‘’Il serait important d’envisager dans le futur, l’inclusion de la Russie dans l’Union Européenne’’.
L’affirmation récente et en lien direct avec la guerre en Ukraine peut paraître un peu déplacée, voire fantasque, mais elle est sincère et réfléchie. Quand on sait qu’elle émane d’un sage, le sociologue et philosophe Edgar Morin, on se dit qu’elle mérite sans doute le détour. La notoriété l’autorise à esquiver le court terme conjoncturel, allant de l’arrivée de Vladimir Poutine à l’agression de l’Ukraine, depuis février.
Dans un article de l’hebdo ‘’Le 1’’ du 15 juin le célèbre penseur parcourt les deux derniers siècles de l’épopée de la Russie et décrypte les contours tourmentés de l’âme politique de ce pays. Pas seulement pour retracer l’identité incertaine d’un empire continental – mais aussi, colonial -, mais surtout pour en dégager la longue suite d’erreurs, commises par les deux camps aujourd’hui protagonistes. Pour lui, on aurait pu éviter d’en arriver à cette guerre désastreuse. De plus, il ne serait jamais trop tard pour essayer d’en sortir = à terme, pas dans l’immédiat =, par la négociation. Morin adopte un point de vue qui n’est pas loin de celui d’Emmanuel Macron, sans exonérer Poutine ni son régime, il évite le mot ‘’humiliation’’, désormais connoté négativement, mais il pense néanmoins qu’une totale mise au ban de la Russie n’aboutirait qu’à retarder le retour de la Paix. La voie à suivre ne devrait donc pas être exclusivement militaire.
La Russie entretient depuis le XIXème siècle, une relation en dents de scie avec l’Occident. L’Europe ne l’a jamais traitée en partenaire stratégique égal par essence, mais en monstre : tantôt un pis-aller commode contre un ennemi proche, tantôt un repoussoir menaçant. La préférence ancienne du pouvoir russe pour l’arrimage à l’Ouest n’a pas été accueillie comme sérieuse et durable : ‘’n’introduisez pas ce monstre chez nous !’’. De leur côté, Européens et Américains ont largement eu motif à se méfier de sa brutalité, de son tropisme dictatorial et de ses appétits impériaux. Aucun des deux camps en présence n’a vraiment cherché à lisser durablement la partie de yoyo infernale qui les relie ou les oppose. C’est de cet héritage psychologique de méfiance et de complexes que nous payons le prix autour du conflit en Ukraine.
En 1892, la IIIème République, encore sous le poids du traumatisme de la défaite de 1871, avait conclu une entente avec le Tsar (un despote, reconnu comme tel) pour prendre l’Allemagne à revers. Espoir déçu en 1917, quand Lénine retire l’URSS naissante de la première guerre mondiale. Le front français subit alors le contre-coup de cette défection. Et le communisme affole. Même schéma stratégique en 1935, quand Pierre Laval signe à Moscou une contre-alliance avec Staline. Elle est trahie dès Munich (septembre 1938) quand le petit père des peuples exige un droit d’investir militairement la Pologne pour ‘’protéger’’ ce pays d’une invasion allemande. La trahison en vraie grandeur éclate avec le complot du pacte Molotov – Ribbentrop. Les deux puissances dictatoriales se partagent, comme des ogres, la République polonaise (et aussi les républiques baltes, pour l’Armée rouge). On aboutit en 1944-45 à une mainmise russe sur la moitié de l’Europe et à une confrontation de blocs qui, au-delà de sa dimension nucléaire, répond aussi à l’obsession soviétique de l’expansion territoriale vers l’Ouest. Sous la Guerre froide, l’Empire fait peur mais l’Occident aussi entretient la paranoïa russe et mesure mal celle-ci. La détente ne conduira pas à l’entente.
Après la chute du mur et malgré l’engagement oral de George Bush senior de ne pas en abuser, en étendant la sphère de l’OTAN à l’est de l’Allemagne réunifiée, Gorbatchev a été maltraité et même abusé. L’inventeur de la Glasnost et avocat d’une coopération poussée avec l’Ouest a subi le cynisme de dirigeants occidentaux qui se vengeaient – consciemment ou non – de la série de méfaits russes antécédents. Leur cible était mal choisie. L’implosion consécutive de l’URSS a ouvert une période grise entre une Russie instable et économiquement mafieuse, entretenant un gigantesque complexe du ‘’perdant’’ et, de l’autre côté, un Occident hédoniste submergé par l’idéologie de l’hyper libéralisme, qui se proclamait ‘’gagnant’’ et coupait les ponts politico-militaires : ils étaient devenus inutiles puisque l’histoire avait tranché. Moscou voyait sa sphère stratégique refluer, malgré la promesse solennelle faite en, mai 1997 (au lancement de son »partenariat stratégique » avec l’OTAN), de ‘’ne déployer ni stationner des forces de combat permanentes ou des armes nucléaires sur le territoire des nouveaux membres de l’Alliance’’.
Il n’en a rien été, on le sait et il faut s’interroger sur cette opportunité perdue. Même la précaution ultime d’une mince zone-tampon neutre entre les forces armées russes et celles de l’Alliance a été déniée à Moscou, la promesse occidentale s’avérant vite ‘’oubliée’’. 15 A ? Peut-être mais la conception russe de la sécurité ou de l’insécurité n’est pas comparable à une partie de tennis et, faute de réaliser cette évidence, deux ans avant que Poutine n’émerge sur la scène politique, l’humiliation de la Russie fermentait puis a dégénéré. On peut donc comprendre le soin du président français à ne pas s’en réjouir rétrospectivement et de prôner un repli russe sans (trop grande) perte de face.
Sous la férule de Vladimir Poutine, le sort en semble joué, l’Histoire ne repassant pas les plats. Pourtant, la diplomatie n’est pas encore complètement démunie, au moins, d’idées. C’est ce que nous analyserons demain dans une seconde partie de cette longue … brève.
Très bon, j’apprécie et plussoie ! Nous n’avons, hélas, que 25 ans de retard …. Patrick
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