* 11 mai – Spirale lankaise

Le Covid, l’inflation, les pénuries, la dette générée pour les pays pauvres en conséquence des nouvelles routes de la soie et surtout la mauvaise gouvernance constituent la recette la plus en vogue du chaos. Depuis 2020 (premiers effets de la pandémie), 90 millions de personnes sont tombées dans l’extrême pauvreté. Soixante pour cent des 70 pays les moins avancés risquent désormais un défaut de paiement dont la probabilité a bondi avec l’invasion russe de l’Ukraine. La guerre en Europe alimente la flambée des prix du pétrole, du gaz, du blé ou encore de l’huile. L’Iran en est à rationner le pain. Dans les sociétés inégalitaires, les populations pauvres sont particulièrement vulnérables au risque économique.

Le Sri Lanka apparaît comme un prototype de ce qui menace le Sud de notre planète au cours des prochains mois. Sur toile de fond d’une totale anarchie, le premier ministre, Mahinda Rajapaksa, a dû présenter sa démission, le 9 mai. Il n’est toutefois qu’un fusible, inefficace pour sauver la peau de son frère cadet, le président, Gotabaya Rajapaksa. La fratrie Rajapaksa cumule tous les pouvoirs et se remplit les poches tandis que la population, privée de tout par l’écroulement de l’économie, les rejette en bloc. Le clan familial est la cible de la révolte. Le départ du frère aîné n’a pas amené un retour au calme dans cette île perçue comme un paradis pour touristes et qui ne peut les accueillir que dans la stabilité et la paix civile. L’opposition a refusé de participer à un gouvernement d’union nationale. En ces temps de faillite et de révolte populaire, elle exclut logiquement de se placer sous l’autorité de l’un ou l’autre frère Rajapaksa, responsables à ses yeux de la crise actuelle. Il semble impossible de former un nouveau cabinet. L’impasse politique est totale.

Fragilisé par l’effondrement du tourisme, lié à l’épidémie de Covid-19, ce pays de 22 millions n’est plus capable de nourrir sa population, depuis qu’il ploie sous une dette faramineuse de 51 milliards de dollars. Son principal créditeur est la Chine, qui a financé une pléthore d’infrastructures de prestige, notamment une magnifique ‘’tour du lotus’’, désespérément déserte et fermée. C’était du temps où le Sri Lanka fascinait les investisseurs étrangers et empruntait à Pékin et à New Delhi, en ignorant les secours du FMI. Aujourd’hui, la facture totale des investissements inconséquents et improductifs s’élèverait à 150 milliards de dollars. Le gouvernement a dû suspendre le remboursement du service de la dette publique extérieure, le pays ne pouvant plus assumer son fardeau financier. Colombo a été contraint par Pékin de transférer à des entreprises chinoises la propriété d’un nouveau port et de sa zone économique, impayée. L’honneur national est flétri. La banque centrale n’a plus les devises étrangères (moins de 50 millions de réserves) pourtant nécessaires pour importer les biens essentiels et assurer des services de base à la population. Aux incessantes coupures de courant, se sont ajoutées les pénuries de médicaments, de gaz, d’essence, de nourriture, accompagnées d’une inflation de 30 %.

Les germes de guerre civile sont réapparus, treize ans après le terrible conflit qui a cassé le pays en deux jusqu’en 2009, entre cinghalais bouddhistes et Tamouls hindouistes du Nord, avec un bilan humain de centaines de milliers de morts. Au terme de deux mois de manifestations incessantes aux cris de ‘’Gota go home’’, le premier ministre, Mahinda Rajapaksa, a donc démissionné pour tenter de sauver son frère, le président, et son gouvernement a été renvoyé. La foule en colère a alors sacagé le musée Rajapaksa (dans leur village d’origine) et plusieurs villas de dirigeants. Pour tenter de reprendre la main, le président Rajapaksa a décrété, le 7 mai, l’état d’urgence et déployé des militaires en renfort de la police. Celle-ci vient d’être autorisée à tirer à vue sur les émeutiers.

Le régime a aussi commis la faute de mobiliser ses partisans armés contre des manifestants massés devant la présidence. Les affrontements ont fait cinq morts et plus de 180 blessés et ils se poursuivent actuellement. Colombo a des allures de champ de bataille sanglant. Un couvre-feu a été décrété d’une durée indéterminée dans l’ensemble de l’île.

Les deux frères se sont repassé les fonctions suprêmes du pouvoir, comme dans un jeu de ballon à deux. Le népotisme est leur unique règle de comportement : fils, cousins, frères se partageaient tout jusqu’à un récent remaniement. Ministre de la défense, à vingt-six ans, à la fin de la guerre civile, Gotabaya Rajapaksal n’a de cesse, pour asseoir son autocratie, d’exacerber les divisions ethniques et religieuses de la société, réminiscentes du conflit intérieur. Les Musulmans sont ses bouc-émissaires préférés. Il s’était forgé une réputation de férocité absolue dans le traitement des vaincus de 2009, les Tigres de libération de l’Eelam tamoul. 40.000 d’entre eux sont considérés comme disparus et l’évocation de leur sort est tabou. En accumulant les maladresses, il a perdu le soutien des trois quarts de la population, toutes religions confondues. Avant de devenir premier ministre, en 2019 son frère, Mahinda Rajapaksa, (76 ans), avait détenu la présidence entre 2005 et 2015. Il porte par conséquent, lui aussi, une lourde responsabilité dans la crise. C’est lui qui a lourdement endetté le Sri Lanka dans des projets d’infrastructures menés dans le cadre des ‘’nouvelles routes de la soie’’,à l’origine d’une coûteuse gabegie. La colère qui  gronde au Sri Lanka s’est également manifestée au Pakistan, où le premier ministre, Imran Khan, a été contraint par son parlement, à la démission. De même aussi, au Pérou et demain, possiblement, en Egypte ou en Tunisie. Le sud surchauffe et les mêmes ingrédients de crise y sont à l’œuvre. Gare à la suite !

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s