L’ancien port allemand de Königsberg – aujourd’hui ‘’oblast de Kaliningrad’’ – constitue depuis longtemps une épine dans le pied de l’Europe. Avec l’adoption par l’Union européenne, le 17 juin, de sanctions justifiées par l’agression russe en Ukraine, cette enclave redevient un sujet de litige et potentiellement une source de conflit ouvert. Les restrictions partielles frappant le transit de (certaines) marchandises stratégiques, via la Lituanie affectent en effet une partie du fret ferroviaire destinée à Kaliningrad.
Moscou exige de la Lituanie « une levée immédiate des restrictions » et enrage contre une décision « hostile, qui viole toutes les règles imaginables » (en fait, deux accords avec Bruxelles). Son porte-parole, Dmitri Peskov, évoque de prochaines mesures de représailles contre Vilnius. La Lituanie se trouve déjà dans la ligne de mire du Kremlin pour l’accueil que cette petite république, membre de l’UE, accorde généreusement à l’opposition biélorusse et aux dissidents russes. Elle est également en bisbille avec l’allié chinois de Poutine. Son ministre des Affaires étrangères ne peut faire autrement que d’imputer la responsabilité première des sanctions à la décision européenne. Le ton monte entre les deux pays. Pour comprendre comment la tension – récurrente – a ressurgi brutalement, il convient d’en rappeler les origines historiques.
En janvier 1945, la province allemande de Prusse-Orientale avait été annexée à l’URSS, à la suite d’une offensive de l’Armée rouge, puis divisée entre l’Union soviétique (moitié nord) et la Pologne (moitié sud). Le plan d’expansion de Staline a été entériné par les conférences interalliées de Yalta et Potsdam. Lorsque Saint Pétersbourg / Kronstadt sont bloqués par le gel, un couloir terrestre jusqu’à Kaliningrad – via la Biélorussie et la Lituanie – donne à la Fédération de Russie accès aux ports libres de glace de la Baltique. C’est un atout économique mais aussi stratégique.
Auparavant, la population de Königsberg était principalement allemande, avec une minorité d’origine lituanienne et une autre parlant un dialecte polonais. Les habitants qui n’ont pu s’enfuir ont été déportés en Sibérie et remplacés par des Russes, comme en Carélie finlandaise. La prise soviétique a été érigée en oblast de Kaliningrad, rattaché à la République fédérative de Russie. Sa configuration d’enclave entre Pologne et Lituanie – deux fois plus proche de Berlin que de Moscou – s’est accentuée avec les indépendances baltes de 1991. La capitale de l’Oblast est séparée de Pskov, ville russe la plus proche, par trois frontières et 600 kilomètres, ce qui n’est pas sans évoquer, dans l’entre-deux-guerres, le couloir symétrique de Dantzig ménageant un accès polonais à la Baltique.
Depuis l’adhésion de la Pologne et de la Lituanie à l’Union européenne, en juillet 2003, l’enclave de Kaliningrad constitue l’une des frontières extérieures de l’Union européenne. Sa nature de forteresse militaire et sa grande base navale sont perçues comme la volonté d’un tremplin russe vers l’Europe du Nord. Elle est surarmée et dotée de missiles nucléaires Iskander, pointés sur les métropoles européennes. Un accord avait été conclu, en avril 2004, entre Bruxelles et la Russie, exemptant de taxes douanières les transits marchands à travers le territoire lituanien, essentiellement par voie ferrée. De plus, un accord sur les petits mouvements frontaliers avait été signé en 2012, permettant une mobilité, sans visa, des résidents russes jusqu’à 30 km au-delà de leurs frontières.
La volonté d’accommodement de l’Union européenne n’est pas épuisée. Josep Borrell, précise ainsi que « le transit terrestre n’a pas été stoppé ni interdit et celui des passagers et des marchandises se poursuit, à l’exception de l’acier et des biens fabriqués à partir de pétrole ». Qui plus est, en cette saison, le trafic peut être aisément acheminé par voie de mer.
La seule vraie question est donc : Vladimir Poutine est-il à la recherche d’un prétexte pour ‘’tenter un coup’’ contre l’Europe du Nord ?