A toute guerre, ses ‘’mercenaires’’. Pourquoi des guillemets ? Parce que la définition du mercenariat est compliquée et comporte des zones grises. En Ukraine, deux Britanniques et un Marocain engagés dans la défense de ce pays agressé par la Russie, ont été capturés par les séparatistes du Donbass. Bien que la peine capitale fasse encore – pour quelque temps – l’objet d’un moratoire en Russie, ces milices aux ordres de Moscou les ont condamnés à mort. Le recours à une justice extra-judiciaire pose problème, tout autant que le rejet, pur et simple, du droit de la guerre. La semaine précédente, les mêmes, que l’on pourrait fort bien qualifier eux mêmes de ‘’mercenaires’’, avaient promis au peloton d’exécution les soldats réguliers ukrainiens de la division Azov, rescapés de l’enfer de Marioupol. Qui serait alors plus »mercenaire’’ que qui ? Et est-ce une circonstance aggravante que de combattre du côté de l’Agresseur ? Cela fait plus qu’une nuance en termes de légitimité et de droit.
Le verdict sommaire concernant les trois étrangers est absolument contraire au dispositif de la convention de Genève de 1951, qui reprenait elle-même les instruments juridiques de la seconde moitié du XIXème siècle. Elle protège les prisonniers de guerre lorsqu’ils ont été incorporés à des unités militaires étatiques. Les nationaux tiers sont alors protégés contre les poursuites visant leur participation aux hostilités. La seule exception concernant les poursuites pour crimes de guerre présumés. Constatons que cela incrimine massivement le camp de la Russie.
Un »mercenaire », c’est une personne spécialement recrutée sur un marché rémunérateur pour combattre, sans engagement politique particulier, dans un conflit armé = = hors de toute organisation officielle = =. Ces trois étrangers étaient incorporés dans l’armée ukrainienne, résidents en Ukraine et ayant établi des liens de vie dans ce pays. Ils n’étaient donc pas étrangers à l’Etat. Il n’y a donc aucun motif à leur refuser le statut de combattant, a fortiori, à leur dénier leur qualité de prisonniers de guerre. En fait, ceux qui les condamnent se moquent bien du droit et de la justice autant que de l’intégrité et la souveraineté de l’Ukraine. En condamnant à mort ces prétendus ‘’mercenaires étrangers’’, ils s’arrogent simplement le droit d’assassinat. La suspension de la peine de mort en vigueur en Russie depuis 1997 ne ‘appliquerait pas, disent-ils, aux deux territoires séparatistes de l’Est ukrainien : triste maquillage de leur inhumanité et de leur détachement des règles étatiques.
La notion de ‘’mercenaire’’ dérive du délit traditionnel de piraterie. Elle implique un comportement ‘’sans foi ni loi’’, la cupidité personnelle (loyauté à qui paie le mieux), le rejet des droits humains élémentaires. Les corsaires malouins capturés ne pouvaient échapper à la pendaison par leurs adversaires anglais qu’en vertu des lettres de course qu’ils tenaient de l’autorité royale. Plus proches de nous, les volontaires internationaux accourus au chevet des Républicains espagnols en 1936 préfiguraient le monde multilatéral de 1945, même si leur statut – très honorable – n’avait pas été reconnu sur le coup. Devrait-on aujourd’hui suspecter d’être des ‘’mercenaires’’ les soldats européens qui quittent le Mali ? Evidemment, pas : ils sont couverts par l’autorité des résolutions des Nations Unies et participent à des opérations clairement et ouvertement étatiques, ce qui n’est pas le cas des mercenaires (sans guillemets) du groupe Wagner, activés par une entreprise de la nomenklatura moscovite.
La zone floue peut se situer encore ailleurs : lorsque, sur une base contractuelle, des techniciens d’armement s’introduisent auprès d’un client-acheteur, avec la caution de leur Etat mais en étant détachés de leurs propres forces armées. Si le client les contraint à servir, dans des opérations de guerre feintes ou réelles, les systèmes d’armes qu’ils ont la charge de seulement mettre en place, si, de plus, leur implication n’est pas reconnue par leurs institutions politiques, tels le Gouvernement ou le Parlement, ces techniciens deviennent objectivement et légalement des mercenaires. Cela a bien failli arriver, en lien avec certains contrats français au Moyen-Orient, ne nous voilons pas la face. Heureusement, les enfreintes n’ont pas donné lieu à de tragiques conséquences, du moins qui nous soit connues à ce jour.