Quand on se proclame ‘’insoumis’’, ce n’est pas pour se mettre à plat ventre devant l’Europe. Premier présupposé : ‘’l’Europe n’est pas à nous, c’est la chose inventée par des Eurocrates de malheur pour nous tourmenter’’. De Jean Monnet à Ursula, ce fut une succession de bourreaux au service d’une idéologie ‘’euro-citoyennicide’’ faite de libéralisme à tout va. Que ne sommes-nous donc Vénézuéliens ou Cubains et heureux ! Et puis, on a volé au Français, le référendum de 2005. Ce n’est pas faux, mais tout le monde, à commencer par les citoyens ‘’spoliés’’ s’en trouve mieux. Surtout, quand on se réclame de la haute veine des sans-culottes de 1789 et des gilets jaunes de 2019, il n’est pas question de placer quelle confiance que ce soit dans des gens ‘’élitistes’’ (des aristocrates ?) qui sévissent au-delà des frontières de la Patrie, qui sont sacrées.
Le programme définitif de la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale n’est pas encore détaillé, mais la France Insoumise a pris la main sur la future politique étrangère d’un Hexagone hypothétiquement rebasculé à gauche. Celle-ci inscrit dans sa feuille de route la ‘’désobéissance’’ à une partie (imprécise) des traités européens. La souveraineté issue de l’électorat l’emporte sur la souveraineté européenne et sur le droit, qu’importe les partenaires et la voix des minorités ! On avait déjà entendu ça à l’autre bout de spectre (spectre est vraiment le mot juste). On retourne au XIX ème siècle, sans transition.
La Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (Nupes), tel est le nom de l’alliance des gauches en vue des législatives françaises de juin. Elle a été passée entre les quatre grandes formations : la France insoumise (LFI), en chef de file ; Europe Ecologie-Les Verts (EELV) ; le Parti communiste français (PCF) ; le Parti socialiste (PS), en Tom Pouce de la famille. La NUPES se propose de rompre avec les politiques économiques libérales. Celles de la France : cela semble normal, si cette coalition arrivait au pouvoir – mais aussi avec l’acquis communautaire, sans passer par les voies légales qu’ouvrent dans ce sens le parlement européen et la révision des traités (prônée par Emmanuel Macron), notamment la réforme des institutions explorée par la Convention sur l’avenir de l’Europe. Celle-ci s’est récemment close. Le parlement de Strasbourg et la Commission de Bruxelles en reprennent les conclusions à leur compte. Qu’importe, encore …
C’est une question de style, avant tout. Réformer, mettre aux voix, négocier au sein de la famille européenne, ce n’est pas dans l’ADN du brillant tribun qui mène la révolte. Rien de bien ne doit advenir qui ne porte sa marque personnelle. Et sa marque, c’est une sorte de légende de Che Guevara transposée en Hexagonie, seulement dans le verbe : toute avancée sera arrachée par la force, le sang et la sueur des militants. C’est le genre de romantisme archaïque censé exalter la jeunesse et qui maintient fringant son chef. Transgresser, désobéir, appeler au soulèvement, cela vous donne une forte image en évitant les explications trop compliquées sur le pourquoi du comment de la politique étrangère.
Evidemment, au-delà de cette flamboyance orale, on va devoir s’accommoder des basses réalités si, toutefois … Le cadre légal européen n’autorisera pas tous les écarts ni tous les reniements : en droit français, les directives, règlements et Traités constitutifs de l’Europe s’imposent à la législation nationale, à l’instar des traités et conventions internationales. Ce sera un peu gênant de devoir faire équipe à Strasbourg avec le Rassemblement National, la Hongrie de Viktor Orban ou de voir Vladimir Poutine savoure intensément la grande pagaille bruxelloise préparée par les Gaulois réfractaires. Qu’importe ! En tout cas, l’Homme du Kremlin saura que ces Gaulois-là ne tiennent pas trop à aider l’Ukraine militairement. Enfin, il est plus qu’improbable que les trois partenaires associés à LFI au sein de l’alliance accepteraient un tel jeu d’embrouilles, s’ils participaient au gouvernement du Premier ministre auto-proclamé.
Le programme de LFI, légèrement imposé aux partenaires, n’en possède pas moins des points forts, notamment dans ses chapitres de politiques sociales et environnementales. Mais comment se persuader que le populisme qui le caractérise dans les affaires diplomatiques serait, par sainte vertu de son auteur, radicalement absent de ces deux domaines propres à susciter des attentes bien réelles ? Qui croira aussi que la ‘’désobéissance’’ constitue la voie requise par les Français pour passer de la Vème à la VI ème République ? Ou pour engager les transitions énergétique et agricole ? L’alternative politique que constitue la NUPES doit beaucoup à celui qui la conduit, mais elle est en même temps obérée par le terrible manque de crédibilité de la personnalité qui la porte, exceptionnelle par son orgueil et par son art accompli de jouer le langage qui plaît. Qu’importe ?
Mettrait-on un Jean-Paul Marat ou un Georges-Jacques Danton contemporains à la tête des destinées de la France ?