* 28 avril – Le pour et le contre

Sous la pression de la guerre en Ukraine, l’Union européenne a accepté – avec une bonne part d’improvisation – d’accueillir la candidature de ce pays à rejoindre ses rangs ainsi que celles de la Géorgie et de la Moldavie. Dans le principe, tout au moins. De façon un peu théâtrale, la présidente de la Commission européenne l’a annoncé à Kiev, le 8 avril, aux côtés du président Zelensky, très demandeur en la matière. Autant dire que Bruxelles a choisi de taire la logique de l’économie et le prérequis d’une adaptation longue et complexe justifié par les écarts systémiques majeurs entre les 27 et ces trois pays. L’Europe s’est, au contraire, concentrée sur les défis qu’elle affronte au regard de l’Histoire et de la géopolitique. C’est audacieux, puisqu’ il en va de la justice et de la paix future … et risqué, car cette ambition sera trop complexe à réaliser.

Techniquement, une entrée effective dans le marché intérieur, dans les institutions bruxelloises et dans les bénéfices des politiques communautaires associées n’est pas pour demain, ni d’ailleurs pour après-demain. Inévitablement, l’invitation à rejoindre le club génèrera des déceptions dans ces trois pays menacés par la Russie. Leurs gouvernements se résoudront mal à la longue patience et à la  »soumission » qui va être requise d’eux.

Dans le contexte de crise européenne et mondiale où se trouve l’Union, face au Covid, à la Russie, à l’emballement du dérèglement climatique et aussi aux deux défis illibéral et populiste, Bruxelles a multiplié les nouvelles priorités, toujours dans une optique d’approfondissement de l’Union mais pas de son élargissement. Ce doit être l’un ou l’autre, car le cumul des deux signifierait l’implosion de l’édifice, tant le ciment reste fragile entre les 27. L’incorporation de douze nouveaux membres au cours des deux dernières décennies reste lourde à digérer. L’Union ne saurait donc se surcharger encore et se réinventer en même temps.

Le langage des instances bruxelloises est d’ailleurs subtilement opportuniste. A Kiev, Ursula von der Leyen a mentionné ‘’l’Ukraine marchant vers un avenir européen’’, le genre de langage pieux et ‘’psy’’ que l’on tient aussi à la Turquie, à la Serbie et aux autres fiefs isolés des Balkans. On ne voit guère la présidence française – fraichement réélue et, pour un mois encore, incarnant celle de de l’Union – pousser à la roue pour convoquer une négociation complète, par secteurs, avec Kiev, Tbilissi et Kichinev. Son titulaire sera d’ailleurs le dernier des dirigeants occidentaux à faire le voyage dans ces capitales. Hélas !

 En fait, l’urgence faisant loi, les Européens adoubent un Etat de 44 millions d’habitants en tant qu’’’allié militaire officieux’’ (hors-OTAN). On le sait pourtant frappé par un conflit séparatiste et, surtout, en guerre pour longtemps avec son voisin-ogre oriental. Qui plus est, il est actuellement ravagé par les bombardements et quasi-détruit. Sa reconstruction prendra peut être une génération entière.

Le journaliste de géopolitique et député européen, Bernard Guetta, le constate franchement :  ce ‘’oui’’ concédé aux Ukrainiens comporte le risque d’importer dans l’Union un conflit non résolu. Engagée aux côtés de l’Ukraine, l’Europe pourrait se découvrir, à son cor défendant, partie prenante dans les termes de la Charte des Nations Unies, bien plus qu’alliée extérieure et soutien. Le  »bonus » de l’adhésion serait de se retrouver plongée dans une guerre livrée sur son propre territoire. Ce n’est pas, bien sûr, ce qu’escomptent les 27. Bernard Guetta conclut : ‘’Nous mettons, oui, le doigt dans un engrenage suicidaire mais, sauf à jouer les autruches, à fuir nos responsabilités et à renoncer à défendre la démocratie, nous ne pouvions pas tourner le dos aux Ukrainiens… mais comment relever maintenant le défi que nous nous sommes lancé ?’’.

Ce blog ratifie totalement. Trouvera-t-on, alors, un chemin intermédiaire, par exemple en faisant miroiter une réconciliation générale, à vrai dire assez théorique, au sein d’une  »Confédération européenne » à cercles de coopération concentriques. C’est ce qu’avait évoqué François Mitterrand (sans succès), après la chute du mur, en 1989. L’Ukraine y trouverait rapidement un arrimage politico-militaire, mais, plus tard aussi, la Russie, une garantie contre la vengeance et l’auto traumatisme de la défaite. L’époque s’y prêterait mieux que celle du triomphe occidental contre Moscou. Conclusion : ‘’courage et discernement de long terme ! Gardons-nous surtout des options politiques simples et tranchées ». Si elles peuvent paraître sexy dans l’instant, c’est pour la bonne et seule raison que notre jugement aura été pris en défaut sur le plus long terme. Subtile, non ?

Une réflexion sur “* 28 avril – Le pour et le contre

  1. Bertrand 28 avril 2022 / 11 11 03 04034

    Je trouve que cette  »subtilité » frôle la forfanterie. Celui qui a gratté cette formule creuse joue la grosse tête. De plus, quand la Russie s’amendera et rejoindra la famille, qui pourra différencier alors l »’Ours russe », militaire et défait, de l »Ours Bobo » sorti de Sciences Po ? Signé : Ours Géo

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