Etrange journée symptomatique des divisions – que dis-je, des grands écarts – du monde actuel. Le 9 mai marque à la fois la »Saint Schuman », fête de l’Europe, et la célébration de la fin de la seconde guerre mondiale, du côté ex-soviétique. Deux modèles s’affichent dans le plus total antagonisme.
A Strasbourg, le président français réélu va tenter de marquer les esprits avant la fin de son mandat de six mois ( »présidence de l’U.E »). Il clôt solennellement la Convention sur l’avenir de l’Europe. On veut croire qu’elle en a un. Déjà, le Brexit ne fait plus recette : l’économie est à l’arrêt et Boris Johnson vient de prendre une dérouillée électorale. Même l’Ulster »unioniste » passe doucement à une autre union, avec sa sœur républicaine. L’Union des 27 a soutenu ce choc là et les suivants : Covid, crise économique (encore à se développer) et maintenant l’invasion de l’Ukraine, où, à l’exception de la Hongrie, elle s’engage dans une guerre par proxy pour le droit et la démocratie. Cela doit surprendre et même énerver un peu à Moscou, où les présidentielles françaises ouvraient d’autres calculs. Mais, puisqu’il s’agit de l’Union Européenne, gardons à l’esprit la fragilité de son ciment. Entre le 27, tout d’abord, où une victoire électorale »populiste » peut lézarder l’édifice, entre les institutions européennes et les populations ensuite.
Le statu quo n’est plus tenable dans la durée, bonne raison pour invoquer l’esprit imaginatif et pondéré de Schuman (et de Jean Monnet, en coulisse). Même si la géopolitique impose une forme »défensive » d’élargissement à l’Ukraine, la Géorgie et la Moldavie – sans intégration immédiate sur les autres plans – ce réflexe de sauvegarde des démocraties va contribuer à alourdir le vaisseau européen plutôt qu’à gonfler sa voilure. Cela ne facilitera pas le passage à un Parlement élu avec une proportion de transnationalité appelée à grandir. Il faut bien pourtant que les citoyens du continent prennent conscience d’être collectivement – et non pas par quotas -, les maîtres du Législatif. De même, s’agissant de la Commission, dont la présidente actuelle est en tous points à la hauteur mais pas élue. Puisqu’à l’échelon continental, on n’est pas prêt à choisir le »président élu de l’Europe », veillons au minimum à ce que le Parlement élise le chef/ la cheffe de l’autre pilier institutionnel qu’est la Commission. Quant aux politiques, maintenant que l’Union s’est pas mal extraite de l »’obsession de Maastricht », il est grand temps de s’atteler à l’Europe sociale (le Royaume Uni ne peut plus la bloquer), à celle de la défense (pas seulement au niveau des matériels mais des budgets, des états-majors et des hommes), aux questions de l’énergie et de la santé aussi, qu’Ursula von der Leyen a pris à bras-le-corps, à l’investissement dans la recherche, le climat et l’autonomie industrielle. Tout cela est inscrit dans la feuille de route, mais les européens ne se sont pas approprié celle-ci, qui n’est pas à l’abri de possibles déraillements ou de spasmes politiques. Et la guerre comme la stagflation menacent.
Certes, le 9 mai vit l’Union soviétique triompher du nazisme dans sa »grande guerre patriotique ». Respect pour l’histoire, mais n’allons pas croire que sans le fardeau porté par les alliés, ce triomphe »en solo » en aurait été un. L’Union soviétique a eu ses héros, tout comme les autres belligérants. Sa masse et la manière de ses états-majors de traiter leurs troupes comme chair à canon en ont fauché bien plus que dans les autres camps (en 1942, pour un Messerschmidt 109 abattu, la VF russe, de taille supérieure, perdait 20 chasseurs). Mais la chose qui rend inintéressant le grand défilé de la victoire, à Moscou est son révisionnisme éhonté. Le tableau historique est entièrement réécrit en fonction des méfaits présents et des outrances de la propagande poutinienne : les Ukrainien incarnent le Reich, les Occidentaux, de fourbes alliés des Hitlériens, le bunker volant du maître du Kremlin et tous ses »hyper-missiles », de sortie pour l’occasion déversent sur nous des menaces d’Apocalypse (d’ailleurs mal comprise, par rapport à la version de l’apôtre Jean).
Une conclusion s’impose : suivre l’actualité de Strasbourg ; exprimer quelques sarcasmes pour le médiocre cirque de Moscou et revenir à ce qui compte.