1er juin – Pétrole au noir et spéculations roses

Nous y sommes : la ‘’guerre du pétrole’’ a été lancée hier par l’Europe. Mais avec des dérogations, des trous dans la raquette. Quant à la ‘’guerre du gaz’’, on ne sait pas trop ; on verra plus tard : on préfère n’y plus penser. Ainsi, les chefs d’Etat et de gouvernement européens se sont péniblement mis d’accord, à Bruxelles, pour couper la route des  pétroliers russes, qui ne seront plus invités dans leurs ports. On nomme cela le ‘’sixième paquet de sanctions’’ contre l’agression russe en Ukraine.  Le paquet n’est pas très bien ficelé mais, faute de mieux, il nous est présenté comme ‘’emblématique’’.

En fait, il tient surtout de la demi-mesure. La Hongrie obtient une dérogation totale, qui va lui permettre de jouir d’un naphte russe bradé avec 30 % de remise via ‘’l’oléoduc de l’amitié’’. Bel avantage sur ses voisins, qui eux sont surtaxés par les marchés américain et saoudien. Qui plus est, si son ravitaillement par voie terrestre venait à se tarir (la Russie ayant son mot à dire sur le sujet), Budapest pourra rétablir à son seul profit, la voie pétrolière maritime. Comme quoi l’‘’illibéralisme’’ et le mépris des libertés sont payants : bravo Viktor ! Les voisins de la Hongrie – sauf la Pologne – bénéficient, eux, de transitions sur plusieurs années. On est certes protagonistes face à Moscou, mais pas au point de consentir quelques sacrifices à la cause. Comme signalé, le flou épais entretenu autour des livraisons de gaz russe manifeste, qu’on ne veut pas aller trop loin. ‘’Messieurs de Gazprom, tirez les premiers !’’ ‘’Pschhhhit !

L’Europe se sent victorieuse quand elle parvient à sortir une décision plus ou moins consensuelle en ménageant des portes de sortie à ceux de ses membres cabrés dans l’obstruction. Il faut reconnaitre qu’à 27, ce n’est pas si mal. Elle fonctionne mieux que les Nations Unies à 196 membres, en tout cas. Il lui manque cependant un rien d’opportunisme. Sans être sûr de vraiment punir la Russie, au point de la faire flancher dans son ‘’opération spéciale’’, le doute est permis. Les souffrances de la population russe ne pèsent pas dans l’équation. Bruxelles ne met nullement en avant l’occasion unique qui se présente d’adapter l’Europe à la sobriété énergétique. Le Green Deal lancé l’an dernier devient presque tabou et les énergies carbonées semblent retrouver tout leur attrait. Ne nous faisons trop d’illusion : à l’heure du manque, le principal souci des gouvernements – mais pas tous – est de rassurer le consommateur-électeur : ‘’tu auras tout ton saoul de gaz et de charbon, en attendant d’être branché sur l’atome’’. Le quinquennat sera rétro-écologique ou ne sierra pas.

Lorsque, le 21 novembre 1806, Napoléon a lancé un contre-blocus continental frappant l’importation de produits britanniques en Europe pensait-il sérieusement provoquer l’effondrement du Royaume Uni ? En fait, il n’est même pas parvenu à bloquer, en sens inverse, le flux d’importations dont l’économie anglaise avait besoin pour prospérer dans le monde. Plus proche de nous, les sanctions décrétées en 2014, à la suite de l’annexion de la Crimée et de la première offensive sur le Donbass, ont-elles empêché Moscou de préparer méthodiquement l’agression du 24 février 2022 ? Que penser aussi des sanctions fort anciennes contre l’Iran et la Corée du Nord ? Ont-elles fait tomber ces régimes ? Ont-elles bloqué leurs programmes nucléaires ?

L’instrumentalisation belliqueuse de l’économie repose sur une interprétation faussée du monde : les mauvais sujets internationaux seraient coincés dans une dépendance irréversible à l’égard des marchés occidentaux. Dans les faits, des débouchés et des fournisseurs de substitution permettent toujours d’y remédier. Les mesures restrictives prises par l’Europe et les Etats Unis n’ont d’ailleurs pas d’effet d’entrainement sur les pays du Sud, dont certains règnent sur des ressources très stratégiques. Les armes, le pétrole s’écoulent par des réseaux parallèles ou clandestins, comme l’a illustré l’opération ‘’Pétrole contre nourriture’’ sous Saddam Hussein. Sans nier qu’à son début, l’embargo porte un coup à l’économie de celui qui la subit, reconnaissons que l’impact en est reporté sur la population générale et non sur les forces armées ou policières. Avec le temps, l’impact des sanctions est amorti par une réorientation des flux financiers et marchands. Bref, le blocus, ça ne marche pas longtemps.

Joe Biden a affirmé, hier encore, que le but des Occidentaux n’était pas de reverser le régime de Poutine, ni même son chef. C’est conforme au droit. Espérons surtout que c’est un pieux mensonge qu’on lui pardonnera d’ailleurs. Comment croire une seconde que le maître du Kremlin ira un jour à Canossa confesser ses péchés et indemniser l’Ukraine ? Un seul des dirigeants majeurs de l’Axe, a-t-il, plaidé coupable en 1945 ? C’est sans doute tout aussi naïf d’escompter une victoire militaire totale contre la seconde armée du monde (nucléaire, qui plus est). Reste l’espoir d’un sursaut de la société russe, espoir qui nous ramène à des spéculations roses sur la chute du trône de Poutine… voire à finalement négocier, avec le grand coupable, une paix qui ne sera sans doute ni toute rose, ni définitive. La paix par la realpolitik ?

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