de ‘’ pouvoir nommer ses copains ambassadeurs, sans rencontrer la résistance et la concurrence de professionnels’’. Pas forcément faux, mais les chefs d’Etat français usent en fait de ce pouvoir royal depuis belle lurette. On se souvient d’un certain médecin gynécologue devenu, par la grâce du Prince, ambassadeur aux Seychelles, il y a quelques décennies.

Tout cela, direz-vous, ne va guère passionner la foule des citoyens-électeurs de France. S’il devait y avoir un enjeu populaire dans cette réforme de la haute administration, ce serait que celle-ci devienne moins opaque, mieux bornée dans ces prérogatives  »régaliennes » et plus susceptible de justifier ses choix auprès des citoyens. Un corps unique de hauts fonctionnaires, pourquoi pas ? … Oui, s’il s’interdisait de dériver vers des intérêts personnels opportunistes, de devenir un sas en or fin pour rebondir vers des carrières politiques ou industrielles sans rapport avec le service  »sacré » de l’intérêt général de tous les Français. Il faut choisir.

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